CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 3 avril 2025, n° 21/05175
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Flat 06 Classic (SARL)
Défendeur :
L'olivaie (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Mouhriz, Me Ermeneux, SCP Ermeneux - Cauchi & Associés, Me Medina, SELARL Vincent-Hauret-Medina
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du premier août 2006, la SCI l'Olivaie a consenti à la société LM Racing (aujourd'hui dénommée Flat 06 Classic), un bail commercial pour une durée de neuf ans se terminant le 31 juillet 2015, portant sur des locaux situés à Carros, route de la zone artisanale et route de la douane prolongée, consistant en un hangar en charpente métallique d'une superficie de 500 mètres carrés.
Le bail s'est renouvelé le 19 décembre 2017 pour une nouvelle durée de neuf ans commençant à courir le 1er janvier 2018.
Concernant la destination contractuelle des lieux, le bail commercial initial puis renouvelé, prévoyait :'Activité de garde, d'entretien et de réparation de véhicules de tourisme. »
Jusqu'au mois d'avril 2018, le locataire a toujours exercé dans les lieux loués une activité de réparation automobile.
Les parts de la société LM Racing ont été intégralement rachetées par la société Flat 06 Classic le 31 mars 2018.
La bailleresse allègue avoir découvert, au mois de juin 2018, que la nouvelle preneuse avait modifié son activité commerciale en se livrant à une activité de garagiste carrossier et avait réalisé des travaux, sans demander son autorisation, consistant notamment en des percements de façade et l'installation de cheminées métalliques.
Le 25 septembre 2018, considérant que la preneuse violait les clauses du bail commercial, la bailleresse lui a fait délivrer un commandement de faire visant la clause résolutoire.
Le commandement imposait à la preneuse les obligations de faire suivantes dans le délai d'un mois :
- de remettre en état les lieux, à savoir reboucher entièrement (doublage intérieur et extérieur) les trous réalisés sans autorisation dans les façades,
- de justifier de l'obtention des autorisations préalables,
- de prendre toutes mesures pour faire cesser les nuisances olfactives.
Suivant acte d'huissier en date du 18 octobre 2018, la SARL Flat 06Classic a fait assigner la SCI l'Olivaie devant le tribunal de grande instance de Grasse, devenu tribunal judiciaire de Grasse, en nullité du commandement de faire visant la clause résolutoire.
Par jugement du 15 février 2021, le tribunal judiciaire de Grasse se prononçait en ces termes :
- déboute la SARL Flat 06 Classic de sa demande de nullité du commandement de faire du 25 septembre 2018,
- déboute la SARL Flat 06 Classic de l'ensemble de ses demandes ;
- constate que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire sont réunies au 25 octobre 2018 ;
- constate la résiliation du bail commercial du 25 octobre 2018 ;
- ordonne l'expulsion de la SARL Flat 06 Classic ainsi que de tout occupant de son chef des lieux occupes sis [Adresse 2] sur la commune de [Localité 1] et ce, dans le délai d'un mois a compter de la signification du présent jugement et ce au besoin avec le concours de la force publique ;
- condamne la SARL Flat 06 Classic à payer la somme de 3.739,7l euros, augmentés de 10 %, a la SCI L'Olivaie, à titre d'indemnité d'occupation des locaux sis [Adresse 2] sur la commune de Carros, à compter du 1er novembre 2018 et jusqu'à la libération effective des lieux ;
- rejette la demande de la SCI L'Olivaie aux fins de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du bail ;
- rejette la demande de la SARL Flat 06 Classic aux fins d'indemnisation au titre de la procédure abusive ;
- rejette toute autre demande, plus ample ou contraire ;
- condamne la SARL Flat 06 Classic a payer à la SCI L'Olivaie la somme totale de 2.500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la SARL Flat 06 Classic aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais relatifs aux constats d'huissier en date des 22 mars 2018, 05 juin 2018, 24 juillet 2018 et 08 novembre 2018 ainsi que les frais relatifs au commandement de faire en date du 25 septembre 2018 ;
- ordonne l'exécution provisoire de la présenter décision.
Pour prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial au 25 octobre 2018, le tribunal, qui se fondait sur l'acquisition de la clause résolutoire, retenait que le preneur avait violé le bail commercial et que la clause résolutoire énoncée par celui-ci devait recevoir application. Le tribunal précisait, d'une part, que le bail commercial litigieux comprenait une clause résolutoire énonçant qu'à défaut pour le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du présent bail, le bail serait résilié de plein droit un mois après mise en demeure ou commandement de payer, d'autre part que le bailleur avait délivré un commandement d'avoir à remettre les lieux en l'état le 25 septembre 2018 et que pourtant un constat d'huissier de justice du 8 novembre 2018 relevait une absence de remise en état.
La société Flat 06 Classic a formé deux appels successifs les 8 et 9 avril 2021 en intimant la SCI l'Olivaie.
Les deux déclarations d'appel étaient formulées en ces termes :
- déclaration d'appel du 8 avril 2021 : 'Appel en cas d'objet du litige indivisible .Appel total portant sur l'ensemble du jugement',
- déclaration d'appel du 9 avril 2021 ':Objet/Portée de l'appel : Appel en cas d'objet du litige indivisible (article 901 CPC) Déclaration d'appel rectificative à la déclaration du 8 avril 2021 Annule et remplace la précédente déclaration'.
Les deux déclarations d'appel étaient jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 22 avril 2021.
Par conclusions notifiées le 26 juillet 2021, la société l'Olivaie formait un incident devant le conseiller de la mise en état, sollicitant la disjonction des appels et concluant à la nullité de la déclaration d'appel du 9 avril 2021,en invoquant l'absence d'indication de l'objet du litige et de mention des chefs de jugement expressément critiqués.
Par ordonnance d'incident du 23 juin 2022, le conseiller de la mise en état ordonnait la disjonction des procédures et déclarait irrecevable l'appel formé le 9 avril 2021.
Par conclusions d'incident notifiées le 5 mai 2021, la société l'Olivaie formait un incident devant le conseiller de la mise en état, concluant à la nullité de la déclaration d'appel du 8 avril 2021, invoquant l'absence d'indication des chefs de jugement expressément critiqués et l'absence de démonstration du caractère indivisible du litige et ce en application de l'article 901 du code e procédure civile. L'intimée se prévalait également de l'absence de mention de l'objet du litige contrairement aux exigences de l'article 57 du code de procédure civile.
Par ordonnance d'incident du 28 septembre 2023, le conseiller de la mise en état déboutait la SCI l'Olivaie de son exception de nullité de la déclaration d'appel du 8 avril 2021.
Pour débouter l'intimée de son exception de nullité de la déclaration d'appel du 8 avril 2021, le conseiller de la mise en état retenait que cette dernière qui faisait valoir que ladite déclaration d'appel ne mentionnait pas l'objet du litige et ne contenait pas l'énonciation des chefs de jugement critiqués, ne démontrait toutefois pas le grief résultant de cette omission.
Le conseiller de la mise en état ajoutait que l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel, ne constituait pas un grief au sens de l'article 114 du code de procédure civile, mais une conséquence de droit qu'il appartiendrait à la cour de tirer le cas échéant, cette seconde sanction relevant de son seul pouvoir.
L'ordonnance de clôture de l'instruction était prononcée le 14 janvier 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 avril 2021, la société Flat 06 Classic demande à la cour de :
vu les articles 1103 et 1188 du code civil, 32-1 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions;
- constater que les travaux entrepris sont conformes à son domaine d'activité, que le refus ou les reproches de la société l'Olivaie sont injustifiés,que le commandement de faire n'a aucun motif légitime et qu'il constitue un abus de droit,
en conséquence,
- dire que le commandement de faire du 25 septembre 2018 est nul et non avenu,
- débouter la société l'Olivaie de toutes ses demandes,
- condamner la société l'Olivaie à de légitimes dommages et intérêts d'un montant de 55.000 ' en réparation du préjudice subi par la société Flat 06 Classic comprenant le coût de l'acompte versé pour la cabine auprès de l'entreprise Samia et la perte de chiffre d'affaires du au retard de l'installation de la cabine de peinture,
- condamner la société l'Olivaie au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile pour procédure abusive,
- condamner la société l'Olivaie au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 juillet 2021, la société l'Olivaie demande à la cour de :
à titre liminaire et avant toute défense au fond,
vu l'article 562 du code de procédure civile,
- dire que la cour n'est saisie d'aucun chef ni d'aucune demande du fait de l'absence d'effet dévolutif de l'appel,
en conséquence,
- dire n'y avoir lieu à statuer sur l'appel de la société Flat 06 Classic en l'absence d'effet dévolutif de l|'appel.
à titre subsidiaire et sur le fond,
vu les articles L 145-1 du code de commerce et 1231-1 et suivants du code civil,
vu le commandement de faire visant la clause résolutoire en date du 25 septembre 2018 et le bail commercial en date du 19 décembre 2017,
- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande de la SCI l'Olivaie aux fins de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du bail,
et statuant à nouveau
- condamner la SARL Flat O6 Classic à payer à la SCI l'Olivaie la somme de 97.232 euros à titre
de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du bail,
- confirmer le jugement de première instance en toutes ses autres dispositions,
- condamner la Société Flat O6 Classic à payer à la SCI l'Olivaie Ia somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Ermeneux sous sa due affirmation de droit.
MOTIFS
Selon l'article 562 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur du 01 septembre 2017 au 01 septembre 2024 : L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En application des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, seule la cour d'appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l'absence d'effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du code de procédure civile.
En l'espèce, l'intimée demande à la cour de dire qu'elle n'est saisie d'aucun chef ni d'aucune demande du fait de l'absence d'effet dévolutif de l'appel et qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur l'appel de la bailleresse en l'absence d'effet dévolutif de l'appel.
Au soutien de sa demande tendant à faire constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, l'intimée soutient que l'appelante a effectué deux déclarations d'appel les 8 et 9 avril 2021 et que la déclaration d'appel sur laquelle elle s'est constituée ne respecte pas les mentions impératives prévues aux articles 57 et 901 du code de procédure civile. Elle ajoute que, conformément à l'article 57 du code de procédure civile, la déclaration d'appel doit mentionner l'objet du litige et qu'en l'espèce, à aucun moment, n'apparaît sur la déclaration d'appel, l'objet du litige.
Il résulte de l'article 562 du code de procédure civile, précédemment reproduit, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel, fondée sur ce même grief, aurait été rejetée, seule la cour d'appel, dans sa formation collégiale, ayant le pouvoir, en application des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, de statuer sur l'absence d'effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du code de procédure civile.
De plus, il est constant que la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible et seule la déclaration d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.
En l'espèce, il convient de rappeler que par ordonnance du 23 juin 2022, le conseiller de la mise en état ordonnait la disjonction des instances des deux instances en appel découlant des deux déclarations d'appel successives de la preneuse des 8 et 9 avril 2021 et déclarait irrecevable l'appel formé le 9 avril 2021.
En conséquence, seule subsiste la déclaration d'appel formée le 8 avril 2021 par la société Flat 06 Classic et l'existence de l'effet dévolutif de l'appel doit donc être apprécié au regard de cette seule dernière déclaration.
La déclaration d'appel litigieuse du 8 avril 2021 est rédigée de la manière suivante :'Appel en cas d'objet du litige indivisible .Appel total portant sur l'ensemble du jugement'.
Cette déclaration d'appel n'a pas été complétée ou rectifiée par une autre déclaration d'appel ultérieure, celle du 9 avril 2021, à la supposer régulière, ayant en tout état de cause été déclarée irrecevable.
Cette déclaration d'appel ne mentionne pas les chefs de jugement expressément critiqués, se contenant de la formule 'appel total portant sur l'ensemble du jugement'sans autre précision. De plus, la déclaration d'appel ne comporte pas de mention d'une demande d'annulation du jugement, tandis que l'appelante ne démontre pas que l'objet du litige serait indivisible.
La seule mention 'appel en cas d'objet du litige indivisible'n'est qu'une assertion du caractère indivisible du litige et ne constitue pas une démonstration.
Enfin, le fait que toutes les dispositions du jugement critiqué soient liées à la problématique de la résiliation du bail commercial en cause est sans incidence dès lors que l'indivisibilité du litige ne se rattache pas aux liens entre les chefs de la décision critiquée entre eux et que, de plus, il pourrait être formé des appels indépendants sur chacun des chefs du jugement compris dans le dispositif.
En conséquence, le moyen soulevé par l'intimée, tiré de l'absence d'effet dévolutif de l'appel, est fondé.
La cour fait droit aux demandes principales de l'intimée en ces termes :
- dit que l'effet dévolutif de l'appel n'opère pas,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur l'appel relevé par la société Flat 06 Classic.
La cour dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamne l'appelante aux entiers dépens d'appel exposés par les parties.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
- dit que l'effet dévolutif de l'appel du 8 avril 2021 n'opère pas,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur l'appel relevé par la société Flat 06 Classic,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Flat 06 Classic aux entiers dépens d'appel exposés par les parties.