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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 mars 2025, n° 23/05065

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kyrn Editions (SARL)

Défendeur :

Air Corsica (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidente :

Mme Brun-Lallemand

Vice-présidente :

Mme Marmorat

Conseiller :

M. Richaud

Avocats :

Me Havet, Me Manenti, Me Bouzidi-Fabre, Me d'Arjuzon, Me Pannozzo, HFW

T. com. Marseille, du 28 févr. 2023, n° …

28 février 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Kyrn Editions, dont monsieur [G] [B] était le gérant jusqu'en octobre 2000, date à laquelle son fils [R] lui a succédé jusqu'au 31 décembre 2008 avant de céder sa place à sa s'ur, [W] [B], exerce une activité principale d'édition tandis que la [Localité 10] Air Corsica (anciennement dénommée Compagnie Corse Méditerranée CCM Airlines) est une compagnie aérienne française desservant une quinzaine d'aéroports et proposant des prestations de transport principalement sur les lignes reliant la Corse et la France continentale ainsi que vers d'autres destinations européennes.

La revue Aria est diffusée mensuellement comme magazine de bord sur les lignes de la compagnie aérienne CCM Airlines Air Corsica depuis 1991, celle-ci en ayant confié la réalisation à différentes sociétés. Monsieur [G] [B] a édité, sous le nom commercial Les Editions Cyrnos et Méditerranée, des numéros de ce magazine entre 1991 et 1993 avant que la SARL Kyrn Editions n'en assume la charge à compter de l'année 1993.

Le 1er août 2006, la SARL Kyrn Editions et la [Localité 10] Air Corsica ont conclu, pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction pour la même durée, sauf résiliation par lettre recommandée adressée un an la survenance du terme (article 5), un contrat ayant pour objet l'édition de la revue Aria. Les relations se sont poursuivies au-delà du 1er août 2012.

Soucieuse d'améliorer la qualité de son service à bord et de renforcer ses engagements environnementaux, la [Localité 10] Air Corsica a lancé, courant 2017, un programme de divertissement digital destiné à se substituer à la diffusion de journaux papiers. Dans cette logique, elle explique avoir, par courrier recommandé du 23 juin 2020, notifié à la SARL Kyrn Editions la résiliation de leur contrat à compter du 1er août 2021.

Par courrier de son conseil du 28 avril 2021, la SARL Kyrn Editions a contesté l'efficacité de cette résiliation au motif que le contrat du 1er août 2006 avait été tacitement reconduit jusqu'au 1er août 2024 et qua la lettre de résiliation n'était pas valide faute d'avoir été adressée à son représentant légal. Les parties ne modifiaient pas leurs positions respectives dans le cadre de leurs échanges ultérieurs.

C'est dans ces circonstances que la SARL Kyrn Editions a, par acte d'huissier signifié le 30 juillet 2021, assigné la SEM Air Corsica devant le tribunal de commerce de Marseille en indemnisa tion du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies et de celui causé par la résiliation abusive du contrat.

Par jugement du 28 février 2023, le tribunal de commerce de Marseille a :

- débouté la SARL Kyrn Editions de sa demande de nullité du courrier du 23 juin 2020 pour vice de fond ;

- déclaré la lettre de résiliation adressée le 23 juin 2020 par la [Localité 10] Air Corsica opposable à la SARL Kyrn Editions ;

- constaté l'existence de relations commerciales établies d'août 2006 à août 2021 entres la SARL Kyrn Editions et la [Localité 10] Air Corsica, soit pour une durée de quinze années;

- déclaré que la rupture des relations commerciales établies était imputable à la [Localité 10] Air Corsica mais n'avait pas été brutale ;

- débouté la SARL Kyrn Editions de toutes ses demandes ;

- condamné la SARL Kyrn Editions à payer à la [Localité 10] Air Corsica la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 14 mars 2023, la SARL Kyrn Editions a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 février 2025 par la voie électronique, la SARL Kyrn Editions demande à la Cour :

- in limine litis, sur la recevabilité des demandes formulées par la SARL Kyrn Editions en cause d'appel, vu les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, de:

o débouter la [Localité 10] Air Corsica de ses demandes à voire juger nouvelles les prétentions complémentaires de la SARL Kyrn Editions effectuées en cause d'appel ;

ojuger que les demandes complémentaires dépendent entièrement des dispositions du jugement déféré ;

o en conséquence, les juger recevables.

- sur le fond, sur l'inopposabilité à la SARL Kyrn Editions de la lettre de résiliation avec accusé de réception du 23 juin 2020, vu les article 1316 du code civil, 3.2.5 du code des postes et télécommunications et 651, 667, 670 et 685 du code de procédure civile :

o d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 28 février 2023 en ce qu'il a déclaré opposable à la SARL Kyrn Editions le courrier de résiliation du 23 juin 2020 recommandé avec accusé de réception ;

o statuant à nouveau, de juger inopposable à la SARL Kyrn Editions le courrier recommandé avec accusé de réception de résiliation du 23 juin 2020 ;

o le juger privé d'effet de droit et juger qu'il n'a pu faire courir le délai de préavis ;

- vu l'article L 442-1 du nouveau code de commerce :

o d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 février 2023 en ce qu'il a jugé que la relation commerciale entre la SARL Kyrn Editions et la SEM Air Corsica avait une durée de quinze années ;

o statuant à nouveau, de juger que la relation commerciale établie entre la SARL Kyrn Editions et la [Localité 10] Air Corsica a duré vingt-sept années, soit à compter de la date de parution du magazine de bord Aria n° 18 octobre/novembre 1993 jusqu'au mois d'août 2021 ;

o d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 février 2023 en ce qu'il a débouté la SARL Kyrn Editions de ses demandes au titre de la rupture brutale du contrat ;

o statuant à nouveau, de juger imputable à la [Localité 10] Air Corsica la rupture du contrat liant les parties ;

o de juger que la SARL Kyrn Editions est en état de dépendance économique à l'égard de la [Localité 10] Air Corsica ;

o de juger que la rupture conventionnelle a été notifiée le 23 juin 2020 à la SARL Kyrn Editions pour une résiliation à effet au 1er août 2021, soit en pleine période d'état d'urgence liée à la pandémie mondiale de la Covid 19 ;

o d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 février 2023 en ce qu'il a fixé le délai de préavis notifié à treize mois ;

o statuant à nouveau, de juger le délai de préavis de treize mois notifié à la SARL Kyrn Editions insuffisant ;

o de juger que le délai de préavis doit être fixé à trente-six mois compte tenu des circonstances ;

o de juger brutale la rupture du contrat et de la relation commerciale établie depuis vingt-sept années entre les parties ;

o en conséquence, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 février 2023 en ce qu'il a débouté la SARL Kyrn Editions de ses demandes de réparation ;

o statuant à nouveau, dans l'hypothèse où le courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juin 2020 serait déclaré inopposable à la SARL Kyrn Editions, de condamner la [Localité 10] Air Corsica à payer à la SARL Kyrn Editions la somme de 99 175 euros correspondant à la marge brute des trois années sur chiffre d'affaires 2017 à 2019 d'exploitation précédent la rupture du contrat ;

o subsidiairement, dans l'hypothèse où le courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juin 2020 serait déclaré opposable à la SARL Kyrn Editions, de condamner la [Localité 10] Air Corsica à payer à la SARL Kyrn Editions la somme de 99 175 euros correspondant à la marge brute des trois années sur chiffre d'affaires 2017 à 2019 d'exploitation précédant la rupture du contrat de laquelle il sera déduit les treize mois de préavis accomplis pendant la période d'état d'urgence liée à la pandémie de la Covid 19, soit une somme finale de 63 361,78 euros ;

o infiniment subsidiairement, dans l'hypothèse où le courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juin 2020 serait déclaré inopposable à la SARL Kyrn Editions et la dernière année de référence retenue serait l'année 2020, de condamner la [Localité 10] Air Corsica à payer à la SARL Kyrn Editions la somme de 81 342 euros correspondant à la marge brute moyenne des trois années sur chiffre d'affaires 2018 à 2020 d'exploitation précédant la rupture du contrat de laquelle il sera déduit les treize mois de préavis accomplis pendant la période d'état d'urgence liée à la pandémie de la Covid 19, soit la somme finale de 51 978,50 euros ;

o plus subsidiairement :

dans l'hypothèse où seul le délai de préavis légal de l'article L 442-1 du code de commerce serait appliqué et les années de références retenues dans le calcul pour le calcul des indemnités serait les années 2017 à 2019, de condamner la [Localité 10] Air Corsica à verser à la SARL Kyrn Editions la somme de 13 774 euros pour les cinq mois de préavis non effectués ;

dans l'hypothèse où seul le délai de préavis légal de dix-huit mois de l'article L 442-1 du code de commerce serait appliqué et les années de références retenues dans le calcul pour le calcul des indemnités serait les années 2017 à 2019, de condamner la [Localité 10] Air Corsica à verser à la SARL Kyrn Editions la somme de 11 297,50 euros pour les cinq mois de préavis non effectués.

- sur le préjudice moral, d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a débouté la SARL Kyrn Editions de sa demande de réparation au titre du préjudice moral et en ce qu'il a dit que le préjudice n'était pas constitué pour n'être ni actuel ni certain ;

- en tout état de cause statuant à nouveau, de :

o juger que la responsabilité édictée par l'article L 442-1 du code de commerce est une responsabilité délictuelle pour faute ;

o juger qu'il existe bien un lien de causalité entre la faute de la [Localité 10] Air Corsica, soit la rupture contractuelle brutale, et le préjudice moral subi par la SARL Kyrn Editions ;

ojuger le préjudice subi par actuel et certain ;

o condamner la [Localité 10] Air Corsica au paiement de la somme de 99 175 euros représentant la moyenne pondérée de la marge brute des années d'exploitation 2017 à 2019 pour une année d'exercice ;

o subsidiairement, condamner la [Localité 10] Air Corsica au paiement de la somme de 81 342 euros représentant la moyenne pondérée de la marge brute des années d'exploitation 2018 à 2020 pour une année d'exercice ;

- sur les frais irrépétibles :

o d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 28 février 2023 en ce qu'il a condamné la SARL Kyrn Editions au paiement de la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

o statuant à nouveau, de juger que la somme de 4 500 euros sera remboursée à la SARL Kyrn Editions ;

o de débouter la [Localité 10] Air Corsica de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

o de condamner la SEM Air Corsica à payer à la SARL Kyrn Editions, outre la somme de 4 500 euros, celle de 3 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens dont le coût de la sommation interpellative délivrée par la SCP Carole Garin Forestier Genasi.

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 février 2025, la [Localité 10] Air Corsica demande à la Cour, au visa des articles 9, 564, 565, 690 et 694 du code de procédure civile, 1211, 1214, 1215 et 1240 du code civil, L 442-1 II du code de commerce et 700 du code de procédure civile, de :

- à titre principal, confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 28 février 2023 en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire, si par impossible la Cour infirmait le jugement et considérait que la rupture commerciale a été brutale :

o déclarer irrecevable la demande d'indemnisation formée par la SARL Kyrn Editions qui excède le préavis de 12 mois réclamé en première instance en ce qu'il s'agit d'une prétention nouvelle ;

o juger que les prétentions indemnitaires alléguées par la SARL Kyrn Editions ne sont pas justifiées ;

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SARL Kyrn Editions de toutes ses demandes ;

- en tout état de cause :

o condamner la SARL Kyrn Editions à payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

o débouter la SARL Kyrn Editions de ses demandes ;

o condamner la SARL Kyrn Editions à payer à la [Localité 10] Air Corsica la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour procédure abusive.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour rappelle que :

- conformément à l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;

- en application de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel, qui doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation, comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinant les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Ainsi, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

Aussi, si l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et détermine ainsi le périmètre de l'effet dévolutif de l'appel (en ce sens, 2ème Civ., 30 janvier 2020, n° 18-22.528), seules les dernières conclusions fixent l'objet du litige au sens de l'article 4 du code de procédure civile (en ce sens, 2ème Civ., 26 mai 2011, n° 10-18.304, et 1ère Civ., 14 décembre 2004, n° 02-14.937). Dès lors, chaque partie est libre de limiter sa critique à certains des chefs visés dans son appel principal ou incident et la Cour est alors tenue de confirmer ceux qui sont abandonnés mais dont elle demeure saisie par le jeu de l'effet dévolutif.

Or, la SARL Kyrn Editions ne reprend pas dans ses dernières écritures liant la Cour ses prétentions relatives à la " rupture non justifiée du contrat " soumises au tribunal et visées dans sa déclaration d'appel, ses demandes indemnitaires étant désormais exclusivement fondées, tant dans le corps de ses conclusions que dans leur dispositif, sur l'article L 442-1 II du code de commerce. Les chefs de dispositif du jugement entrepris relatifs aux demandes abandonnées ne peuvent ainsi être que confirmés.

1°) Sur la recevabilité des demandes de la SARL Kyrn Editions

Moyens des parties

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la [Localité 10] Air Corsica expose que la SARL Kyrn Editions a augmenté la durée du préavis prétendument éludé (36 mois au lieu de 12 mois sollicité en première instance) et, corrélativement, le quantum de ses demandes, ce dont elle déduit la nouveauté de ces prétentions et leur irrecevabilité en cause d'appel.

En réponse, la SARL Kyrn Editions soutient que ses demandes tendent aux mêmes fins que celles présentées au tribunal et qu'elles sont de ce fait recevables en application de l'article 564 du code de procédure civile.

Réponse de la cour

En application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

En application des articles 564 à 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Néanmoins, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties ne pouvant ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La [Localité 10] Air Corsica motive sa fin de non-recevoir exclusivement par la modification du quantum de ses demandes par la SARL Kyrn Editions. Or, celles-ci étant identiques en leur nature et en leur objet à celles présentées en première instance, abstraction faite de l'abandon de toute demande au titre de la résiliation abusive du contrat, et tendant à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce, la seule augmentation du montant de la demande n'en fait pas une prétention nouvelle (en ce sens, 2ème Civ., 6 juillet 2017, n° 16-19.354, et 7 juin 2012, n° 11-16.378).

En conséquence, la fin de non-recevoir opposée par la [Localité 10] Air Corsica sera rejetée.

2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SARL Kyrn Editions expose que la lettre de résiliation a été adressée à monsieur [R] [B] à titre personnel alors qu'il n'était plus son gérant, qu'il n'y exerçait aucune fonction, la mention de son nom dans l'ours étant purement " honorifique ", et que sa représentante légale, qui n'a pas signé l'accusé de réception, n'en a eu connaissance que tardivement. Elle en déduit que, destinée à un tiers, cette notification, inefficace est nulle ou inopposable en vertu des dispositions combinées des articles 651, 665 et 667 du code de procédure civile. Elle ajoute que le fait que le contrat exécuté au-delà de son terme soit qualifié de contrat à durée indéterminée est sans incidence juridique mais aggrave la brutalité de la rupture des relations commerciales qui ont débuté en 1993 et ont été continue, stable et significative dès cette date, la durée du préavis stipulé au contrat étant indifférente à l'appréciation du délai suffisant au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce qui impose un délai de 18 mois. Invoquant en outre sa situation de dépendance économique et l'exclusivité à laquelle elle s'obligeait, elle estime le préavis éludé à 36 mois. Elle ajoute que la diffusion du magazine Aria a été interrompue dès le mois de mars 2020 en raison de la crise sanitaire, qui ne constitue pas pour la [Localité 10] Air Corsica un cas de force majeure faute de présenter un caractère imprévisible, et que la pandémie aurait dû conduire cette dernière à augmenter la durée du préavis accordé pour éviter que la fin de la relation n'intervienne durant la crise. Elle calcule son préjudice en appliquant sa marge brute au chiffre d'affaires moyen dégagé durant les trois dernières années de relation non affectées par la rupture et par la crise sanitaire (2017 à 2019). Elle ajoute subir un préjudice moral causé par la rupture brutale des relations commerciales établies mais également par la résiliation abusive du contrat.

En réponse, la [Localité 10] Air Corsica expose qu'un courrier de notification de rupture n'est pas un acte de procédure et ne peut être annulé en application des articles 117, 665 et 694 du code de procédure civile. Elle ajoute que cette lettre a été adressée à la SARL Kyrn Editions prise en la personne de monsieur [R] [B] qu'elle croyait être en fonction puisqu'il était désigné dans l'ours comme directeur technique et de la conception graphique, cette erreur éventuelle étant quoi qu'il en soit indifférente à l'efficacité de la notification puisque le courrier a été réceptionné par la SARL Kyrn Editions à son siège social. Elle précise que le fait que monsieur [R] [B] ait pu, de fait, retirer le pli, ce qu'elle considère comme non démontré, n'a aucune incidence, la jurisprudence retenant de manière constante que, dans le cadre d'une notification destinée à une personne morale de droit privé réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception, si la lettre recommandée est adressée au siège social de cette personne morale, la signature sur l'avis de réception est réputée avoir été apposée par le représentant légal ou une personne habilitée. Elle en déduit avoir notifié par écrit un préavis de 13 mois qu'elle estime suffisant au regard de la durée de la relation qui a débuté le jour de la signature du contrat, les publications antérieures du magazine Aria étant sporadiques, et de l'absence de dépendance économique de la SARL Kyrn Editions, l'exclusivité ne concernant que le magazine Aria et n'interdisant pas la diversification de son activité par la SARL Kyrn Editions qui ne prouve aucun investissement dédié à la relation. Elle ajoute que la crise sanitaire, qui constituait un évènement imprévisible et insurmontable qui lui était étranger et sur lequel elle n'avait aucune prise, n'influe pas sur la durée du préavis. Elle précise enfin que le préavis de 18 mois prévu par l'article L 442-1 II du code de commerce n'est qu'une limite maximale exclusive de responsabilité qui n'interdit pas la fixation d'une durée inférieure adaptée aux caractéristiques de la relation concrètement appréciées.

Subsidiairement, elle conteste les calculs opérés par la SARL Kyrn Editions en ce qu'ils sont contradictoires au point de devenir incompréhensibles et s'appuient non sur sa marge mais sur son chiffre d'affaires ainsi que sur des années non pertinentes faute d'être les dernières de la relation. Enfin, elle nie le préjudice moral allégué et relève que la SARL Kyrn Editions le détermine selon les mêmes modalités que son préjudice économique, signe qu'elle recherche en réalité la double indemnisation d'un préjudice unique.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque " la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale " et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

La [Localité 10] Air Corsica ne nie pas le caractère établi des relations commerciales mais conteste leur ancienneté en estimant qu'elles ont débuté non en 1991 ou en 1994 mais lors de la conclusion du contrat d'édition le 1er août 2006. Pour démontrer l'existence d'une relation établie entre ces dates, la SARL Kyrn Editions produit les magazines Aria édités par ses soins en octobre/novembre 1993, avril/mai 1994, février 1995, janvier 1997, décembre 1998, avril 2000, janvier 2001, décembre 2002/janvier 2003, décembre 2003/janvier 2004, avril 2005, juillet 2005, décembre 2005/janvier 2006 et avril 2006 (ses pièces 10 et 36 à 42).

Or, la [Localité 10] Air Corsica souligne sans être utilement contredite que plusieurs sociétés tierces se sont vu confier la charge de l'édition de ce magazine avant 2006. Aussi, en l'absence de tout document comptable ou de factures permettant de quantifier le flux d'affaires et d'en apprécier la continuité et la stabilité ainsi que de référence par le contrat liant les parties à une relation antérieure, ces éléments révèlent entre 1993 et 2006 une livraison sporadique du magazine (un numéro par an jusqu'en 2005 avec des interruptions en 1996 et 1999) caractérisant une relation commerciale réelle mais non établie au sens de l'article L 442-1 II du code de commerce. Le seul fait que le contrat mentionne la conversion d'une somme exprimée en francs en euros peut certes confirmer l'existence d'une relation antérieurement nouée, ce qui est constant, mais n'induit en rien son caractère établi et n'est ainsi pas de nature à combattre cette analyse. Et, le caractère établi des relations n'étant pas démontré antérieurement à la signature du contrat de 2006, que ce soit à l'endroit des autres sociétés de la famille [B] ou de la SARL Kyrn Editions, la question de leur poursuite par cette dernière n'est pas pertinente, la commune intention des parties à ce titre n'étant quoi qu'il en soit pas prouvée.

En conséquence, les relations commerciales nouées par les parties étaient, conformément à la reconnaissance de la [Localité 10] Air Corsica, établies à compter du 1er août 2006. Au jour de la notification, contestée, de la rupture le 23 juin 2020, leur ancienneté était de 14 ans.

Aux termes des attestations comptables produites par la SARL Kyrn Editions, le chiffre d'affaires réalisé grâce à la relation était de 125 652 euros en 2017, 114 925 euros en 2018, 90 010 euros en 2019 et 66 207 euros en 2020 et représentait l'intégralité de son chiffre d'affaires global de 2017 à 2020 (ses pièces 24a et b, 30 et 31), l'intégralité de la rémunération perçue par la SARL Kyrn Editions n'étant pas versée par la [Localité 10] Air Corsica mais par les annonceurs dont elle diffusait les publicités dans son magazine (article 2 du contrat).

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant

L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Enfin, l'article L 442-1 II du code de commerce n'impose pas un préavis systématiquement et abstraitement fixé à 18 mois au moins mais prévoit une exonération de responsabilité en cas d'octroi d'un tel préavis. Aussi, l'argument de la SARL Kyrn Editions déduisant l'insuffisance du préavis accordé du fait qu'il est inférieur à cette durée est inopérant.

Sur la réalité de la notification de la rupture

La SARL Kyrn Editions sollicite la nullité ou l'inopposabilité du courrier du 23 juin 2020. Cependant, une lettre de rupture n'est pas un acte de procédure visé par l'article 694 du code de procédure civile et n'est pas soumis au régime des nullités des articles 112 et suivants et 117 et suivants du même code. La seule question pertinente est celle de la preuve, librement administrée s'agissant d'un fait juridique, de l'existence et de l'efficacité d'une notification écrite de fin de relation et de préavis.

A ce titre, la lettre du 23 juin 2020 (pièce 5 de l'intimée), qui a pour objet la " résiliation du contrat liant Air Corsica et la SARL Kyrn Editions, entré en vigueur au 1/08/2006 ", identifie son destinataire en ces termes :

SARL Kyrn Editions

Monsieur [R] [B]

[Adresse 7]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Première visée, désignée par sa dénomination sociale et localisée à l'adresse de son siège social, la SARL Kyrn Editions est sans la moindre ambiguïté la personne à qui est envoyé ce courrier, ce que confirme le libellé, clair, de son objet et son contenu, à son tour univoque. De ce fait, ainsi qu'il est d'usage, la personne physique mentionnée en second est nécessairement prise, non à titre personnel, mais en tant qu'organe la représentant juridiquement et l'incarnant physiquement pour réceptionner et lire le document qui lui est adressé.

S'il est exact que monsieur [R] [B] n'est plus son représentant légal depuis le 1er janvier 2009 (pièces 3a et b de l'appelante), la gérance étant depuis cette date assumée par sa s'ur, madame [W] [B], il était néanmoins le signataire du contrat du 1er aout 2006 pour le compte de la SARL Kyrn Editions (pièce 1 de l'intimée) et était désigné dans l'ours du magazine Aria comme assurant sa direction technique et sa conception graphique à l'époque de la notification (pièce 3 de l'intimée), peu important que cette mention, qui informe les tiers et engage son auteur, soit en réalité purement " honorifique " (pièce 11 de l'appelante), justification inconnue de toute personne extérieure à l'entreprise. Aussi, pour la [Localité 10] Air Corsica, monsieur [R] [B] était une personne habilitée à recevoir la notification pour le compte de la SARL Kyrn Editions, ce que confirme le fait qu'il ait pu réceptionner le pli ou l'avis de passage déposé dans sa boite aux lettres et signer l'accusé de réception en son nom (pièces 2 de l'appelante et 6 de l'intimée).

De ce fait, l'erreur commise par la [Localité 10] Air Corsica est objectivement justifiée par le comportement de la SARL Kyrn Editions qui ne prouve pas l'avoir informée de son changement de gérant. Celui-ci ne pouvait se déduire des seuls échanges produits (pièces 12 à 17 de l'appelante), madame [W] [B], qui ne mentionnait sa qualité de gérant ni dans le corps de ses courriels ni dans sa signature, pouvant être l'interlocutrice habituelle de sa cocontractant à raison de sa qualité de directrice de la publication et de rédactrice en chef. Par ailleurs, si les règles applicables à la nullité des actes de procédure ne sont pas applicables au litige, elles peuvent être utilement mobilisées pour servir l'analogie faite par la [Localité 10] Air Corsica, les actes de procédure étant soumis à un régime plus strict et protecteur que les courriers extrajudiciaires que s'adressent des partenaires commerciaux. Or, dans ce cadre, l'erreur dans la désignation du représentant d'une personne morale, à la supposer non provoquée, ne constitue qu'une irrégularité pour vice de forme n'entraînant la nullité de l'acte qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief qu'elle lui cause (en ce sens, 2ème Civ., 14 novembre 2019, n° 18-20.303). Alors que monsieur [R] [B], ancien dirigeant et signataire du contrat litigieux, est le frère de la gérante de la SARL Kyrn Editions et que leurs relations apparaissent suffisamment bonnes pour qu'il soit crédité dans l'ours d'une fonction essentielle qu'il n'occupe en réalité pas, la thèse d'une découverte puis d'une remise tardives de ce courrier " non ouvert et oublié dans un coin " n'est pas vraisemblable, constat qui exclut tout grief subi par la SARL Kyrn Editions.

En conséquence, la [Localité 10] Air Corsica a régulièrement notifié à la SARL Kyrn Editions la rupture de leurs relations commerciales le 23 juin 2020 en lui accordant expressément un préavis de 13 mois expirant le 1er août 2021.

Sur la brutalité de la rupture

Ainsi qu'il a été dit, la relation a duré 14 ans au jour de sa notification et la [Localité 10] Air Corsica était l'unique cliente de la SARL Kyrn Editions, ce dont cette dernière déduit son état de dépendance économique.

Celui-ci, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Kyrn Editions, intégralement rémunérée par les annonceurs diffusant des publicités dans son magazine. Et, l'exclusivité stipulée à l'article 1er contrat litigieux ne concernant que l'édition de la revue Aria, elle était libre de diversifier sa clientèle, y compris au sein de compagnies aériennes d'envergure équivalente ou supérieure à celle de la [Localité 10] Air Corsica qui n'est pas la seule à opérer en Corse et est de ce fait aisément substituable, en éditant d'autres revues pour les besoins d'autres acteurs du transport entre la Corse et le continent ou plus généralement du tourisme, le cas échéant de contenu similaire. A cet égard, la fréquence de parution n'impliquait pas à elle seule une charge de travail telle qu'elle mobiliserait l'ensemble des moyens productifs de la SARL Kyrn Editions sur l'année entière. Tandis que ses prestations, qui portaient sur l'histoire, le patrimoine et la culture Corse ainsi que sur les voyages, n'impliquaient ni technicité ni savoir-faire spécifiques, la SARL Kyrn Editions ne démontre aucun investissement engagé pour nouer, maintenir et favoriser la relation commerciale, l'installation d'un présentoir en salle d'arrivée de l'aéroport [9] en juillet 2020, soit postérieurement à la notification de la rupture, étant sur ce plan insignifiante (pièce 19 de l'appelante).

De ce fait, rien n'explique l'absence de diversification de sa clientèle par cette dernière. Aussi, quoique factuellement réelle puisque la SARL Kyrn Editions réalisait la totalité de son chiffre d'affaires la [Localité 10] Air Corsica, sa dépendance économique, qui n'avait pas été portée à la connaissance de l'appelante, ne justifie pas un allongement de la durée du préavis. Il en est de même de la crise sanitaire survenue en 2020 qui constitue un évènement imprévisible lors de son déclenchement, étranger à la [Localité 10] Air Corsica et insurmontable pour l'ensemble des compagnies aériennes contraintes de suspendre leurs activités.

Au regard de ces éléments combinés, le tribunal a justement retenu que le préavis accordé le 23 juin 2020, supérieur à celui contractuellement prévu (article 5), était suffisant et rejeté en conséquence les demandes de la SARL Kyrn Editions, qui estimait initialement cette durée adéquate, au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef, la Cour précisant à titre surabondant que son appréciation n'aurait pas été modifiée si elle avait retenue l'existence d'une relation établie dès 1991, l'augmentation de la durée du partenariat n'impliquant pas, au regard de ses caractéristiques et de son objet concrètement appréciés, celle du temps nécessaire à la réorientation de son activité par l'appelante.

La Cour constate enfin que :

- quoiqu'elle évoque des difficultés d'exécution du préavis durant la période de crise sanitaire, la SARL Kyrn Editions ne forme aucune demande au titre de l'ineffectivité totale ou partielle du préavis accordé ;

- en l'absence de toute demande relative à la résiliation abusive du contrat, la question de sa durée est sans incidence sur le litige et ne sera de ce fait pas examinée.

3°) Sur la procédure abusive

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Au sens de ces textes, l'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.

La SARL Kyrn Editions a, dans l'introduction et la conduite de l'instance, fait preuve d'une mauvaise foi toute particulière qui s'exprime dans :

- sa contestation d'une notification à l'évidence régulière et efficace à raison d'une erreur sans portée juridique qu'elle avait suscitée, argument constituant pourtant l'élément central de sa motivation puisque la SARL Kyrn Editions soutenait en première instance que l'octroi d'un préavis de 12 mois était suffisant (page 11 du jugement entrepris) ;

- la modification substantielle mais non motivée du quantum de ses demandes à rebours de la position adoptée devant les premiers juges pour justifier très artificiellement son recours.

Pour autant, la [Localité 10] Air Corsica, qui ne prouve pas que la SARL Kyrn Editions ait mis ses menaces de publicisation de l'affaire à exécution (pièce 6 de l'appelante), ne démontre pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle allègue ni qu'il soit distinct de celui né de la nécessité de se défendre en justice qui est exclusivement réparé par l'allocation d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, la demande reconventionnelle de la [Localité 10] Air Corsica sera rejetée.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SARL Kyrn Editions, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la [Localité 10] Air Corsica la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande reconventionnelle de la [Localité 10] Air Corsica au titre de la procédure abusive ;

Rejette la demande de la SARL Kyrn Editions au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL Kyrn Editions à payer à la [Localité 10] Air Corsica la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Kyrn Editions à supporter les entiers dépens d'appel.

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