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CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 3 avril 2025, n° 24/05563

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Dania (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Miquel

Avocats :

Me Labi, Me Bujoli-Tollinchi, SCP Charles Tollinchi - Karine Bujoli-Tollinchi Avocats Associes

T. com. Marseille, du 10 avr. 2024, n° 2…

10 avril 2024

EXPOSE DU LITIGE

L'EURL Dania exploitait un fonds de commerce de boulangerie à [Localité 4] depuis le 16 janvier 2021. Elle a donné son fonds de commerce en location gérance à compter du 27 juillet 2023, moyennant une redevance mensuelle de 1.600 euros HT.

Saisi par assignation en date du 16 octobre 2023 de l'Urssaf, le tribunal de commerce de Marseille a, par jugement du 6 décembre 2023, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'EURL Dania, désigné Me [I] [D] en qualité de mandataire judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 6 décembre 2023.

Selon jugement du 7 février 2024, le tribunal de commerce de Marseille a, notamment, ordonné la poursuite de la période d'observation et renvoyé l'affaire à l'audience du 14 février 2024 en enjoignant à l'EURL Dania de produire lors de l'audience une situation comptable récente de la période d'observation arrêtée à la date la plus proche possible de l'audience, certifiée par son expert-comptable et l'attestation de son expert-comptable relative à l'absence de dettes visées à l'article L.622-17 du code de commerce.

Selon jugement en date du 13 mars 2024, le tribunal de commerce de Marseille a, notamment:

- ordonné la poursuite de la période d'observation,

- renvoyé l'affaire à l'audience du 27 mars 2024 en enjoignant l'EURL Dania de produire lors de l'audience une situation comptable récente de la période d'observation arrêtée à la date la plus proche possible de l'audience, certifiée par son expert-comptable et l'attestation de son expert-comptable relative à l'absence de dettes de l'article L622-17 du code de commerce,

- dit que la notification du jugement tient lieu de convocation à l'audience,

- dit que cette audience aura pour objet l'appréciation des capacités de l'entreprise à maintenir son activité, étant précisé que la liquidation judiciaire potentielle de l'entreprise sera également abordée au visa de l'article L.631-15 II du code de commerce et une décision sur le siège pourra être au besoin rendue.

Par jugement en date du 10 avril 2024, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire et désigné Me [I] [D] en qualité de liquidateur.

Pour prendre sa décision, le tribunal de commerce de Marseille a fait application des articles L.631-1 et L.631-15 du code de commerce et considéré que :

- la société Dania ne produisait aucun élément destiné à justifier de la viabilité de son activité,

- il n'était pas non plus établi que l'entreprise ne produise pas de nouvelles dettes, notamment au vu de sa situation bancaire,

- la société n'était plus viable et aucune solution de redressement n'était possible.

La société Dania a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 28 avril 2024.

Selon conclusions notifiées le 21 juin 2024, la société Dania demande à la cour de :

A titre principal,

Annuler le jugement du 10 avril 2024 rendu par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire ;

Et statuant à nouveau,

Dire n'y avoir lieu à conversion de la procédure de redressement judiciaire de la société Dania en liquidation judiciaire ;

Ouvrir une nouvelle période d'observation de 6 mois ;

Renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Marseille pour la présentation d'un projet de plan par la société débitrice.

A l'appui de ses demandes, l'EURL Dania fait valoir en premier lieu, l'absence de convocation de la société Dania conformément aux dispositions de l'article R.631-3 du code de commerce.

Elle soutient ensuite que son business plan est viable compte tenu du fait qu'elle a mis son fonds de commerce de boulangerie en location gérance, qu'elle perçoit une redevance mensuelle de 1.600 euros HT et qu'elle verse un loyer mensuel, au profit du bailleur, à hauteur de 500 euros, la différence lui permettant de mettre en place un plan d'apurement du passif sur 5 ans.

Selon conclusions notifiées le 21 juillet 2024, Me [D], ès-qualités de liquidateur, demande à la cour de :

Débouter l'EURL Dania de son appel et de ses demandes ;

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Condamner l'EURL Dania aux dépens.

A l'appui de ses demandes, le liquidateur judiciaire soutient que le tribunal a exercé son pouvoir d'office conformément aux dispositions de l'article L.631-15 II du code de procédure civile.

Il fait valoir que l'EURL Dania n'a pas fourni au tribunal les éléments qu'il avait exigés dans son précédent jugement.

Il ajoute que la société Dania démontre son manque de sérieux en se prévalant de la conclusion d'un contrat de bail pour lequel elle reçoit le loyer en espèces dans la mesure où elle n'a plus de compte bancaire.

Selon avis daté du 8 janvier 2025 et notifié le 3 février 2025, le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence s'en rapporte aux écritures du mandataire dans cette affaire et requiert la confirmation du jugement querellé eu égard au redressement manifestement impossible de l'entreprise.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du jugement

L'article L.631-15 II du code de commerce dispose que " A tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut ordonner la cessation partielle de l'activité ou prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible.

Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administrateur, le mandataire judiciaire, les contrôleurs et la ou les personnes désignées par le comité social et économique, et avoir recueilli l'avis du ministère public.

Lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L.641-10, à la mission de l'administrateur. "

L'article R.631-3 du code de commerce dispose que " Lorsque le tribunal exerce son pouvoir d'office et à moins que les parties intéressées n'aient été invitées préalablement à présenter leurs observations, le tribunal fait convoquer le débiteur à la diligence du greffier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à comparaître dans le délai qu'il fixe.

A la convocation est jointe une note dans laquelle sont exposés les faits de nature à motiver l'exercice par le tribunal de son pouvoir d'office. "

En application de ces dispositions, la convocation régulière à l'audience pour statuer sur la période d'observation, la comparution du représentant de la société débitrice ou la demande de conversion formée à l'audience par les organes de la procédure ou le ministère public ne peuvent suppléer à l'absence d'invitation préalable faite aux parties de présenter leurs observations ou de convocation en vue de la conversion d'office du redressement en liquidation judiciaire dans les formes prévues par l'article R. 631-3, sans le respect desquelles la saisine d'office est irrégulière.

En l'espèce, l'audience du 27 mars 2024 s'est tenue suite au renvoi ordonné par jugement du tribunal de commerce en date du 13 mars 2024, l'audience ayant pour objet l'appréciation des capacités de l'entreprise à maintenir son activité, étant précisé que la liquidation judiciaire potentielle de l'entreprise sera également abordée au visa de l'article L.631-15 II du code de commerce et une décision sur le siège pourra être au besoin rendue. Le jugement du 13 mars 2024 dit qu'il tient lieu de convocation.

Il apparaît cependant que le tribunal n'a pas été requis préalablement par une partie d'une demande de conversion en liquidation judiciaire et qu' il s'est saisi d'office de cette question de la conversion de la procédure en liquidation judiciaire : les articles susvisés auraient par conséquent dû trouver application.

Or aucune convocation accompagnée de la note visée à l'article R.631-3 susvisé n'a été délivrée à l'initiative du tribunal et le débiteur n'a pas été invité à présenter ses observations préalablement à l'audience sur cette conversion. Le fait qu'il ait été présent à l'audience et représenté ne dispense pas a posteriori le tribunal du respect des dispositions de l'article R.631-3.

A défaut de respect de ces dispositions, il convient de prononcer la nullité de la saisine d'office et par suite, celle du jugement entrepris convertissant le redressement en liquidation judiciaire.

Faute de saisine régulière des premiers juges, l'appel est dépourvu de l'effet dévolutif et la cour ne peut statuer sur les demandes des parties.

Les parties seront donc renvoyées devant le tribunal de commerce de Marseille afin qu'il soit statué sur le sort de la procédure collective de l'EURL Dania.

Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure de redressement judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par décision contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Prononce la nullité de la saisine d'office du tribunal de commerce de Marseille aux fins de conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire ;

Annule le jugement querellé ;

Ordonne le renvoi des parties et de l'affaire devant le tribunal de commerce de Marseille afin qu'il soit statué sur le sort de la procédure collective ouverte à l'égard de l'EURL Dania ;

Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure de redressement judiciaire.

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