CA Toulouse, 2e ch., 8 avril 2025, n° 22/02655
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jorik (SCI)
Défendeur :
Pylones (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Moulayes, M. Norguet
Avocats :
Me Elkaim, Me Sorel, Me Dalmayrac
Faits et procédure
Par acte authentique du 20 janvier 2010, la Sci Jorik a donné à bail à la Sas Pylones le lot n°12 situé dans le volume 2 d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 2] et [Adresse 1] à [Localité 7] constitué selon le bail « au rez de chaussée de l'immeuble, à droite en regardant la façade, en donnant sur la [Adresse 6] », d'un local d'une surface « d'environ 90 m2 ».
Le bail a été consenti pour une durée de 9 ans commençant à courir le 1er février 2010 et se terminant le 31 janvier 2019 moyennant un loyer d'un montant de 120 000 euros par an hors taxes et hors charges.
Par exploit d'huissier en date du 13 juin 2019, la Sas Pylones a sollicité le renouvellement du bail à effet du 1er juillet 2019 pour une nouvelle durée de 9 ans.
Par exploit d'huissier en date du 1er juillet 2019, la Sci Jorik a notifié son accord sur le principe du renouvellement du bail.
En l'absence d'accord entre les parties sur la fixation du loyer de renouvellement, la Sas Pylones a notifié son mémoire préalable par exploit d'huissier en date du 5 février 2020 afin d'obtenir la fixation du loyer à la somme de 48 420 euros hors charges et hors taxes annuelles.
Par exploit d'huissier en date du 14 mai 2020, la Sas Pylones a assigné la Sci Jorik devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Toulouse et a réitéré les termes de son mémoire préalable.
Par jugement avant dire droit en date du 2 mars 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Toulouse a ordonné une expertise et a commis Madame [W] en qualité d'expert judiciaire.
Madame [W] a déposé son rapport le 15 novembre 2021.
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a :
- rappelé que le bail unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2019,
- fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 64 024 euros hors taxes et hors charges par an,
- dit que la Sci Jorik est tenue du remboursement du différentiel entre le loyer versé et le montant du loyer fixé par le présent jugement depuis le 1er juillet 2019 avec intérêts au taux légal sur chaque échéance à compter du 14 mai 2020 et avec capitalisation annuelle des intérêts dès lors qu'ils sont dus pour une année entière,
- laissé les dépens en ce compris les frais de l'expertise judiciaire à la charge de la Sci Jorik,
- condamné la Sci Jorik à payer à la Sas Pylones la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le présent jugement est de plein droit exécutoire par provision.
Par déclaration en date du 13 juillet 2022, la Sci Jorik a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :
- rappelé que le bail unissant les parties a une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2019,
- fixé le loyer du bail renouvelé à 64 024 euros hors taxes et charges par an,
- dit que la Sci Jorik est tenue du remboursement du différentiel entre le loyer versé et le montant du loyer fixé par le jugement depuis le 1er juillet 2019 avec intérêts au taux légal sur chaque échéance à compter du 14 mai 2020 et avec capitalisation annuelle des intérêts dès lors qu'ils sont dus pour une année entière,
- laissé la totalité des dépens à la charge de la Sci Jorik en ce compris ceux de l'expertise et l'a condamnée à payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du cpc.
Le même jour, la Sci Jorik a procédé à un second appel rectificatif.
Par ordonnance du 17 août 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures sous le n° RG 22-2655.
Par conclusions en date du 12 janvier 2023, la Sas Pylones a saisi le magistrat chargé de la mise en état d'un incident de procédure au visa de l'article 524 du code de procédure civile aux fins de radiation de l'affaire et qu'il lui soit versé 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 9 novembre 2023, le conseiller de la mise en état de la Cour d'appel de Toulouse a :
- déclaré irrecevable la demande de radiation,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 14 décembre 2023 à 14 heures,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture est intervenue le 16 décembre 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience du 21 janvier 2025.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions d'appelante récapitulative n°2 portant réponse à appel incident notifiées le 12 avril 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sci Jorik demandant, au visa des articles R145-8 et R145-23 du code de commerce, de :
- déclarer la société Jorik recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
- rejeter l'appel incident formé par la société Pylones comme étant infondé,
Et par conséquent :
- infirmer purement et simplement le jugement en date du 7 juin 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
- à titre principal :
- fixer la surface utile des locaux loués en considération de la configuration des locaux au jour de la prise d'effet du bail à 90 m²,
- fixer la surface pondérée des locaux loués en considération de la consistance des locaux loués au jour de la prise d'effet du bail à 82,15 m²,
- fixer la valeur locative unitaire à 1 300 '/ m² p en tenant compte des modalités de fixation du loyer initial,
- fixer en conséquence le loyer de renouvellement depuis le 1er juillet 2019 à la somme de 106 795 euros ht hc annuel,
- concernant la restitution du trop-perçu de loyer, renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
- à titre subsidiaire, si d'aventure la Cour devait s'estimer insuffisamment éclairée sur la surface pondérée et la prise en compte des modalités de fixation du loyer d'origine, ordonner une mesure d'expertise et désigner tel expert qu'il vous plaira afin de réaliser une mission complémentaire visant à :
- déterminer la surface pondérée à partir de la réparation des surfaces au jour de la prise d'effet du bail,
- fournir tous les éléments utiles à l'estimation de la valeur locative en tenant compte des modalités de fixation du loyer d'origine,
- à titre infiniment subsidiaire, pour le cas où la Cour devrait ne pas retenir la surface pondérée sollicitée par la société Jorik et ne pas ordonner de mesure d'expertise complémentaire,
- prendre acte que la société Pylones reconnaît que la surface pondérée est à minima de 64,55 m² p et non de 60,40 m² et fixer le loyer de renouvellement en conséquence,
- en tout état de cause,
- condamner la société Pylones à payer à la société Jorik la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens d'instance.
Elle estime que la surface utile des locaux doit être calculée abstraction faite des travaux du locataire, en considération de leur consistance d'origine, et qu'en conséquence la surface pondérée doit être supérieure à celle retenue par le premier jugement.
Elle conteste également la valeur unitaire retenue, en ce qu'elle ne tient pas compte de l'absence de versement initial d'un pas-de-porte, ce qui a eu pour effet de fixer le loyer à la hausse.
Vu les conclusions d'intimée portant appel incident par devant la cour d'appel notifiées le 12 janvier 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Pylones demandant, au visa des articles L145-33, R145-8 et R145-23 du code de commerce, de :
- réformer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux près le tribunal judiciaire de Toulouse en date du 7 juin 2022 seulement en ce qu'il devait fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 64 024 hors taxes, hors charges annuel,
Statuant à nouveau,
- fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 59 805,57 euros hors taxes hors charges à effet du 1er juillet 2019,
- réformer pour le surplus le jugement entrepris,
- condamner la société Sci Jorik à régler à la société Pylones une somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- mettre à sa charge les entiers dépens de l'instance.
La société preneuse conteste également la surface pondérée retenue par le premier juge, l'estimant trop élevée, et sollicite que la valeur unitaire soit revue à la baisse, sans tenir compte de l'absence de versement d'un pas-de-porte qui est sans effet sur le montant du loyer, et en considérant les valeurs de référence de son propre expert.
MOTIFS
Il convient de rappeler qu'aux termes du jugement du 2 mars 2021 qui n'a pas été contesté par les parties, le bail a été renouvelé pour une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 2019.
La Cour est saisie de la fixation du loyer du bail renouvelé à cette date.
Sur le montant du loyer du bail renouvelé
Il résulte de l'article L 145-33 du code de commerce que le loyer doit être plafonné en fonction de la variation indiciaire.
Le loyer « plafond » est un loyer butoir qui empêche le bailleur d'obtenir un loyer égal à la valeur locative si celle-ci est supérieure audit plafond, mais comme son nom l'indique, il joue à sens unique.
Ainsi, si la valeur locative est inférieure au loyer plafonné, c'est elle qui doit être appliquée sans que le locataire ait à justifier d'une exception au principe du plafonnement.
Selon l'expert judiciaire, le loyer plafond s'élève à la somme de 134 804,50 euros par an hors taxes et hors charges ; les parties invoquent toutes deux une valeur locative inférieure au loyer résultant de la variation indiciaire.
Il revient donc à la Cour de déterminer le montant de la valeur locative selon les critères déterminés par l'article L145-33 du code de commerce, à savoir des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Sur la fixation de la valeur locative, les parties s'opposent sur la détermination de la surface réelle des locaux, sur leur surface pondérée, ainsi que sur la valeur unitaire, et notamment sur la prise en compte du versement d'un droit d'entrée, et des éléments de comparaison retenus par l'expert judiciaire.
Sur la surface réelle des locaux
La Sci Jorik conteste en premier lieu la surface réelle des locaux, telle que retenue par le premier juge, et résultant du certificat de mesurage réalisé par Monsieur [N] le 19 octobre 2021, repris par l'expert judiciaire.
Elle affirme que la surface retenue est inférieure à la surface donnée à bail, et rappelle que le bail comporte une clause d'accession, donnant en fin de bail la propriété à la bailleresse de toutes les améliorations réalisées dans le local ; elle en conclut que l'expert ne pouvait retenir que la surface initialement donnée à bail, et non celle résultant de la transformation des locaux par le preneur.
La Cour constate toutefois que la société bailleresse échoue à démontrer que la différence entre la surface visée dans le bail, et celle mesurée par Monsieur [N], résulte de transformations réalisées par la société Pylones.
En effet, le bail signé entre les parties le 20 janvier 2010 vise un « local commercial d'environ 90 m² en rez-de-chaussée » ; s'il est indiqué qu'un plan est annexé au bail, force est de constater que le bail versé aux débats ne comporte aucune annexe.
La société bailleresse verse aux débats en pièce n°13 un plan de masse dont la date n'est pas précisée, et sans qu'il soit démontré que c'est bien ce plan qui était annexé au bail.
Cette surface de 90 m² ne résulte donc que d'une approximation sans réel mesurage.
La Sci Jorik produit un plan datant de 1994, afin de démontrer que les locaux ont été modifiés par le preneur ; ces plans ne comportent aucun mesurage, et la comparaison avec le plan dressé par Monsieur [N] permet de constater que la seule différence est l'édification de deux cloisons partielles séparant l'espace de vente et la réserve.
La différence de mesurage entre le bail (90 m²) et le certificat de Monsieur [N] (78,1 m²) ne peut pas résulter de la mise en place de ces deux seules cloisons.
La société bailleresse verse également aux débats ce qu'elle indique être un « certificat loi Carrez du 29 septembre 2005 faisant état d'une superficie Carrez de 95 m² » ; or, après examen de cette pièce, il apparaît que la surface n'est que déclarative, le paragraphe « superficie de la partie privative » étant ainsi rédigé :
« 95 m² pour le lot numéro 12, ainsi déclaré par le vendeur ».
Ce certificat n'est accompagné d'aucun plan ou mesurage de nature à démontrer la réalité de la surface déclarée.
Enfin, l'attestation rédigée par un architecte déclarant que la société Pylones s'est affranchie de l'interdiction résultant du bail de modifier la distribution des locaux, et que les murs ont fait l'objet de « doublages d'embellissement », n'est pas probante, dans la mesure où elle ne résulte que de simples affirmations non étayées, et où l'architecte ne déclare pas s'être rendu sur les lieux et avoir procédé lui-même à des constatations.
Ainsi, les pièces versées aux débats ne permettent pas de remettre en cause le mesurage réalisé par Monsieur [N], sur lequel l'expert judiciaire s'est fondé en le soumettant au contradictoire des parties dans le cadre des opérations d'expertise.
La Cour retiendra comme le premier juge une surface utile des locaux de 78,10 m².
Sur la surface pondérée des locaux
La Sci Jorik conteste également la pondération appliquée à la surface utilisée comme une réserve par le preneur ; elle affirme que les locaux étaient initialement consacrés intégralement à la vente, et que la création d'une réserve résulte de la seule volonté du preneur.
Invoquant la clause d'accession figurant au bail, elle affirme que les locaux doivent être pondérés selon l'utilisation des locaux fixés au bail, et sollicite que le coefficient de pondération appliqué à la réserve soit celui de la surface de vente.
Il a en effet été jugé qu'en cas de transformation en réserve d'une partie antérieurement utilisée en surface de vente, il convient de rechercher pour la détermination de la surface des locaux, si l'affectation à la vente d'une surface moindre que celle autorisée par le bail pour cette activité, ne résultait pas d'un choix de gestion du locataire inopposable au bailleur.
(3e Civ., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-21.689, 20-21.651, 20-21.652)
Toutefois en l'espèce, il ne peut qu'être relevé qu'il n'est pas démontré que la transformation d'une partie de la surface de vente en réserve résulte d'un choix de la société Pylones.
En effet, le bail commercial entre la Sci Jorik et la Sas Pylones a été signé le 20 janvier 2010 ; il a été précédemment indiqué que le plan visé comme annexé à ce bail n'est pas communiqué dans le cadre du présent litige, à l'exception du plan de masse non daté produit par la bailleresse.
Les mentions de ce bail font état d'un local commercial « d'environ 90 m² » sans plus de précision ; le fait que l'existence d'une réserve ne soit pas précisée n'est pas probant, dans la mesure où, s'il n'est pas contesté que les sanitaires et la cuisine pré-existaient à la signature du bail, leur existence n'est pas non plus précisée dans la description des locaux figurant au bail.
Les seuls plans datés communiqués par les parties sont celui réalisé par Monsieur [N] le 19 octobre 2021, faisant état d'une partie des locaux destinés à être une réserve, et un plan du 3 juin 1994 sur lequel cette réserve n'existe pas, l'intégralité des locaux étant consacrés à la vente.
Aucun plan contemporain de la signature du bail n'est produit.
Les plans communiqués ne permettent pas de déterminer la composition exacte des locaux lors de la signature du bail le 20 janvier 2010.
La Sas Pylones produit le dossier de commercialisation des locaux sur le fondement duquel elle les a pris à bail, rédigé par la société Cbre ; en dernière page, les locaux sont présentés dans la catégorie « configuration » comme d'une surface totale de 90 m², dont 35 m² de réserve.
Si la société bailleresse affirme que ce dossier de commercialisation ne lui est pas opposable, force est de constater qu'il propose à la location les locaux objets du litige, aux conditions de loyer qui ont été réellement appliquées, et en produisant des plans et documents qui ne sont pas en libre accès.
En tout état de cause, il appartient à la Sci Jorik, qui se prévaut de modifications apportées à la configuration des locaux par le preneur, d'en rapporter la preuve.
En l'état, si la réserve a été ajoutée entre le plan de 1994 et le mesurage de Monsieur [N] en 2021, la société bailleresse ne démontre pas que cette modification résulte d'un choix de la société Pylones, qui n'a commencé à exploiter les locaux qu'en 2010.
La Sci Jorik affirme que l'absence d'un espace de réserve avant la prise de possession des locaux par le preneur actuel, résulte de photographies prises du local avant sa prise à bail par Pylones.
Or, les photographies produites en pièce n°12 de l'appelant ne sont ni horodatées ni localisées de sorte qu'elles ne sont pas probantes ; par ailleurs, elles concernent une enseigne « Bazaar », et ce alors que le dossier de commercialisation présente des photographies d'une enseigne « Premium » ; il n'est pas démontré que « Bazaar » soit le dernier preneur des locaux avant Pylones.
La preuve n'est donc pas rapportée que le preneur précédant exploitait la totalité de la surface pour la vente.
Dans ces conditions, la société bailleresse n'est pas fondée à affirmer que la création d'une réserve résulte d'un choix du preneur actuel.
L'expert judiciaire a donc justement appliqué à l'espace destiné à l'usage de réserve, un coefficient de pondération de 0,4, conforme aux normes fixées par la charte de l'expertise.
La Cour constate que la société Pylones conclut à une surface pondérée de 64,55 m², donc différente de celle résultant de l'expertise judiciaire ; pourtant, elle ne conteste pas le mesurage réalisé par Monsieur [N] dans ses conclusions, et avait même demandé à ce qu'il en soit tenu compte dans le cadre des opérations d'expertise.
Il ne peut qu'être constaté que cette surface pondérée ne résulte d'aucun élément de la procédure.
En l'espèce, le mesurage de Monsieur [N] est le seul discuté contradictoirement dans le cadre des opérations d'expertises, et sur lequel l'expert judiciaire fonde sa pondération.
Il n'y a pas lieu de prendre acte, ainsi que le sollicite la bailleresse, du fait que la société preneuse évoque dans ses conclusions une superficie pondérée des locaux de 64,55 m², dans la mesure où la Cour ne peut se fonder que sur des éléments discutés entre les parties, et produits aux débats.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu la surface pondérée de 60,40 m² résultant de l'expertise de Madame [W].
Sur la valeur unitaire
Dans le cadre de son expertise judiciaire, Madame [W] a retenu une valeur unitaire de 1 060 euros par m² par an ; elle a étudié 9 éléments de comparaison, pour en retenir in fine 6, excluant ainsi les valeurs les plus anciennes et la valeur la plus extrême.
La société bailleresse reproche à l'expert de ne pas avoir tenu compte des conditions dans lesquelles le loyer avait été initialement fixé ; elle affirme que le preneur a refusé le paiement d'un droit d'entrée, raison pour laquelle le loyer a été fixé à un montant élevé.
Elle estime donc que l'expert devait intégrer à son analyse le paiement des pas de porte dans les éléments de comparaison.
Il convient de rappeler que le droit d'entrée ne constitue pas un supplément de loyer, mais une indemnisation du bailleur ou encore un avantage que le preneur lui concède pour bénéficier de la propriété commerciale.
La Cour relève qu'aucun des textes du code de commerce, et notamment l'article R145-7 de ce code, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. La valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte ne constitue pas un supplément de loyer. C'est pourquoi il convient d'écarter de la comparaison les loyers décapitalisés qui ne permettent pas de comparaisons utiles et de prendre en considération le seul loyer facial comme l'a fait l'expert judiciaire.
Ainsi, au-delà du fait qu'il n'est pas justifié d'une quelconque discussion entre les parties sur le paiement d'un pas de porte, venu influer sur la fixation du loyer initial, l'expert judiciaire a procédé sans erreur en ne précisant pas les modalités de fixation des loyers initiaux des éléments de comparaison.
La Société Pylones quant à elle conteste la valeur unitaire retenue par l'expert judiciaire Madame [W], dans la mesure où elle diffère de manière importante du rapport réalisé par Madame [Y] au mois de janvier 2019 dans le cadre d'une autre affaire, et du rapport de Monsieur [J] réalisé à sa demande dans le cadre du présent litige.
Ainsi, alors que Madame [W] retient une valeur unitaire de 1 060 euros par m² et par an, les deux autres experts parviennent à des évaluations plus basses, respectivement de 819,50 euros par m² et par an, et de 900 euros par m² et par an.
Elle propose de faire une moyenne de ces trois valeurs, dans la mesure où la Cour ne peut pas déterminer laquelle de ces évaluations est la plus fiable.
Il convient toutefois de rappeler que le rapport réalisé par Madame [W] est le seul à avoir été ordonné en justice dans le cadre du présent litige, et à respecter le principe du contradictoire ; l'expert n'a pas été désigné par une partie au litige, et chacun a pu présenter ses observations dans le cadre des opérations d'expertise.
Par ailleurs, il ne peut qu'être relevé que Monsieur [J] présente des éléments de comparaison sans procéder à une analyse permettant une comparaison utile des locaux considérés avec ceux objets du présent litige.
Madame [Y] a quant à elle procédé à une pondération des locaux des éléments de comparaison, mais sans préciser les coefficients retenus.
L'analyse de Madame [W], au-delà d'avoir été réalisée dans le respect du principe du contradictoire, est plus fine en ce qu'elle a procédé à un retraitement des éléments de comparaison, notamment en pondérant les surfaces de ces locaux selon des coefficients identiques à ceux appliqués au local objet du litige, et en appliquant des coefficients de majoration ou de minoration pour tenir compte des différences de clauses des baux.
Les valeurs que retient Madame [W] sont donc différentes de celles retenues par les experts amiables, mais permettent une comparaison plus efficace ; il n'est pas démontré une erreur d'appréciation ou une insuffisance dans l'analyse des éléments de comparaison par l'expert judiciaire, et il n'est pas justifié de la nécessité de faire procéder à une nouvelle expertise ainsi que le sollicite subsidiairement la partie appelante ; dès lors, cette analyse sera retenue.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a retenu une valeur unitaire de 1 060 euros par m² et par an, en se fondant sur le rapport d'expertise de Madame [W].
Le premier jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé le montant du loyer renouvelé à la somme de 64 024 euros par an, hors taxes et hors charges (1 060 euros de valeur unitaire x 60,40 m² de surface pondérée), et la société bailleresse sera déboutée de sa demande subsidiaire de voir désigner un expert judiciaire.
Sur le remboursement du différentiel
Le premier jugement, tenant compte de la fixation du loyer sur renouvellement à un montant inférieur au loyer précédemment appliqué, a « dit que la Sci Jorik est tenue du remboursement du différentiel entre le loyer versé et le montant du loyer fixé par le présent jugement depuis le 1er juillet 2019 avec intérêts au taux légal sur chaque échéance à compter du 14 mai 2020 et avec capitalisation annuelle des intérêts dès lors qu'ils sont dus pour une année entière ».
La Sci Jorik conteste la compétence du juge des loyers commerciaux pour prendre une telle décision, rappelant qu'il peut uniquement fixer le montant du loyer.
Il ressort des dispositions de l'article R145-23 du code de commerce, que les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.
En application de ces dispositions, et en raison de l'interprétation stricte attachée au caractère spécial de la compétence du juge des loyers commerciaux, il est constant que le juge des loyers n'est pas compétent pour condamner une partie au paiement des loyers.
Il a en effet été jugé que la décision fixant le loyer renouvelé constitue un titre exécutoire suffisant, et que si la compétence du juge des loyers commerciaux lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire, elle est toutefois exclusive du prononcé d'une condamnation.
En l'espèce la Cour ne peut que constater que le premier juge n'a prononcé dans le dispositif de sa décision, aucune condamnation à l'encontre de la Sci Jorik, et s'est limité à fixer le loyer renouvelé et à dire que le différentiel devrait être remboursé.
En arrêtant les comptes entre les parties de la sorte, la Cour ne peut que constater que le juge des loyers commerciaux n'est pas allé au-delà de sa compétence.
Il n'y aura donc pas lieu à infirmation de ce chef.
Sur les demandes accessoires
En l'état de la présente décision de confirmation, les chefs du premier jugement mettant à la charge de la Sci Jorik les dépens de première instance, et la condamnant au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles, seront confirmés.
La Sci Jorik, qui succombe, sera par ailleurs condamnée aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas d'allouer d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ; les parties seront déboutées de leurs demandes de ce chef, au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Déboute la Sci Jorik de sa demande subsidiaire de voir ordonner une mesure d'expertise ;
Déboute la Sci Jorik et la Sas Pylones de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Condamne la Sci Jorik aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;