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Décisions

CA Grenoble, ch. soc. -B, 3 avril 2025, n° 22/02934

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 22/02934

3 avril 2025

C2

N° RG 22/02934

N° Portalis DBVM-V-B7G-LPGD

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

La SCP VBA AVOCATS ASSOCIES

Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE

Me Sandrine PONCET

La SELARL FTN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale - Section B

ARRÊT DU JEUDI 03 AVRIL 2025

Appels d'une décision (N° RG F 20/00833)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 30 juin 2022

suivant déclarations d'appel des 26 juillet 2022 (N° RG 22/02934), 28 juillet 2022 (N° RG 22/02995) et 30 août 2022 (N° RG 22/03255)

Jonction le 8 septembre 2022 de la procédure N° RG 22/02995 sous le N° RG 22/02934

Jonction le 22 septembre 2022 de la procédure N° RG 22/03255 sous le N° RG 22/02934

APPELANTE :

SAS CYMS, placée en liquidation judiciaire par jugement TC de [Localité 3] en date du 20 février 2024

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Franck BENHAMOU de la SCP VBA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Thomas MOUSSEAU-SWIERCZ, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIME :

Monsieur [L] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE, avocat au barreau de GRENOBLE

PARTIES INTERVENANTES :

SELARL BERTHELOT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Sandrine PONCET, avocat au barreau de GRENOBLE

Association AGS CGEA D'[Localité 8], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par Me Florence NERI de la SELARL FTN, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 février 2025

Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller, en charge du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 03 avril 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la cour.

L'arrêt a été rendu le 03 avril 2025

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] [R], associé non majoritaire au sein de la société par actions simplifiée (SAS) CYMS, a été désigné directeur général dans les statuts de ladite société, exploitant le restaurant situé sur le site du téléphérique de [Localité 3] sous l'enseigne 02 Restaurant du Téléphérique.

Parallèlement, il a été engagé en qualité de directeur général statut cadre niveau V échelon II par contrat de travail à durée indéterminée soumis à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants.

Par décision du 14 février 2020, l'assemblée générale a décidé de mettre fin par anticipation à compter du même jour au mandat de directeur général de la société de M. [R], de ne pas procéder à son remplacement et de prendre acte de ce qu'il ne percevra aucune indemnité en contrepartie de sa révocation.

Par courrier du 2 juin 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 16 juin 2020 et s'est vue notifier sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 23 juillet 2020, la société CYMS lui a indiqué mettre un terme à la procédure disciplinaire le concernant. Il a repris le travail le 11 août 2020 avant d'être en arrêt pour maladie du 27 août au 20 septembre 2020.

Par requête du 30 septembre 2020, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, de voir dire qu'il a été victime de harcèlement moral, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et de voir condamner l'employeur à lui verser les indemnités afférentes.

Par courrier du 1er octobre 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour le 14 octobre 2020.

Par courrier du 21 octobre 2020, la société CYMS a notifié à M. [R] son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société CYMS et désigné la SELARL Berthelot prise en la personne de M. [N] ès qualités de mandataire judiciaire.

Par jugement du 30 juin 2022 le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

Dit que M. [L] [R] n'a été victime d'aucun harcèlement moral ; que la société CYMS a satisfait à son obligation de sécurité,

Dit que la société CYMS a gravement manqué à ses obligations contractuelles en modifiant unilatéralement le contrat de travail et en retirant le matériel professionnel de M. [L] [R],

Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [L] [R] aux torts exclusifs de la société CYMS, rupture qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les effets à compter du 21 octobre 2020, date du licenciement,

Condamné la société CYMS à payer à M. [L] [R] les sommes suivantes :

- 1 953,64 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A défaut de fonds disponibles

Ordonné à la SELARL Berthelot, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société CYMS, d'établir un relevé de créances au bénéfice de M. [L] [R] pour les sommes ci-dessus,

Déclaré les décisions du présent jugement opposable à l'AGS-CGEA d'[Localité 8] ;

Rappelé qu'une créance éventuelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ne constitue pas une créance découlant du contrat de travail et, partant, se situe hors le champ de garantie de l'AGS conformément aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail,

Dit que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 à L.3253-13 du Code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 à L.3253-21 du code du travail,

Dit que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement (article L.3253-20 du code du travail), les intérêts légaux étant arrêtés au jour du jugement déclaratif (article L.621-48 du code du commerce).

Débouté M. [L] [R] du surplus de ses demandes,

Débouté la société CYMS de sa demande reconventionnelle,

Condamné la société CYMS aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 1er juillet 2022 par M. [R] et le 4 juillet 2022 pour la société CYMS.

Par déclaration en date du 26 juillet 2022, la société CYMS a interjeté appel dudit jugement.

M. [R] a formé appel incident.

Par jugement du 20 février 2024, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire de la société CYMS.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 juillet 2024, la société CYMS et la SELARL Berthelot ès qualités de mandataire liquidateur de la société CYMS sollicitent de la cour de :

Recevoir M. [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CYMS, de son intervention volontaire,

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Dit que la société CYMS a gravement manqué à ses obligations contractuelles en modifiant unilatéralement le contrat de travail et en retirant le matériel professionnel de M. [L] [R],

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [L] [R] aux torts exclusifs de la société CYMS, rupture qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les effets à compter du 21 octobre 2020, date du licenciement,

- Condamné la société CYMS à payer à M. [L] [R] les sommes suivantes :

' 1 953,64 euros à titre d'indemnité de licenciement,

' 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

' 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la société CYMS de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la société CYMS aux dépens.

Confirmer le surplus,

Et, statuant de nouveau

À titre principal,

Juger que l'ancienneté de M. [R] était de 8,5 mois à la date de fin de son préavis et 5 mois à la date de notification du licenciement pour insuffisances professionnelles,

Débouter M. [R] de l'intégralité de ses fins moyens conclusions et demandes en jugeant que :

- M. [R] ne rapporte pas la preuve de manquements graves de la société CYMS à son égard pouvant justifier la résolution judiciaire de son contrat de travail

- Que le licenciement prononcé repose bien sur une cause réelle et sérieuse

- Que M. [R] ne rapporte pas la preuve d'une situation de harcèlement moral ni le moindre manquement de la société CYMS à son obligation de sécurité de résultat

- Que M. [R] ne justifie pas de l'ancienneté nécessaire pour prétendre au versement d'une indemnité de licenciement

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à faire droit aux demandes du salarié il lui est demandé de :

Ramener les prétentions de M. [R] à de plus justes mesures en faisant application des barèmes légaux applicables cantonnant l'indemnisation son licenciement à 1 mois de salaire,

Ramener à l'euro symbolique le montant des dommages et intérêts alloués à M. [R] sur le fondement du harcèlement moral et de l'obligation de sécurité compte tenu de l'absence de démonstration de tout préjudice,

En tout état de cause,

Débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,

Déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA D'[Localité 8],

Condamner M. [R] à verser à la société CYMS la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel

Condamner M. [R] aux entiers frais et dépens d'instance de première instance et dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 octobre 2022, M. [R] sollicite de la cour de :

Déclarer M. [R] recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions ;

Infirmer la décision déférée sur tous les chefs du jugement critiqué ;

Dire et juger que la société CYMS a gravement manqué à ses obligations contractuelles en modifiant unilatéralement le contrat de travail ;

Dire et juger que M. [R] a été victime d'un comportement constitutif d'un harcèlement moral au regard des agissements de son employeur ;

Dire et juger que, par cette attitude volontaire qui a impacté fortement la santé de M. [R], la société CYMS a violé son obligation de sécurité de résultat ;

En conséquence

A titre principal :

Confirmer la résiliation judicaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société CYMS ;

Dire et juger que la rupture du contrat de travail ainsi prononcée s'analyse en un licenciement nul en cas d'harcèlement moral, ou de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, à défaut ;

Condamner alors la société CYMS à payer à M. [R] les sommes suivantes :

Dommages et intérêts pour nullité du licenciement 30 000 euros

Ou

Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 7 896,12 euros

A titre subsidiaire :

Dire et juger que le licenciement prononcé s'analyse en licenciement un nul en cas d'harcèlement moral, ou de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, à défaut ;

Condamner la société CYMS à payer à M. [R] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour nullité du licenciement 30 000 euros

Ou

Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 7 896,12 euros

En toute hypothèse :

Condamner la société CYMS à payer à M. [R] les sommes suivantes :

Indemnité de licenciement 1 953,64 euros

Dommages et intérêts pour harcèlement et préjudice moral 10 000 euros

Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat 5 000 euros

Assortir ces condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes pour les créances à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour les autres ;

Dire et juger que la décision à intervenir sera déclarée commune et opposable à l'AGS-CGEA d'[Localité 8] ainsi qu'à la SELARL Berthelot prise en la personne de Me Berthelot, Es qualité de Mandataire judiciaire ;

Condamner la société CYMS à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner encore la même aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2024, l'AGS CGEA d'[Localité 8] sollicite de la cour de :

Confirmer le jugement dont appel dans l'ensemble de ses dispositions,

Donner acte à l'AGS de ce qu'elle fait assomption de cause avec la SELARL Berthelot ès-qualité de mandataire liquidateur de la société CYMS, en ce qu'elle conclut, par des motifs pertinents, au débouté intégral du salarié :

Débouter en conséquence M. [L] [R] de l'ensemble de ses demandes,

En tout état de cause,

Débouter le salarié de sa demande de condamnation à l'encontre de l'AGS, la décision à intervenir pouvant seulement lui être déclarée opposable (Cass. Soc. 26 janvier 2000 n° 494 P / Cass. Soc. 18 mars 2008 n° 554 FD), celle-ci étant attraite en la cause sur le fondement de l'article L.625-3 du Code de Commerce.

Débouter le salarié de toutes demandes de prise en charge par l'AGS excédant l'étendue de sa garantie, laquelle est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, lequel inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale ou d'origine conventionnelle imposée par la Loi ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du Code Général des Impôts,

Débouter le salarié de toute demande directe à l'encontre de l'AGS, l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pouvant s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire (Art. L. 3253-20 du Code du Travail), les intérêts légaux étant arrêtés au jour du jugement déclaratif (Art. L.621-48 du Code de Commerce).

Débouter le salarié de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, cette créance ne constituant pas une créance découlant du contrat de travail et, partant, se situe hors le champ de garantie de l'AGS ce conformément aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail,

Condamner le salarié aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 décembre 2024.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 5 février 2024, a été mise en délibéré au 3 avril 2025.

EXPOSE DES MOTIFS

Sur le cumul mandat social et contrat de travail

Le cumul du contrat de travail et du mandat social est subordonné à l'exercice de fonctions techniques distinctes du mandat social, dans un lien de subordination.

L'exercice de fonctions techniques distinctes dans un lien de subordination est apprécié souverainement par les juges du fond.

Le lien de subordination nécessaire à l'existence du contrat de travail ne peut pas être caractérisé par les directives que le mandataire peut recevoir des associés, du président ou du conseil d'administration de la société et qui sont, par hypothèse, liées à l'exercice normal de son mandat social.

Le contrat de travail d'un salarié désigné comme mandataire social et qui cesse d'être placé à l'égard de la société dans un état de subordination, pour l'exécution de fonctions techniques distinctes du mandat, est seulement suspendu pendant la durée de ce mandat.

Il incombe à celui qui soutient que la nomination du salarié comme mandataire social a suspendu son contrat de travail et qu'il n'y a pas eu cumul du contrat de travail et du mandat social postérieur d'en rapporter la preuve (Soc., 20 mars 2024, pourvoi n° 21-10.968).

En l'espèce, quoique l'exemplaire écrit du contrat de travail versé aux débats ne soit pas signé par l'employeur, comme cela ressort de la lettre de licenciement du 21 octobre 2020, lorsque la société CYMS a été créée en 2019 aux fins de reprendre l'exploitation du restaurant du téléphérique à [Localité 3], M. [R] a eu « la double qualité d'associé au capital d'une part mais également de mandataire social en qualité de directeur général d'autre part ». Parallèlement à ce mandat social, « un contrat de travail en qualité de directeur général [lui] a été consenti ». Au surplus, le salarié invoque la mention de l'emploi « directeur général » sur ses bulletins de paie jusqu'en février 2020 et allègue avoir effectivement occupé de telles fonctions jusqu'à cette date à partir de laquelle son contrat de travail a été modifié.

Aucune des parties ne soutient que sur cette période allant de l'engagement jusqu'à février 2020 inclus M. [R] aurait exercé des fonctions techniques distinctes de celles de directeur général et dans un lien de subordination. Au demeurant, aucune pièce ne permet de l'établir.

En conséquence, il y a lieu de retenir que le contrat de travail du salarié a été suspendu pendant toute la durée du mandat social lequel mandat a pris fin ensuite de sa révocation par l'assemblée générale du 14 février 2020.

Sur le harcèlement moral :

L'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est en outre pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le Juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité d'éléments de fait précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

En l'espèce, M. [R] n'objective pas les éléments de fait suivants :

La convocation en date du 29 janvier 2020 « en application de l'article 18. 3 des statuts de la société en vue d'un échange sur les motifs d'une révocation des fonctions de directeur général » étant intervenue pendant la période de suspension du contrat de travail à raison de l'exercice du mandat social et dans le cadre d'un litige entre associés relevant de la compétence d'une autre juridiction, elle n'est pas susceptible de constituer un élément de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Plus largement, les différentes décisions prises par ses associés pendant la suspension du contrat de travail à raison de l'exercice du mandat social matérialisant l'existence d'un conflit entre lui et ces derniers ne sont pas susceptibles d'objectiver des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral. Il en va ainsi de l'embauche d'un chef de cuisine sans qu'il en soit informé, de tâches qui lui revenaient ensuite confiées à son assistant de direction comme la remise des bulletins de paie aux salariés, de la fermeture de son accès à la banque ou de l'accès aux comptes des clients, des changements de dates d'ouverture de l'établissement, du changement de la carte du restaurant ou des reproches qui lui ont été adressés relatifs à sa prise de jours de repros sans travailler pour l'entreprise.

En revanche, il apporte la matérialité des éléments de fait suivants :

M. [R] produit un courrier en date du 16 mars 2020 par lequel son employeur le convoque un entretien afin de négocier un accord de rupture alors qu'il conteste n'avoir jamais été demandeur d'une quelconque rupture du contrat de travail.

Il objective avoir dû restituer différents objets ou outils de travail à la demande de l'employeur le 15 avril 2020 et le 3 juin 2020, notamment les clés, la copie du certificat d'immatriculation d'un véhicule, un ordinateur portable des cartes bancaires ou de fidélité, des tickets restaurant à encaisser ou encore des documents administratifs.

Il objective encore une modification de son contrat de travail puisque ses bulletins de paie n'ont plus fait référence à compter du mois de mars 2020 à une fonction de directeur général mais seulement à la fonction de directeur de salle.

Il a été convoqué par courrier du 2 juin 2020 à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à son licenciement pour faute grave, avec la notification dans le même temps d'une mise à pied conservatoire, alors qu'il lui a été reproché de manière générale sans aucune précision des « problèmes commerciaux, administratifs et de gestion » selon le compte rendu de M. [G] assistant le salarié et que l'employeur a finalement mis un terme à la procédure disciplinaire engagée à son encontre et donc à sa mise à pied conservatoire lui demandant en conséquence de bien vouloir réintégrer son poste dès réception du courriel.

L'ensemble de ces éléments survenus dans la suite de la révocation de son mandat social pris dans leur ensemble matérialisent des pressions de l'employeur aux fins de susciter la rupture du contrat de travail.

M. [R] justifie avoir été en arrêt maladie à compter du 27 août 2020.

Pris dans leur globalité, les éléments de fait objectivés par M. [R], laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral résultant d'agissements répétés ayant pour effet des conditions de travail dégradées portant atteinte à ses droits et altérant sa santé physique.

Ensuite, l'employeur n'apporte pas les justifications étrangères à tout harcèlement moral en ce que :

Quoi que l'employeur conteste toute modification du contrat de travail plaidant la seule existence d'un aménagement de ses missions et la restitution de ses outils de travail rendue nécessaire par la révocation du mandat social, il ressort de ses propres explications que dans les faits les missions de M. [R] ont effectivement été modifiées de manière significative au quotidien et qu'il n'avait plus de fonction de directeur général comme mentionné à la fois dans le contrat de travail, sur les bulletins de paie et tel qu'admis par l'employeur dans la lettre de licenciement.

La conclusion d'un contrat de travail pour exercer la mission de directeur général quand bien même celui-ci a été suspendu immédiatement suivie d'une modification des tâches du salarié ensuite de la révocation du mandat social et de la fin de la période de suspension du contrat de travail s'analyse nécessairement comme une modification du contrat de travail dès lors que l'employeur n'allègue pas une acceptation de M. [R] de cette modification substantielle de ses missions ayant consisté en son affectation après le 20 février 2020 à des tâches de directeur de salle.

Plus avant, l'employeur ne matérialise pas que le salarié était favorable à des échanges en vue d'une rupture conventionnelle et que la procédure disciplinaire initiée en juin avec mise à pied conservatoire reposait sur des éléments objectifs distincts de cette modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur.

Ainsi, au final, la société CYMS n'établit pas suffisamment que ses agissements sus-évoqués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aussi, infirmant le jugement entrepris, il y a lieu de dire que le salarié a été victime de harcèlement moral

Ces faits de harcèlement moral sont directement à l'origine d'un préjudice moral subi par M. [R] et justifient qu'il lui soit alloué en réparation, en tenant compte de la période limitée de temps pendant laquelle le salarié a été exposé à ceux-ci, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Infirmant le jugement déféré, il convient de fixer au passif de la société CYMS au profit de M. [R] la somme de 5 000 euros net de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité

L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

En l'espèce, sans inverser la charge de la preuve, le salarié allègue que l'ensemble des procédures mises en 'uvre à son encontre trouvent leur source dans son refus de se porter caution au bénéfice de la société sur ses biens personnels de telle manière que ses associés ont vidé de sa substance le contenu de ses fonctions. Or, ces derniers éléments précédemment retenus comme constitutifs du harcèlement moral sont insuffisants en tant que tels pour caractériser un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur alors qu'il n'est pas allégué que ce dernier a dans le même temps été interpellé par le salarié relativement aux faits de harcèlement moral invoqués dans la présente procédure ou plus largement des faits susceptibles de caractériser un tel manquement de l'employeur.

Confirmant le jugement entrepris, M. [R] est débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité.

Sur la résiliation judiciaire

Conformément aux dispositions de l'article 1224 du code civil, la condition résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté peut demander au juge la résolution du contrat.

Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.

Il lui appartient d'établir la réalité des manquements reprochés à l'employeur et de démontrer que ceux-ci sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. En principe, la résiliation prononcée produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur fondée sur des faits de harcèlement moral, produit les effets d'un licenciement nul, conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si l'inexécution de certaines obligations résultant d'un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation.

Le juge, saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.

En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, sauf si le salarié a été licencié dans l'intervalle de sorte qu'elle produit alors ses effets à la date de l'envoi de la lettre de licenciement.

En l'espèce, il résulte suffisamment de ce qui précède que l'employeur a modifié le contrat de travail de M. [R] en lui imposant des fonctions non acceptées de directeur de salle à compter de mars 2020. Ce manquement est suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail.

Aussi confirmant le jugement déféré il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [L] [R] aux torts exclusifs de la société CYMS.

En revanche, alors qu'il a été précédemment retenu que ces faits sont constitutifs d'un harcèlement moral, infirmant le jugement déféré, il est dit que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul à compter du 21 octobre 2020 date du licenciement de M. [L] [R] pour insuffisance professionnelle.

Sur les prétentions indemnitaires

Premièrement, en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, compte tenu de ce que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul, le salarié est fondé à obtenir une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire. Il justifie au demeurant avoir été demandeur d'emploi ensuite du licenciement jusqu'en mars 2022.

Infirmant le jugement entrepris, eu égard à son salaire de référence de 3 787,46 euros brut, il y a lieu de fixer au passif de la société CYMS au profit de M. [L] [R] la somme de 22 725 euros brut au titre du licenciement nul.

Deuxièmement, en application de l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée doit justifier d'une ancienneté de 8 mois ininterrompue au service du même employeur pour pouvoir prétendre à l'indemnité légale de licenciement. Or, en l'espèce, compte tenu de la suspension du contrat de travail de M. [R] depuis sa conclusion jusqu'au 14 février 2020 et compte tenu de la suspension du même contrat à compter de l'arrêt maladie du 27 août 2020 jusqu'à la rupture prenant effet au 21 octobre de la même année, le salarié ne remplit pas la condition d'ancienneté. M. [R] ne remplit pas davantage la condition d'ancienneté de deux ans pour une indemnité conventionnelle de licenciement.

Infirmant le jugement déféré, M. [R] est débouté de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur l'opposabilité du présent arrêt à l'AGS et l'arrêt du cours des intérêts

Il y a lieu de déclarer l'arrêt commun et opposable à l'AGS et de dire que l'AGS CGEA d'[Localité 8] doit sa garantie selon les modalités détaillées au dispositif du présent arrêt, étant précisé qu'en application de l'article L. 3253-17 du code du travail tel que modifié par loi n°2016-1917 du 29 décembre 2016, le plafond de garantie de l'AGS s'entend en montants bruts et retenue à la source de l'article 204 A du code général des impôts incluse.

Ensuite, il convient de dire que les intérêts sur les sommes dues sont arrêtés au jour du jugement déclaratif par application de l'article L 622-28 du code de commerce, soit le 24 novembre 2020.

Sur les demandes accessoires

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, la société CYMS, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande, infirmant le jugement entrepris, de fixer au passif de la société CYMS au profit de M. [L] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel.

Les parties sont déboutées du surplus de leurs demandes à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes sauf en ce qu'il a :

Dit que la société CYMS a gravement manqué à ses obligations contractuelles en modifiant unilatéralement le contrat de travail et en retirant le matériel professionnel de M. [L] [R],

Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [L] [R] aux torts exclusifs de la société CYMS,

Condamné la société CYMS aux dépens de première instance,

Débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que M. [L] [R] a été victime de harcèlement moral,

DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul à compter du 21 octobre 2020 date du licenciement de M. [L] [R] pour insuffisance professionnelle,

FIXE au passif de la société CYMS au profit de M. [L] [R] les sommes de :

5 000 euros net (cinq mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

22 725 euros brut (vingt-deux mille sept cent vingt-cinq euros) au titre du licenciement nul,

3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel,

DECLARE le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 8],

DIT que l'AGS CGEA d'[Localité 8] doit sa garantie selon les modalités détaillées au dispositif du présent arrêt étant précisé qu'en application de l'article L 3253-17 du code du travail tel que modifié par loi n°2016-1917 du 29 décembre 2016, le plafond de garantie de l'AGS s'entend en montants bruts et retenue à la source de l'article 204 A du code général des impôts incluse,

DIT que les intérêts sur les sommes dues sont arrêtés au jour du jugement déclaratif par application de l'article L 622-28 du code de commerce, soit le 24 novembre 2020,

DEBOUTE M. [L] [R] du surplus de ses demandes principales,

DEBOUTE la société CYMS de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société CYMS aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

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