CA Basse-Terre, 2e ch., 7 avril 2025, n° 23/01161
BASSE-TERRE
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
Mme Cledat
Avocats :
Me Gonand, Me Sauvagnac, Me Bendjenna, FTPA, Me Kirscher, St Barth Law, Me Urbino-Clairville
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
Le 27 décembre 2013, M. [V] [P] et ses enfants, M. [R] [P] et Mme [N] [P], ont constitué la Sas [12].
M. [V] [P], nommé président de cette société, lui a consenti un apport en nature de la propriété bâtie à usage d'habitation située à [Localité 6] cadastrée section AL n°[Cadastre 4] dont il était propriétaire depuis 2010 et dans laquelle il résidait. En contrepartie, il a bénéficié de 2600 parts sociales sur 2.602, ses deux enfants disposant d'une part chacun.
Aux termes de deux autres actes authentiques du même jour, M. [V] [P] a fait donation à son fils [R] et à sa fille [N] de 1.299 parts sociales de la Sas [12] chacun, conservant uniquement deux parts sociales.
Par la suite, M. [V] [P] a édifié sur le terrain apporté à la société un bâtiment à usage d'habitation divisé en appartements destinés à la location qu'il a financé avec ses fonds propres à hauteur de 1.629.568 euros. Il a ainsi bénéficié d'un compte courant d'associé de ce montant qui a fait ultérieurement l'objet de remboursements partiels.
Le 27 mai 2021, M. [V] [P] a démissionné de son poste de président et son fils, M. [R] [P], a été nommé en remplacement.
Un litige a opposé les parties concernant principalement l'occupation par M. [V] [P] de son domicile, qu'il avait apporté à la société [12].
Par acte du 27 janvier 2022, M. [V] [P] a saisi le tribunal de proximité de Saint-Martin et Saint-Barthélémy afin de voir ordonner à titre principal la révocation des donations consenties à ses enfants pour cause d'ingratitude et, subsidiairement, l'annulation de l'apport en nature et des donations.
Par jugement du 19 décembre 2022, la société [12] a été placée en redressement judiciaire.
Par jugement réputé contradictoire du 17 novembre 2023, rendu en l'absence du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire de la société [12], qui n'avaient pas constitué avocat, le tribunal a :
- déclaré irrecevables les fins de non-recevoir invoquées par Mme [N] [P], M. [R] [P] et la société [12] dans leurs conclusions au fond, avant dessaisissement du juge de la mise en état,
- révoqué pour cause d'ingratitude l'acte de donation d'actions consenti par M. [V] [P] à M. [R] [P] le 27 décembre 2013,
- débouté M. [V] [P] de sa demande de révocation de la donation d'actions consentie à Mme [N] [P] sur le fondement de l'ingratitude,
- débouté M. [V] [P] de sa demande de nullité de l'acte d'apport de la parcelle AL [Cadastre 4] à la société [12],
- ordonné le retour dans le patrimoine de M. [V] [P] de 1299 actions de la société [12] numérotées 1302 à 2600, détenues par M. [R] [P],
- débouté M. [V] [P] de sa demande tendant à voir annuler l'ensemble des délibérations votées en assemblées générales de la société [12] depuis le 27 décembre 2013,
- débouté M. [V] [P] de sa demande tendant au remboursement des fruits et dividendes perçus relativement aux 1299 actions de la société [12] numérotées 1302 à 2600,
- condamné M. [R] [P] aux entiers dépens, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné M. [R] [P] à verser à M. [V] [P] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [N] [P] de sa propre demande à ce titre.
M. [R] [P] a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 7 décembre 2023, en précisant que son appel était limité aux chefs de jugement relatifs:
- à la révocation pour cause d'ingratitude l'acte de donation d'actions qui lui avait été consenti par M. [V] [P] le 27 décembre 2013,
- au retour dans le patrimoine de M. [V] [P] des 1299 actions de la société [12] numérotées 1302 à 2600, qu'il détenait jusque-là,
- à sa condamnation aux entiers dépens, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- à sa condamnation à verser à M. [V] [P] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a intimé dans ce cadre toutes les parties à l'instance devant le tribunal de proximité, à l'exception de Mme [N] [P].
M. [V] [P] a régularisé sa constitution d'avocat par voie électronique le 3 janvier 2024.
La société [12] et Maître [B] [E], ès qualités d'administrateur judiciaire de cette société, ont constitué avocat le 11 avril 2024, puis Maître [J] [L], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [12], le 30 avril 2024.
M. [R] [P] a remis au greffe ses conclusions d'appelant le 4 avril 2024.
M. [V] [P] a quant à lui remis au greffe le 22 juillet 2024 ses conclusions d'intimé contenant appel incident.
Le 26 juillet 2024, il a signifié à Mme [N] [P] la déclaration d'appel du 7 décembre 2023, les conclusions de l'appelant du 4 avril 2024 et ses propres conclusions du 22 juillet 2024, en vertu d'un acte intitulé 'assignation en intervention forcée (appel provoqué)'.
Mme [N] [P] a régularisé sa constitution d'avocat le 3 septembre 2024.
Le 17 octobre 2024, la Selarl [8], représentée par Maître [B] [E], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de la société [12], adopté le 4 juillet 2024, a remis au greffe des conclusions d'intimé et d'intervenant volontaire afin d'inviter la cour à statuer ce que de droit sur le bien-fondé des appels interjetés par M. [R] [P] 'et Mme [N] [P]'.
OBJET DE L'INCIDENT
Aux termes de conclusions d'incident remises au greffe le 21 novembre 2024, Mme [N] [P] a demandé au conseiller de la mise en état, à titre principal, de déclarer irrecevable l'assignation délivrée à son encontre et, subsidiairement, de déclarer irrecevable la demande en intervention forcée formée à son encontre ainsi que son appel provoqué.
De son côté, par conclusions remises au greffe le 21 novembre 2024, M. [R] [P] a demandé au conseiller de la mise en état de déclarer prescrites les demandes de révocation pour ingratitude des actes de donation et de nullité de l'acte d'apport et des actes de donation.
M. [V] [P] s'est opposé à ces demandes et a demandé au conseiller de la mise en état de le déclarer recevable et bien fondé en sa demande d'intervention forcée valant appel provoqué à l'encontre de Mme [N] [P].
L'affaire a été appelée à l'audience d'incidents de mise en état du 20 janvier 2025, puis renvoyée à celle du 17 mars 2025, date à laquelle elle a été retenue et plaidée. A l'issue, la décision a été mise en délibéré au 7 avril 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 14 mars 2025, Mme [N] [P] a demandé au conseiller de la mise en état :
- à titre liminaire :
- de déclarer recevables les conclusions au fond et les conclusions d'incident qui ont été produites dans son intérêt,
- de rejeter les moyens d'irrecevabilité soulevés par M. [V] [P],
- à titre principal :
- de prononcer l'irrecevabilité de l'assignation délivrée par M. [V] [P] dès lors que celui-ci vise dans le même temps deux mécanismes contradictoires, que sont l'intervention forcée et l'appel provoqué,
- à titre subsidiaire :
- de juger que, dans la mesure où elle a été appelée en première instance, elle ne peut être intimée par la voie de l'intervention forcée en appel,
- de prononcer l'irrecevabilité de la demande d'intervention forcée formée à son encontre,
- à titre très subsidiaire :
- de juger que M. [V] [P] ne justifie pas d'un intérêt plus spécifique que la succombance pour former un appel provoqué, dès lors que son intérêt à contester la décision de première instance existait dès son prononcé et qu'il a par ailleurs formé un appel principal de cette même décision, pour les mêmes chefs,
- de juger que M. [V] [P] ne justifie pas d'un intérêt légitime à former un second appel du jugement du 17 novembre 2023 qu'il avait précédemment attaqué par cette voie, pour échapper aux sanctions frappant son premier appel,
- de prononcer l'irrecevabilité de l'appel provoqué,
- à titre encore plus subsidiaire :
- de juger recevable le moyen tiré de la prescription de l'action en révocation des donations et en nullité des donations,
- de juger prescrite la demande de révocation pour ingratitude des actes de donation d'actions consentis le 27 décembre 2013,
- de juger prescrites les demandes de nullité de l'acte d'apport de la parcelle AL n°[Cadastre 4] à la société [12] et des actes de donation consentis le 27 décembre 2013,
- en tout état de cause :
- de condamner M. [V] [P] à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Aux termes de ses dernières conclusions d'incident remises au greffe le 15 janvier 2025, M. [R] [P] a demandé au conseiller de la mise en état :
- de juger que le moyen tiré de la prescription de l'action en révocation des donations est recevable car soulevé par ses soins pour la première fois en cause d'appel,
- de juger que le moyen tiré de la prescription de l'action en nullité des donations est recevable, car c'est dans le cadre de l'appel incident régularisé par M. [V] [P] que la question de la nullité a été soumise à l'appréciation de la cour,
- de juger que le moyen tiré de la prescription de l'action en nullité des donations est recevable, car soulevé dans le cadre d'une nouvelle instance,
- de juger prescrite la demande de révocation pour ingratitude des actes de donation d'actions consentis le 27 décembre 2013,
- de juger prescrites les demandes de nullité de l'acte d'apport de la parcelle AL n°[Cadastre 4] à la société [12] et des actions de donation consentis le 27 décembre 2013,
- de condamner M. [V] [P] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident remises au greffe de la cour le 14 mars 2025, M. [V] [P] a quant à lui demandé au conseiller de la mise en état :
- à titre principal :
- de déclarer irrecevables les conclusions au fond notifiées par Mme [N] [P],
- de déclarer irrecevables les conclusions d'incident de Mme [N] [P],
- de se déclarer incompétent pour connaître des fins de non-recevoir tirées de la prescription et de la méconnaissance du délai préfix,
- en conséquence, de le déclarer recevable en son action et en son appel provoqué à l'encontre de Mme [N] [P] dans la procédure actuellement pendante devant la cour d'appel de Basse-Terre suite à l'appel interjeté par M. [R] [P] contre le jugement rendu le 17 novembre 2023 par le tribunal de proximité de Saint-Martin et Saint-Barthélémy,
- de renvoyer au fond pour le surplus,
- à titre subsidiaire :
- de rejeter l'incident de procédure introduit par Mme [N] [P],
- de rejeter l'incident de procédure introduit par M. [R] [P],
- en conséquence, de le déclarer recevable en son action et en son appel provoqué à l'encontre de Mme [N] [P] dans la procédure actuellement pendante devant la cour d'appel de Basse-Terre suite à l'appel interjeté par M. [R] [P] contre le jugement rendu le 17 novembre 2023 par le tribunal de proximité de Saint-Martin et Saint-Barthélémy,
- de renvoyer au fond pour le surplus,
- en tout état de cause :
- de condamner M. [R] [P] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Mme [N] [P] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner in solidum Mme [N] [P] et M. [R] [P] aux entiers dépens, distraits au profit de la Selas St-Barthlaw conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la recevabilité des conclusions de Mme [N] [P] :
Dans le cadre du présent incident, M. [V] [P] soutient que les conclusions d'incident de Mme [M] [P] sont irrecevables puisqu'elle n'a pas conclu au fond dans les délais prévus par les articles 910 et 915-4 du code de procédure civile, le message qu'elle a adressé au greffe le 25 novembre 2024 afin de notifier ses conclusions contenant en pièce jointe, non pas ses conclusions, mais celles déjà prises pour son frère [R].
En réponse, Mme [M] [P] soutient qu'il s'agit d'une simple erreur matérielle, qui ne peut suffire à rendre irrecevables ses conclusions au fond et, qu'en tout état de cause, ses conclusions d'incident sont recevables, puisqu'elle les a remises au greffe avant l'expiration de son délai pour conclure au fond.
***
Conformément aux dispositions de l'article 910 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux appels formés antérieurement au 1er septembre 2024, l'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.
En outre, l'article 911-2, également dans sa version applicable aux appels formés antérieurement au 1er septembre 2024, codifié sous le numéro 915-4 seulement depuis le 1er septembre 2024, dispose que les délais prescrits aux intimés et intervenants forcés par les articles 909 et 910 sont augmentés d'un mois, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en Guadeloupe pour les parties qui ne demeurent pas dans cette collectivité.
En l'espèce, Mme [N] [P] ayant été assignée le 26 juillet 2024, elle disposait d'un délai pour conclure qui expirait le 26 novembre 2024, puisqu'elle est domiciliée à [Localité 6].
Le 25 novembre 2024, elle a adressé au greffe par RPVA un message, dont les autres avocats constitués étaient destinataires en copie, afin d'annoncer des conclusions, libellé en ces termes : 'M. Le président, Vous trouverez ci-joint des conclusions d'intervenante forcée au nom de Madame [N] [P]'.
Pourtant, la pièce jointe n'était pas celle annoncée, puisqu'il s'agissait de 'conclusions en réponse aux conclusions d'intimé contenant appel incident', prises au nom de M. [R] [P], représenté par le même avocat que sa soeur [N].
Ni le greffe, ni aucun des avocats adverses, n'a constaté cette erreur, jusqu'à ce qu'elle soit relevée par l'avocat de M. [V] [P] dans le cadre de ses conclusions en réponse sur les incidents de mise en état, bien après l'expiration du délai qui était imparti à Mme [N] [P] pour conclure.
Il ressort des pièces produites par Mme [N] [P] que son avocate plaidante avait pourtant bien envoyé à l'avocat postulant, dès le 22 novembre 2024 à 9h46, un fichier intitulé 'CCL d'intimée [N](3261937.1) 22.11.2024 ( 3262310.1).docx', en pièce jointe à un message dans lequel elle indiquait 'Dans le prolongement de notre entretien d'hier, vous trouverez ci-joint et comme convenu les conclusions d'intimée pour le compte de [N]'.
Par ailleurs, en réponse, l'avocat postulant avait adressé à l'avocate plaidante de Mme [N] [P] le 25 novembre 2024 un message libellé en ces termes : 'En complément de nos échanges précédents, je vous prie de bien vouloir trouver, ci-joints, les éléments notifiés à la Cour dans l'intérêt de Madame [N] [P]', message auquel étaient jointes plusieurs pièces, dont une intitulée 'CCL d'intimée [N] (3261937.1) 22.11.2024 ( 3262310.1) VGB.pdf'.
Cependant, si ces éléments attestent que l'envoi d'un fichier contenant les conclusions prises pour [R] [P] procédait d'une simple erreur matérielle, cette erreur, faute d'avoir été régularisée dans le délai imparti à Mme [N] [P] pour conclure, ne peut suffire à considérer qu'elle aurait régulièrement conclu et à rendre recevables des conclusions qui, matériellement, n'ont été remises au greffe et notifiées que plusieurs mois après l'expiration du délai qui lui était imparti pour conclure.
Dès lors, ces conclusions n'étaient pas recevables et cette irrecevabilité devra être constatée, quand bien même elle priverait Mme [N] [P] de la possibilité de développer une argumentation au fond en cause d'appel. En effet, cette sanction n'est pas de nature à constituer une atteinte excessive aux droits garantis par l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où l'exigence de remise au greffe des conclusions des parties dans un délai fixe est destinée à concourir à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure et le respect du principe du contradictoire à l'égard de toutes les parties, représentées chacune par un avocat. Elle constitue d'autant moins une atteinte à ces droits que, dans ce cas, l'appelant est réputé s'approprier les motifs du jugement déféré à la cour, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, de sorte que Mme [P] ne serait pas privée de tout moyen de défense.
En revanche, l'irrecevabilité de ces conclusions au fond n'a aucune incidence sur la recevabilité des conclusions d'incident qui, elles, ont bien été remises au greffe par Mme [N] [P] avant l'expiration du délai dont elle disposait pour conclure, et même avant la tentative de remise au greffe de ses conclusions au fond, puisqu'elle ont été notifiées par RPVA le 21 novembre 2024.
Le fait qu'un intimé forme un incident de mise en état dans le délai qui lui est imparti pour conclure, puis qu'il ne conclut pas au fond dans ce délai, ou que ses conclusions au fond, remises au greffe postérieurement, soient déclarées irrecevables, est sans incidence sur la régularité de la saisine du conseiller de la mise en état. La seule conséquence est que, si l'incident de mise en état n'aboutit pas à une décision mettant fin à l'instance, il ne sera plus autorisé à conclure au fond et sera réputé s'approprier les moyens du jugement contesté, conformément à l'article 954 du code de procédure civile.
En conséquence, Mme [N] [P] était recevable à saisir le conseiller de la mise en état d'un incident tendant à voir déclarer irrecevable sa mise en cause par M. [V] [P] dans le cadre de la présente instance.
Sur la recevabilité de la mise en cause de Mme [N] [P] :
Mme [N] [P] demande à titre principal au conseiller de la mise en état de prononcer l'irrecevabilité 'de l'assignation' délivrée à son encontre par M. [V] [P] le 26 juillet 2024, en indiquant qu'elle visait dans le même temps deux mécanismes procéduraux contradictoires : l'intervention forcée et l'appel provoqué.
A titre subsidiaire, elle conclut à l'irrecevabilité d'une intervention forcée à son encontre, puisqu'elle avait été partie en première instance, et, encore plus subsidiairement, à l'irrecevabilité d'un appel provoqué.
A cette fin, elle indique :
- que M. [V] [P] ne disposait d'aucun intérêt spécifique à former appel provoqué à son encontre, puisque son intérêt existait dès le prononcé du jugement et n'a pas été induit par l'appel principal formé contre lui,
- qu'il ne disposait d'aucun intérêt à agir à ce moment-là, puisqu'il l'avait déjà intimée dans le cadre d'un précédent appel principal qu'il avait formé, qui n'avait pas encore été déclaré caduc à la date où il avait formé son appel provoqué.
En réponse, M. [V] [P] réfute avoir assigné Mme [N] [P] en intervention forcée et soutient qu'il n'a formé à son encontre qu'un appel provoqué.
Il soutient qu'il disposait bien d'un intérêt spécifique à former cet appel provoqué, puisque les demandes présentées à son encontre par M. [R] [P] dans le cadre de son appel principal étaient de nature à affecter sa situation juridique. A ce titre, il indique en page 18 de ses conclusions : 'l'éventuelle infirmation du jugement en ce qu'il a révoqué la donation d'actions consentie à M. [R] [P] par M. [V] [P] conduirait M. [V] [P] à ne plus détenir que deux parts de la société [12]. Il est donc bien fondé à critiquer, par la voie de l'appel provoqué, les dispositions du jugement qui n'ont pas fait droit à sa demande de révocation des actions qu'il a données à Mme [N] [P], afin de conserver une majorité relative de parts de la société en cas d'infirmation du jugement à l'issue de l'appel principal'.
Il soutient en outre que son intérêt spécifique découle de l'appel incident qu'il a formé, dans le cadre duquel il a formé des demandes concernant à la fois M. [R] [P] et Mme [N] [P], puisqu'il a notamment :
- demandé la nullité de l'acte d'apport de la parcelle AL [Cadastre 4] à la société [12], ce qui est de nature à diminuer la valeur des parts détenues par Mme [N] [P],
- demandé l'annulation des donations, y compris de celle consentie à [N], pour altération de ses facultés personnelles,
- demandé l'annulation des délibérations votées en assemblée générale, ce qui empêchera tant [R] [P] que [N] [P] de mettre à exécution la délibération autorisant la vente de l'ensemble immobilier,
- demandé le remboursement des fruits et dividendes perçus 'relativement aux 1299 actions numérotées 1302 à 2600" concernant tant M. [R] [P] que Mme [N] [P].
En dernier lieu, il réfute l'argumentation de Mme [N] [P] concernant le fait qu'il n'aurait pas eu d'intérêt à former appel provoqué au motif que son précédent appel principal n'avait pas été déclaré caduc, affirmant qu'il s'agit là d'un raisonnement fondé sur la jurisprudence de la cour de cassation applicable uniquement à la déclaration d'appel, qui n'est pas transposable à l'appel provoqué.
***
Conformément aux dispositions des articles 554 et 555 du code de procédure civile, les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
A ce titre, il est constant qu'une partie qui a été appelée à la procédure en première instance ne peut être intimée par la voie de l'intervention forcée, qui est réservée à la mise en cause des tiers (2e Civ., 13 juillet 2005, pourvoi n° 01-11.798).
En ce qui concerne l'appel provoqué, qui peut émaner d'une personne qui a été intimée sur un appel principal, il a pour effet d'attraire devant la juridiction du second degré des personnes ayant été parties en première instance, mais qui n'ont pas été intimées ou qui n'ont pas comparu.
Il n'est recevable que si la situation de l'intimé qui le forme risque d'être modifiée par l'appel principal, ce risque lui donnant un intérêt nouveau à user d'une voie de recours qu'il n'avait pas précédemment cru à propos d'exercer.
Il s'ensuit que l'intérêt à former appel provoqué doit découler directement de l'appel principal.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient Mme [N] [P], et malgré les termes ambigus mentionnés dans l'acte qui lui a été délivré le 26 juillet 2024, il est incontestable que M. [V] [P] a, par ce biais, formé à son encontre un appel provoqué, et non une intervention forcée, et encore moins les deux voies procédurales concomitamment. Elle sera donc déboutée de ses demandes tendant à voir déclarer irrecevable l'assignation du 26 juillet 2024 ainsi que son intervention forcée, ces prétentions n'étant pas fondées.
En ce qui concerne la recevabilité de l'appel provoqué, il convient de rappeler qu'aux termes de son appel principal, M. [R] [P] n'a déféré à la cour que les chefs de jugement afférents à la révocation de l'acte de donation d'actions qui lui avait été consenti par son père le 27 décembre 2013 et au retour de 1299 actions de la société [12] numérotées 1302 à 2600, qu'il détenait jusqu'à présent, dans le patrimoine de son père.
Cet appel principal, qui concernait exclusivement la donation faite à son fils et ses conséquences directes, n'était donc pas de nature à modifier la situation de M. [V] [P] dans des conditions lui donnant un intérêt nouveau à intimer sa fille [N] afin de voir également révoquer la donation qu'il lui avait faite.
En effet, il disposait déjà d'un intérêt à interjeter appel du jugement ayant rejeté sa demande de révocation de la donation des actions consentie à sa fille dès le prononcé du jugement.
D'ailleurs, il avait interjeté appel à titre principal de ce jugement par déclaration remise au greffe de la cour le 4 janvier 2024, en intimant M. [R] [P], Mme [N] [P] et la société [12], afin justement de contester les chefs de jugement l'ayant :
- débouté de sa demande de révocation de la donation d'actions consentie à Mme [N] [P] sur le fondement de l'ingratitude,
- débouté de sa demande de nullité de l'acte d'apport de la parcelle AL [Cadastre 4] à la société [12],
- débouté de sa demande tendant à voir annuler l'ensemble des délibérations votées en assemblées générales de la société [12] depuis le 27 décembre 2013,
- débouté de sa demande tendant au remboursement des fruits et dividendes perçus relativement aux 1299 actions de la société [12] numérotées 1302 à 2600.
Cependant, suivant avis du 21 juin 2024, il avait été invité à faire valoir ses observations sur la caducité de cette déclaration d'appel, faute de l'avoir signifiée aux parties n'ayant pas constitué avocat, que le conseiller de la mise en état envisageait de relever d'office.
Cette caducité a été prononcée par ordonnance du 30 septembre 2024.
Dans ces conditions, il est établi que ce n'est pas l'appel principal formé à l'encontre de M. [V] [P] par M. [R] [P], qui ne concernait que la révocation de la donation consentie à ce dernier, qui a rendu nécessaire la mise en cause de Mme [N] [P] dans le cadre de la présente procédure par le biais d'un appel provoqué.
Cet appel principal ne rendait pas non plus nécessaire l'appel incident formé par M. [V] [P] à l'encontre des autres chefs de jugement dont il avait été débouté.
Si, dans le cadre de son appel incident, M. [V] [P] entend voir statuer sur des prétentions pouvant avoir une incidence sur Mme [N] [P], il ne peut se prévaloir de cette situation, qui ne lui a pas été imposée par l'appel principal de son fils mais par la caducité prévisible de sa propre déclaration d'appel, pour tenter de légitimer un appel provoqué qui ne se fonde pas sur un intérêt spécifique à agir.
En conséquence, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier moyen surabondant soutenu par Mme [N] [P], il convient de déclarer irrecevable l'appel provoqué formé à son encontre par M. [V] [P].
Sur les prescriptions :
M. [R] [P] demande au conseiller de la mise en état de déclarer recevables ses fins de non-recevoir tirées de la prescription de l'action en révocation de la donation qui lui a été consentie et de l'action en nullité de l'apport et de ces donations et, y faisant droit, de déclarer ces actions prescrites.
En réponse, M. [V] [P] indique que ces prescriptions échappent à la compétence du conseiller de la mise en état, puisqu'il s'agit pas de fins de non-recevoir relatives à la procédure d'appel.
En effet, il est désormais constant que la cour d'appel est compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir relevant de l'appel, seules celles touchant à la procédure d'appel étant de la compétence du conseiller de la mise en état (Avis de la Cour de cassation, 11 octobre 2022, n° 22-70.010).
Or, en l'état, la recevabilité et le bien fondé de fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes formées par M. [V] [P] tendant à voir révoquer une donation ou annuler des actes relèvent de l'appel, et non de la procédure d'appel.
M. [R] [P] sera donc débouté des demandes qu'il forme à ce titre devant le conseiller de la mise en état, qui n'a pas le pouvoir de les trancher.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
M. [V] [P], qui succombe principalement à l'incident, sera condamné à en supporter les entiers dépens. Il sera également condamné aux dépens afférents à l'appel provoqué formé à l'encontre de Mme [N] [P].
En outre, l'irrecevabilité de cet appel provoqué mettant fin à l'instance à l'égard de Mme [N] [P], l'équité commande de le condamner à payer à cette dernière la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa propre demande à ce titre.
Par ailleurs, l'équité commande également de débouter M. [R] [P] et M. [V] [P] de leurs demandes réciproques au titre des frais irrépétibles de l'incident.
Enfin, l'instance d'appel se poursuivant entre toutes les parties initialement intimées, l'affaire sera rappelée à l'audience virtuelle de mise en état du 19 mai 2025 pour les conclusions récapitulatives des parties ou, à défaut, pour clôture et fixation.
PAR CES MOTIFS,
Le conseiller de la mise en état, statuant par ordonnance rendue par mise à disposition au greffe,
Déclare irrecevables les conclusions au fond remises au greffe par Mme [N] [P] le 25 novembre 2024,
Déclare recevables les conclusions d'incident de mise en état remises au greffe par Mme [N] [P] le 21 novembre 2024,
Déboute Mme [N] [P] de ses demandes tendant à voir déclarer irrecevable l'assignation qui lui a été délivrée le 26 juillet 2024 ainsi que son intervention forcée,
Déclare irrecevable l'appel provoqué formé à l'encontre de Mme [N] [P] par M. [V] [P] suivant acte du 26 juillet 2024,
Dit que les fins de non-recevoir tirées de la prescription soulevées par M. [R] [P] ne relèvent pas des pouvoirs du conseiller de la mise en état mais de la cour statuant au fond,
Déboute en conséquence M. [R] [P] de ses demandes formées à ce titre dans le cadre du présent incident de mise en état,
Condamne M. [V] [P] à payer à Mme [N] [P] la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
Déboute M. [V] [P] et M. [R] [P] de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] [P] aux dépens afférents à l'appel provoqué de Mme [N] [P], ainsi qu'aux dépens de l'incident,
Dit que l'instance se poursuit entre toutes les parties initialement intimées, à l'exception désormais de Mme [N] [P],
Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience virtuelle de mise en état du 19 mai 2025 pour les conclusions récapitulatives des parties ou, à défaut, pour clôture et fixation.