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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 4 avril 2025, n° 24/00645

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Engie Energie Services (SA)

Défendeur :

Adf Developpement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme L'Eleu de La Simone

Conseillers :

Mme Bussiere, Mme Guillemin, Mme L'Eleu de La Simone

Avocats :

Me Fromantin, Me Dolfi, Me Boccon Gibod, Me Leclerc

Paris, pôle 5 ch. 11, du 24 sept. 2021, …

24 septembre 2021

FAITS ET PROCEDURE

Selon un contrat en date du 4 octobre 2007, la SAS Cofathec aux droits de laquelle sont venues la société GDF Suez Energie Services, puis la SA Engie Energie Services (la société Engie), a cédé à la SAS Financière de maintenance, désormais dénommée la SAS ADF Développement (la société ADF), la totalité des actions qu'elle détenait dans le capital de la société Cofathec ADF devenue elle-même la société Groupe ADF, pour le prix de 35.950.000 '.

L'acte de cession stipulait, en son article 8, une garantie de passif consentie au profit de l'acquéreur.

Parmi les actifs de la société cédée, figuraient deux contrats conclus par l'une de ses filiales, le premier avec la société EDF relativement à l'EPR de [Localité 4] (le contrat EPR) et le second avec la société Vallourec (le contrat Vallourec). Ces contrats, qui étaient encore en cours au moment de la cession, étaient structurellement déficitaires.

Par courrier du 30 juin 2009, la société ADF a sollicité la mise en 'uvre de la garantie de passif, afin d'être indemnisée des pertes à terminaison subies au titre de l'exécution de ces deux contrats.

N'ayant pas obtenu satisfaction, suivant exploit d'huissier du 30 juin 2011, la société ADF a fait assigner la société GDF Suez Energie Services (devenue Engie) devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement d'une somme de 578.449,57 ' "à parfaire" en indemnisation des pertes alléguées.

Par jugement du 13 juillet 2012, le tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de ses demandes.

La cour d'appel de Paris a, par arrêt infirmatif du 3 décembre 2014, condamné la société GDF Suez Energie Services à payer à la société ADF la somme principale de 637.224 ', au titre des pertes à terminaison enregistrées pour les exercices 2007 à 2013 inclus.

Cet arrêt est devenu irrévocable à la suite du rejet d'un pourvoi, prononcé par arrêt de la Cour de cassation, en date du 5 juillet 2016.

Alors que le contrat Vallourec était désormais achevé, le contrat EPR demeurait toujours en vigueur.

Par arrêt du 15 février 2017, la cour d'appel de Paris a rejeté une requête en omission de statuer de la société ADF, afférente à sa demande de condamnation " d'une somme à parfaire ", au titre des pertes à terminaison du contrat EPR, en retenant qu'il avait été statué au vu des pièces alors disponibles et qu'en s'abstenant d'indiquer la mention "sauf à parfaire", la Cour avait entendu ne pas faire droit à cette demande.

La société ADF a fait assigner, par acte du 12 mai 2017, la société GDF Suez Energie Services devant le tribunal de commerce de Paris, à l'effet d'être indemnisée de son préjudice correspondant aux pertes à terminaison générées en exécution du contrat EPR, depuis l'arrêt du 3 décembre 2014, soit un montant à parfaire de 367.459 ' pour les exercices clos les 31 décembre 2014 et 31 décembre 2015.

Par jugement du 11 juin 2019, le tribunal a :

- Rejeté la fin de non-recevoir, fondée sur l'autorité de la chose jugée opposée par la société GDF Suez Energie Services devenue la société Engie, et a déclaré recevable la demande d'indemnisation de la société ADF,

- Condamné la société Engie à payer à la société ADF, en exécution de la garantie de passif, la somme de 367.459 ' augmentée du taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points à compter du 31 décembre 2013, au titre des pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2014 et 2015,

- Dit que les intérêts échus depuis au moins une année produiraient eux-mêmes intérêts,

- Débouté la société ADF de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive,

- Condamné la société Engie à payer à la société ADF la somme de 15.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire,

- Condamné la société Engie aux dépens.

La société Engie a formé appel du jugement, par déclaration du 26 juin 2019.

Dans un arrêt du 24 septembre 2021, la cour d'appel de Paris a infirmé la décision et, statuant à nouveau, a déclaré irrecevable la demande de la société ADF tendant à voir condamner la société Engie à l'indemniser des pertes à terminaison au titre des exercices 2014 à 2020, au motif qu'elle se heurtait à l'autorité de la chose jugée.

A la suite du pourvoi formé par la société ADF, par arrêt en date du 11 octobre 2023, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 24 septembre 2021, et remis, en conséquence l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt en les renvoyant devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

La Cour de cassation a censuré l'arrêt, en retenant que l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 3 décembre 2014 ne pouvait faire obstacle à l'examen de la demande nouvelle de la société ADF, pour les motifs suivants :

" Vu l'article 1355 du code civil :

7. Il résulte de ce texte qu'une demande en paiement de dommages et intérêts fondée sur un élément de préjudice qui ne s'est révélé qu'après le jugement d'une première demande, échappe, faute de présenter avec celle-ci une identité d'objet, à l'exception de chose jugée.

8. Pour dire la société ADF développement irrecevable en sa demande, l'arrêt, après avoir relevé qu'elle sollicitait l'indemnisation des pertes à terminaison subies, au titre des exercices 2014 à 2020, du fait de l'exécution du contrat EPR, retient que la somme réclamée par cette société dans sa première demande, accueillie par l'arrêt irrévocable du 3 décembre 2014, incluait une provision d'un montant de 118 000 euros que cette société avait inscrite dans ses comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2013, que cette provision correspondait à la projection, par la société ADF développement, du montant des pertes à venir du contrat EPR jusqu'à son achèvement et que si ce montant avait été évalué en fonction des éléments dont disposait alors cette société, il n'en demeurait pas moins que cette évaluation portait sur l'intégralité des pertes à venir jusqu'au terme du contrat EPR et que l'arrêt du 3 décembre 2014 avait ainsi statué sur la demande d'indemnisation dans son intégralité. L'arrêt ajoute que, du fait de l'intégration, par la société ADF développement, d'une provision par laquelle elle anticipait le montant des pertes à terminaison à venir dans l'évaluation de son préjudice, il ne peut être considéré que l'arrêt du 3 décembre 2014 n'a pris en considération que les éléments de la période 2007 à 2013 sans tenir compte du préjudice résultant des pertes à terminaison jusqu'à l'achèvement du contrat EPR, quelle que soit la date à laquelle ce préjudice à venir a été apprécié, et que si le chiffrage du préjudice de la société ADF développement résultant des pertes à terminaison du contrat EPR s'est trouvé affiné au fur et à mesure de l'avancement de ce contrat et que son montant s'est révélé ainsi plus important que celui évalué par cette dernière lors de sa première demande, celle-ci, du fait de la provision comptable qu'elle incluait, portait sur l'intégralité de son préjudice. L'arrêt en déduit que la nouvelle demande de la société ADF développement se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 3 décembre 2014.

9. En statuant ainsi, alors que la provision incluse dans la première demande de la société ADF développement, accueillie par l'arrêt irrévocable du 3 décembre 2014, n'indemnisait, s'agissant de l'exécution du contrat EPR, que des pertes à venir estimées en fonction d'éléments comptables arrêtés au 31 décembre 2013 et que la nouvelle demande de cette société, qui tendait à la réparation des pertes à terminaison réellement subies à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2014, portait sur un élément de préjudice inconnu lors de la demande initiale et sur lequel il n'avait donc pu être statué, de sorte que l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 3 décembre 2014 ne pouvait faire obstacle à l'examen de cette demande nouvelle, qui avait un objet différent de celle ayant donné lieu à cet arrêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé."

La société Engie a saisi la Cour de renvoi par déclaration reçue au greffe, le 15 décembre 2023.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 6 mai 2024, la SA Engie Energie Services demande à la Cour, au visa des articles 1150 (devenu 1231-3), 1134, 1212, 1195 et 1353 du code civil et de l'article 122 du code de procédure civile, de :

"' DIRE recevable la société ENGIE ENERGIE SERVICES en son appel du jugement rendu le 11 juin 2019 par le Tribunal de Commerce de Paris,

' LA DIRE bien-fondée et y faisant droit,

En conséquence :

' INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la société SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES devenue ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à la société ADF DEVELOPPEMENT au titre de la garantie de passif pour les pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2014 et 2015 pour le contrat EDF sur l'EPR constatées, la somme de 367.459 euros augmenté du taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points à compter du 31 décembre 2013,

- Dit que les intérêts échus depuis au moins une année produiront eux-mêmes intérêts,

- Condamné la société SA GDF SUEZ ENERGIE SERVICES devenue ENGIE ENERGIE SERVICES à payer à la société ADF DEVELOPPEMENT au titre de l'article 700 du CPC la somme de 15.000 euros et aux dépens.

Et pour le surplus :

' CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

Et, statuant à nouveau :

' DEBOUTER la SAS ADF DEVELOPPEMENT de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formées au titre de son appel incident,

En tout état de cause :

' CONDAMNER la SAS ADF DEVELOPPEMENT à restituer à la société ENGIE ENERGIE SERVICES la somme de 447.808,92 euros indûment payée au titre de l'exécution du jugement du 11 juin 2019, augmentée des intérêts au taux conventionnel,

' CONDAMNER la SAS ADF DEVELOPPEMENT à payer à la société ENGIE ENERGIE SERVICES la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' CONDAMNER la SAS ADF DEVELOPPEMENT aux entiers dépens d'instance."

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 10 octobre 2024, la SAS ADF Développement demande à la Cour, sur le fondement des articles 1134 et 1351 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, de :

" DIRE la société ADF Développement recevable et bien fondée en son appel incident formé contre le jugement rendu le 11 juin 2019 par le Tribunal de commerce de Paris ;

CONFIRMER le jugement rendu le 11 juin 2019 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- REJETE les fins de non-recevoir opposées par la société Engie Energie Services à la demande de la société ADF Développement et dit la société ADF Développement recevable ;

- CONDAMNE la société Engie Energie Services à payer à la société ADF Développement, au titre de la garantie de passif pour les pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2014 et 2015 dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de [Localité 4], la somme de 367.459 euros augmenté du taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points à compter du 31 décembre 2013 ;

- DIT que les intérêts échus depuis au moins une année produiront eux-mêmes intérêts ;

- CONDAMNE la société Engie Energie Services aux dépens et à payer à la société ADF Développement la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRMER le jugement rendu le 11 juin 2019 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société ADF Développement de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive de la société Engie Energie Services ;

ET STATUANT À NOUVEAU :

- CONDAMNER la société Engie Energie Services à payer à la société ADF Développement, au paiement d'une indemnité de 25.000 euros, à titre de dommages et intérêts venant compenser la résistance abusive opposée à la mise en jeu de la garantie de passif relativement aux pertes à terminaison enregistrées dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de [Localité 4] ;

- CONDAMNER la société Engie Energie Services à payer à la société ADF Développement, au titre de la garantie de passif pour les pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2016 à 2020 dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de [Localité 4], la somme de 41.606 euros, corrigée des économies d'impôts générées, augmentée des intérêts de retard, prévus à l'article 9.4 du Contrat à savoir le taux EURIBOR trois mois majorés de 250 points de base, commençant à courir à compter du 31 décembre 2020 ;

- CONDAMNER la société Engie Energie Services à payer à la société ADF Développement, au titre de la garantie de passif pour les pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2021 à juin 2024 dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de [Localité 4], la somme de 149.206 euros, corrigée des économies d'impôts générées, augmentée des intérêts de retard, prévus à l'article 9.4 du Contrat à savoir le taux EURIBOR trois mois majorés de 250 points de base, commençant à courir à compter du 31 décembre 2023 ;

- CONDAMNER la société Engie Energie Services à payer à la société ADF Développement, au paiement d'une indemnité de 465.445,52 euros, au titre des frais de conseil, demeurant à sa charge, exposés par cette dernière jusqu'au 1er janvier 2024, sauf à parfaire, relativement à la mise en jeu de la garantie de passif relativement aux pertes à terminaison enregistrées dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de [Localité 4] ;

- DIRE que les intérêts échus depuis au moins une année produiront eux-mêmes intérêts ;

- DIRE que la Cour d'appel de Paris conservera compétence pour apprécier et condamner la société Engie Energie Services à payer la société ADF Développement toute aggravation du préjudice subi par cette dernière dans le cadre de l'exécution du contrat conclu en octobre 2006 avec EDF portant sur l'EPR de Flamanville, au titre de toute période à venir non couverte par l'arrêt à intervenir ;

- DÉBOUTER la société Engie Energie Services de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- CONDAMNER la société Engie Energie Services au paiement de la somme de 45.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Engie Energie Services aux entiers dépens."

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt rendu le 3 décembre 2014

Enoncé des moyens

La société ADF invoque le bénéfice de l'autorité positive de la chose jugée de l'arrêt irrévocable rendu en 2014 par la cour d'appel de Paris, ayant retenu que les conditions de la garantie du passif étaient remplies, en faisant valoir que la demande en paiement d'un préjudice supplémentaire doit obéir à un mécanisme identique.

La société Engie réplique que la notion d'autorité positive de la chose jugée n'est consacrée par aucun texte et qu'elle ne fait l'objet d'aucune reconnaissance généralisée par la jurisprudence. Elle estime que, pour être satisfaites, les demandes de la société ADF, dès lors qu'elles sont nouvelles, imposent que celle-ci fasse la démonstration que les conditions de la mise en jeu de la garantie de passif posées par le contrat sont remplies.

Réponse de la Cour

L'article 1355 du code civil dispose :

« L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.»

Il résulte de ce texte qu'une demande en paiement de dommages et intérêts fondée sur un élément de préjudice qui ne s'est révélé qu'après le jugement d'une première demande, échappe, faute de présenter avec celle-ci une identité d'objet, à l'exception de chose jugée.

La Cour relève, à titre liminaire, que la société Engie ne soulève plus l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation de la société ADF tirée de l'autorité de la chose jugée, qu'elle invoquait en première instance. Une telle fin de non-recevoir ne saurait, en tout état de cause, être valablement accueillie, s'agissant d'une prétention nouvelle dont l'objet est différent de la demande ayant donné lieu à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 3 décembre 2014.

En application de l'article 1355 susvisé et de l'article 480 du code de procédure civile, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

Il s'ensuit que la société ADF n'est pas fondée à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée des motifs de l'arrêt rendu en 2014, aux termes desquels la cour d'appel a procédé à une interprétation des clauses du contrat afférentes au principe et aux modalités de la garantie, seraient-ils le soutien nécessaire du dispositif de la décision portant condamnation de la société Engie à l'indemniser.

En tout état de cause, la société ADF ne peut valablement prétendre à un droit acquis à réparation, alors que l'objet de sa demande nouvelle d'indemnisation est différent, ce qui implique de vérifier son bien-fondé au regard des conditions du contrat.

Sur les conditions de mise en 'uvre de la garantie

Enoncé des moyens

La société Engie prétend que l'action intentée par la société ADF, à raison du non-respect des termes de la garantie de passif, est fondée sur la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle, en soulignant que celle-ci est susceptible d'être sanctionnée aussi bien par l'octroi de dommages et intérêts que par des mesures d'exécution forcée. Pour s'opposer à la demande d'indemnisation, elle se prévaut de l'article 1150 ancien du code civil limitant la réparation au préjudice prévisible lors de la conclusion du contrat, qui interdit, selon elle, de prendre en compte l'aggravation du dommage.

Elle soutient que la garantie prévue au contrat porte non pas sur les pertes effectivement générées chaque année par le contrat EPR, mais couvre une insuffisance d'actif dans les comptes de référence, et qu'elle était tenue de garantir uniquement l'exactitude de l'estimation des pertes futures, objet d'une provision. Ainsi, selon elle, la société ADF, qui a déjà été indemnisée, dans le cadre de la précédente instance, des pertes à terminaison estimées au 31 décembre 2013, n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation des pertes réellement subies, alors que celles-ci étaient imprévisibles au moment de la conclusion du contrat. Elle ajoute que le contrat litigieux, dont la durée initiale de cinquante mois expirait le 15 janvier 2011 pouvait être prorogé jusqu'au 15 janvier 2013, et que celui-ci a été renouvelé au-delà de son terme, de sorte que le dommage dont la réparation est revendiquée par la société ADF était imprévisible.

A titre subsidiaire, elle prétend que les conditions d'application de la garantie prévue dans le contrat ne sont pas réunies. Elle estime ainsi, en premier lieu, que l'article 8.1 (ii) du contrat exclut toute indemnisation d'une aggravation du dommage ou de nouveaux préjudices découlant du même fait générateur, en soulignant que le principe de la réparation intégrale ne s'applique pas en matière de responsabilité contractuelle. En deuxième lieu, d'après ses explications, la société ADF ne démontre pas le lien de causalité entre le préjudice allégué et le fait dommageable qui lui est imputé, alors que l'article 8.1 du contrat prévoit que la garantie de passif est limitée aux préjudices causés par des actes ou omission dont l'origine est antérieure au 31 décembre 2006 ; elle fait valoir, à cet égard, que le simple constat d'une augmentation de passif ou d'une diminution de l'actif est insuffisant pour permettre le déclenchement de la garantie. Elle souligne, en troisième lieu, que l'article 8.1 du contrat exclut l'application de la garantie au titre de tout préjudice résultant d'un acte ou d'une omission de la société ADF, en faisant valoir que le contrat a été prorogé de son fait, qu'elle ne justifie pas de la nature des pertes subies ni de l'absence de faute de sa part et qu'il lui appartenait, en tout état de cause, d'agir à l'encontre des tiers prétendument responsables du retard du chantier ayant conduit à la poursuite du contrat ; elle soutient, dans ce prolongement, que la société ADF, en s'abstenant de renégocier les termes du contrat EPR s'est rendue responsable d'une "omission" justifiant la limitation de son préjudice. Elle argue, en quatrième lieu, de l'application de l'article 8.1 (vii) prévoyant qu'aucune indemnisation ne sera due pour le cas où le préjudice résulterait d'une modification légale ou réglementaire, cependant que la société ADF prétend que les pertes subies seraient la conséquence de décrets ayant décalé la date de mise en service de l'EPR et que, de l'aveu même du président de la société, les pertes engendrées sont dues en grande partie à des mises à jour du référentiel réglementaire.

Pour sa part, la société ADF rappelle que le contrat EPR, qui avait vocation à se prolonger jusqu'à ce que le projet soit achevé, était structurellement et irrémédiablement déficitaire, ce dont la société Engie avait parfaitement connaissance, dès l'origine. Elle explique que, pour la fixation du prix de cession, les parties ont opté pour la méthode dite de rentabilité de l'entreprise ayant conduit à une prise en charge spécifique des pertes à terminaison dans le cadre de la garantie prévue au contrat. Elle précise que la valeur d'entreprise s'est trouvée ainsi mécaniquement améliorée et que la société Engie a accepté, en contrepartie, de couvrir non pas le niveau de provisions passés en compte à la date de la cession mais l'ensemble des pertes réelles devant être supportées à compter de cette cession, dès lors qu'elles dépassaient le seuil de 1,1 millions d'euros. Elle souligne que l'Annexe 8.1 (ix) du contrat vise ainsi les "pertes à terminaison" au lieu des "provisions pour pertes à terminaison".

La société intimée explique qu'elle se prévaut d'un même chef de préjudice, par nature évolutif, dont seul le quantum s'est aggravé. Or, selon elle, aucune stipulation du contrat, qu'il s'agisse de l'article 8.1 ou de l'article 9.4, n'exclut la mise en 'uvre de la garantie au titre de l'aggravation du quantum du préjudice. Elle ajoute qu'aucun acte ou omission, visés par l'article 8.1, n'est susceptible d'affranchir la société Engie de son obligation de garantie au titre de cette aggravation, les faits qu'elle lui reproche étant intervenus postérieurement à la période de garantie ; elle fait, en outre, observer que la société Engie ne formule aucune demande de réduction de l'indemnisation, alors que cette sanction est seule prévue, et qu'elle ne démontre pas que les événements évoqués seraient en lien avec un acte ou une omission de sa part ni qu'ils seraient la cause directe de l'aggravation du dommage ; elle prétend, pour le reste, que les conditions de révision du contrat pour imprévision ne sont pas réunies. Elle réplique qu'aucune modification légale n'est, enfin, susceptible d'affranchir la société Engie de son obligation de garantie, dont la mise en 'uvre est fondée sur la conclusion du contrat EPR dans des conditions structurellement déficitaires.

La société ADF soutient, par ailleurs, que la demande d'indemnisation repose, non pas sur la responsabilité contractuelle, mais sur la mise en oeuvre de la garantie du passif prévue au contrat, laquelle revêt un caractère purement objectif. Elle fait valoir que les parties ont entendu, en l'occurrence, couvrir les pertes réelles au titre de la garantie, de sorte que la société Engie n'est pas fondée à lui opposer les règles de la responsabilité contractuelle afférentes aux préjudices évolutifs.

Elle prétend que les conditions de la garantie du passif prévues au contrat sont, en tout état de cause, remplies. A ce propos, elle fait valoir notamment que le fait dommageable, élément déclencheur de la garantie, qui doit être antérieur à la cession, est caractérisé indépendamment de toute faute de la société Engie, et que le préjudice, par nature évolutif, lui-même antérieur ou postérieur à la cession, est matérialisé par une augmentation de passif correspondant à la différence relevée entre les pertes à terminaison retenue dans la cadre du contrat de cession, soit 1.100.000 ', et celles véritablement subies.

Réponse de la Cour

Le contrat de cession des actions de la société Cofathec ayant été conclu le 4 octobre 2007, celui-ci demeure régi par les dispositions du code civil relatives aux droits des obligations, dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

En application de l'article 1134, alinéa 1er, ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Il est constant que le contrat doit s'interpréter d'après la commune intention des parties, sans s'arrêter au sens littéral des termes, que toutes les clauses supposent d'être interprétées les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier et que l'on ne peut interpréter les clauses claires et précises d'un contrat à peine de dénaturation, ces règles étant désormais rappelées par les actuels articles 1188 et suivants du code civil.

En l'occurrence, l'article 8.1 du contrat de cession des actions de la société Cofathec conclu le 4 octobre 2007, est libellé dans les termes suivants :

" Sous réserve des limitations contenues au présent Article 8, le Cédant s'engage à indemniser, sous forme d'une réduction de prix des Actions de la Société profitant à l'Acquéreur à l'euro l'euro, de tout dommage direct par suite, notamment, de toute réclamation, action, perte, dépense, dette (en ce compris les frais et honoraires de conseils réellement supportés, dans le respect des dispositions de l'Article 9.3), subi par l'Acquéreur, la Société ou une Société du Groupe, résultant de toute inexactitude, toute omission ou tout manquement au titre des déclarations et garanties de l'Article 4 des présentes, en ce inclus toute augmentation des montants de passif et/ou de toute diminution des montants d'actifs de la Société ou de l'une des Sociétés du Groupe au regard desdits montants tels que figurant dans les Comptes de Référence si de telles augmentations ou diminutions sont attribuables à des actes, omissions ou circonstances ayant une origine antérieure au 31 décembre 2006, (" le Préjudice ") " ;

Etant précisé que :

(')

(ii) Les Préjudices ayant le même fait générateur ne donneront droit qu'à une seule obligation d'indemnisation

(iii) Aucune indemnisation ne sera due par le Cédant si le Préjudice au titre duquel l'indemnisation est réclamée a pour cause directe et exclusive un acte ou une omission de l'Acquéreur ou de la Société postérieurement à la Date de Réalisation.

(...)

(vi) Le montant de l'indemnité due par le Cédant sera réduite de toute diminution d'impôt sur les sociétés dont l'Acquéreur aura effectivement bénéficié au titre de l'exercice de survenance du Préjudice.

(vii) Aucune indemnisation ne sera due par le Cédant si le Préjudice résulte de l'entrée en vigueur ou de la modification d'une loi, décret ou règlement ou du revirement d'une jurisprudence établie

(viii) L'indemnisation sera réduite à concurrence de toute augmentation du préjudice dont il sera démontré qu'elle est la conséquence directe d'un acte ou d'une omission de l'Acquéreur ou d'une entité du Groupe, autre que prescrite par une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle

(ix) Aucune indemnisation ne sera due à raison de Préjudices fondés sur l'un des éléments mentionnés en Annexe 8.1(ix), dans la limite cependant des montants par élément indiqués à ladite Annexe. (...)"

L'Annexe 8.1(ix), à laquelle il est renvoyé, fait référence entre autres éléments aux "Pertes à terminaison EDF et Vallourec" pour un montant de 1.100.000 '.

La société ADF justifie, au vu de deux offres d'acquisition en date des 29 mai et 9 juillet 2007 et d'un rapport d'audit vendeur établi le 25 mai 2007, que les parties ont entendu, selon les stipulations du contrat, fixer le prix de cession de la société Cofathec selon la méthode dite de rentabilité, reposant sur les notions de Valeur d'Entreprise et de Dette Financière Nette, ce qui a conduit à augmenter la valeur des titres de la société, cependant que la société Engie acceptait en contrepartie de couvrir l'ensemble des pertes réelles que le cessionnaire supporterait à compter de la cession, au-delà du seuil de 1.100.000 '.

L'Annexe 8.1(ix) vise ainsi non pas les provisions pour pertes à terminaison, mais "les pertes à terminaison ".

Aussi, contrairement à ce qu'elle soutient, la société Engie ne s'est pas engagée uniquement à garantir le niveau de provisions passé en compte à la date de la cession, mais les pertes futures des contrats EPR et Vallourec.

Cet engagement s'explique, de fait, au regard du caractère structurellement déficitaire des contrats Vallourec et EPR, encore en cours au 31 décembre 2006, qui obéraient la rentabilité économique de la société cédée, ce dont les parties avaient pleinement connaissance lors de la signature du contrat, l'intimée n'élevant à ce sujet aucune contestation.

Telles qu'elles sont formulées, les demandes de la société ADF ne sont pas fondées sur le principe de la responsabilité contractuelle, dont le régime est désormais régi par les articles 1231 et suivants du code civil. En effet, celles-ci ne portent pas sur le paiement de dommages et intérêts en réparation d'un dommage subi du fait d'un manquement de la société Engie à ses obligations contractuelles, mais visent à obtenir l'application de la clause de garantie du passif, lui conférant un droit de créance, au moyen de l'exécution forcée du contrat.

Partant, l'ensemble des moyens invoqués par la société Engie en lien avec les règles de la responsabilité civile de droit commun, afférents notamment à la prévisibilité du dommage, ne pourront qu'être écartés.

Il sera rappelé qu'en tout état de cause, la société ADF se prévaut non pas d'un nouveau préjudice, mais sollicite la prise en charge financière d'un élément de préjudice qui, à le supposer démontré, était encore inconnu au jour où la cour d'appel de Paris s'est prononcée, aux termes de l'arrêt irrévocable du 3 décembre 2014. Ainsi que le fait valoir l'intimée, les demandes d'indemnisation portent, plus précisément, sur un même chef de préjudice, par nature évolutif, dont seul le quantum s'est aggravé, au titre d'une période postérieure. La société Engie ne peut donc utilement exciper des stipulations de l'article 8.1 (ii) prévoyant que les préjudices ayant le même fait générateur ne donneront droit qu'à une seule obligation d'indemnisation. A titre surabondant, il sera souligné que le principe de la réparation intégrale s'applique y compris en matière de responsabilité contractuelle.

Dans la logique des développements précédents, les stipulations du premier paragraphe de l'article 8.1 doivent être interprétées en ce sens que la mise en 'uvre de la garantie est indépendante d'une faute commise par la société Engie. Le dommage subi est ainsi matérialisé par une augmentation du passif, correspondant à la différence relevée entre les pertes à terminaison retenues dans l'Annexe 8.1 du contrat, soit 1.100.000 ', et celles qui sont véritablement subies par l'acquéreur, déduction faite des éventuelles économies d'impôt générées, ledit dommage étant consécutif à une "inexactitude", une "omission" ou un "manquement", au titre des déclarations et garanties, ayant une origine antérieure au 31 décembre 2006. Le moyen tiré de la nécessité de démontrer un lien de causalité entre le préjudice et un fait antérieur à la cession est, dès lors, inopérant.

La société Engie ne démontre pas non plus que l'augmentation du passif serait due à un acte ou une omission de l'acquéreur, constituant des causes d'exclusion de la garantie ou de réduction de l'indemnisation, à concurrence de toute augmentation du préjudice, prévues par l'article 8.1 (iii) et (viii). Il sera souligné que, selon ces stipulations, les manquements reprochés doivent être intervenus postérieurement à la date de réalisation de la cession. Or, contrairement à ce qu'affirme la société Engie, la prorogation du contrat EPR au-delà de son terme, fixé initialement à la date du 15 janvier 2013, n'est pas imputable à la société ADF, dans la mesure où il était prévu que celui-ci serait de facto prolongé jusqu'à la "mise en service industriel" des matériels (article 5 du contrat), et qu'il n'est pas justifié que le retard de construction serait imputable à la société ADF. La nature des pertes subies est elle-même sans rapport avec un acte ou une omission susceptible d'être reproché à l'intimée, étant rappelé que le contrat était déficitaire depuis l'origine et que sa responsabilité au titre du retard du chantier n'est pas établie. En soutenant que la société ADF ne démontre pas l'absence de faute de sa part en lien avec la poursuite du contrat EPR ou que les pertes seraient imputables à des tiers, la société Engie inverse la charge de la preuve. Le prix fixé dans le contrat EPR était également réputé couvrir l'intégralité des dépenses et frais supportés par le titulaire et nécessaires à l'exécution de ses obligations, conformément aux clauses et conditions du marché, de sorte que la société Engie ne peut utilement soutenir qu'il aurait pu être renégocié, sachant que l'article 1195 actuel du code civil, relatif à la révision pour imprévision du contrat, n'était pas encore entré en vigueur. Enfin, comme le fait valoir la société ADF, l'article 8.1 (vii), qui prévoit qu'aucune indemnisation ne sera due si le préjudice résulte d'une modification légale ou réglementaire, a vocation à écarter l'application de la garantie dans l'hypothèse où le changement de contexte juridique créé un décalage entre la situation connue avant la cession et celle observée pendant la période de garantie, lorsque celle-ci devient non conforme à l'état du droit, ce dont il résulte que le moyen afférent au report de la mise en service de l'EPR par les autorités compétentes et à l'augmentation des coûts consécutifs à la mise à jour du référentiel réglementaire est inopérant.

Dans ces conditions, il y a lieu de dire que les conditions prévues au titre de la garantie stipulé à l'article 8.1 du contrat sont effectivement remplies.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Enoncé des moyens

Subsidiairement, la société Engie se prévaut de l'expiration du délai de prescription, d'une durée de cinq ans. Elle soutient, à cet égard, que la société ADF était informée de l'existence de pertes à terminaison au moment de la conclusion du contrat de cession, et qu'elle avait, pour le moins, connaissance du dommage à la date du courrier de notification du 30 juin 2009, de sorte que l'action qu'elle a introduite par voie d'assignation, le 12 mai 2017, se heurte à la prescription. Elle considère que le point de départ du délai de prescription ne peut pas être reporté, dès lors que le principe d'aggravation du préjudice n'est pas reconnu en droit des contrats, et elle réplique que l'instance introduite en 2011 ne constitue pas une cause d'interruption dudit délai, dans la mesure où la demande de réparation de la société ADF constitue une prétention nouvelle.

L'intimée objecte que le délai de prescription commençait à courir à compter "de la réalisation du dommage", correspondant à la clôture de chaque exercice fiscal, dès lors que celui-ci faisait apparaître une perte subie, ce dont elle déduit que l'assignation du 12 mai 2017 a été délivrée dans le délai imparti. Elle ajoute que, même à supposer que le délai de prescription ait débuté le 30 juin 2009, soit à la date de la notification de la demande de garantie, l'action introduite le 30 mai 2011 a interrompu le délai jusqu'à l'extinction de l'instance, de sorte qu'elle disposait d'un nouveau délai expirant au plus tôt le 3 décembre 2019, cinq ans après la date de l'arrêt de la cour d'appel devenu irrévocable, ou encore le 5 juillet 2021 en tenant compte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 2016.

Réponse de la Cour

L'article L. 110-4, I, du code de commerce prévoit que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Aux termes de l'article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.»

Comme il a été dit, l'objet de la garantie porte non pas sur les pertes qui étaient connues au jour du contrat de cession, mais couvre les pertes futures au titre des contrats EPR et Vallourec, jusqu'à leur achèvement, de sorte que la clôture de chaque exercice fait apparaître potentiellement une perte subie.

Les demandes de la société ADF tendent à obtenir l'indemnisation des pertes à terminaison réellement subies à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2014 jusqu'aux exercices 2021 à juin 2024. Elle invoque ainsi un élément de préjudice qui, par hypothèse, était inconnu lors de la demande initiale. La société Engie n'est donc pas fondée à prétendre que l'intimée avait connaissance du "dommage" pour le moins à la date d'envoi du courrier valant notification du 30 juin 2009, étant souligné que celui-ci ne faisait mention que d'un "état préalable des réclamations" entrant dans le cadre de la garantie, qui devait être complété ultérieurement.

Le point de départ du délai de prescription se situe ainsi au plus tôt le 31 décembre 2014, date à laquelle la société ADF a eu connaissance de nouvelles pertes ouvrant droit à la garantie. L'assignation ayant été délivrée le 12 mai 2017, soit avant l'expiration du délai de cinq années, ses demandes sont, par conséquent, recevables.

Sur la durée de la garantie

Enoncé des moyens

La société Engie soutient que la demande de réparation, qui constitue une prétention nouvelle, est irrecevable en raison du dépassement du délai de forclusion prévu par l'article 9.1 du contrat, stipulant que la réclamation doit être présentée avant le 1er juillet 2009, lequel s'analyse en une fin de non-recevoir.

La société ADF réplique qu'elle a mis en jeu la garantie de passif au cours de la durée visée par l'article 9.1 du contrat, en notifiant à la société Engie une demande d'indemnisation le 30 juin 2009. Elle prétend inversement que la qualification de délai de forclusion ne saurait être retenue, dans la mesure où les stipulations contractuelles ne fixent pas de terme au droit d'agir en justice du créancier, de sorte qu'aucune fin de non-recevoir ne peut lui être opposée.

Réponse de la Cour

L'article 9.1 du contrat de cession, intitulé "Durée de la garantie objet de l'Article 8", stipule :

"Toutes les demandes d'indemnisation au titre de l'Article 8 devront être faites par l'Acquéreur auprès du Cédant avant l'expiration jusqu'au 30 juin 2009 inclus, à l'exception des réclamations en matière d'Impôts et en matière sociale ainsi que les réclamations fondées sur les Articles 4.4., 4.5 et 4.6 des présentes qui pourront être formulées pendant une période de trois mois après l'expiration du délai de la prescription légale applicable.

Au-delà du délai applicable, la réception par le Cédant d'une réclamation de l'Acquéreur ou de la Société ne saurait produire un effet quelconque."

Les modalités de la notification sont précisées par l'article 9.3 en ces termes :

" (i) Tout événement, réclamation, procédure susceptible de donner lieu à un Préjudice en vertu des présentes devra être notifié au Cédant par l'Acquéreur ou la Société (la " Notification ")

(')

(b) s'agissant de réclamations, demandes ou procédures autres que liées à la Réclamation d'un Tiers (une " Autre Réclamation "), dans un délai maximum de trente (30) jours à compter de la date à laquelle la Société ou l'Acquéreur aura eu connaissance de la survenance d'un Préjudice y afférent.

(...)

(ii) Toute Notification devra être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception et devra être accompagnée des pièces justificatives en possession de l'Acquéreur ou de la Société et de tous les documents sur lesquels la demande d'indemnisation est fondée y compris, le cas échéant, à titre conservatoire."

Ces articles n'instituent pas un délai de forclusion susceptible d'être qualifié de fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande. Ils ne fixent ainsi aucun délai à l'acquéreur pour faire valoir ses droits dans le cadre d'une action en justice, mais lui imposent uniquement une date limite pour notifier une "réclamation", fixée au 30 juin 2009, à peine de déchéance de son droit à indemnisation, l'appréciation du respect de ce délai impliquant un examen au fond du litige. Le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de la société ADF ne pourra ainsi être qu'écarté.

Sur le fond, comme le fait valoir la société intimée, la "durée de garantie" visée à l'article 9.1 du contrat, fixée jusqu'au 30 juin 2009, s'entend de la période au cours de laquelle l'acquéreur doit notifier la réalisation du fait générateur indépendamment de la date de réalisation du dommage en résultant. L'article 9.1 (ii) autorise ainsi une Notification à titre conservatoire, ce qui implique que le dommage puisse se matérialiser postérieurement. Pour le reste, aucune stipulation contractuelle ne fixe de limite quant à la date de sa réalisation. Notamment, l'article 9.4, relatif aux modalités d'exigibilité de l'indemnité, ne prévoit pas de délai maximum au-delà duquel la survenance d'un dommage ne serait plus couverte par la garantie.

La société ADF justifie, par ailleurs, qu'elle a adressé à la société Engie, le 30 juin 2009, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans le délai et les formes requis, une demande d'indemnisation valant "réclamation" portant sur les pertes à terminaison des contrats EPR et Vallourec en précisant expressément que cet état, qui était encore en cours, serait complété ultérieurement.

La garantie prévue au contrat a donc effectivement été mise en 'uvre dans le délai imparti.

Dans ce contexte, la société Engie ne peut opposer à l'acquéreur le caractère nouveau de la demande formée dans le cadre de la présente instance, dès lors que celle-ci porte sur un élément du préjudice qui ne s'est révélé qu'ultérieurement.

Enfin, le terme de la garantie correspond à l'échéance du contrat EPR, de sorte que sa durée n'est pas non plus illimitée.

La Cour dira, en conséquence, que la durée de la garantie n'a pas non plus été dépassée.

Sur le quantum des pertes

Enoncé des moyens

La société appelante, se prévalant des dispositions de l'article 1353 du code civil, prétend que la société ADF ne rapporte pas la preuve du préjudice invoqué au titre des pertes à terminaison constatées sur les exercices clos en 2014 et 2015 ; elle remet ainsi en cause la valeur probante des attestations produites par la partie adverse. Elle indique émettre des réserves identiques concernant la dernière actualisation de ses demandes.

Pour preuve du quantum de son préjudice, la société ADF se prévaut des attestations de ses représentants et de celles du commissaire aux comptes.

Réponse de la Cour

La société ADF produit des attestations de M. [Y] et de M. [M], pris en qualité de président de la société, dont il résulte que les pertes s'élevaient à 1.689.386 ' au titre de l'exercice 2015, 1.776.795 ' lors de la clôture de l'exercice 2020 et enfin 1.975.736 ' au titre de la clôture comptable du 30 juin 2024.

Ces estimations sont corroborées par des attestations de commissaire aux comptes certifiant leur concordance avec les éléments de comptabilité ayant servi de base à l'établissement des comptes annuels, de sorte que leur valeur probante n'est pas utilement contestée, étant souligné que société Engie ne fait état d'aucun élément de nature à établir la preuve d'erreur de calcul sur les périodes considérées.

Le quantum de l'indemnisation dû au titre de la garantie sera ainsi estimé sur la base de ces données chiffrées.

La variation des pertes depuis le 1er janvier 2014 correspond ainsi à 453.341 ' au 31 décembre 2015 (1.689.386 ' moins 1.236.045 ' correspondant aux pertes enregistrées au 31 décembre 2013). En application de l'article 8.1 (vi), il convient de déduire la somme de 85.882 ' au titre des économies d'impôt générées, ce qui ramène la somme restant due à 367.459 ', conformément au calcul retenu par le tribunal. Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a condamné la société Engie à payer cette somme à la société ADF au titre des pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2014 à 2015, augmenté du taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points à compter du 31 décembre 2013, et ordonné la capitalisation des intérêts, dont le principe n'est pas contesté.

Au titre des exercices 2016 à 2020, les pertes s'élèvent elle-mêmes à 87.409 ', dont il convient de déduire les économies d'impôt à hauteur de 45.803 ', ce qui correspond à une somme restant due de 41.606 '.

Enfin, concernant les exercices 2021 au 30 juin 2024, la fraction des pertes est de 198.941 ', tandis que les économies d'impôt s'élèvent à 49.735 '. Le montant de la somme due pour cette période doit donc être ramenée à 149.206 '.

Au vu de ces éléments, la société Engie sera condamnée à payer à la société ADF la somme de 41.606 ' au titre des pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2016 à 2020, outre la somme de 149.206 ' correspondant aux pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2021 au 30 juin 2024.

La société Engie n'élevant aucune contestation quant au montant des intérêts sollicités, prévus à l'article 9.4 du contrat, il y a lieu de dire que celle-ci sera, en outre, redevable des intérêts au taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points de base sur la somme de 41.606 ' à compter du 31 décembre 2020 et sur la somme de 149.206 ' à compter du 31 décembre 2023.

La capitalisation est de droit dès lors que les seules conditions posées par l'article 1154 ancien du code civil sont réunies, à savoir une demande judiciairement formée et des intérêts dus pour au moins une année entière. Il convient, dès lors de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts de la société ADF.

Sur la demande de la société ADF visant à voir conserver la compétence de la cour d'appel en cas d'aggravation du préjudice

La société ADF ne formule aucun moyen juridique au soutien de sa demande tendant à ce que la cour d'appel conserve sa compétence pour statuer sur l'aggravation du préjudice, qu'elle serait susceptible de subir dans le cadre de l'exécution à venir du contrat EPR. Aucun élément ne justifie, en tout état de cause, de priver les parties du double degré de juridiction. La société ADF ne pourra ainsi qu'être déboutée de sa demande.

Sur les frais de conseil engagés par la société ADF

Enoncé des moyens

La société ADF explique qu'elle intègre désormais dans sa demande en paiement les frais et honoraires de conseil qu'elle a exposés depuis l'année 2009, dont la prise en charge est prévue par l'article 8.1 du contrat. Elle réplique qu'il s'agit d'une demande complémentaire, entrant dans les conditions de l'article 566 du code de procédure civile, laquelle est, par conséquent, recevable.

Pour sa part, la société Engie se prévaut du caractère irrecevable de la demande en paiement des frais d'avocat, au motif que celle-ci a été formulée la première fois en cause d'appel, et qu'elle se heurte, de surcroît, à la prescription. Sur le fond, elle soutient que les frais engagés dans le cadre d'une instance procédurale ne peuvent être pris en charge au titre de la garantie prévue au contrat, au regard des stipulations des articles 8.1 et 9.3.

Réponse de la Cour

Selon l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.»

L'article 565 du même code précise que « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.»

Enfin, selon l'article 566 dudit code, « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.»

En l'espèce, la demande en paiement des frais de conseils supportés par la société ADF constitue le complément de la demande qu'elle avait présentée en première instance et poursuit la même fin de prise en charge des pertes subies prévue par la clause de garantie. Elle est dès lors, recevable. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués précédemment, elle ne se heurte pas non plus à la prescription.

L'article 8.1 du contrat de cession stipule que la garantie couvre "tout dommage direct par suite, notamment, de toute réclamation, action, perte, dépense, dette (en ce compris les frais et honoraires de conseils réellement supportés, dans le respect des dispositions de l'Article 9.3), subi par l'Acquéreur ". L'article 9.3 auquel il est renvoyé, qui est intitulé "Notification et procédure" décrit les modalités formelles de mise en 'uvre de la garantie et les conditions dans lesquelles les parties pourront, le cas échéant, collaborer dans le contexte de réclamation d'un tiers.

Ainsi que le fait valoir la société Engie, il résulte de la lecture combinée de ces articles que la prise en charge des frais de conseil au titre de la garantie est limitée à ceux que l'acquéreur a engagés, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de notification, à l'exclusion des frais destinés à couvrir une procédure judiciaire, ces derniers ayant vocation à être indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Or, les frais dont la société ADF sollicite le remboursement se rapportent uniquement à la défense de ses intérêts en justice. Il y a lieu, en conséquence, de la débouter de sa demande.

Sur la restitution des sommes versées en exécution du jugement par la société Engie

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Engie portant sur le remboursement de la somme versée en exécution du jugement, celle-ci succombant en cause d'appel. Il sera rappelé qu'un arrêt, infirmatif, constitue en tout état de cause le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.

Sur les autres demandes

Il n'est pas démontré que la résistance de la société Engie à exécuter ses obligations aurait dégénéré en abus de droit, de sorte que le jugement sera confirmé du chef de rejet de la demande de dommages et intérêts de la société ADF.

La société Engie succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la Cour la condamnera aux dépens, ainsi qu'à payer à la société ADF une indemnité de 35.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour,

Y AJOUTANT,

REJETTE les fins de non-recevoir soulevées en cause d'appel par la SA Engie Energie Services,

DECLARE l'ensemble des demandes de la SAS ADF Développement recevables,

CONDAMNE la SA Engie Energie Services à payer à la SAS ADF Développement la somme de 41.606 ' au titre des pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2016 à 2020, avec intérêts au taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points de base à compter du 31 décembre 2020,

CONDAMNE la SA Engie Energie Services à payer à la SAS ADF Développement la somme de 149.206 ' correspondant aux pertes à terminaison enregistrées lors des exercices 2021 au 30 juin 2024, avec intérêts au taux de l'Euribor 3 mois majoré de 250 points de base à compter du 31 décembre 2023,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

REJETTE la demande de la SAS ADF Développement tendant à ce que la cour d'appel conserve sa compétence pour statuer sur une aggravation éventuelle de son préjudice,

DIT qu'il appartiendra, en conséquence, à la SAS ADF Développement d'introduire au besoin une nouvelle action en justice, pour le cas où elle entendrait solliciter une indemnisation supplémentaire,

REJETTE la demande en paiement de la SAS ADF Développement au titre de ses frais de conseil,

CONDAMNE la SA Engie Energie Services aux dépens de l'appel,

CONDAMNE la SA Engie Energie Services à payer à la SAS ADF Développement la somme de 35.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la SA Engie Energie Services portant sur la restitution de la somme réglée à la SAS ADF Développement en exécution du jugement,

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