CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 4 avril 2025, n° 22/05952
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ordo (SARL)
Défendeur :
Inea Prom (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tardy
Conseillers :
Mme Szlamovicz, M. Senel
Avocats :
Me Etevenard, Me Mercier, SCP Cavallini Pointu et Associés
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 29 septembre 2014, la société Inea Prom a signé avec la société Construker un marché forfaitaire de travaux portant sur la construction d'un ensemble immobilier à [Localité 6].
Le 7 octobre 2016, la société Construker a signé avec la société Ordo un marché à forfait portant sur les lots de charpente et de couverture.
Le 16 octobre 2018, la société Ordo a envoyé en lettre recommandée avec accusé de réception à la société Construker une mise en demeure pour obtenir le paiement d'un montant de 41 591,85 euros représentant le solde de ses travaux.
Le 4 janvier 2019, n'ayant pas obtenu satisfaction, la société Ordo a adressé à la société Inea Prom une demande de paiement direct. Cette demande a été réitérée le 3 juin 2019.
Le 10 juillet 2020, la société Ordo a assigné la société Inea Prom en paiement du solde des travaux.
Par jugement du 10 février 2022, le tribunal de commerce d'Evry a statué en ces termes :
Déboute la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975,
Déboute la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre de l'article 1231-1 du code civil,
Déboute la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre des articles 1240 à 1244 du code civil,
Déboute la société Ordo de sa demande de dommage et intérêts,
Déboute la société Ordo de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande visant à écarter l'exécution provisoire,
Condamne la société Ordo à payer à la société Inea Prom la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Ordo aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés a la somme de 166,61 euros TTC.
Par déclaration en date du 18 mars 2022, la société Ordo a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société Inea Prom.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 mai 2024, la société Ordo demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu le 10 février 2022 par le tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a :
débouté la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975,
débouté la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre de l'article 1231-1 du code civil,
débouté la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre des articles 1240 à 1244 du code civil,
débouté la société Ordo de sa demande de dommages et intérêts, débouté la société Ordo de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
condamné la société Ordo à payer à la société Inea Prom la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Ordo aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 166,61 euros TTC.
Et statuant à nouveau,
Condamner la société Inea Prom à payer à la société Ordo la somme de 41 591,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2020, date d'une mise en demeure ;
Condamner la société Inea Prom à payer à la société Ordo la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de mauvaise foi, et la condamner à payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement,
Dire que la société Inea Prom a agi de manière fautive au préjudice de la société Ordo, en la trompant sur ses intentions,
En répartition du préjudice causé, condamner la société Inea Prom à payer à la société Ordo la somme de 41 591,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 2020, date d'une mise en demeure,
Condamner la société Inea Prom à payer à la société Ordo la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de mauvaise foi, et la condamner à payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En toute hypothèse,
Débouter la société Inea Prom de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société Inea Prom aux entiers dépens de première instance et d'appel, dans lesquels seront compris les frais d'une hypothèque judiciaire conservatoire liquidés à 345 euros, en ce non compris les frais de signification.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2024, la société Inea Prom demande à la cour de :
A titre principal
Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,
Débouter la société Ordo de sa demande fondée sur l'action directe,
Débouter la société Ordo de sa demande subsidiaire sur le fondement des articles 1240 à 1244 du code civil,
En conséquence
Débouter la société Ordo de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau compte tenu des pièces produites 3, 4 et 6 devant la cour par la société Ordo qui sont formellement contestées,
Condamner la société Ordo à verser à la société Inea Prom la somme de 10 000 euros pour son préjudice moral qui met en cause son impartialité,
Condamner la société Ordo à payer à la société Inea Prom la somme de 6 000 euros TTC par application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés devant la cour,
Condamner la société Ordo en tous les dépens,
Dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Me Pointu, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 30 mai 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 16 janvier 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur l'action directe de la société Ordo sur le fondement de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975
Moyens des parties
La société Ordo soutient qu'elle établit son agrément par la société Inea Prom en établissant l'existence d'actes positifs sans équivoque de telle sorte qu'elle justifie qu'elle a bénéficié d'un agrément tacite.
Elle souligne les faits suivants :
la société Inea Prom a signé un devis établi par la société Ordo concernant les travaux à sous-traiter,
M. [V], associé minoritaire de la société Inea Prom, a signé un chèque d'acompte de 20 288,95 euros émis sur le compte de la société Construker, ce qui établit les relations très proches entre la société Inea Prom et Construker,
la société Inea Prom évoque dans ses échanges de courriels avec la société Ordo un accord sur les modalités de paiement de cette dernière,
dans des courriels des 27 avril et 31 juillet 2018, la société Inea Prom forme à l'attention de la société Ordo des demandes précises d'intervention sur le chantier,
Les comptes-rendus de chantier démontrent la présence de la société Ordo sans la moindre objection de la société Inea prom qui l'invite même à une réunion de réception du chantier.
La société Inea Prom fait valoir que les éléments produits par la société Ordo ne lui permettent pas de se prévaloir d'un agrément tacite.
Elle relève que :
Les devis du 1er septembre et du 16 septembre 2016 émis par la société Ordo ont été signés par M. [V] qui n'avait pas le pouvoir de représenter la société Inea Prom, que le premier devis n'a pas reçu la moindre exécution et que sur le deuxième devis le nom de la société Ordo a été barré pour être remplacé par celui de la société Construker,
Il n'est pas établi la preuve que le chèque tiré sur le compte de la société Construker de 20 288,95 euros aurait été signé par M. [V],
Les courriels du 27 avril 2018 et du 20 octobre 2017 ne constituent pas des engagements de paiement pris à l'égard de la société Ordo, la société Inea Prom étant seulement intervenue auprès de la société Construker pour s'assurer du paiement par cette dernière de la société Ordo,
Si la société Inea Prom a demandé à la société Ordo un devis pour l'installation de lignes de vie et de désenfumage des cages d'escalier, ce devis n'a jamais été envoyé ni les travaux effectués et qu'il n'y a pas eu d'autres travaux supplémentaires réalisés par la société Ordo à la demande de la société Inea Prom,
Il ne peut être déduit des pièces présentées comme des comptes-rendus de chantier que le gérant de la société Inea Prom aurait été présent lors des réunions de chantier alors que la société Inea Prom a engagé la responsabilité du maître d''uvre, rédacteur des pièces litigieuses, en raison de sa carence dans le suivi du chantier et que ces comptes-rendus n'apportent aucune indication sur la prestation de la société Ordo.
Réponse de la cour
Il résulte de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 que l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage.
Aux termes de l'article 12 de cette même loi, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l'ouvrage.
Il s'en déduit que les sous-traitants n'ont une action directe contre le maître de l'ouvrage que si celui-ci a accepté chaque sous-traitant et agréé les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance (Ch. mixte., 13 mars 1981, pourvoi n° 80-12.125, Bull civ., chambre mixte, n°3).
L'acceptation tacite ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant (3e Civ., 18 juillet 1984, pourvoi n° 83-11.401, Bull.1984 III) et la simple connaissance par le maître de l'ouvrage de l'existence d'un sous-traitant ne suffit pas à caractériser son acceptation ni l'agrément des conditions de paiement du sous-traité (3e Civ., 13 septembre 2005, pourvoi n° 01-17.221, Bull. 2005, III, n° 162).
Il a été jugé que le fait que des travaux aient été directement sous-traités par l'entrepreneur principal au sous-traitant et que le maître de l'ouvrage ait signé les procès-verbaux de réception, reconnaissant ainsi que les marchés ont été exécutés conformément aux stipulations des marchés conclus avec le sous-traitant et qu'ils satisfont à leurs conditions financières, ne suffisait pas à caractériser la volonté manifeste et sans équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer les conditions de paiement (3e Civ., 3 mars 1999, pourvoi n° 97-14.715, Bulletin civil 1999, III, n° 56).
Au cas d'espèce, la société Ordo ne peut se prévaloir de l'émission de deux devis les 1er septembre 2016 et le 16 septembre 2016 portant sur les lots charpente et couverture et qui auraient été signés par la société Inea Prom, ces contrats n'ayant jamais reçu exécution de la part des sociétés Ordo et Inea Prom puisque les prestations portent sur des lots qui ont, par la suite, été exécutés par la société Ordo dans le cadre du marché conclu le 7 octobre 2016 avec la société Construker. Par ailleurs, le premier devis ne porte que sur des prestations pour un montant total de 8 094,15 euros HT et sur le deuxième il n'est pas indiqué le nom du signataire, la mention du destinataire du devis qui était " Inea Prom " ayant été barrée pour indiquer la société " Construker ". Enfin dans un courriel du 15 septembre 2016 de M. [V], associé minoritaire de la société Inea Prom, à l'attention de M. [F], gérant de la société Ordo, ce dernier lui fait part de la transmission d'un devis pour intervention " revêtu de notre signature et du cachet de l'entreprise " en précisant que les coordonnées exactes de l'entreprise sont " Construker [Adresse 2] ".
Ces devis ne sauraient donc constituer un élément de nature à caractériser la volonté manifeste et sans équivoque de la société Inea Prom d'accepter le sous-traitant et d'agréer les conditions de paiement.
Concernant la signature du chèque d'acompte le 30 novembre 2016 par M. [V], bien que l'identité de l'auteur de la signature soit contestée, il ne pourrait en tout état de cause pas en être déduit un quelconque agrément de la société Ordo en qualité de sous-traitant alors que ce chèque a été tiré sur le compte de la société Construker.
Les courriels des 27 avril et 31 juillet 2018 dans lesquels la société Inea Prom évoque l'intervention de la société Ordo et le paiement de ses prestations ne constituent pas une preuve de l'agrément de la société Ordo et de ses conditions de paiement, dès lors qu'il ne peut en être déduit une volonté manifeste et non équivoque de revenir sur sa position telle qu'énoncée dans la lettre recommandée du 22 février 2017 adressée à la société Construker, dans laquelle la société Inea Prom manifestait clairement son refus d'accepter la société Ordo en qualité de sous-traitante.
Enfin la mention de la société Ordo dans les comptes-rendus de chantier ne peut caractériser que l'intervention effective de cette dernière sur le chantier sans qu'il ne puisse en être tiré aucune conséquence quant à son agrément en qualité de sous-traitante par le maître d'ouvrage.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975.
Sur la responsabilité délictuelle de la société Ordo
Moyens des parties
La société Ordo soutient que la société Inea Prom a commis une faute en lui promettant un paiement, qu'il en résulte un préjudice, consistant en l'absence de paiement des travaux exécutés et un lien de causalité puisque c'est en raison des promesses de la société Inea Prom que la société Ordo a terminé le chantier.
La société Inea Prom fait valoir qu'elle n'a pas commis de faute et n'a pas essayé de tromper la société Ordo. Elle souligne qu'elle ne s'est pas engagée à payer directement la société Ordo mais a tenté d'obtenir que la société Construker le fasse et qu'elle a elle-même réglé une somme importante à la société Construker sans que cette dernière n'ait terminé les lots qui lui avaient été confiés. Elle conteste toute collusion frauduleuse avec la société Construker et observe que la société Ordo ne peut reprocher à la société Inea Prom sa propre négligence.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Au cas d'espèce, ainsi qu'il a été justement analysé par les premiers juges, la société Ordo n'apporte pas la preuve que la société Inea Prom lui aurait promis un paiement afin d'obtenir l'exécution de travaux sans intention de la régler.
A défaut d'établir l'existence d'une faute imputable à la société Inea Prom, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Ordo de sa demande de paiement de 41 591,82 euros au titre des articles 1240 à 1244 du code civil.
Sur les demandes de dommages et intérêts de la société Ordo et de la société Inea Prom
Les demandes de la société Ordo ayant été rejetées comme étant mal fondées, elle ne peut faire grief à la société Inea Prom d'avoir résisté abusivement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Ordo.
La société Inea Prom n'apporte pas la preuve que la société Ordo aurait commis une faute en soutenant que M. [V] aurait signé des devis et un chèque émanant du compte de Construker alors qu'il résulte des pièces produites aux débats qu'une certaine confusion existe sur les rôles respectifs de la société Inea Prom, de la société Construker et de M. [V] dans la réalisation de l'opération de construction sans qu'il ne puisse être établi une volonté de la société Ordo de nuire à la société Inea Prom dans le cadre du débat judiciaire. Au surplus, la société Inea Prom n'apporte pas la preuve du préjudice moral qu'elle allègue.
Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société Ordo, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Inea Prom la somme de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles.
Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Rejette la demande de dommages et intérêts de la société Inea Prom ;
Condamne la société Ordo aux dépens d'appel ;
Admet les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ordo et la condamne à payer à la société Inea Prom la somme de 3 000 euros.