CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 4 avril 2025, n° 24/13959
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kill'r Paris (SAS)
Défendeur :
Eva Enzo (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lagemi
Conseillers :
Mme Gaffinel, M. Birolleau
Avocats :
Me Bello, Me Hervé
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Par acte du 10 mai 2021, la société Eva Enzo a donné à bail commercial à la société Kill'R Paris des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4] (Val-de-Marne), moyennant un loyer annuel de 8.658,12 euros, hors charges et hors taxes, payable mensuellement et d'avance.
Des loyers étant demeurés impayés, la société Eva Enzo a, par acte du 14 décembre 2023, fait délivrer à la société Kill'R Paris un commandement de payer, visant la clause résolutoire, pour la somme de 1.587,93 euros au titre de l'arriéré locatif au 8 décembre 2023.
Par acte du 13 février 2024, la société Eva Enzo a assigné la société Kill'R Paris devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil aux fins, notamment, de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la défenderesse et condamnation de cette dernière au paiement, par provision, de l'arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation.
Par ordonnance du 4 juillet 2024, le premier juge a :
constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 15 janvier 2024 ;
ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société Kill'R Paris et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2] à [Localité 4] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant dans les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai fixé par voie réglementaire à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point ;
fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation due par la société Kill'R Paris, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamné la société Kill'R Paris à la payer ;
condamné, par provision, la société Kill'R Paris à payer à la société Eva Enzo la somme de 2.550,71 euros au titre du solde des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation arriérés au 16 janvier 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2023 sur 1.587,93 euros et à compter du 13 février 2024 sur le surplus, ainsi que les indemnités d'occupation postérieures ;
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de majoration des intérêts ;
condamné la société Kill'R Paris aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement de payer ;
condamné la société Kill'R Paris à payer à la société Eva Enzo la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 24 juillet 2024, la société Kill'R Paris a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 3 octobre 2024, la société Kill'R Paris demande à la cour de :
constater qu'elle a réglé sa dette suivant accord trouvé avant l'audience du 13 juin 2024 ;
En conséquence
infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau,
débouter la société Eva Enzo de l'ensemble de ses demandes ;
condamner la société Eva Enzo aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 décembre 2024, la société Eva Enzo demande à la cour de :
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
juger que la société Kill'R Paris n'apporte pas la preuve d'un prétendu accord de règlement ;
juger que la société Kill'R Paris ne démontre pas l'existence de prétendues manoeuvres dolosives ;
en conséquence,
déclarer la société Kill'R Paris mal fondée en ses demandes et les rejeter ;
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
y ajoutant,
fixer la dette locative à la somme de 3.420,13 euros, au 21 novembre 2024, et condamner la société Kill'R Paris au paiement, à titre de provision, de cette somme, outre une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer contractuel et des charges à compter du 1er décembre 2024 jusqu'à libération complète effective des lieux ;
condamner la société Kill'R Paris à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Kill'R Paris aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 19 février 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur les conditions d'acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835, alinéa 1, du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement et qu'il n'est pas opposé de contestation sérieuse susceptible d'y faire obstacle.
Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.
Au cas présent, il est constant que le 14 décembre 2023, la société Eva Enzo a fait délivrer à la société Kill'R Paris un commandement de payer, visant la clause résolutoire, pour la somme en principal de 1.587,93 euros ; que les causes de ce commandement n'ont pas été acquittées dans le mois de cet acte ainsi qu'il résulte de l'extrait de compte arrêté au 4 octobre 2024, lequel révèle qu'aucun versement n'a été effectué entre le commandement et le 5 avril 2024, date à laquelle la dette locative s'élevait à la somme de 4.502,33 euros.
Il y a donc lieu de considérer que les conditions de l'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies à la date du 15 janvier 2024, ainsi que l'a retenu le premier juge.
Pour s'opposer aux effets de la clause résolutoire, la société Kill'R Paris indique qu'un accord avait été trouvé avant l'audience de première instance en vue du règlement de l'arriéré locatif, que des chèques avaient été remis au bailleur qui avait accepté d'abandonner la procédure, ce qui explique qu'elle ne se soit pas présentée à l'audience.
Elle fait valoir que le bailleur a procédé à une augmentation injustifiée du loyer, ce qui justifie les impayés, toutefois régularisés par la remise de chèques ; que l'accord intervenu et les paiements effectués ont été dissimulés au premier juge en raison d'une rétention d'information dolosive de la part du bailleur ayant induit le juge en erreur.
La société Eva Enzo conteste l'accord et les paiements invoqués et soutient qu'il n'y a eu aucun paiement régulier de la société Kill'R Paris pour apurer sa dette, précisant qu'au jour de l'audience du 13 juin 2024, devant le premier juge, aucun chèque n'avait été remis au crédit de son compte, que quelques chèques ont été remis postérieurement à celle-ci dont certains ont été rejetés pour défaut de provision.
La société Kill'R Paris ne produit aucune pièce permettant d'établir l'accord qu'elle allègue quant à un paiement échelonné de sa dette et à la renonciation du bailleur à la procédure engagée.
Elle ne démontre pas davantage que sa dette était réglée avant l'audience du 13 juin 2014 tenue devant le premier juge alors qu'il est établi par l'extrait de compte locataire arrêté au 4 novembre 2024 qu'à la date de cette audience, la créance du bailleur s'élevait à la somme de 5.643,87 euros (somme figurant sur ledit extrait de compte à la date du 5 juin 2024).
Il est néanmoins établi par cette pièce que des paiements ont été réalisés par virements et par chèques dont trois ont été rejetés pour provision insuffisante, la cour relevant néanmoins que l'un d'entre eux a pu être payé après nouvelle présentation puisque son montant figure au crédit de la société appelante à la date du 1er août 2024, et qu'il restait dû, au 21 novembre 2024, la somme de 3.420,13 euros.
Toutefois, les paiements intervenus au-delà du délai d'un mois imparti par l'article L. 145-41 du code de commerce et le commandement de payer ne sont pas de nature à faire échec aux effets de celui-ci dès lors que ses causes n'ont pas été réglées dans ce délai, soit avant le 15 janvier 2024. De surcroît, aucune mauvaise foi dans la délivrance de cet acte n'est avérée alors qu'il est constant que la société locataire était défaillante dans l'exécution de son obligation de paiement.
Il n'est donc justifié d'aucune contestation sérieuse qui permettrait de priver d'effet ce commandement de payer.
La cour relève qu'il n'est formé aucune demande tendant à la suspension des effets de la clause résolutoire et à l'octroi de délais de paiement, même à titre rétroactif, de sorte qu'elle ne peut que confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 15 janvier 2024 et statué sur ses conséquences, soit sur l'expulsion de la société appelante, mesure nécessaire pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l'occupation des locaux depuis le 15 janvier 2024, et sur l'indemnité d'occupation, due à compter de cette date et jusqu'à la libération effective des lieux et fixée, à titre provisionnel, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les charges, taxes et accessoires.
Sur la provision
Selon l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
La société Eva Enzo soutient que la dette de la société Kill'R Paris n'a pas été réglée et que selon le décompte arrêté au 21 novembre 2024, celle-ci s'élevait à la somme de 3.420,13 euros. Réactualisant sa créance, elle demande donc le paiement par provision de cette somme, outre d'une indemnité d'occupation à compter du 1er décembre 2024.
Il n'y a pas lieu de statuer sur l'indemnité d'occupation dès lors que les dispositions de l'ordonnance statuant sur celle-ci sont confirmées.
En revanche, s'agissant de la provision allouée au titre de l'arriéré locatif et d'indemnités d'occupation, le premier juge a fixé celle-ci à la somme de 2.550,71 euros arrêtée au 16 janvier 2024.
Selon le décompte susvisé, la dette de la société Kill'R Paris s'élevait, au 21 novembre 2024, à la somme de 3.420,13 euros ainsi que le soutient la société Eva Enzo.
La société Kill'R Paris a remis à la cour un bordereau virement SEPA, daté du 13 janvier 2025, portant sur la somme de 4.000 euros et comportant la mention 'Règlements loyers' (pièce n°2).
Mais, outre que cette pièce ne comporte aucune indication sur la personne du bénéficiaire de ce virement, il sera relevé que la société Eva Enzo indique, dans ses conclusions du 9 décembre 2024, que la pièce n° 2, figurant sur la liste des pièces jointes aux conclusions de l'appelante en date du 3 octobre 2024, ne lui a pas été communiquée et produit un mail officiel du 3 octobre 2024 adressé par son conseil à celui de l'appelante pour obtenir les deux pièces visées dans ses conclusions.
Ainsi, la cour ne peut que relever que la pièce n° 2 qui lui a été remise, datée du 13 janvier 2025, ne pouvait être celle visée dans les conclusions du 3 octobre 2024. En outre, il n'a été remis aucun bordereau de communication de pièce en janvier 2025 pour justifier de la communication de ce virement.
Il convient donc, infirmant l'ordonnance entreprise de ce chef, de condamner la société Kill'R Paris à payer à la société Eva Enzo la somme provisionnelle de 3.420,13 euros arrêtée au 21 novembre 2024. Afin qu'il puisse être tenu compte de paiements qui seraient intervenus, cette condamnation sera prononcée en deniers ou quittances.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
Succombant en ses prétentions, la société Kill'R Paris sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Eva Enzo, tenue d'exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense, la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ses dispositions relatives à la provision allouée ;
Statuant à nouveau de ce seul chef, vu l'évolution du litige,
Condamne, en deniers ou quittances, la société Kill'R Paris à payer à la société Eva Enzo la somme provisionnelle de 3.420,13 euros au titre de l'arriéré locatif et d'indemnité d'occupation arrêté au 21 novembre 2024, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la société Kill'R Paris aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Eva Enzo la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT