CA Lyon, ch. du premier président, 7 avril 2025, n° 25/00006
LYON
Ordonnance
Autre
PARTIES
Défendeur :
MJ Synergie (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bardoux
Conseiller :
M. Bardoux
Avoué :
SCP Jacques Aguiraud et Philippe Nouvellet
Avocats :
Me de Fourcroy, Me Burille, Me Wuibout
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [Y] et M. [T] [B] sont associés de la S.A.S. Morel qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 23 septembre 2020.
La SELARL MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Morel, a saisi le tribunal de commerce de Saint-Etienne les 16 et 23 septembre 2021 afin de voir condamner M. [T] [B] et M. [N] [Y] en paiement notamment du solde débiteur de leurs comptes courants d'associé.
La SELARL MJ Synergie s'est désistée de son action à l'égard de M. [B], un accord transactionnel étant intervenu, homologué par le tribunal de commerce sur le fondement des article L. 651-2 et suivants du Code de commerce.
Par jugement contradictoire en date du 6 novembre 2024, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :
- condamné M. [Y] à verser à la SELARL MJ Synergie la somme de 270 888,20 ' correspondant au solde débiteur de son compte courant d'associé outre intérêts au taux légal et autres accessoires de droit à compter de la mise en demeure du 3 novembre 2020,
- condamné M. [Y] à verser à la SELARL MJ Synergie la somme de 2 000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. [Y] a interjeté appel de ce jugement le 3 décembre 2024.
Par assignation en référé délivrée le 26 décembre 2024 à la SELARL MJ Synergie, M. [Y] a saisi le délégué du premier président afin d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire de ce jugement, et la condamnation la défenderesse à lui payer la somme de 2 000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A l'audience du 24 mars 2025 devant le délégué du premier président, les parties, régulièrement représentées, s'en sont remises à leurs écritures, qu'elles ont soutenues oralement.
Dans son assignation, M. [Y] fonde sa demande sur l'article 514-3 du Code de procédure civile et affirme l'existence de moyens sérieux de réformation et que l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Il indique avoir soulevé en première instance l'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire puisqu'il n'a pas la qualité de commerçant. Il explique également que le tribunal de commerce aurait dû faire application de la clause d'arbitrage prévue dans les statuts.
Il estime que la demande de remboursement du compte courant d'associé est infondée alors que le bilan comptable fondant la demande n'a jamais fait l'objet d'une approbation dans le cadre d'une assemblée générale ordinaire, et qu'il a par ailleurs soulevé un incident en faux concernant le bilan comptable au 31 décembre 2018 en première instance. Il nie être à l'origine des débits du compte bancaire de la société Morel à son profit justifiant qu'aucun élément versé au débat n'étaye le bien-fondé de cette affirmation.
Il ajoute avoir effectué un versement de 66 000 ' au profit de la société Morel le 3 janvier 2019, et que cette somme aurait dû être déduite des condamnations à son égard, ce qui n'est pas le cas.
Il considère également que rien n'étaye le fait qu'il ait utilisé la carte de crédit de la société Morel pour des dépenses personnelles, qui aurait également pu être utilisée par M. [B], le président de la société.
Il relève en outre que M. [B] a été condamné pour ne pas avoir tenu une comptabilité complète et régulière de la société Morel, et que celle-ci était manifestement incomplète ou irrégulière. Il en conclut qu'il est paradoxal et incohérent de formuler des demandes à son encontre en invoquant cette comptabilité.
Concernant les conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire, M. [Y] explique qu'il n'est pas en mesure d'exécuter la décision, alors que l'absence d'exécution provisoire pour la SELARL MJ Synergie ne lui est pas préjudiciable. Il explique qu'étant en liquidation judiciaire, la société Morel n'a pas un besoin de trésorerie justifiant de l'exécution provisoire de la décision.
Dans ses conclusions déposées au greffe par RPVA le 4 février 2025, la SELARL MJ Synergie demande au délégué du premier président de débouter M. [Y] de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, de le débouter de toutes fins, conclusions et prétentions contraires ainsi que de le condamner aux entiers dépens et à lui verser la somme de 2 500 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle explique avoir procédé à une vérification de comptabilité de la société Morel, malgré une comptabilité incomplète, et découvert que le compte courant d'associé de M. [Y] avait un solde débiteur de 270 888,20 ', ce qui avait été confirmé par l'expert-comptable.
Elle réfute les moyens sérieux de réformation soulevés par M. [Y] en ce que la clause compromissoire instaurant un arbitrage que souhaiterait faire appliquer M. [Y] ne lui est pas opposable puisque la SELARL MJ Synergie n'est en aucun cas le représentant légal de la société Morel mais le liquidateur judiciaire.
Ensuite, sur le caractère fondé de la demande, elle fait valoir que la comptabilité a force probante et que même avant qu'elle reprenne la comptabilité, le compte courant de M. [Y] était déjà débiteur. Elle relève que M. [Y] n'a produit aucune pièce lui permettant de soutenir que le bilan comptable de 2018 serait un faux et qu'au contraire, il a été justifié tant du principe que du quantum du compte courant d'associé débiteur.
S'agissant des conséquences manifestement excessives, la SELARL MJ Synergie observe que M. [Y] disposait de revenus très confortables et ne justifie pas de sa situation actuelle, si ce n'est qu'il se domicile désormais en Suisse. Elle remarque que son profil professionnel Linkedin montre qu'il est à ce jour directeur commercial de la banque Suisse Knight Franck, spécialisé dans l'immobilier d'investissement et commercial et que le dénuement patrimonial allégué semble très contraire à la réalité.
Dans ses conclusions envoyées au greffe par RPVA le 19 mars 2025, M. [Y] maintient les demandes contenues dans son assignation.
M. [Y] indique avoir soumis à l'analyse objective de M. [E], expert comptable et commissaire aux comptes, expert près la cour d'appel de Lyon, le bilan comptable de la société Morel au 31 décembre 2018 afin de démontrer de manière objective son absence de force probante.
Il expose que M. [E] a constaté que des opérations ont été débitées d'un compte de la société Morel afin de créditer un autre compte de cette société. M. [Y] en déduit que cela signifie bien que ces opérations ne pouvaient être inscrites au débit de son compte courant car elles ne lui ont pas bénéficié personnellement. M. [Y] relève également que M. [E] a constaté une anomalie concernant un apport en trésorerie de 66 000 ' fait par M. [Y] qui n'a pas été comptabilisé au crédit de son compte courant.
M. [Y] estime ainsi que le seul élément attestant du bien-fondé des écritures figurant à son compte courant d'associé sont les dires de M. [B] et les écritures passées par ce dernier en sa qualité à l'époque de dirigeant de la société et qu'il appartenait à la juridiction de première instance, dans le cadre de l'incident en faux qu'il avait soulevé, de questionner la SELARL MJ Synergie sur ces incohérences.
Pour satisfaire aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties, à la décision déférée, aux conclusions régulièrement déposées et ci-dessus visées, comme pour l'exposé des moyens à l'énoncé qui en sera fait ci-dessous dans les motifs.
MOTIFS
Attendu que l'exécution provisoire de droit dont est assorti le jugement rendu le 6 novembre 2024 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne ne peut être arrêtée, que conformément aux dispositions de l'article 514-3 du Code de procédure civile, et lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; que ces deux conditions sont cumulatives ;
Attendu que s'agissant de l'existence de conséquences manifestement excessives, il y a lieu de rappeler qu'il appartient seulement au premier président de prendre en compte les risques générés par la mise à exécution de la décision rendue en fonction des facultés de remboursement de l'intimé si la décision était infirmée, mais également de la situation personnelle et financière du débiteur ;
Qu'en outre, le caractère manifestement excessif des conséquences de la décision rendue ne saurait exclusivement résulter de celles inhérentes à la mise à exécution d'une condamnation au paiement d'une somme d'argent ou d'une décision autorisant l'expulsion, mais ces conséquences doivent présenter un caractère disproportionné ou irréversible ;
Attendu qu'il appartient à M. [Y] de rapporter la preuve de ces risques occasionnés par l'exécution provisoire ;
Attendu que M. [Y] fait valoir dans ses écritures ne pas être en mesure de procéder à l'exécution du jugement, qu'il ne dispose d'aucun bien personnel, qu'il a comme seul revenu son activité professionnelle salarié ;
Qu'il ne produit pour faire état de sa situation financière que l'équivalent d'un avis d'imposition émis par l'office des impôts du canton de Vaud (Suisse) pour l'année 2021, qui chiffre ses revenus nets aux mêmes sommes de 105 700 Francs suisses et sa fortune imposable à 51 000 Francs suisses ;
Attendu que ce seul élément est impropre à permettre l'évaluation la situation financière actuelle de M. [Y] ;
Qu'il est en outre rappelé que l'impossibilité de faire face aux condamnations assorties de l'exécution provisoire, qui n'est pas établie en l'espèce, n'est pas de nature à caractériser à elle-seule les conséquences manifestement excessives exigées pour un arrêt de l'exécution provisoire ;
Attendu que M. [Y] ne tente pas d'ailleurs d'établir ces conséquences manifestement excessives et se contente d'argumenter sur ses moyens de réformation, ses dernières écritures ne faisant pas mention de ces conséquences ; qu'il est infondé à soutenir que le maintien de l'exécution provisoire conduira à le priver du double degré de juridiction, cette question concernant l'appréciation d'une éventuelle demande de radiation de l'instance d'appel ;
Attendu que sans avoir à apprécier le sérieux des moyens de réformation articulés par M. [Y], sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire est rejetée en l'état de sa carence à établir un risque de conséquences manifestement excessives ;
Attendu que M. [Y] succombe et doit supporter les dépens de ce référé comme indemniser son adversaire des frais irrépétibles engagés pour assurer sa défense ;
PAR CES MOTIFS
Nous, Pierre Bardoux, délégué du premier président, statuant publiquement, en référé, par ordonnance contradictoire,
Vu la déclaration d'appel du 3 décembre 2024,
Rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par M. [N] [Y],
Condamnons M. [N] [Y] aux dépens de ce référé et à verser à la SELARL MJ Synergie, liquidateur judiciaire de la S.A.S. Morel, une indemnité de 1 200 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.