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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 3 avril 2025, n° 24/02089

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sérénité Résidences (SAS)

Défendeur :

Cucchiara Frères (SARL), Mjair (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Robert-Nicoud, Mme Gindensperger

Avocat :

Me Renaud

TJ Mulhouse, juge de la mise en état, du…

7 mai 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte d'huissier de justice délivré le 29 décembre 2021, la SARL Cucchiara Frères a assigné la SAS Sérénité Résidences en paiement de factures au titre du marché Odyssée, du marché Pinsons et d'autres travaux, en paiement de dommages-intérêts pour préjudice financier au titre des articles 1217 et 1231-1 du code civil, de dommages-intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie et de frais en application des articles L.441-1 et L.441-10 du code de commerce.

Par jugement du 23 mars 2022, elle a été mise en liquidation judiciaire, la SELARL [G] et Charlier, prise en la personne de Maître [G], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Après radiation, l'instance a été reprise par conclusions du 23 mars 2023 par la SELARL [G] et Charlier, devenue MJ Air, prise en la personne de Maître [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Cucchiara Frères.

Saisi par la société Sérénité Résidences, le juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse a, par ordonnance du 7 mai 2024 :

- rejeté sa demande tendant à faire déclarer irrecevable la société Cucchiara Frères en toutes ses prétentions pour défaut de qualité à agir,

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Sérénité Résidences,

- dit que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse est compétente pour juger le litige qui oppose les parties,

- dit qu'il sera statué sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens de l'incident, en même temps que sur ceux de la procédure principale, et renvoyé les parties à une audience de mise en état.

Pour statuer ainsi, il a retenu qu'alors que la société Sérénité Résidences soutenait n'être redevable d'aucune somme à l'égard de la société Cucchiara Frères qui n'avait pas contracté avec elle, et que selon les documents qu'elle produisait, la société Cucchiara Frères semblait avoir contracté avec plusieurs SCCV, il était pourtant observé que les marchés étaient tous revêtus d'un même cachet 'Sérénité Résidences' et qu'elle y était nommée comme étant 'maître d'ouvrage' sur le cahier des clauses techniques particulières, mais aussi sur l'acte d'engagement et le descriptif technique et le bordereau de décomposition du prix, qui comportaient la signature de la société Sérénité Résidences pour deux marchés, tout comme le constat de carence d'un autre marché. Il a ajouté que la société Cucchiara Frères avait adressé plusieurs factures à la société Sérénité Résidences au titre de ces trois marchés, et d'autres commandes, et procédé à une saisie-conservatoire à son égard.

Il en a déduit que les documents produits tendaient à considérer que la société Sérénité Résidences et la société Cucchiara Frères étaient en relations d'affaires pour les marchés susvisés dans lesquels la première était le maître d'ouvrage.

Enfin, pour écarter l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Nancy et retenir la compétence de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse, il a retenu que, si, en application des articles L.442-1, L.442-44 III et D 442-3 du code de commerce, les litiges relatifs à l'application des articles L.442-1, L.442-2, L.442-3, L.442-7 et L.442-8 dudit code sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret, en l'espèce, le litige ne portait pas sur le contentieux spécial des pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées entre entreprises, et qu'il était acquis que ces dispositions constituaient une exception d'incompétence et non plus une fin de non-recevoir.

Le 31 mai 2024, la société Sérénité Résidences a interjeté appel de cette ordonnance.

Le 17 juin 2024, l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 20 mars 2025 et le greffier a adressé l'avis de fixation de l'affaire à bref délai à l'avocat constitué.

Les 20 et 21 juin 2024, la société Sérénité Résidences a signifié, respectivement par dépôt à l'étude et à personne, à la société Cucchiara Frères et à la SELARL MJ Air en sa qualité de liquidateur judiciaire, la déclaration d'appel, le récépissé de la déclaration d'appel, l'ordonnance et l'avis de fixation de l'affaire à bref délai.

Ces sociétés n'ont pas constitué avocat.

Compte tenu de la signification faite par dépôt à l'étude à l'égard de la société Cucchiara Frères, l'arrêt sera rendu par défaut.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 juillet 2024 et signifiées à la société Cucchiara Frères et à la SELARL MJ Air, en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société par actes délivrés le 24 juillet 2024, la société Sérénité Résidences demande à la cour de :

- la déclarer recevable en son appel et l'y dire bien fondée,

en conséquence,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- rejeté sa demande tendant à faire déclarer irrecevable la société Cucchiara Frères en toutes ses prétentions pour défaut de qualité à agir.

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Sérénité Résidences.

- dit que que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse est compétente pour juger le litige qui oppose les parties.

- dit qu'il sera statué sur les demandes de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens de l'incident en même temps que sur les frais et dépens de la procédure principale,

Et, statuant à nouveau :

- déclarer que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse est incompétente pour statuer sur la prétention formée à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce (rupture brutale d'une relation commerciale établie),

- renvoyer l'affaire sur ce point devant le tribunal de commerce de Nancy,

En tout état de cause,

- déclarer irrecevables l'intégralité des prétentions formées à son encontre pour défaut de qualité,

- fixer au passif de la SARL Cucchiara Frères la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixer au passif de la SARL Cucchiara Frères les entiers frais et dépens de 1ère instance et d'appel.

en soutenant, en substance, que :

- la demande tendant à obtenir sa condamnation à lui règler la somme de 225 429,32 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie, sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce, relève, en application de ce texte, de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Nancy ;

- les demandes tendant à obtenir sa condamnation au paiement de factures émises dans le cadre de marchés de travaux, de dommages-intérêts comme il a été dit, et de dommages-intérêts pour résistance abusive, sont irrecevables, car les marchés au titre desquels les factures ont été émises n'ont pas été passés avec elle, de sorte qu'elle ne peut être débitrice de la société Cucchiara Frères.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions de la société Sérénité Résidences, notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées, et aux motifs de l'ordonnance que les intimés non comparants sont réputés s'approprier.

MOTIFS

1. Sur l'exception d'incompétence :

Aux termes de l'article L.442-1, II, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 7 décembre 2020, 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels (...).

Selon l'article L.442-4, III, 'Les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.'

Selon l'article D.442-3, devenu D.442-2 du code de commerce, depuis le décret du 24 février 2021, pour l'application du III de l'article L. 442-4, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre, à savoir le tribunal de commerce de Nancy pour le ressort de la cour d'appel de Colmar.

La règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2 du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 précité, devenues l'article L. 442-1, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir (Com., 18 octobre 2023, pourvoi n°21-15.378, publié).

En l'espèce, la société Cucchiara Frères et son liquidateur agissent à l'encontre de la société Sérénité Résidences en paiement, d'une part, de factures, d'autre part, de dommages-intérêts pour non-respect de ses engagements en application des articles 1217 et 1231-1 du code civil, de troisième part, de frais de recouvrement en application des articles L.441-1 et L.411-10 du code de commerce, et, enfin, de dommages-intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie, sur le fondement de l'article L.442-1, II du code de commerce.

La société Sérénité Résidences avait, par conclusions du 3 juillet 2023, soulevé devant le juge de la mise en état l'irrecevabilité de la demande présentée à ce titre, étant relevé que la jurisprudence retenait alors l'irrecevabilité des demandes fondées sur l'article L. 442-6, devenu l'article L. 442-1, du code précité lorsqu'elles étaient présentées devant une juridiction non spécialisée.

Suite à la modification de la jurisprudence par l'arrêt précité de la Cour de cassation, elle conclut, à bon droit, à l'incompétence de la juridiction mulhousienne au profit du tribunal de commerce de Nancy pour statuer sur la prétention formée à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.442-1, II, du code de commerce pour rupture brutale d'une relation commerciale établie.

En revanche, s'agissant des autres prétentions, s'appliquent les règles de compétence de droit commun, étant précisé que se situent dans le ressort de la cour d'appel de Colmar tant le siège social de chacune des sociétés que le lieu d'exécution des marchés litigieux.

L'ordonnance sera ainsi infirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Sérénité Résidences et dit que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse est compétente pour juger le litige qui oppose les parties.

Statuant à nouveau, la cour accueille l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Nancy, mais seulement en ce qui concerne la prétention précitée.

Il n'y a pas lieu de renvoyer pour le tout, dans la mesure où la juridiction mulhousienne est compétente pour statuer sur les autres demandes, qui ne sont pas dans la dépendance de celle relevant de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Nancy.

2. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité.

L'existence du droit invoqué n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès.

L'existence d'un lien contractuel entre les parties et la qualité de débiteur que contestent la société Sérénité Résidences relèvent du fond du litige et non de la qualité à défendre de cette société.

L'ordonnance sera ainsi confirmée, mais seulement en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes autres que celles fondées sur la rupture des relations commerciales établies.

3. Sur les frais et dépens :

Il convient de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a renvoyé au fond le sort des dépens de l'incident et de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance.

A hauteur d'appel, la société Sérénité Résidences obtenant partiellement gain de cause en son appel, il convient de dire que la société Cucchiara Frères supportera les dépens d'appel.

L'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt rendu par défaut, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse du 7 mai 2024, sauf en ce qu'elle a, s'agissant de la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Sérénité Résidences et dit que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse est compétente pour juger le litige qui oppose les parties ;

L'infirme de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare incompétente la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Mulhouse pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de la SARL Cucchiara Frères et de la SELARL MJ Air, prise en la personne de Maître [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société, dirigée contre la SAS Sérénité Résidences, pour rupture brutale de relation commerciale établie, au profit du tribunal de commerce de Nancy ;

Renvoie, dans cette limite, l'affaire devant le tribunal de commerce de Nancy ;

Dit que la SARL Cucchiara Frères et la SELARL MJ Air, prise en la personne de Maître [G], en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société, supporteront les dépens d'appel ;

Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

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