CA Amiens, ch. économique, 3 avril 2025, n° 24/04314
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
RCPI Agro (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grevin
Conseiller :
Mme Mathieu
Conseiller :
Mme Dubaele
Avocats :
Me Leroy, Me Buisson, Me Guyot, Me Coudert
DECISION
Sur requête du procureur de la République de Beauvais du 10 septembre 2024 et par ordonnance du 26 septembre 2024 du président du tribunal de commerce de Beauvais, la SARL RCPI AGRO a été citée à comparaître devant le tribunal de commerce de Beauvais en vue de l'ouverture d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire.
Assignée, par acte de commissaire de justice en date du 16 octobre 2024, suivant les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, la SARL RCPI AGRO ne s'est pas présentée à l'audience.
Par jugement réputé contradictoire en date du 5 novembre 2024, le tribunal de commerce de Beauvais a notamment :
- constaté la cessation des paiements de la SARL RCPI AGRO et en a fixé provisoirement la date au 25 juillet 2024,
- ouvert une procédure de redressement judiciaire conformément à l'article L.631-1 et suivants du code de commerce,
- fixé la durée de la période d'observation à six mois, soit jusqu'au 5 mai 2025,
- désigné en qualité de mandataire judiciaire la SELARL [C] Pecou, en la personne de Maître [M] [C].
Pour statuer ainsi, le tribunal de commerce a retenu que quatre ordonnances d'injonction de payer ont été rendues en 2023 et 2024 à l'encontre de la SARL RCPI AGRO pour un montant de 26.795 euros, cinq ordonnances de référé et un jugement pour un montant global de 350.000 euros ont également été prononcés sur la même période, que la SARL RCPI AGRO n'a pas déposé ses comptes annuels au titre de l'année 2022 et qu'enfin elle n'a pas comparu à l'audience.
Par un acte en date du 18 novembre 2024, la SARL RCPI AGRO a interjeté appel de ce jugement.
Autorisée par ordonnance présidentielle, la SARL RCPI AGRO a fait assigner, suivant actes du 16 décembre 2024, Me [C] en qualité de mandataire judiciaire et le procureur général, à jour fixe aux fins de voir infirmer le jugement critiqué.
Par ordonnance rendue le 27 décembre 2024, la première présidente de cette cour, a débouté la SARL RCPI AGRO de sa demande de suspension provisoire du jugement ayant ordonné le redressement judiciaire à l'égard de cette dernière et a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de redressement judiciaire.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 13 février 2025, la SARL RCPI AGRO conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de juger n'y avoir lieu à procédure de redressement judiciaire et de laisser les dépens à la charge de chacune des parties à l'appel.
Elle rappelle que c'est au demandeur à la procédure collective de prouver l'état de cessation des paiements. Elle expose qu'aucune des 10 dettes prises en compte par le premier juge ne permettent de caractériser l'état de cessation des paiements car la plupart ont déjà été soldées ou le seront incessamment sous peu, tandis que d'autres ont été réduites ou sont contestées.
Elle soutient que l'adresse du siège social au [Adresse 4] est dans un immeuble qui est la propriété de la SCI Kameled dont M. [U] [T], gérant de la SARL RCPI AGRO possède 100 % des parts abrite également le siège de 32 sociétés du même groupe que la SARL RCPI AGRO. Elle précise que l'établissement d'exploitation est au [Adresse 2] et que c'est par omission qu'elle n'a pas déclaré au greffe cet établissement.
Elle affirme que sa situation financière est saine et en pleine expansion avec un chiffre d'affaires de 3.503.004 euros en 2023, au 31 octobre 2024 de 4.284.627 euros et au 31 décembre 2024 de 4.814.373 euros avec un résultat provisoire de 450.693 euros.
Elle fait valoir qu'elle gère 17 marchés de construction majeurs pour un total de 23.797.841 euros ht que la facturation prévisionnelle pour ces marchés pour février à avril 2025 est de 2.179.834 euros ht et que le chiffre d'affaires ht à percevoir sur les marchés signés et en cours est de 3.834.380 euros ht.
Elle estime que le mandataire minimise l'actif disponible et soutient qu'elle bénéficie d'une créance immédiatement mobilisable sur sa holding Bulding management de 1.883.640 euros ainsi que l'atteste l'expert-comptable Nexco.
Elle indique que le contentieux l'opposant à la société ETCL s'agissant de 11 chantiers évoqués dans une procédure de référé ne constitue pas une créance exigible.
Elle précise que le dépôt des comptes 2023 au RCS est désormais finalisé et qu'il en ressort un bénéfice de 408.077 euros.
Elle ajoute que son exploitation n'est pas structurellement déficitaire puisqu'elle a réalisé d'importants bénéfices depuis 2022 et que son chiffre d'affaires s'accroît.
Elle insiste sur le fait que le passif déclaré n'est pas un passif exigible et que les créances à recouvrer facilement mobilisables constituent un actif disponible.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 13 février 2025, Me [M] [C], ès-qualités, conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour d'ordonner que les dépens soient passés en frais privilégiés de procédure collective.
Il expose que la SARL RCPI AGRO échoue à démontrer qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements tant au jour de l'ouverture du redressement judiciaire qu'à ce jour.
Il soutient que devant la preuve d'un passif exigible et l'affirmation de l'inexistence d'un actif disponible suffisant pour y faire face, il appartient au débiteur de rapporter la preuve de l'existence de celui-ci permettant de payer les dettes exigibles.
Il indique que le passif déclaré est 4.319.124,03 euros au 8 janvier 2025 et que le passif exigible s'élève à 807.852,28 euros.
Il rappelle qu'il n'est pas un administrateur judiciaire et qu'il incombe à la société de rapporter la preuve des actifs dont elle dispose. Il estime que l'actif disponible de la SARL RCPI AGRO n'est constitué que du solde de ses deux comptes bancaires.
Il fait valoir que les créances clients ne sont pas un actif disponible, ni le compte courant d'associé et que l'actif disponible ne se confond pas avec l'actif circulant.
Il indique que le grand livre remis au 30 novembre 2024 n'intègre pas les factures, objets des contentieux suivants :
- la société a fait l'objet d'une demande en paiement du Crédit Agricole Leasing and Factoring pour le règlement de deux factures émises par la société ATTLI pour un total de 29.820,47 euros suivant assignation devant le tribunal de commerce de Beauvais le 10 septembre 2024,
- une assignation en référé du 29 octobre 2024 pour paiement de 370.405 euros au titre de travaux de terrassement et 336.852 euros au titre de travaux de gros 'uvre délivrée devant le tribunal de commerce de Beauvais à la demande de la société "construction côte d'émeraude", étant précisé toutefois que cette créance est litigieuse le débiteur contestant la qualité des travaux.
Il fait valoir qu'à ce passif, il faut ajouter la TVA à décaisser, le solde de l'impôt sur les sociétés 2023 resté impayé dans les comptes et les prêts non honorés au cours de l'exercice 2024 à en croire la situation communiquée soit 807.852,28 euros de passif exigible. Il précise que d'autres prêts ont été remboursés, laissant supposer que le dirigeant s'est probablement porté caution.
Il ajoute que dans les dernières déclarations de créances, il est mentionné des acomptes versés juste avant l'ouverture de la procédure, pour des travaux dont l'exécution n'a pas encore débuté.
Concernant les créances fournisseurs contestées, il affirme qu'il s'agit souvent de refus de paiement, et non d'une réelle contestation sur le fond.
Enfin, au vu des modalités de délivrance de l'assignation devant le tribunal de commerce, il estime que la SARL RCPI AGRO ne verse au débat aucun élément de nature à prouver qu'il existe une activité au siège.
Par un avis communiqué aux parties le 3 février 2025, le ministère public conclut à la confirmation du jugement déféré, motif pris que la SARL RCPI AGRO ne rapporte pas la preuve que son actif disponible est supérieur à son passif exigible, que celle-ci ne règle pas systématiquement ses sous-traitants et qu'enfin, il convient de s'interroger sur l'existence d'une activité effective de la SARL RCPI AGRO dans la mesure où le commissaire de justice qui a délivré l'assignation n'a pas trouvé trace de cette société ni au siège déclaré, ni à son établissement.
L'affaire a été retenue à l'audience du 13 février 2025 et Me [C], ès-qualités, a été autorisé à produire une note en délibéré pour répondre aux dernières écritures de la SARL RCPI AGRO.
Par une note communiquée le 18 février 2025, Me [C] précise que s'agissant de la prise en compte des créances clients dans la détermination de l'actif disponible, cette possibilité existe dans « certaines circonstances exceptionnelles » ce que ne prouve pas la SARL RCPI AGRO qui ne communique ni factures, ni éléments de solvabilité des clients concernés.
Par une note communiquée le 25 février 2025, la SARL RCPI AGRO insiste sur le fait que les créances facilement mobilisables constituent un actif disponible.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L 631-1 du code de commerce, il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L 631-2 ou L 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements.
Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéfice de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en état de cessation des paiements.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers, conformément aux dispositions des articles L 626-29 et L 626-30.
La cessation des paiements est appréciée au jour où statue la juridiction. Il n'y a cessation des paiements que si le débiteur est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible, c'est à dire échu, avec son actif disponible. Le passif exigible ne se confond pas avec le passif déclaré, ce dernier ne pouvant être retenu pour apprécier la comparaison de la balance entre passif et actif à laquelle doivent procéder les juges du fond pour caractériser l'état de cessation des paiements.
Le mandataire judiciaire au vu des éléments qui lui ont été communiqués, dans ses dernières écritures, a retenu des disponibilités de la SARL RCPI AGRO de 551.000 euros et l'existence d'un passif exigible (le passif déclaré n'ayant pas à être pris en considération dans l'appréciation de l'état de cessation des paiements) à hauteur de 807.852,28 euros se décomposant comme suit :
-échéances prêts impayés au 30 novembre 2024 93.479,83 euros
- impôt sur les sociétés 2023 non soldé 120.995,00 euros
- TVA à décaisser au 30 novembre 2024 227.801,00 euros
- fournisseurs échus 365.576,45 euros
S'agissant de la charge de la preuve, si le débiteur n'allègue pas, pour faire face à son passif exigible disposer d'un actif disponible, la preuve du passif exigible par le créancier suffira à établir la cessation des paiements. Il en est également ainsi lorsque le débiteur ne justifie pas l'existence de l'actif disponible. En effet, le débiteur qui entend justifier de l'existence d'un actif disponible doit donner sur cet élément des précisions suffisantes permettant au juge, en réponse aux contestations du liquidateur, d'en vérifier fût-ce sommairement l'existence.
En l'espèce, devant la cour la SARL RCPI AGRO produit une attestation du 11 février 2025 de son expert-comptable, M. [Y] de la SAS Nexco Expertise, qui écrit :
« La SARL RCPI AGRO n'est pas en état de cessation des paiements à la date du présent document, compte tenu de l'actif disponible et de l'actif exigible.
Les actions déjà mises en 'uvre (renégociations de contrats, optimisation des coûts, soutien financier de la holding) et celles prévues (sortie de la procédure collective, reprise des financements, etc...) laissent présager une continuité d'exploitation raisonnable à court et moyen terme.
L'aboutissement d'un plan de redressement devrait permettre l'apurement progressif des dettes et le maintien durable de la trésorerie de la société.
En conséquence, sous réserve de la réalisation effective des mesures correctrices et de la sortie de la procédure de redressement judiciaire, nous sommes d'avis que la société RCPI AGRO dispose, à ce jour, des ressources et des perspectives nécessaires pour assurer la poursuite de son activité dans des conditions viables ».
La SARL RCPI AGRO justifie disposer de deux comptes courants ouverts à la BNP et au CIC. Il est annexé au rapport de l'expert-comptable, le relevé de compte BNP au 31 décembre 2014 mentionnant un solde créditeur de 108.518,43 euros ainsi que le relevé CIC au 31 janvier 2025 lequel présente un solde créditeur de 494.778 euros. Dans le corps de ce dernier document, la cour relève qu'il est fait état d'un paiement d'un montant de 120.995 euros au profit de l'administration fiscale (« PRLV SEPA DGFIP ») qui correspond au montant de l'impôt sur les sociétés invoqué par le mandataire dans le passif exigible et deux virements à hauteur de 100.000 euros et de 200.000 euros réalisés au crédit de la société les 7 et 30 janvier 2025 (« APPORT EN CC »).
Ainsi, s'agissant du passif exigible de la SARL RCPI AGRO, la cour constate qu'il est justifié à hauteur de 686.857,28 euros.
S'agissant de l'actif disponible, la SARL RCPI AGRO démontre disposer sur ses deux comptes courant d'un montant global de 603.296,43 euros. Si la SARL RCPI AGRO invoque une créance intra-groupe liquide et des créances clients mobilisables à court terme ainsi, il lui appartient de le prouver.
En premier lieu, il y a lieu de rappeler que l'état de cessation des paiements est caractérisé objectivement, pour chaque société d'un groupe, par l'impossibilité pour elle de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Ainsi, l'état de cessation des paiements d'une filiale doit être caractérisé objectivement et de manière autonome, sans prendre en considération les capacités financières de la société mère. En l'espèce, force est de constater que la SARL RCPI AGRO procède par affirmation péremptoire s'agissant de sa « créance intra-groupe », la liquidité de cette dernière n'étant pas justifiée, étant précisé que l'actif circulant ne se confond pas avec l'actif disponible.
En second lieu, la cour précise que l'actif disponible correspond aux fonds ou valeurs immédiatement mobilisables dont le débiteur peut disposer immédiatement pour s'acquitter de son passif exigible. Ainsi, les créances à recouvrer ne constituent pas, sauf circonstances exceptionnelles de l'actif disponible. Il est donc nécessaire s'agissant de créances à percevoir au titre de chantiers que ces créances soient certaines et quasi immédiates. La cour estime que la SARL RCPI AGRO ne rapporte pas une telle preuve, le rapport de son expert-comptable ne pouvant pallier l'absence de communication des factures ou encore d'éléments de solvabilité des clients concernés.
Enfin, le tribunal a justement relevé que l'assignation a été délivrée à la SARL RCPI AGRO dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, aucune activité n'ayant été trouvée concernant cette société à l'adresse indiquée comme étant le siège social, à savoir au [Adresse 1]. Si devant la cour, la SARL RCPI AGRO produit un constat d'huissier établi à sa requête le 6 février 2025 aux fins de voir constater l'occupation des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 5] par les entités du groupe « Group Bulding Management » dont RCPI AGRO, force est de constater que seule une boîte aux lettres située à l'extérieur de la façade du bâtiment côté cour avant porte une étiquette « BULDING MANAGEMENT » avec en dessous une autre étiquette recouverte d'un adhésif transparent portant le nom de 32 entités dont RCPI AGRO. Ce constat ne permet de prouver, d'une part, qu'au moment de la délivrance de l'assignation critiquée, la SARL RCPI AGRO avait une activité à cette adresse, et d'autre part, qu'une activité est à ce jour exercée, l'établissement secondaire invoqué n'étant pas déclaré au RCS. Par ailleurs, il y a lieu de souligner que la SAS Nexco Expertise dans son rapport daté du 11 février 2025 écrit que « RCPI AGRO est constituée sous la forme juridique de SARL, au capital de 200 000 euros. Le principal actionnaire est la holding Building Management, qui détient 99,99% du capital. Cette holding peut intervenir en soutien financier grâce à un compte courant significatif. La RCPI AGRO n'emploie à ce jour aucun salarié ». La cour estime que ces éléments sur l'identification de la SARL RCPI AGRO dans le cadre de la présente instance atteste d'une certaine opacité.
Dans ces conditions, au vu des éléments ci-dessus développés, la cour constate que l'actif disponible de la SARL RCPI AGRO d'un montant de 603.296,43 euros est insuffisant pour faire face à son passif exigible établi par le mandataire à hauteur de 686.857,28 euros. Cette situation financière caractérisant l'état de cessation des paiements de la SARL RCPI AGRO, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a constatée et ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette société.
Eu égard à la solution donnée au présent litige, il convient d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Beauvais le 5 novembre 2024, en toutes ses dispositions.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.