CA Nouméa, ch. civ., 7 avril 2025, n° 24/00119
NOUMÉA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Societe des auteurs, compositeurs et editeurs de Nouvelle-Caledonie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Genicon
Conseillers :
M. Allard, Mme Vernhet-Heinrich
Avocats :
Me Royanez, Me Million
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. François GENICON, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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Selon lettre datée du 9 novembre 2021, les sociétaires de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie ont été convoqués à l'assemblée générale mixte des membres de la société, qui devait se tenir le 3 décembre 2021, aux fins de « renouvellement statutaire des membres du conseil d'administration de la SACENC ».
Lors de cette assemblée générale, ont été élus membres du conseil d'administration M. [C] pour la catégorie « auteurs » et M. [M] pour la catégorie « compositeurs ».
A l'issue de cette assemblée générale, le conseil d'administration de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie a nommé M. [C] en qualité de président du conseil d'administration et Mme [G], vice-présidente.
Selon requête introductive d'instance déposée le 19 mai 2022, M. [W], sociétaire et ancien membre du conseil d'administration, qui contestait la régularité du scrutin en raison notamment du recours au vote par procuration, de l'erreur contenue dans la convocation sur le nombre de sièges à renouveler, du défaut de contrôle de l'assemblée par le bureau, de l'irrégularité des procurations, a sollicité l'annulation de l'assemblée générale du 3 décembre 2021 auprès du tribunal de première instance de Nouméa.
La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de la Nouvelle-Calédonie s'est opposée à cette demande en objectant que le vote par procuration était autorisé par l'article 25 des statuts et déniant toute irrégularité.
Par jugement en date du 6 février 2024, la juridiction saisie, retenant que la convocation officielle du 9 novembre 2021 était affectée d'une irrégularité en ce qu'elle visait le renouvellement de trois sièges d'administrateur, alors que seuls deux sièges devaient être renouvelés, et que cette irrégularité avait privé les votants d'un délai de réflexion, a :
- prononcé la nullité de l'élection du 3 décembre 2021,
- ordonné à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie
d'organiser de nouvelles élections dans un délai de six mois à compter de la signification du jugement,
- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie aux dépens de l'instance, y compris le coût de signification de l'ordonnance sur requête
du 31 janvier 2022.
Par requête déposée le 26 mars 2024, la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de son mémoire ampliatif transmis le 27 mai 2024, la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter M. [W] de l'intégralité de ses demandes ;
- constater la régularité des convocations, de la tenue de l'assemblée générale du 3 décembre 2021 et de la délibération visant à la nomination de M. [C] et de M. [M] en qualité d'administrateur de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie ;
- condamner M. [W] à verser 400.000 FCFP à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Selon conclusions transmises le 30 juillet 2024, M. [W] prie la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
- confirmer à titre subsidiaire par substitution de motifs le jugement attaqué ;
- ordonner à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie d'organiser de nouvelles élections dans le mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
- condamner la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie à payer à M. [W] la somme de 350.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la sarl Nicolas Million.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 janvier 2025.
Sur ce, la cour,
1) La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie, société de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes au sens de l'article L 321-1 du code de la propriété intellectuelle, est une société civile administrée par un conseil d'administration composé de huit membres (trois auteurs, trois compositeurs et deux éditeurs) élus par l'assemblée générale pour trois ans, et renouvelables tous les ans par tiers et par catégorie (article 12 des statuts).
Il résulte de l'article 13 des statuts que la désignation des administrateurs aux sièges vacants a lieu lors d'une « assemblée générale exceptionnelle », à laquelle est consacré l'article 27 qui dispose :
« Dans le cours de l'année, des Assemblées Générales peuvent avoir lieu pour un objet spécial en vertu des délibérations du Conseil d'Administration et à sa requête. En ce cas, aucune autre question ne peut être mise à l'ordre du jour de cette Assemblée Générale.
Les associés sont convoqués par un avis de convocation publié dans LES NOUVELLES CALEDONIENNES et dans ACTU.nc un mois au moins avant la réunion.
Toutefois, les sociétaires définitifs, visés à l'article 26 ci-dessus reçoivent, en outre, une convocation individuelle par lettre ordinaire quinze jours au moins avant la date de l'Assemblée.
Les dispositions prévues à l'article 25, en ce qui concerne la présidence, le bureaudes Assemblées ainsi que les conditions de vote, sont applicables aux Assemblées Générales exceptionnelles. »
2) Selon le procès-verbal de l'assemblée générale du 3 décembre 2021, les résultats du vote ont été les suivants :
« Nombre de sociétaires : 1272
Nombre de votants en présentiels : 106
Nombre de procurations : 196
Nombre de bulletins exprimés : 580
Nombre de bulletins blancs : 1
Ont obtenu au premier tour :
Catégorie « Auteurs » :
- Monsieur [Z] [A] : 247 voix
- Monsieur [B] [C] : 329 voix
Est élu, Monsieur [B] [C] (...)
Catégorie « Compositeurs » :
- Monsieur [P] [O] : 240 voix
- Monsieur [V] [M] : 331 voix
Est élu, Monsieur [V] [M]. »
Le premier juge a annulé les élections en retenant que la convocation à l'assemblée générale évoquait des « élections pour le renouvellement de trois sièges d'administrateurs », alors que seuls deux sièges devaient être renouvelés et que les votants qui avaient « constaté le jour de l'élection que seuls deux sièges étaient vacants », avaient été privés d'un « délai de réflexion » ; que ces faits avaient été « susceptibles d'avoir vicié le consentement des votants et, dès lors, altéré le résultat du scrutin ».
La Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie conteste que l'erreur matérielle commise dans la convocation ait été de nature à fausser le résultat du scrutin dans la mesure où il résultait du courrier du 4 octobre 2021 d'appel à candidatures que les sièges à renouveler étaient au nombre de deux.
3) L'article 1844-10 alinéa du code civil dispose :
« La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général. »
4) Aucune disposition du code civil ne soumet les convocations à une assemblée générale à un formalisme particulier. Il en résulte que l'erreur qui a affecté la convocation du 9 novembre 2021, en ce que celle-ci faisait état du « renouvellement de trois sièges d'administrateurs », n'est pas, en elle-même, suffisante pour justifier l'annulation du scrutin.
L'identité des candidats aux fonctions d'administrateurs avait été portée à la connaissance des associés « quinze jours au moins avant la date de l'assemblée » et aucun des témoignages recueillis par M. [W] ne fait état d'une quelconque perplexité des électeurs au moment du scrutin. L'idée selon laquelle l'erreur n'aurait pas permis aux associés de faire un choix éclairé repose sur une simple conjecture.
En l'absence de toute incidence sur la sincérité du scrutin, ce motif ne sera pas retenu par la cour et le jugement infirmé.
5) M. [W] reproche à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de n'avoir pas établi une notice de présentation du candidat, ni d'avoir organisé un débat entre les candidats avant le vote.
L'article 97 du règlement précise que la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie a « seule qualité pour établir et imprimer la notice de présentation de chaque candidat, et en assurer l'envoi aux associés sociétaires professionnels et sociétaires définitifs dans les conditions fixées par le conseil d'administration et la mise à la disposition à tout associé lors de l'assemblée générale ».
M. [W] est fondé à se plaindre d'une méconnaissance du règlement intérieur puisque la Société des auteurs compositeurs et éditeurs n'a pas imprimé une telle notice, ni ne l'a, a fortiori, adressée ou mise à la disposition des associés. Pour autant, cette carence ne sera pas retenue comme un motif d'annulation du scrutin dans la mesure où aucun des candidats n'a bénéficié d'une telle notice et où il n'y a donc eu aucune rupture d'égalité entre les candidats.
Le même constat doit être fait en ce qui concerne l'absence de tout échange entre les candidats antérieurement aux votes, étant observé que l'organisation d'un tel débat n'est pas évoquée par le règlement intérieur.
6) M. [W] conteste le recours au vote par procuration lors du scrutin du 3 décembre 2021, en l'absence de toute disposition des statuts et du règlement général le prévoyant.
L'article 25 des statuts, relatif aux assemblées générales annuelles, au cours desquelles les comptes annuels sont adoptés, prévoit que « l'assemblée peut délibérer valablement quel que soit le nombre des membres présents ou représentés ».
L'article 27 précise que « les dispositions prévues à l'article 25, en ce qui concerne (...) les conditions de vote, sont applicables aux assemblées générales exceptionnelles ».
Il résulte de la combinaison de ces deux articles que le principe d'un vote par procuration est implicitement mais nécessairement admis par les statuts.
La convocation du 9 novembre 2021 spécifiait de manière claire que l'objet de l'assemblée générale du 3 décembre 2021 résidait dans le renouvellement des administrateurs. Un modèle de procuration y était joint, visant spécifiquement l'assemblée générale du 3 décembre 2021 (annexe n° 4 de l'intimé). L'associé ayant rempli cette procuration ne pouvait pas se méprendre sur l'objet du mandat : la désignation des nouveaux administrateurs.
Il résulte de ce qui précède que le vote par procuration n'est pas en lui-même critiquable.
7) A l'appui de sa demande d'annulation, M. [W] dénonce un recours frauduleux au vote par procuration pour empêcher l'élection de M. [A]. A cet effet, il observe que les procurations données à M. [C] par Mmes [R] et [K], MM. [N], [F], [D] et [X] portent une date antérieure à la date de la convocation individuelle et que « la plupart des procurations données, massivement, aux personnes n'ayant pas voté pour monsieur [Z] [A] sont datées du 3 décembre 2021, soit le jour même de l'assemblée générale, alors que le courrier de convocation précisait bien que les procurations devaient être adressées à la SACENC au moins 1 jour avant la date de la tenue de l'assemblée générale. »
Si dans la convocation individuelle, il avait été demandé aux associés ayant recours au vote par procuration de « faire parvenir (la) procuration avant le 3 décembre 2021 », aucune disposition des statuts ou du règlement général ne sanctionne le dépôt tardif d'une procuration par sa nullité.
Selon ordonnance du 31 janvier 2022, le président du tribunal de première instance de Nouméa, à la requête de M. [W], a chargé la SCP Burignat - Lesson de se rendre au siège de l'appelante pour « se faire remettre les originaux ou des copies du matériel de vote ayant servi aux élections de deux membres du conseil d'administration de la SACENC en date du 3 décembre 2021, et notamment des bulletins de vote, les procurations, les feuilles ou cahier d'émargement, ainsi que la copie du procès-verbal du conseil d'administration signé ayant décidé de l'organisation de ces élections selon ces modalités ».
En exécution de cette ordonnance, M. [W] a pu avoir accès à l'ensemble des procurations et des feuilles d'émargement en lieu avec le scrutin litigieux. L'intimé ne démontre pas que l'un ou l'autre des associés ayant donné procuration à M. [C], adversaire de M. [A] dans le collège « auteurs », contesterait l'authenticité de la procuration établie à son nom ou dénoncerait des pressions.
En l'état des éléments qui lui sont soumis, il n'est pas établi que les procurations dont a pu bénéficier M. [C], ont été obtenues par fraude.
8) M. [W] sollicite l'annulation du scrutin du 3 décembre 2021 au motif que l'article 25 des statuts prévoit que l'assemblée générale « élit les membres du conseil d'administration au scrutin de liste et au plus grand nombre de suffrages exprimés ».
Dès lors qu'il s'agissait de procéder à la désignation de deux administrateurs, le premier relevant du collège « auteurs », le second du collège « compositeurs », la critique de M. [W] tirée de l'absence de liste de candidats est inopérante. Ce moyen sera rejeté.
9) M. [W] dénonce diverses irrégularités tenant à l'organisation matérielle du scrutin :
- l'absence d'encadrement des opérations électorales par le conseil d'administration
- le défaut de signature du procès-verbal de l'assemblée générale et des feuilles d'émargement par le président du conseil d'administration en exercice au moment de l'ouverture du vote
- l'absence de vérification des identités des électeurs et des procurations
- une discordance entre le nombre de bulletins exprimés et le nombre de voix enregistrées par les candidats
- l'absence d'isoloir.
L'article 26 des statuts prévoit :
« L'assemblée générale se compose de tous les associés de la Société, qui disposent chacun :
- d'une voix, conformément à l'article 8 ci-dessus, quelle que soit sa, ou ses catégories et sa qualité,
- de deux voix supplémentaires quelle que soit sa, ou ses catégories lorsqu'il a été nommé en qualité de sociétaire définitif. »
Cette dérogation au principe « un homme, une voix », qui autorise certains associés, « les sociétaires définitifs », à détenir trois voix, ne permet pas déterminer, en l'état des seules données chiffrées du procès-verbal de l'assemblée, si la discordance relevée par M. [W] s'explique par un dépouillement approximatif, renvoie à un mécanisme frauduleux ou, au contraire, est un reflet fidèle de la distribution des bulletins entre les candidats.
Il ressort des témoignages invoqués par M. [W] que le scrutin n'a pas été contrôlé de façon stricte par le bureau de l'assemblée générale, ni même n'avait été organisé de façon rigoureuse. Pour autant, M. [W] ne communique aucun témoignage relatant que des votants auraient usurpé l'identité d'absents et il a été précédemment constaté qu'aucun associé n'avait dénoncé le caractère apocryphe d'une procuration qui lui était prêtée.
S'agissant de l'absence d'isoloir, il sera observé que l'article 26 des statuts dispose :
« L'assemblée vote ordinairement à main levée. Toutefois, le vote à bulletin secret devra être obligatoirement institué :
- toutes les fois que le conseil d'administration le réclame,
- sur demande orale, au cours de l'assemblée, sans que les membres puissent demander plus de deux fois au cours de l'assemblée ce mode de votation. »
Il n'est pas prétendu que le recours à un vote à bulletin secret a été sollicité par M. [W] ou un autre associé au cours de la journée du 3 décembre 2021.
En conclusion, la cour retiendra que les associés appelés à désigner les administrateurs se sont accommodés d'une organisation laxiste des opérations de vote permise par des statuts qui n'instituent pas le caractère secret du vote en principe et rendent possibles les pressions et les fraudes. Pour autant, M. [W] n'établit que les résultats annoncés le 3 décembre 2021 ne seraient pas sincères et ne refléteraient pas la volonté des participants au processus de désignation des administrateurs.
Par ces motifs
La cour,
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Déboute M. [W] de ses prétentions ;
Déboute la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de Nouvelle-Calédonie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] aux dépens de première instance et d'appel.