CA Montpellier, ch. com., 8 avril 2025, n° 23/06172
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Demont
Conseillers :
M. Graffin, M. Vetu
Avocats :
Me Lefebvre, Me Ceccotti, Me Laurent, SCP SVA
FAITS ET PROCEDURE :
Par jugement en date du 2 octobre 2015, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la SAS [4], présidée par M. [C] [D], et désigné Mme [F] [G] en qualité de liquidateur.
Par jugement du 6 janvier 2017 le tribunal de commerce de Montpellier a fixé la date de cessation des paiements au 30 juin 2014.
Par exploit du 20 août 2018, Mme [F] [G], ès qualités, a assigné M. [C] [D] en responsabilité pour insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L. 651-62 du code de commerce.
Par jugement réputé contradictoire du 21 mai 2019, le tribunal de commerce de Montpellier a :
- constaté que l'insuffisance d'actif de la société [4] s'élève à la somme de 789 300,02 euros ;
- dit que M. [C] [D] a commis des fautes de gestion ayant entrainé l'insuffisance d'actif de la société [4] ;
- l'a condamné à payer la somme de 789 300,02 euros à Mme [F] [G], ès qualités ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- et condamné M. [C] [D] aux entiers dépens.
Par déclaration du 12 juin 2019, M. [C] [D] a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 14 décembre 2021, l'affaire a été retirée du rôle, les conseils des parties s'étant rapprochées en vue d'un accord transactionnel.
Le 4 décembre 2023, M. [C] [D] a sollicité la réinscription de l'affaire.
Par dernières conclusions du 20 décembre 2023, il demande à la cour, au visa des articles L. 651-1 et suivants, L. 223-42 du code de commerce et des articles 114, 654 et suivants du code de procédure civile, de :
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
In limine litis,
- constater l'irrégularité de l'assignation signifiée au Maroc à son encontre et de la signification de l'assignation à [Localité 5] selon les formes du PV de recherches infructueuses en date du 20 août 2018 ;
- juger nulles et de nul effet ces deux assignations et le jugement entrepris ;
À défaut,
- constater qu'un résultat déficitaire les premières années de vie d'une société ne suffit pas à caractériser une faute de gestion ; qu'il est devenu président et associé de la société [4] que fin septembre 2014, d'une société déjà déficitaire ; qu'il a pris la direction d'une société déficitaire avec pour seul objectif de redresser la situation ; que le compte d'exploitation prévisionnel et le tableau de bord faisant état d'un espoir réel et fiable de redressement de la société [4] ; constater la forte croissance de la société [4] les 3 premiers mois de l'année 2015 ; et les éléments économiques, concurrentiels et sociaux subis par la société [4] à compter du mois de mai 2015 ; que la société [6] est associée de la société [4] à hauteur de 40 % ; le remboursement en compte courant d'associé de la société [6] s'agissant d'une éventuelle faute d'un associé et non du dirigeant ; que l'absence de régularisation effective des capitaux propres est imputable aux actionnaires et ne constitue pas en soi une faute de gestion du dirigeant ; que le jugement de report de la date de cessation des paiements ne constate pas de créance exigible avant février 2015 ; et constater la croissance de la société [4] au 1er trimestre 2015 ;
- débouter Mme [F] [G], ès qualités, de sa demande de condamnation à son encontre au paiement de la somme de 789 300,02 euros au titre de fautes de gestion ayant entraîné l'insuffisance d'actif de la société [4] ;
- à défaut, ramener sa condamnation à de plus justes proportions ;
- et condamner Mme [F] [G], ès qualités, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 12 septembre 2019, Mme [F] [G], ès qualités de liquidateur de la SAS [4], demande à la cour, au visa de l'article L. 651-2 du code de commerce :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
In limine litis,
- de juger que M. [C] [D] a été régulièrement assigné et le débouter de ses demandes de nullité des assignations délivrées ;
Sur le fond,
- de juger qu'il a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif révélée par la procédure de liquidation judiciaire de la société [4] ; qu'il n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours ; qu'il a poursuivi une activité déficitaire depuis l'origine ; qu'il n'a pas convoqué l'assemblée générale en suite du constat de la perte de plus de la moitié du capital social ;
- de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif révélée par la procédure de liquidation judiciaire de la société [4] et le condamner au paiement de la somme de 789 313,99 euros ;
- de le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
- et de le condamner à lui payer la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par conclusions du 17 janvier 2020, le ministère public demande à la cour, au visa des articles 652, 659 et 689 du code de procédure civile et des articles 1 à 5 de la section I du titre I de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 :
' de déclarer l'appel de M. [C] [D] recevable et de le dire fondé ;
- de constater l'irrégularité de l'assignation délivrée au siège de la société [4] ;
- de constater que l'assignation délivrée à l'adresse personnelle de M. [C] [D] ne lui a pas été signifiée ;
- d'annuler le jugement entrepris et l'acte introductif d'instance ;
- et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 11 février 2025.
MOTIFS :
L'appelant soulève la nullité des assignations que Me [G] ès qualités lui a fait délivrer pour saisir le tribunal de commerce de Montpellier de son action en responsabilité pour l'insuffisance d'actif révélée par la procédure de liquidation judiciaire de la SAS [4].
Le liquidateur répond qu'il a parfaitement respecté les dispositions applicables à la signification d'une assignation à l'étranger ; qu'il n'est pas responsable du fait que l'assignation n'ait pas touché M. [D] au Maroc ; qu'une seconde assignation a été effectuée par l'huissier instrumentaire, Me [H], selon les formes du procès-verbal de l'article 659 du code de procédure civile, lequel a détaillé les diligences complètes accomplies à l'adresse sise [Adresse 7] à [Localité 5].
Mais M. [D], suivi en son argumentation par le ministère public, fait valoir exactement que l'assignation, à raison de fautes personnelles commises lors de sa présidence de la société de [4], devait être délivrée à son adresse personnelle à Marrakech, laquelle figure à l'extrait Kbis de la société [4] dont le siège social est sis [Adresse 7] ; que l'assignation été envoyée par huissier de justice 18 août 2018 accompagnée d'une fiche descriptive de l'acte rédigée en langue arabe au procureur dont le Roi de Marrakech a accusé réception le 21 août 2018 conformément aux règles édictées par la Convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 ( et non la Convention de La Haye), mais que le dossier retourné ne contient aucun document prouvant la remise de l'assignation à M. [D] ou le refus qui aurait été opposé par ce dernier de recevoir l'acte, de sorte que M. [C] [D] n'a pas été régulièrement assigné devant le tribunal de commerce.
En effet, en faisant délivrer l'assignation au siège social de la société [4], alors qu'elle connaissait l'adresse personnelle de l'intéressé, le liquidateur a méconnu les règles régissant l'action prévue à l'article L651-2 du code de commerce et l'article 689 du code de procédure civile.
L'assignation délivrée au lieu du siège social est irrégulière. Celle envoyée au Maroc n'a pas été délivrée.
M. [D], qui n'a eu connaissance ni de l'une ni de l'autre et qui a été jugé en son absence sans pouvoir être présent ou représenté, a été privé de la faculté de défendre à l'action.
Le jugement subséquent est dès lors nul et de nul effet.
En application de l'article 562 du code de procédure civile l'effet dévolutif de l'appel n'a pu opérer, l'appelant n'ayant pas conclu au fond à titre principal.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Prononce la nullité de l' assignation délivrée le 20 août 2018 au siège social de la société [4] et de l'assignation à l'adresse personnelle de M. [D] à Marrakech ;
Annule l'acte introductif d'instance et le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 21 mai 2019 ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que Me [G] ès qualités supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.