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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 7 avril 2025, n° 24/02874

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LCH Automobiles (SAS), Bluecar (SAS)

Défendeur :

LCH Automobiles (SAS), Bluecar (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Poirel

Conseillers :

M. Vallée, M. Breard

Avocats :

Me Hadjadj, Me Midy, Me Sempe, Me Bousquet

TJ Angoulême, du 5 juin 2024, n° 24/0005…

5 juin 2024

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1- Le 5 avril 2017, M. [D] [J] a acquis, auprès de la SAS Arnaud Meire, devenue la SAS LCH Automobiles, un véhicule automobile Citroën E-Mehari immatriculé [Immatriculation 12], hors batterie de traction, pour un prix de 15 899,80 euros.

2- En parallèle, M. [J] a souscrit un contrat de location d'une batterie de traction auprès de la SAS Blue Car, pour un montant mensuel de 79 euros TTC.

3- Se plaignant de désordres affectant le fonctionnement normal du véhicule et notamment d'un problème de charge, M. [J] a, par acte des 5 et 6 février 2024, fait assigner la société LCH Automobiles et la société Blue Car aux fins d'obtenir une expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

4- Par ordonnance contradictoire du 5 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Angoulême a :

- débouté M. [J] de sa demande d'expertise ;

- condamné M. [J] aux dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure

civile ;

- rappelé que l'ordonnance bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire.

5- M. [J] a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette ordonnance par déclaration du 20 juin 2024.

6- Par dernières conclusions déposées le 15 octobre 2024, M. [J] demande à la cour de :

- le juger M. [J] recevable et bien fondé en l'intégralité de ses demandes;

- débouter la société LCH Automobiles et la société Blue Car de toutes leurs demandes;

Y faisant droit :

- réformer l'ordonnance de référé rendue le 5 juin 2024 par le président du tribunal judiciaire d'Angoulême en ce qu'elle a débouté M. [J] de sa demande d'expertise et l'a condamné aux dépens.

Et statuant à nouveau :

- ordonner une mesure d'expertise ;

- désigner tel Expert qu'il plaira à Mme, M. le Président avec pour mission de:

- se rendre sur les lieux où est situé le véhicule ([Adresse 2] ' [Localité 5]) après y avoir convoqué les parties ;

- se faire remettre tous documents et pièces utiles, y compris mécaniques ;

- entendre les parties et tout sachant s'il y a lieu ;

- examiner le véhicule de marque Citroën modèle E-Mehari immatriculé [Immatriculation 12] ;

- décrire l'état de ce véhicule ;

- examiner les dysfonctionnements, anomalies et griefs mentionnés dans le rapport d'expertise amiable du cabinet Expad du 16 février 2022, visé au travers de l'assignation, les décrire et préciser notamment s'ils rendent ou non le véhicule impropre à l'usage auquel il est destiné ;

- déterminer les causes des dysfonctionnements, anomalies constatés;

- décrire les travaux nécessaires pour remédier de façon pérenne aux dysfonctionnements et anomalies et en chiffrer le coût ;

- fournir toutes indications techniques et de faits propres à déterminer les responsabilités encourues et leur nature ;

- fournir toutes indications sur les préjudices subis ;

- répondre aux dires des parties ;

- fixer le montant de la consignation que le demandeur devra effectuer au Greffe pour assurer le fonctionnement de l'expertise ainsi que le délai dans lequel cette consignation devra être effectuée ;

- débouter la société LCH Automobiles et la société Blue Car de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamner solidairement la société LCH Automobiles et la société Blue Car à payer à M. [J] une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens.

7- Par dernières conclusions déposées le 10 septembre 2024, la société Blue Car demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue du 5 juin 2024 par le juge des référés près le tribunal judicaire d'Angoulême en ce qu'elle a débouté M. [J] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner M. [J] à verser la somme de 3 500 euros à la société Blue Car sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

8- Par dernières conclusions déposées le 26 août 2024, la société LCH Automobiles demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 5 juin 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Angoulême en ce qu'elle a débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [J] aux entiers dépens outre le paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

9- L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 18 novembre 2024, avec clôture de la procédure au 4 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'expertise

10- Pour débouter M. [J] de sa demande d'expertise, le premier juge a estimé que ce dernier ne justifiait pas d'un motif légitime à la mesure d'instruction sollicitée dans la mesure où l'éventuel litige au fond apparaît être manifestement voué à l'échec à raison de l'acquisition de la prescription biennale dans un contexte où l'acheteur ne conteste pas avoir eu connaissance des vices dès mars 2021 mais soutient que l'expertise amiable du 16 février 2022 aurait été déterminante de sa connaissance desdits vices alors que, s'agissant de vices non distincts et uniquement de précisions apportées sur l'origine des vices initiaux alors que leur existence était acquise depuis 8 mois, il n'y a pas lieu de retenir la date de l'expertise amiable.

11- M. [J] reproche tout d'abord au premier juge d'avoir considéré que son action au fond ne pourrait être engagée que sur le terrain de la garantie des vices cachés alors qu'elle peut également l'être pour manquement à l'obligation de délivrance conforme. Il ajoute que l'action en garantie des vices cachés n'est pas manifestement vouée à l'échec dès lors que s'il est exact que des dysfonctionnements sont apparus en mars 2021, ils n'ont été initialement interprétés que sous l'angle d'un changement de batterie et ce n'est qu'à compter du 16 février 2022, date du rapport d'expertise amiable, que la réalité et la gravité des dysfonctionnements lui ont été révélés, à savoir une défaillance interne au bloc chargeur embarqué. Il conclut en conséquence à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et à la désignation d'un expert judiciaire.

12- De son côté, la société LCH Automobiles conclut à la confirmation de la décision entreprise, faisant valoir que l'appelant ne justifie d'aucun motif légitime à voir ordonner une expertise judiciaire au regard de la prescription de l'action au fond éventuelle en garantie des vices cachés et du fait que lorsqu'elle a délivré le véhicule litigieux le 5 avril 2017, il était parfaitement fonctionnel.

13- La société Blue Car sollicite également la confirmation de l'ordonnance entreprise, faisant valoir que l'action en garantie des vices cachés susceptible d'être engagée par M. [J] est manifestement vouée à l'échec du fait de l'acquisition de la prescription biennale, ajoutant que la potentielle action pour inexécution de l'obligation de délivrance conforme, invoquée pour la première fois en appel par l'appelant, ne peut pas plus prospérer dès lors que les vices cachés n'ouvrent droit qu'à la garantie prévue aux articles 1641 et suivants du code civil et excluent toute action en responsabilité contractuelle.

Sur ce,

14- Selon les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, toute mesure d'instruction peut être ordonnée par le juge des référés s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

15- Il en résulte que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l'établir, mais qu'il doit justifier d'éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite la mesure n'est pas dénué de toute chance de succès. Ni l'urgence ni l'absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d'application de ce texte.

Il sera rappelé que la règle selon laquelle aucune mesure ne peut être accordée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ne s'applique pas aux procédures fondées sur l'article 145 du code de procédure civile. Il suffit qu'il existe des indices permettant de supposer la production des faits qu'il s'agit de prouver, l'objet de la demande de mesure d'instruction pouvant être non seulement de conserver des preuves mais également de les établir.

Enfin, pour rechercher l'existence d'un motif légitime, il n'appartient pas au juge des référés d'examiner le bien fondé de l'action envisagée par le demandeur mais il doit s'assurer néanmoins que cette action n'est pas manifestement vouée à l'échec, si un procès est susceptible d'être engagé pour des faits suffisamment déterminables et si la mesure d'instruction demandée présente une utilité quelconque. Il est en effet inutile d'ordonner une telle mesure si l'action envisagée est vouée à l'échec notamment lorsque la prescription de l'action au fond est encourue.

16- L'article 1648 du code civil dispose : 'L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice'.

17- Il est de jurisprudence constante que les juges du fond doivent vérifier non seulement la connaissance du vice mais également la connaissance de son étendue réelle.

18- En l'espèce, il résulte des pièces produites que M. [J] a constaté le 27 juillet 2021 que la batterie du véhicule ne chargeait plus. Le véhicule a alors été remorqué dans les locaux de la SAS Arnaud Meire, devenue LCH Automobiles, qui, après avoir effectué une recherche de panne, a procédé au remplacement de la batterie de servitude (pièce n°7 de l'appelant). Néanmoins, face à la persistance de la difficulté, le véhicule a été transféré dans les locaux de la concession Citroën de [Localité 13] exploitée par la société Sorda laquelle, après avoir remplacé le pack batterie de traction, a constaté une anomalie et diagnostiqué le 8 novembre 2021 une défectuosité du chargeur embarqué (pièce n°8 de l'appelant). Le 26 novembre 2021, la société Sorda a préconisé le remplacement du chargeur embarqué et proposé deux devis à M. [J], lequel a alors saisi son assureur protection juridique. Il ressort du rapport d'expertise amiable en date du 16 février 2022 du cabinet EXPAD que 'l'avarie est imputable à une défaillance interne au bloc chargeur embarqué et est anormal pour un véhicule totalisant seulement 3 200 km en un peu plus de 5 ans. Ce défaut n'est pas imputable à un défaut d'entretien, ni à un défaut d'utilisation et semble vraisemblablement lié à la conception du produit.', l'expert ajoutant qu'il serait nécessaire de procéder à des investigations techniques complémentaires afin de déterminer l'origine exacte de l'avarie (composant électronique, soudure...).

19- Au regard de ces éléments, M. [J] est fondé à soutenir que si des dysfonctionnements sont certes apparus dès juillet 2021, l'expertise amiable du 16 février 2022 a été déterminante de sa connaissance des vices dans leur ampleur et leurs conséquences, en sorte qu'en délivrant une assignation les 5 et 6 février 2024, son action en garantie des vices cachés n'est pas manifestement vouée à l'échec comme prescrite.

20- M. [J] justifiant d'un motif légitime à voir ordonner une expertise judiciaire, il sera fait droit à sa demande en ce sens suivant les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

21- L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

22- Il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions relatives aux dépens. L'organisation d'une mesure d'instruction ne préjugeant pas de l'issue du litige au fond, chaque partie supportera la charge des dépens de première instance et d'appel par elle exposés. Il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Ordonne une mesure d'expertise judiciaire ;

Commet pour y procéder M. [X] [M]

[Adresse 7]

[Localité 6]

Port. : [XXXXXXXX01]

Mèl : [Courriel 11]

avec pour mission, les parties présentes ou dûment appelées, de :

- convoquer les parties et recueillir leurs explications ainsi que celles de tout sachant détenus par des tiers,

- se rendre sur les lieux où le véhicule est actuellement conservé,

- se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

- examiner le véhicule de marque Citroën modèle E-MEHARI immatriculé [Immatriculation 12],

- décrire et déterminer la nature et l'ampleur des désordres qui affectent le véhicule, notamment ceux allégués dans l'assignation,

- décrire les conditions d'utilisation et d'entretien du véhicule depuis sa mise en circulation et le cas échéant vérifier si elles ont été normales et si elles ont pu jouer un rôle causal dans les dysfonctionnements,

- déterminer si ces désordres relèvent d'une absence de conformité aux documents contractuels ou d'un vice caché,

- dater dans la mesure du possible l'apparition du/des désordres, et déterminer pour chaque type de désordre la ou les cause(s),

- évaluer la nature et le montant des travaux éventuellement nécessaires à la remise en état de ce véhicule,

- dire si un trouble de jouissance est ou a été subi par M. [J] du fait de ces désordres,

- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre le cas échéant à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités encourues et évaluer s'il y a lieu tous les préjudices subis.

Dit que l'expert pourra entendre tous sachants et recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité différente de la sienne;

Dit que l'expert déposera son rapport au greffe du tribunal judiciaire d'Angoulême dans le délai de six mois à compter de sa saisine et en adressera une copie à chacune des parties accompagnée de sa demande de rémunération ;

Commet le magistrat chargé du contrôle des expertises près le tribunal judiciaire d'Angoulême pour surveiller les opérations d'expertise ;

Fixe à la somme de 1 500 euros le montant de la consignation que M. [J] devra verser au greffe du tribunal judiciaire d'Angoulême, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert ;

Rappelle aux parties qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert est caduque, sauf motif légitime apprécié par le juge, et qu'il pourra être tiré toutes conséquences de l'abstention ou du refus de consigner ;

Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à la charge de chacune des parties les dépens de première instance et d'appel par elles exposés.

Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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