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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 3 avril 2025, n° 24/08580

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

F2Jcom (SAS), Axa France IAR (SA), CPAM du Var

Défendeur :

F2Jcom (SAS), Axa France IAR (SA), CPAM du Var

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Silvan

Conseillers :

Mme Frizzi, Mme Labeaume

Avocats :

Me Tollinchi, Me Boulan, Me Broca, Me Huertas, Me Sebbag, Me Cherfils, Me Philip de Laborie, Me Laurendon, Me Mellouki

TJ Nice, du 13 janv. 2022, n° 19-954

13 janvier 2022

FAITS ET PROCEDURE

1. Le 31 août 2013, Mme [L] [E] a été blessée à l''il par l'explosion d'un siphon à crème de la marque Ard'Times, distribué par la société F2J.com, assurée par la compagnie Axa France IARD.

2. La société AXA France IARD a mandaté le docteur [K] [D] pour examiner Mme [E] et évaluer son préjudice. L'expert a déposé son rapport le 13 mars 2018.

3. Par actes des 19 et 20 février 2019, Mme [L] [E] a assigné la compagnie AXA devant le tribunal de grande instance de Nice, au contradictoire de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes maritimes, en indemnisation de son préjudice corporel.

4. Par acte du 11 février 2020, Mme [L] [E] a assigné en intervention forcée la société F2J.com.

5. La société F2J.com a saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action exercée à son encontre.

6.Par ordonnance du 13 janvier 2022, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [L] [E] tant à l'encontre de la société F2J.com qu'à l'encontre de la compagnie AXA.

7. Le 20 janvier 2022, Mme [L] [E] a interjeté appel de cette ordonnance.

8. Par arrêt du 29 septembre 2022, la cour d'appel d'Aix en Provence a :

- Confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 13 janvier 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice,

Y ajoutant,

- Débouté Mme [L] [E] de sa demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- Dit n'y avoir lieu à condamnation de Mme [E] au profit des sociétés F2J.com et AXA au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- Condamné Mme [L] [E] aux dépens de la procédure.

9. Par arrêt du 15 mai 2024, la Cour de cassation a :

- Cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 29 septembre 2022 entre les parties par la cour d'appel d'Aix en Provence,

- Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la société F2J.com,

- Remis l'affaire et les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix en Provence autrement composée,

- Condamné la société AXA France IARD aux dépens,

10. Par déclaration de saisine après renvoi de cassation du 5 juillet 2024, Mme [L] [E] a saisi la cour d'appel d'Aix en Provence.

MOYENS DES PARTIES

11. Par dernières conclusions du 19 novembre 2024, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [E] demande de :

- Infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice du 13 janvier 2022,

Et statuant à nouveau,

- Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action qu'elle a engagée,

- La déclarer recevable en ses demandes,

En conséquence,

- Condamner in solidum la compagnie d'assurances AXA et la société F2J.com à lui payer à titre de provision complémentaire, la somme de 100.000 euros,

- Condamner in solidum la compagnie d'assurances AXA et la société F2J.com à lui verser au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 3.000 euros,

- Condamner solidairement la compagnie d'assurances AXA et la société F2J.com aux entiers dépens.

12. Mme [L] [E] estime que son action n'est pas prescrite aux motifs que l'action en réparation fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, qu'en matière de dommage corporel, la date de connaissance du dommage doit s'entendre de la date de consolidation, que le docteur [D] a fixé la date de consolidation de son état de santé au 31 mars 2016 et que les actes introductifs d'instance délivrés les 19 et 20 février 2019 devant le tribunal de grande instance de Nice ont interrompu le délai de prescription.

13. Par ailleurs, elle s'oppose à la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la notion de « connaissance du dommage », formulée par la société F2J.com, aux motifs que conformément à une jurisprudence établie, la Cour de cassation retient que la date de connaissance du dommage, en matière de dommages corporels, doit s'entendre comme étant la date de consolidation de celui-ci, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de solliciter l'interprétation de la Cour de justice de l'Union européenne.

14. Par dernières conclusions du 30 octobre 2024, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la compagnie AXA France IARD demande de :

- Juger que le montant des préjudices de Mme [L] [E] n'est pas déterminé,

- Juger que Mme [L] [E] ne justifie pas de l'imputation de la somme de 100.000 euros sur ses préjudices,

- Juger que Mme [L] [E] ne justifie pas de la réalité effective de ses préjudices,

- Juger que les faits du 31 août 2013 relèvent d'un sinistre sériel,

- Juger que le plafond de garantie contractuel du contrat d'assurance souscrit auprès d'elle, d'un montant de 2.200.000 euros trouve à s'appliquer,

- Juger qu'elle ne serait être redevable d'une somme supérieure au plafond de garantie contractuel de 2.200.000 euros,

En conséquence,

- Juger que le solde de la garantie d'AXA ne permet pas d'allouer à Mme [L] [E] une somme supérieure à 50.000 euros à titre de provision sur son indemnisation définitive,

- Statuer ce que de droit sur la saisine de la Cour de justice européenne d'une question préjudicielle,

- Débouter toutes les parties du surplus de leurs demandes, fins et prétentions à son encontre,

En tout état de cause,

- Condamner Mme [L] [E] ou qui mieux le devra, à lui verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [L] [E] aux entiers dépens.

15. La compagnie AXA France IARD ne conteste pas le droit à indemnisation de Mme [L] [E]. Elle indique cependant que Mme [L] [E] sollicite une provision d'un montant de 100.000 euros mais ne ventile pas cette somme poste par poste, de sorte que rien ne permet de déterminer que la somme réclamée ne dépasserait pas le montant définitif de sa créance, que les faits de l'espèce relèvent d'une même cause technique, qui a d'ores et déjà été retenue dans le cadre d'autres litiges, constituant un seul et unique fait dommageable et qui engage la responsabilité de la société F2J.com, que le plafond de garantie contractuelle de son contrat d'assurance, d'un montant de 2.200.000 euros, doit trouver à s'appliquer et que le solde disponible de sa garantie, compte tenu d'une transaction à intervenir pour un montant de 54 649,13 euros, ne peut excéder 50 000 euros.

16. Par dernières conclusions du 11 décembre 2024, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société F2J.com demande de :

- Juger qu'elle a été assignée plus de trois ans après la date de consolidation,

- Juger que la question de l'appréciation du point de départ du délai de prescription triennale prévu en matière de produits défectueux constitue une question qui devrait être soumise à la Cour de justice de l'Union européenne,

- Juger que l'action intentée par Mme [L] [E] est irrecevable, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir du fait de la prescription,

En conséquence,

A titre principal:

- Confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action de Mme [L] [E] à son égard,

A titre subsidiaire,

- Saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle visant à trancher la notion de « connaissance du dommage » :

a. « Au sens de l'article 10 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la « connaissance du dommage » résultant d'une atteinte corporelle doit-elle s'entendre de la première manifestation du dommage ou de la date à laquelle il acquiert un caractère définitif et permanent ' »

b. Ou de toute autre formulation que la cour jugerait plus pertinente pour faire trancher l'interprétation de la notion de « connaissance du dommage » en matière de préjudice corporel causé par un produit défectueux au sens de la directive,

- Surseoir à statuer dans l'attente de la réponse au renvoi préjudiciel,

En tout état de cause,

- Débouter Mme [L] [E] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner Mme [L] [E] à lui payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Françoise Boulan, membre de la SELARL LX Aix en Provence, avocat associé, aux offres de droit.

17. A titre principal, la société F2J.com conclu à la confirmation de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice le 13 janvier 2022, en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [L] [E] à son encontre comme étant prescrite aux motifs que la consolidation de l'état de santé de celle-ci a été fixée le 31 mars 2016, qu'elle a été assignée par acte du 11 février 2020, soit plus de trois ans après la consolidation et que l'action de Mme [L] [E] à son égard est donc prescrite.

18.Par ailleurs, à titre subsidiaire, la société F2J.com demande de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'un question préjudicielle portant sur le point de savoir si la notion de connaissance du dommage, telle que visée dans l'article 10 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux doit-elle s'entendre de la première manifestation du dommage ou de la date à laquelle il acquiert un caractère définitif et permanent.

19. Enfin la société F2J.com estime que la créance revendiquée par Mme [L] [E] est contestable, car elle ne repose sur aucune pièce autre que le rapport du docteur [D], non contradictoire.

MOTIVATION

20. L'article 1245 du code civil prévoit que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

21. L'article 1245-16 du même code précise que l'action en réparation au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur

22. Il est de jurisprudence constante que la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage doit s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci (1ère Civ., 15 juin 2016, n°15-20.022, 1ère Civ., 17 janvier 2018, 1ère Civ., 31 janvier 2018, n° 17-11.259 et 1ère Civ., 5 juillet 2023, n° 22-18.914).

23. Il n'est pas contesté que l'état de Mme [L] [E] a été consolidé au 31 mars 2016.

24. Selon l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

25. Par assignations des 19 et 20 février 2019, Mme [L] [E] a fait assigner la compagnie AXA devant le tribunal de grande instance de Nice, afin d'obtenir au contradictoire de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes maritimes, en réparation de son préjudice, soit dans le délai de trois ans courant à compter de sa consolidation. Elle a ainsi interrompu le délai de prescription à l'égard de celle-ci.

26. Par ailleurs, selon assignation du 11 février 2020, Mme [L] [E] a appelé la société F2J.com en intervention forcée, soit plus de trois ans après sa date de consolidation.

27. Il est de principe que l'interruption du délai de prescription par la délivrance d'une demande en justice ne profite qu'à celui dont elle émane et ne joue qu'à l'égard de celui à qui elle a été délivrée. Ainsi, l'interruption du délai de prescription à l'égard de l'assureur, assigné dans les délais, ne peut être invoquée à l'encontre de son assuré (1ère Civ., 28 octobre 1991, Bull.civ.I, n°283).

28. Dès lors, la demande formée par Mme [L] [E] à l'encontre de la société F2J.Com, assignée plus de trois ans après la date de consolidation, s'avère irrecevable. La décision déférée sera confirmée de ce chef.

29. La compagnie Axa ne conteste pas la recevabilité de la demande de Mme [L] [E] à son encontre. La décision déférée, qui a déclaré Mme [L] [E] irrecevable en sa demande à l'encontre de cette société et a rejeté par voie de conséquence la demande de provision formée par celle-ci sera en conséquence infirmée.

30. L'article 789, 3° du code de procédure civile prévoit que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

31. La compagnie Axa ne conteste pas le principe de son obligation à indemniser Mme [L] [E] de son préjudice mais lui oppose le plafond de garantie stipulé dans le contrat d'assurance passé avec la société F2J.Com.

32. Il est exact que Mme [L] [E], à l'appui de sa demande de provision, ne détaille pas les postes de préjudice de l'indemnité à laquelle elle pourrait prétendre.

33. Cependant, selon les conclusions du rapport du docteur [D], médecin-expert désigné par la compagnie Axa, les conséquences de l'accident sont les suivantes :

- Déficit fonctionnel temporaire total : du 31 août 2013 au 5 septembre 2013,

- Déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III du 6 septembre 2013 au 20 octobre 2013,

- Déficit fonctionnel temporaire partiel de classe II du 21 octobre 2013 au 31 mars 2016,

- Date de consolidation au 31 mars 2016,

- Aide humaine non-spécialisée :

- du 6 septembre 2013 au 20 octobre 2013 : 1 heure par jour,

- du 21 octobre 2013 au 31 mars 2016 : 3 heures par semaine,

- viagère post-consolidation, en particulier pour les déplacements longs et l'aide pour les courses,

- arrêt temporaire d'activités professionnelles du 1er septembre 2013 au 20 octobre 2013,

- perte de gains : primes, carence de l'indemnité journalière,

- souffrances endurées : 3/7,

- dommage esthétique : 1/7,

- déficit fonctionnel permanent : 25%,

- absence de retentissement sur le statut professionnel, mais gêne dans la pratique décrite,

- frais futurs post-consolidation : remplacement de la lentille cosmétique au niveau de l''il droit, en moyenne tous les cinq ans.

34. Il en ressort que, en prenant en compte la jurisprudence habituelle de la cour et en considération des seuls postes de préjudice relatifs à la tierce-personne temporaire, le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent et le préjudice esthétique temporaire, que l'indemnisation à laquelle Mme [L] [E] pourrait prétendre ne pourrait être inférieure à 80 000 euros.

35. Cependant, la compagnie Axa expose que, compte tenu de son plafond de garantie, l'indemnité qu'elle pourrait verser à Mme [L] [E] ne peut excéder 50 000 euros. L'appréciation du point de savoir si le plafond de garantie de la compagnie Axa a été atteint est constitutif d'une contestation sérieuse et ne permet pas d'allouer à Mme [L] [E], à titre provisionnel, une somme supérieure à celle proposée. Il sera en conséquence fait droit à la demande de provision formée par Mme [L] [E] mais dans les limites proposées par la compagnie d'assurance.

36. Il n'apparait pas inéquitable de débouter la société F2J.Com de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

37. Enfin, la compagnie AXA, partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, devra payer à Mme [L] [E] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice du 13 janvier 2022 en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [L] [E] à l'encontre de la compagnie AXA ;

LA CONFIRME pour le surplus,

STATUANT à nouveau,

DECLARE Mme [L] [E] recevable en sa demande à l'encontre de la compagnie AXA ;CONDAMNE la SA Compagnie Axa France IARD à payer à Mme [L] [E] les sommes suivantes :

- 50 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la compagnie AXA aux dépens, dont distraction de ceux dont elle a fait l'avance sans en recevoir provision au profit de l'instance distraits au profit de Maître Françoise Boulan, membre de la SELARL LX Aix en Provence, avocat associé.

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