CA Chambéry, 1re ch., 8 avril 2025, n° 24/00498
CHAMBÉRY
Autre
Autre
MR/SL
N° Minute
1C25/235
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 08 Avril 2025
N° RG 24/00498 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HOMT
Décision attaquée : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 26 Mars 2024
Appelant
M. [B] [D], demeurant [Adresse 9]
Représenté parla SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELEURL CABINET SELURL CHIFFERT, avocat au barreau de PARIS
Intimées
S.A. CLINIQUE HERBERT, dont le siège social est situé [Adresse 4]
Représentée par la SELARL D'AVOCATS CATALDI GIABICANI, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL CDMF AVOCATS, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE
ONIAM ACCIDENTS MEDICAUX, dont le siège social est situé [Adresse 11]
Représenté par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS
Mme [M] [E]
née le [Date naissance 5] 1969 à YOUGOSLAVIE, demeurant [Adresse 3]
CPAM DE LA LOIRE - POLE RCT, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Mutuelle GROUPE APICIL, dont le siège social est situé [Adresse 6]
Compagnie d'assurance UNI PREVOYANCE, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Sans avocats constitués
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Date de l'ordonnance de clôture : 06 Janvier 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 février 2025
Date de mise à disposition : 08 avril 2025
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Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate Honoraire,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Mme [M] [E] a souffert de douleurs au genou gauche et a consulté le Dr [B] [D] qui lui a recommandé une arthroplastie totale. L'intervention a eu lieu le 26 février 2021 à la Clinique Herbert à [Localité 8].
Après l'opération, les douleurs ont persisté, conduisant Mme [E] à consulter à plusieurs reprises le Dr [D].
Le 31 janvier 2023 elle a contacté le Dr [X] [Z], chirurgien aux hospices civils de Lyon. Le 19 juillet 2023, Mme [E] a subi une nouvelle intervention réalisée par le Dr [Z] pour changer sa prothèse.
Par actes d'huissier des 15, 18, 22 et 26 janvier 2024, Mme [E] a assigné la Clinique Herbert, le Dr [D], l'ONIAM, la CPAM de la Loire, l'association de gestion Groupe Apicil et l'institution de prévoyance Uni Prévoyance devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Chambéry, notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance réputée contradictoire du 26 mars 2024, le président du tribunal judiciaire de Chambéry, a :
- Ordonné une expertise et désigné pour y procéder le Dr [C] [N], avec notamment pour mission de :
- convoquer Mme [E] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils, prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d' accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d' Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le Dr [D] et la Clinique Herbert et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime.
Au visa principalement des motifs suivants :
Il résulte des éléments versés aux débats que dans les semaines ayant suivi les deux interventions, des complications sont survenues avec des douleurs rendant la marche difficile et le besoin de recourir à une canne ;
Dès lors, sans préjuger des responsabilités encourues ou des réparations à intervenir en fonction de l'atteinte à Mme [E], la demande d'expertise présentée dans le cadre de la présente instance répond à un motif légitime.
Par déclaration au greffe du 9 avril 2024, M. [D] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a donné pour mission à l'expert de :
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...)
et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d' Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 26 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [D] sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Juger que l'Expert désigné aura pour mission de : « se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier le dossier médical complet (certificat médical descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc') et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sans que le secret médical puisse leur être opposé »
- Rejeter la demande de condamnation de l'ONIAM au titre des frais irrépétibles
- Juger que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles et les dépens de la procédure d'appel
- Rejeter toute demande plus ample ou contraire.
Au soutien de ses prétentions, M. [D] fait notamment valoir que :
Le fait que la transmission du dossier médical par celui-ci soit soumise à l'accord de la patiente heurte les droits de la défense et engendre une atteinte manifestement disproportionnée au principe d'égalité des armes ;
Mme [E] a d'ores et déjà communiqué à la juridiction et à ses contradicteurs, par le biais de leurs avocats respectifs, pas moins de 39 pièces médicales ;
Ce faisant, elle a nécessairement renoncé à se prévaloir du secret médical et il serait pour le moins incompréhensible, dans le cadre des opérations d'expertise, de lui imposer son accord pour adresser à l'Expert le dossier médical relatif à la prise en charge dont il est ici question.
Par dernières écritures du 4 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, l'ONIAM demande à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a prévu dans la mission de l'expert : « Se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc') et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé de la Caisse Primaire d'Assurance maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté. »
Statuant de nouveau,
- Ordonner une expertise et designer pour y procéder : Dr [C] [N] [Adresse 7] : [Courriel 10] Avec pour mission de :
- convoquer Mme [E] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils,
- prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le Docteur [B] [D] et la Clinique HERBERT et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime,
1 - circonstances de la survenue du dommage
- préciser les motifs et les circonstances qui ont conduit à l'acte de diagnostic, de prévention ou de soins mis en cause,
- prendre connaissance des antécédents médicaux,
- décrire tous les soins dispensés, investigations et actes annexes qui ont été réalisés, et préciser dans quelles structures et, dans la mesure du possible, par qui ils ont été pratiqués,
2 - analyse médico-légale
- dire si les soins, investigations et actes annexes ont été conduits conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale à l'époque où ils ont été pratiqués, en particulier et le cas échéant :
- dans l'établissement du diagnostic, dans le choix, la réalisation et la surveillance des investigations et du traitement,
- dans la forme et le contenu de l'information données au patient sur les risques courus, en précisant, en cas de survenue de tels risques, quelles auraient été les possibilités et les conséquences pour le patient de se soustraire à l'acte effectué,
- dans l'organisation du service et de son fonctionnement,
3 - cause et évaluation du dommage
En fonction des éléments concernant points 1 et 2, après avoir examiné le patient et recueilli ses doléances, l'expert devra :
- décrire l'état de santé actuel du patient,
- dire :
- si cet état est la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale, en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués,
- ou s'il s'agit d'un accident médical, affection iatrogène, infection nosocomiale,
- dans ce dernier cas, indiquer s'il est la conséquence d'un non-respect des règles de l'art, en précisant le caractère total ou partiel de l'imputabilité ou s'il s'agit d'un aléa, préciser alors en quoi cet accident médical a eu des conséquences anormales au regard de l'évolution prévisible de la pathologie initiale et en préciser le caractère de gravité,
- interroger le patient sur ses antécédents médicaux et/ou chirurgicaux, afin de déterminer dans quelle mesure il représente un état de vulnérabilité susceptible d'avoir une incidence sur le dommage,
- procéder à un examen clinique détaillé et retranscrire ses constatations dans le rapport d'expertise,
- procéder à l'évaluation des dommages en faisant la part des choses entre ce qui revient à l'état antérieur, à l'évolution prévisible de la pathologie initiale et aux conséquences anormales décrites :
- gène temporaire, totale ou partielle, consécutive d'un déficit fonctionnel temporaire : que le patient exerce ou non une activité professionnelle, prendre en considération toutes les gênes temporaires, totales ou partielles subies dans la réalisation de ses activités habituelles, en préciser la nature et la durée,
- arrêt temporaire des activités professionnelles : en cas d'arrêt des activités professionnelles, en préciser la durée et les conditions de reprise,
- dommage esthétique temporaire : Décrire, en cas de besoin, le dommage esthétique avant consolidation représenté par l'altération de l'apparence physique du patient, qui aurait eu des conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré,
- les aides qui ont permis de pallier les gênes dans la réalisation des activités habituelles : Préciser si une aide- humaine ou matérielle- a été nécessaire et pendant quelle durée, en discuter l'imputabilité à l'événement causal,
- soins médicaux avant consolidation : Préciser quels sont les soins consécutifs à l'acte dommageable, indépendamment de ceux liés à la pathologie initiale,
- fixer la date de consolidation,
- atteinte à l'intégrité physique et/ou psychique constitutive d'un déficit fonctionnel permanent : Chiffrer le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique et/ou psychique (AIPP) par référence au barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales, publié à l'annexe 11-2 du Code de la santé publique, au cas où le barème ne comporte de référence, informer par avis motivé la commission régionale, des références à l'aide desquelles il a été procédé à l'évaluation (article D1142-3 du Code de la santé publique),
- répercussion des séquelles sur l'activité professionnelle : Donner un avis médical sur l'éventuelle répercussion des difficultés imputables à l'événement causal sur les activités professionnelles antérieurement exercées ; S'il s'agit d'un écolier, d'un étudiant ou d'un élève en cours de formation professionnelle, donner un avis médical sur l'éventuelle répercussion des séquelles imputables à l'événement causal sur la formation prévue,
- Souffrances endurées : Décrire les souffrances endurées, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés,
- Dommages esthétiques permanents : Evaluer le dommage esthétique selon l'échelle habituelle de sept degrés,
- Répercussion sur la vie sexuelle : Dire si les séquelles sont susceptibles d'être à l'origine d'un retentissement sur la sexuelle du patient,
- Répercussion sur les activités d'agrément : Donner un avis médical sur les difficultés éventuelles de se livrer, pour la victime à des activités de loisir effectivement pratiquées antérieurement,
- Soins médicaux après consolidation : Se prononcer sur la nécessité de soins médicaux, paramédicaux, d'appareillage ou de prothèse, après consolidation pour éviter une aggravation de l'état séquellaire, justifier l'imputabilité des soins à l'acte dommageable, indépendamment de ceux liés à la pathologie initiale, en précisant s'il s'agit de frais occasionnels, c'est-à-dire limités dansle temps, ou de frais viagers, c'està-dire engagés la vie durant,
- En cas de perte d'autonomie ; aide à la personne et aide matérielle : Dresser un bilan situationnel en décrivant avec précision le déroulement d'une journée (sur 24H) ; Préciser les besoins et les modalités de l'aide à la personne nécessaire pour pallier l'impossibilité ou la difficulté d'effectuer les actes et gestes de la vie courante, que cette aide soit apporté par l'entourage ou par du personnel extérieur ; Indiquer la fréquence et la durée d'intervention de la personne affectée à cette aide, en précisant, pour ce qui concerne la personne extérieure, la qualification professionnelle éventuelle ; Dire quels sont les moyens techniques palliatifs nécessaires au patient (appareillage, aide technique, véhicule aménagé) ; Décrire les gênes engendrées par l'inadaptation du logement, étant entendu qu'il appartient à l'expert de se limiter à une description de l'environnement en question et aux difficultés qui en découlent, - Le cas échéant, en cas de séquelles neuropsychologiques graves :
- Analyser en détail l'incidence éventuelle des séquelles sur les facultés de gestion de la vie et d'insertion (ou de réinsertion) socio-économique. Si besoin est, compléter cet examen par tout avis technique nécessaire,
- Préciser leurs conséquences quand elles sont à l'origine d'un déficit majeur d'initiative ou de troubles du comportement.
- de manière générale, dire si l'état de Mme [E] est susceptible de modification en aggravation,
- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,
- De manière plus générale, faire toute constatation ou observations propres à éclairer le juge du fond dans la résolution du litige en cause,
- Dire que l'expert commis, saisi par le greffe du tribunal judiciaire de Chambéry sur la plateforme OPALEXE s'il y est inscrit, devra accomplir personnellement sa mission conformément aux dispositions des articles 155 à 174 et 263 et suivants du Code de procédure civile et qu'il déposera son rapport en un exemplaire original, au greffe du tribunal judiciaire de Chambéry, service du contrôle des expertises dans le délai de 8 mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge du contrôle (en fonction d'un nouveau calendrier prévisionnel préalablement présenté aux parties),
- Dire que l'expert devra, dès réception de l'avis de versement de la provision à valoir sur sa rémunération, convoquer les parties à une première réunion qui devra se tenir avant l'expiration d'un délai de deux mois, au cours de laquelle il procédera à une lecture contradictoire de sa mission, présentera la méthodologie envisagée, interrogera les parties sur d'éventuelles mises en cause, établira contradictoirement un calendrier de ses opérations et évaluera le coût prévisible de la mission, et qu'à l'issue de cette première réunion il adressera un compte rendu aux parties, DIRE que l'expert devra impartir aux parties un délai pour déposer les pièces justificatives qui lui paraîtraient nécessaires et, éventuellement, à l'expiration dudit délai, saisir, en application de l'article 275 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge chargé du contrôle des expertises pour faire ordonner la production de ces documents s'il y a lieu sous astreinte ou, le cas échéant, être autorisé à passer outre, poursuivre ses opérations et conclure sur les éléments en sa possession ;
- Dire que l'expert pourra recueillir l'avis d'un autre technicien mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne ;
- Dire que, sauf accord contraire des parties, l'expert devra adresser à celles-ci une note de synthèse dans laquelle il rappellera l'ensemble de ses constatations matérielles, présentera ses analyses et proposera une réponse à chacune des questions posées par la juridiction ;
- Dire que l'expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du Code de procédure civile et rappelle qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives ;
- Designer le magistrat chargé du contrôle des expertises par ordonnance présidentielle de roulement pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur tous incidents ;
- Dire que l'expert devra rendre compte à ce magistrat de l'avancement de ses travaux et des diligences accomplies ainsi que des difficultés qui font obstacle à l'accomplissement de sa mission ;
- Ordonner la consignation auprès du régisseur du tribunal judiciaire de chambery par Mme [E] d'une avance à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert dans les deux mois de la présente ordonnance, sauf dans l'hypothèse où une demande d'aide juridictionnelle antérieurement déposée serait accueillie, auquel cas les frais seront avancés directement par le Trésorier Payeur Général ;
- Dire qu'à défaut de consignation dans ce délai la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet en vertu de l'article 271 du Code de procédure civile à moins que le juge du contrôle, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité ;
- Dire qu'en cas d'empêchement, retard ou refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;
- Donner acte à la Clinique Herbert, à l'ONIAM et au Dr [D] de leurs protestations et réserves,
- Dire que la présente ordonnance est commune et opposable au Dr [D], la CPAM de la Loire, l'association de gestion Groupe Apicil et l'institution de prévoyance Uni Prevoyance ;
- Débouter Mme [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Dire que Mme [E] conserve la charge des dépens de la présente instance, qui seront recouvrés par la société Bollonjeon, Avocat associé, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
- Rejeter toute autre demande
Au soutien de ses prétentions, l'Oniam fait notamment valoir que :
Le fait de soumettre la communication des pièces médicales à l'expert à l'aval de la victime, en plus de porter atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, empêche la bonne conduite de l'expertise.
Par dernières écritures du 4 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la clinique Herbert demande à la cour de :
- Lui donner acte qu'elle ne s'oppose pas à la demande de modification de mission proposée par le Dr [D] ;
- Rejeter toute autre demande ;
- Réserver les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la clinique Herbert fait notamment valoir que :
Afin d'éviter toutes difficultés procédurales liées à la question du secret médical, il est sollicité l'autorisation de la production des éléments médicaux sans avoir au préalable l'autorisation de Mme [E] et surtout pour pouvoir assurer sa défense.
En effet, si Mme [E] a la possibilité de produire devant la juridiction de céans des éléments médicaux la concernant, il en va différemment des autres parties au présent litige qui ne peuvent verser aux débats des éléments médicaux, sans l'accord écrit de la victime.
Mme [M] [E], la mutuelle groupe Apicil, à qui la déclaration d'appel n'a pas été signifiée à personne, et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, touchée à personne par la signification, n'ont pas constitué avocat et n'ont pas comparu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 6 janvier 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 février 2025.
MOTIFS ET DECISION
L'ordonnance entreprise du 26 mars 2024 est critiquée par l'appelant, M. [B] [D], en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée au docteur [C] [N], la communication des pièces médicales à l'expert à l'accord de la victime ou de ses ayant-droits.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.'
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ; il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (1ère Civ, 7 décembre 2004, pourvoi n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical. Plus particulièrement, celles de l'article 275 du code de procédure civile, qui imposent aux parties de 'remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission' n'instituent pas, en elles-mêmes, une dérogation au secret médical (Crim., 16 mars 2021, pourvoi n°20-80.125 et Conseil d'Etat, 15 novembre 2022).
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (Com., 15 Mai 2007, pourvoi n° 06-10.606, publié, CA Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et CA Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien et, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de leur patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense de M. [D].
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (2ème Civ., 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 16 janvier 2024 en ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [N], conditionné la transmission de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de Mme [E] ou de ses ayant-droits. Et il sera dit que l'expert pourra se faire communiquer, tant par la Caisse de Sécurité Sociale que par les professionnels de santé concernés, sans que le bénéfice du secret médical ne puisse lui être opposé, tous les documents médicaux qu'il jugerait utiles à l'accomplissement de sa mission.
M. [B] [D] conservera la charge des dépens qu'il a exposés en cause d'appel. Il ne paraît enfin pas inéquitable de rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par l'ONIAM qui ne fait que s'associer aux prétentions de M. [B] [D] et dont la constitution d'avocat en cause d'appel n'était pas indispensable.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par défaut et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 26 mars 2024 en ce qu'elle a confié à l'expert judiciaire, la mission de ' se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, le dossier médical complet'.
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert pourra se faire communiquer, tant par la Caisse de Sécurité Sociale, que par les professionnels de santé concernés, sans que le bénéfice du secret médical ne puisse lui être opposé, tous les documents médicaux qu'il jugerait utiles à l'accomplissement de sa mission,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à M. [B] [D] et à chaque partie intimée la charge des dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel,
Rejette la demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par l'ONIAM.
Arrêt de Défaut rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 08 avril 2025
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
la SELARL D'AVOCATS [S] [Y]
la SELARL BOLLONJEON
Copie exécutoire délivrée le 08 avril 2025
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
la SELARL D'AVOCATS [S] [Y]
la SELARL BOLLONJEON
N° Minute
1C25/235
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 08 Avril 2025
N° RG 24/00498 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HOMT
Décision attaquée : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 26 Mars 2024
Appelant
M. [B] [D], demeurant [Adresse 9]
Représenté parla SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELEURL CABINET SELURL CHIFFERT, avocat au barreau de PARIS
Intimées
S.A. CLINIQUE HERBERT, dont le siège social est situé [Adresse 4]
Représentée par la SELARL D'AVOCATS CATALDI GIABICANI, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL CDMF AVOCATS, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE
ONIAM ACCIDENTS MEDICAUX, dont le siège social est situé [Adresse 11]
Représenté par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentée par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS
Mme [M] [E]
née le [Date naissance 5] 1969 à YOUGOSLAVIE, demeurant [Adresse 3]
CPAM DE LA LOIRE - POLE RCT, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Mutuelle GROUPE APICIL, dont le siège social est situé [Adresse 6]
Compagnie d'assurance UNI PREVOYANCE, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Sans avocats constitués
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Date de l'ordonnance de clôture : 06 Janvier 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 février 2025
Date de mise à disposition : 08 avril 2025
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Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate Honoraire,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Mme [M] [E] a souffert de douleurs au genou gauche et a consulté le Dr [B] [D] qui lui a recommandé une arthroplastie totale. L'intervention a eu lieu le 26 février 2021 à la Clinique Herbert à [Localité 8].
Après l'opération, les douleurs ont persisté, conduisant Mme [E] à consulter à plusieurs reprises le Dr [D].
Le 31 janvier 2023 elle a contacté le Dr [X] [Z], chirurgien aux hospices civils de Lyon. Le 19 juillet 2023, Mme [E] a subi une nouvelle intervention réalisée par le Dr [Z] pour changer sa prothèse.
Par actes d'huissier des 15, 18, 22 et 26 janvier 2024, Mme [E] a assigné la Clinique Herbert, le Dr [D], l'ONIAM, la CPAM de la Loire, l'association de gestion Groupe Apicil et l'institution de prévoyance Uni Prévoyance devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Chambéry, notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance réputée contradictoire du 26 mars 2024, le président du tribunal judiciaire de Chambéry, a :
- Ordonné une expertise et désigné pour y procéder le Dr [C] [N], avec notamment pour mission de :
- convoquer Mme [E] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils, prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d' accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d' Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le Dr [D] et la Clinique Herbert et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime.
Au visa principalement des motifs suivants :
Il résulte des éléments versés aux débats que dans les semaines ayant suivi les deux interventions, des complications sont survenues avec des douleurs rendant la marche difficile et le besoin de recourir à une canne ;
Dès lors, sans préjuger des responsabilités encourues ou des réparations à intervenir en fonction de l'atteinte à Mme [E], la demande d'expertise présentée dans le cadre de la présente instance répond à un motif légitime.
Par déclaration au greffe du 9 avril 2024, M. [D] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a donné pour mission à l'expert de :
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...)
et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d' Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 26 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [D] sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Juger que l'Expert désigné aura pour mission de : « se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier le dossier médical complet (certificat médical descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc') et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sans que le secret médical puisse leur être opposé »
- Rejeter la demande de condamnation de l'ONIAM au titre des frais irrépétibles
- Juger que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles et les dépens de la procédure d'appel
- Rejeter toute demande plus ample ou contraire.
Au soutien de ses prétentions, M. [D] fait notamment valoir que :
Le fait que la transmission du dossier médical par celui-ci soit soumise à l'accord de la patiente heurte les droits de la défense et engendre une atteinte manifestement disproportionnée au principe d'égalité des armes ;
Mme [E] a d'ores et déjà communiqué à la juridiction et à ses contradicteurs, par le biais de leurs avocats respectifs, pas moins de 39 pièces médicales ;
Ce faisant, elle a nécessairement renoncé à se prévaloir du secret médical et il serait pour le moins incompréhensible, dans le cadre des opérations d'expertise, de lui imposer son accord pour adresser à l'Expert le dossier médical relatif à la prise en charge dont il est ici question.
Par dernières écritures du 4 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, l'ONIAM demande à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a prévu dans la mission de l'expert : « Se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc') et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé de la Caisse Primaire d'Assurance maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté. »
Statuant de nouveau,
- Ordonner une expertise et designer pour y procéder : Dr [C] [N] [Adresse 7] : [Courriel 10] Avec pour mission de :
- convoquer Mme [E] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils,
- prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le Docteur [B] [D] et la Clinique HERBERT et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime,
1 - circonstances de la survenue du dommage
- préciser les motifs et les circonstances qui ont conduit à l'acte de diagnostic, de prévention ou de soins mis en cause,
- prendre connaissance des antécédents médicaux,
- décrire tous les soins dispensés, investigations et actes annexes qui ont été réalisés, et préciser dans quelles structures et, dans la mesure du possible, par qui ils ont été pratiqués,
2 - analyse médico-légale
- dire si les soins, investigations et actes annexes ont été conduits conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science médicale à l'époque où ils ont été pratiqués, en particulier et le cas échéant :
- dans l'établissement du diagnostic, dans le choix, la réalisation et la surveillance des investigations et du traitement,
- dans la forme et le contenu de l'information données au patient sur les risques courus, en précisant, en cas de survenue de tels risques, quelles auraient été les possibilités et les conséquences pour le patient de se soustraire à l'acte effectué,
- dans l'organisation du service et de son fonctionnement,
3 - cause et évaluation du dommage
En fonction des éléments concernant points 1 et 2, après avoir examiné le patient et recueilli ses doléances, l'expert devra :
- décrire l'état de santé actuel du patient,
- dire :
- si cet état est la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale, en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués,
- ou s'il s'agit d'un accident médical, affection iatrogène, infection nosocomiale,
- dans ce dernier cas, indiquer s'il est la conséquence d'un non-respect des règles de l'art, en précisant le caractère total ou partiel de l'imputabilité ou s'il s'agit d'un aléa, préciser alors en quoi cet accident médical a eu des conséquences anormales au regard de l'évolution prévisible de la pathologie initiale et en préciser le caractère de gravité,
- interroger le patient sur ses antécédents médicaux et/ou chirurgicaux, afin de déterminer dans quelle mesure il représente un état de vulnérabilité susceptible d'avoir une incidence sur le dommage,
- procéder à un examen clinique détaillé et retranscrire ses constatations dans le rapport d'expertise,
- procéder à l'évaluation des dommages en faisant la part des choses entre ce qui revient à l'état antérieur, à l'évolution prévisible de la pathologie initiale et aux conséquences anormales décrites :
- gène temporaire, totale ou partielle, consécutive d'un déficit fonctionnel temporaire : que le patient exerce ou non une activité professionnelle, prendre en considération toutes les gênes temporaires, totales ou partielles subies dans la réalisation de ses activités habituelles, en préciser la nature et la durée,
- arrêt temporaire des activités professionnelles : en cas d'arrêt des activités professionnelles, en préciser la durée et les conditions de reprise,
- dommage esthétique temporaire : Décrire, en cas de besoin, le dommage esthétique avant consolidation représenté par l'altération de l'apparence physique du patient, qui aurait eu des conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré,
- les aides qui ont permis de pallier les gênes dans la réalisation des activités habituelles : Préciser si une aide- humaine ou matérielle- a été nécessaire et pendant quelle durée, en discuter l'imputabilité à l'événement causal,
- soins médicaux avant consolidation : Préciser quels sont les soins consécutifs à l'acte dommageable, indépendamment de ceux liés à la pathologie initiale,
- fixer la date de consolidation,
- atteinte à l'intégrité physique et/ou psychique constitutive d'un déficit fonctionnel permanent : Chiffrer le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique et/ou psychique (AIPP) par référence au barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales, publié à l'annexe 11-2 du Code de la santé publique, au cas où le barème ne comporte de référence, informer par avis motivé la commission régionale, des références à l'aide desquelles il a été procédé à l'évaluation (article D1142-3 du Code de la santé publique),
- répercussion des séquelles sur l'activité professionnelle : Donner un avis médical sur l'éventuelle répercussion des difficultés imputables à l'événement causal sur les activités professionnelles antérieurement exercées ; S'il s'agit d'un écolier, d'un étudiant ou d'un élève en cours de formation professionnelle, donner un avis médical sur l'éventuelle répercussion des séquelles imputables à l'événement causal sur la formation prévue,
- Souffrances endurées : Décrire les souffrances endurées, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés,
- Dommages esthétiques permanents : Evaluer le dommage esthétique selon l'échelle habituelle de sept degrés,
- Répercussion sur la vie sexuelle : Dire si les séquelles sont susceptibles d'être à l'origine d'un retentissement sur la sexuelle du patient,
- Répercussion sur les activités d'agrément : Donner un avis médical sur les difficultés éventuelles de se livrer, pour la victime à des activités de loisir effectivement pratiquées antérieurement,
- Soins médicaux après consolidation : Se prononcer sur la nécessité de soins médicaux, paramédicaux, d'appareillage ou de prothèse, après consolidation pour éviter une aggravation de l'état séquellaire, justifier l'imputabilité des soins à l'acte dommageable, indépendamment de ceux liés à la pathologie initiale, en précisant s'il s'agit de frais occasionnels, c'est-à-dire limités dansle temps, ou de frais viagers, c'està-dire engagés la vie durant,
- En cas de perte d'autonomie ; aide à la personne et aide matérielle : Dresser un bilan situationnel en décrivant avec précision le déroulement d'une journée (sur 24H) ; Préciser les besoins et les modalités de l'aide à la personne nécessaire pour pallier l'impossibilité ou la difficulté d'effectuer les actes et gestes de la vie courante, que cette aide soit apporté par l'entourage ou par du personnel extérieur ; Indiquer la fréquence et la durée d'intervention de la personne affectée à cette aide, en précisant, pour ce qui concerne la personne extérieure, la qualification professionnelle éventuelle ; Dire quels sont les moyens techniques palliatifs nécessaires au patient (appareillage, aide technique, véhicule aménagé) ; Décrire les gênes engendrées par l'inadaptation du logement, étant entendu qu'il appartient à l'expert de se limiter à une description de l'environnement en question et aux difficultés qui en découlent, - Le cas échéant, en cas de séquelles neuropsychologiques graves :
- Analyser en détail l'incidence éventuelle des séquelles sur les facultés de gestion de la vie et d'insertion (ou de réinsertion) socio-économique. Si besoin est, compléter cet examen par tout avis technique nécessaire,
- Préciser leurs conséquences quand elles sont à l'origine d'un déficit majeur d'initiative ou de troubles du comportement.
- de manière générale, dire si l'état de Mme [E] est susceptible de modification en aggravation,
- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,
- De manière plus générale, faire toute constatation ou observations propres à éclairer le juge du fond dans la résolution du litige en cause,
- Dire que l'expert commis, saisi par le greffe du tribunal judiciaire de Chambéry sur la plateforme OPALEXE s'il y est inscrit, devra accomplir personnellement sa mission conformément aux dispositions des articles 155 à 174 et 263 et suivants du Code de procédure civile et qu'il déposera son rapport en un exemplaire original, au greffe du tribunal judiciaire de Chambéry, service du contrôle des expertises dans le délai de 8 mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge du contrôle (en fonction d'un nouveau calendrier prévisionnel préalablement présenté aux parties),
- Dire que l'expert devra, dès réception de l'avis de versement de la provision à valoir sur sa rémunération, convoquer les parties à une première réunion qui devra se tenir avant l'expiration d'un délai de deux mois, au cours de laquelle il procédera à une lecture contradictoire de sa mission, présentera la méthodologie envisagée, interrogera les parties sur d'éventuelles mises en cause, établira contradictoirement un calendrier de ses opérations et évaluera le coût prévisible de la mission, et qu'à l'issue de cette première réunion il adressera un compte rendu aux parties, DIRE que l'expert devra impartir aux parties un délai pour déposer les pièces justificatives qui lui paraîtraient nécessaires et, éventuellement, à l'expiration dudit délai, saisir, en application de l'article 275 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge chargé du contrôle des expertises pour faire ordonner la production de ces documents s'il y a lieu sous astreinte ou, le cas échéant, être autorisé à passer outre, poursuivre ses opérations et conclure sur les éléments en sa possession ;
- Dire que l'expert pourra recueillir l'avis d'un autre technicien mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne ;
- Dire que, sauf accord contraire des parties, l'expert devra adresser à celles-ci une note de synthèse dans laquelle il rappellera l'ensemble de ses constatations matérielles, présentera ses analyses et proposera une réponse à chacune des questions posées par la juridiction ;
- Dire que l'expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l'article 276 du Code de procédure civile et rappelle qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives ;
- Designer le magistrat chargé du contrôle des expertises par ordonnance présidentielle de roulement pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur tous incidents ;
- Dire que l'expert devra rendre compte à ce magistrat de l'avancement de ses travaux et des diligences accomplies ainsi que des difficultés qui font obstacle à l'accomplissement de sa mission ;
- Ordonner la consignation auprès du régisseur du tribunal judiciaire de chambery par Mme [E] d'une avance à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert dans les deux mois de la présente ordonnance, sauf dans l'hypothèse où une demande d'aide juridictionnelle antérieurement déposée serait accueillie, auquel cas les frais seront avancés directement par le Trésorier Payeur Général ;
- Dire qu'à défaut de consignation dans ce délai la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet en vertu de l'article 271 du Code de procédure civile à moins que le juge du contrôle, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité ;
- Dire qu'en cas d'empêchement, retard ou refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;
- Donner acte à la Clinique Herbert, à l'ONIAM et au Dr [D] de leurs protestations et réserves,
- Dire que la présente ordonnance est commune et opposable au Dr [D], la CPAM de la Loire, l'association de gestion Groupe Apicil et l'institution de prévoyance Uni Prevoyance ;
- Débouter Mme [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Dire que Mme [E] conserve la charge des dépens de la présente instance, qui seront recouvrés par la société Bollonjeon, Avocat associé, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
- Rejeter toute autre demande
Au soutien de ses prétentions, l'Oniam fait notamment valoir que :
Le fait de soumettre la communication des pièces médicales à l'expert à l'aval de la victime, en plus de porter atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, empêche la bonne conduite de l'expertise.
Par dernières écritures du 4 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la clinique Herbert demande à la cour de :
- Lui donner acte qu'elle ne s'oppose pas à la demande de modification de mission proposée par le Dr [D] ;
- Rejeter toute autre demande ;
- Réserver les dépens.
Au soutien de ses prétentions, la clinique Herbert fait notamment valoir que :
Afin d'éviter toutes difficultés procédurales liées à la question du secret médical, il est sollicité l'autorisation de la production des éléments médicaux sans avoir au préalable l'autorisation de Mme [E] et surtout pour pouvoir assurer sa défense.
En effet, si Mme [E] a la possibilité de produire devant la juridiction de céans des éléments médicaux la concernant, il en va différemment des autres parties au présent litige qui ne peuvent verser aux débats des éléments médicaux, sans l'accord écrit de la victime.
Mme [M] [E], la mutuelle groupe Apicil, à qui la déclaration d'appel n'a pas été signifiée à personne, et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, touchée à personne par la signification, n'ont pas constitué avocat et n'ont pas comparu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 6 janvier 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 février 2025.
MOTIFS ET DECISION
L'ordonnance entreprise du 26 mars 2024 est critiquée par l'appelant, M. [B] [D], en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée au docteur [C] [N], la communication des pièces médicales à l'expert à l'accord de la victime ou de ses ayant-droits.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.'
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ; il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (1ère Civ, 7 décembre 2004, pourvoi n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical. Plus particulièrement, celles de l'article 275 du code de procédure civile, qui imposent aux parties de 'remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission' n'instituent pas, en elles-mêmes, une dérogation au secret médical (Crim., 16 mars 2021, pourvoi n°20-80.125 et Conseil d'Etat, 15 novembre 2022).
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (Com., 15 Mai 2007, pourvoi n° 06-10.606, publié, CA Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et CA Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien et, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de leur patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense de M. [D].
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (2ème Civ., 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 16 janvier 2024 en ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [N], conditionné la transmission de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de Mme [E] ou de ses ayant-droits. Et il sera dit que l'expert pourra se faire communiquer, tant par la Caisse de Sécurité Sociale que par les professionnels de santé concernés, sans que le bénéfice du secret médical ne puisse lui être opposé, tous les documents médicaux qu'il jugerait utiles à l'accomplissement de sa mission.
M. [B] [D] conservera la charge des dépens qu'il a exposés en cause d'appel. Il ne paraît enfin pas inéquitable de rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par l'ONIAM qui ne fait que s'associer aux prétentions de M. [B] [D] et dont la constitution d'avocat en cause d'appel n'était pas indispensable.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par défaut et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 26 mars 2024 en ce qu'elle a confié à l'expert judiciaire, la mission de ' se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, le dossier médical complet'.
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert pourra se faire communiquer, tant par la Caisse de Sécurité Sociale, que par les professionnels de santé concernés, sans que le bénéfice du secret médical ne puisse lui être opposé, tous les documents médicaux qu'il jugerait utiles à l'accomplissement de sa mission,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à M. [B] [D] et à chaque partie intimée la charge des dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel,
Rejette la demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par l'ONIAM.
Arrêt de Défaut rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 08 avril 2025
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
la SELARL D'AVOCATS [S] [Y]
la SELARL BOLLONJEON
Copie exécutoire délivrée le 08 avril 2025
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
la SELARL D'AVOCATS [S] [Y]
la SELARL BOLLONJEON