CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 3 avril 2025, n° 24/07009
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mogilka
Conseillers :
Mme Neto, M. Desgouis
Avocats :
Me Aidoudi, Me D'Journo
EXPOSE DU LITIGE:
Par acte sous seing privé en date du 1er octobre 2013, madame [N] [Z] a donné à bail commercial à monsieur [V] [U] des locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3], moyennant le paiement d`un loyer annuel de 25 200 euros, payable par mois.
Par acte de commissaire de justice en date du15 novembre 2023, Mme [M] [Z] venant aux droits de Mme [N] [Z] a fait délivrer à M. [U] un commandement d'avoir à payer la somme principale de 14 740 euros, justifier de la souscription d'une assurance contre les risques locatifs et procéder à la mise en conformité de l'installation électrique, commandement visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.
Par acte de commissaire de justice en date du 24 janvier 2024, Mme [Z] a fait assigner M. [U], devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de voir constater la résiliation du contrat de bail, ordonner l'expulsion du locataire et obtenir sa condamnation au paiement d'une provision au titre de la dette locative, d'une indemnité d'occupation mensuelle et d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 10 mai 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a :
- constaté la résiliation du bail en date du 16 décembre 2023 du local commercial liant les parties ;
- ordonné la libération par M. [U] du local commercial à compter de la signification de la décision ;
- ordonné à défaut de libération effective des lieux à compter de la signification de la présente
décision, l'expulsion de M. [U] et celle de tous occupants de son chef des locaux loués, avec le concours de la force publique si nécessaire ;
- condamné M. [U] à payer, à titre provisionnel, à Mme [Z] :
- la somme de 17 420 euros à titre de provision sur la dette locative pour la période comprise du 3 janvier 2023 au 3 janvier 2024 inclus ;
- une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation sur la base du dernier loyer mensuel soit la somme de 2 400 euros à compter du 3 février 2024 et jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant le coût du commandement de payer du 15 novembre 2023 ;
- dit n'y avoir lieu de faire droit au surplus des demandes ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit.
Ce magistrat a, notamment, considéré que :
- M. [U] n'ayant pas réglé sa dette locative dans le délai d'un mois suivant la signification du commandement de payer, le contrat de bail avait été résilié en application de la clause résolutoire figurant au contrat de bail ;
- l'application de la clause pénale relevait de la compétence du juge du fond.
Par déclaration en date du 3 juin 2024, M. [U] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par conclusions transmises le 3 juillet 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [U] demande à la cour de :
- à titre principal : constater le défaut d'intérêt à agir de Mme [Z] ;
- subsidiairement :
- infirmer l'ordonnance déférée ;
- constater l'absence de dette locative au jour du commandement de payer et à ce jour ;
- dire n'y avoir lieu à résiliation du bail commercial liant les parties ;
- condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [U] expose, notamment, que :
- Mme [Z] ne justifie pas de sa qualité d'héritière de Mme [N] [Z] et ainsi de sa qualité à agir ;
- en accord avec la bailleresse, il a sous-loué une partie des locaux à [J] [H], M. [G] et M. [Y] ;
- les sous-locataires règlent leur loyer directement auprès de Mme [Z] et son compagnon.
Par conclusions transmises le 25 juillet 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [Z] sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée, le débouté de M. [U] et la condamnation de celui-ci au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses demandes, Mme [Z] fait valoir, notamment, que :
- elle justifie de sa qualité d'héritière de Mme [N] [Z] ;
- le contrat produit par M. [U] mentionnant le nom de M. [C] [U], en sus de celui de M. [V] [U], est un faux ;
- M. [U] n'ayant pas réglé sa dette locative dans le délai d'un mois suivant la délivrance du commandement de payer, le contrat de bail est résilié ;
- une partie des locaux est effectivement sous-loués ;
- elle a déduit de la dette locative de M. [U] les loyers versés par les sous-locataires ;
- son locataire n'exerce pas d'activité commerciale ou professionnelle dans les locaux, n'a pas justifié de la souscription d'une assurance contre les risques locatifs et a modifié la destination d'une partie des locaux loués.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 10 février 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
- Sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [Z] :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, il ressort de l'attestation immobilière en date du 24 août 2023 que Mme [M] [Z] est la seule héritière de Mme [N] [Z] et que suite au décès de cette dernière, elle est devenue propriétaire des locaux sis [Adresse 1] à [Localité 3].
Mme [M] [Z] venant aux droits de Mme [N] [Z] dispose de la qualité de bailleresse et d'une qualité à agir.
Dès lors, M. [U] doit être débouté de sa fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir.
- Sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire et la résolution du bail :
En vertu des dispositions de l'article L 145-5 du code du commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans ; à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux ; si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
L'article L. 145-41 du code de commerce prévoit que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En application des dispositions de l'article 1356 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libérer doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, si chaque partie produit aux débats un contrat de bail différent, il doit être constaté que l'existence d'un contrat de bail commercial liant Mme [M] [Z] venant aux droits de Mme [N] [Z] à M. [U] n'est pas contestée, pas plus que le montant du loyer.
A la comparaison des deux contrats produits, il apparaît que l'un et l'autre comporte une clause résolutoire rédigée dans des termes similaires à savoir que la simple constatation du non-respect d'une des clauses du contrat entrainera la résiliation du bail et l'expulsion par voie de référé un mois après un commandement demeuré infructueux.
Par acte de commissaire de justice en date du 15 novembre 2023, Mme [Z] a fait déliver à M. [U] un commandement d'avoir à payer la somme de 14 740 euros au titre des loyers de janvier à novembre 2023, commandement visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.
M. [U] soutient qu'il n'était redevable d'aucune somme au jour de la délivrance de cet acte et se réfère à la sous-location des lieux ainsi que le versement de loyers par les sous-locataires directement auprès de Mme [Z] et son compagnon. Il verse aux débats des pièces intitulées attestation de règlement des loyers par l'EURL [J] [H] et attestation de M. [Y].
Cependant, d'une part, le décompte actualisé de Mme [Z] intègre le paiement mensuel de 1 060 euros effectué par [J] [H] ainsi qu'un paiement effectué par M. [Y] en décembre 2023. D'autre part, l'attestation de M. [Y] qui indique régler un loyer de 700 euros par mois à M. [A] ou son épouse n'est corroborée par aucune pièce de telle sorte qu'elle n'est pas suffisamment probante du paiement effectif du loyer.
M. [U] ne verse aucune autre pièce aux débats pour justifier du paiement de l'intégralité du loyer contractuellement convenu.
Aussi, il ne peut être retenu que M. [U] ou les sous-locataires ont effectué des paiements non mentionnés dans le décompte actualisé de Mme [Z].
Au vu de ce décompte, la dette locative de M. [U] arrêtée au 15 novembre 2023 s'élevait à la somme de 14 740 euros, somme reprise dans le commandement de payer.
Or, à l'issue du délai d'un mois à compter de la signification du commandement, M. [U] n'a pas réglé sa dette.
Ainsi, la clause résolutoire est acquise et le contrat de bail commercial liant Mme [Z] à M. [U] est résilié à compter du 16 décembre 2023.
M. [U] étant ocupant sans droit ni titre depuis cette date, son explusion doit être ordonnée, au besoin avec le concours de la force publique.
L'ordonnance déférée doit donc être confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du contrat de bail et ordonné l'expulsion de M. [U], à défaut de libération volontaire des lieux.
- Sur les demandes de provisions:
Par application de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement constestable de la créance alléguée.
Aux termes de l'article 1728 du code civil, le locataire est obligé de payer les loyers aux termes convenus.
Devenu occupant sans droit ni titre du fait de l'acquisition de la clause résolutoire, il est tenu de payer une somme équivalente au loyer augmenté des charges à titre de réparation du préjudice subi par le bailleur.
En l'espèce, l'obligation au paiement des loyers et charges incombant à M. [U] n'est pas sérieusement contestable ni l'obligation au paiement d'une indemnité d'occupation dès lors que les lieux ne sont pas restitués à la bailleresse malgré la résiliation du contrat de bail.
Mme [Z] verse aux débats un décompte actualisé mentionnant une dette locative de 16 120 euros pour la période de janvier 2023 à janvier 2024, échéance de janvier 2024 incluse, intégrant une indemnité d'occupation de 2 400 euros correspondant au loyer mensuel.
Comme explicité précédemment, M. [U] ne justifie nullement de paiements complémentaires effectués par lui-même ou les sous-locataires.
Ainsi, Mme [Z] justifie avec l'évidence requise en référé disposer d'une créance à l'égard de M. [U] à hauteur de 16 120 euros correspondant aux loyers impayés pour la période de janvier 2023 à janvier 2024.
Dès lors, M. [U] doit être condamné à payer à Mme [Z] une provision de 16 120 euros.
L'ordonnance déférée doit donc être infirmée en ce qu'elle a condamné M. [U] à payer à Mme [Z] la somme provisionnelle de 17 420 euros pour la période comprise du 3 janvier 2023 au 3 janvier 2024 inclus, somme n'ayant manifestement pas pris en considération le paiement effectué par M. [Y] en décembre 2023.
Par contre, elle doit être confirmée en ce qu'elle a condamné M. [U] à payer à Mme [Z] une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation sur la base du dernier loyer mensuel soit la somme de 2 400 euros à compter du 3 février 2024 et jusqu'à parfaite libération des lieux.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné M. [U] à verser à Mme [Z] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
M. [U], qui succombe au litige, doit être condamné aux dépens d'appel.
Par ailleurs, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 1 200 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déboute M. [V] [U] de sa fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [M] [Z] ;
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a condamné M. [V] [U] à payer, à titre provisionnel, à Mme [M] [Z] la somme de 17 420 euros à titre de provision sur la dette locative pour la période comprise du 3 janvier 2023 au 3 janvier 2024 inclus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [V] [U] à payer, à titre provisionnel, à Mme [M] [Z] la somme de 16 120 euros au titre de la dette locative pour la période comprise du 3 janvier 2023 au 3 janvier 2024 inclus ;
Condamne M. [V] [U] à payer à Mme [M] [Z] la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [U] aux dépens d'appel.