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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 2 avril 2025, n° 21/06890

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Fedex Express FR (Sté), Fedex Express FR Holding (Sté), Fedex Express International BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meunier

Conseillers :

Mme Norval-Grivet, Mme Marques

Avocats :

Me Rilov, Me Danesi

Cons. prud'h. Bobigny, formation de dépa…

15 juin 2021

EXPOSE DU LITIGE

La société TNT Express International est une filiale du groupe TNT qui est spécialisée dans le transport routier de marchandises, et plus particulièrement dans l'acheminement de colis et documents à bref délai.

Par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, M. [J] [P] a été embauché par la société TNT Express International. Au dernier état de la relation contractuelle, il était chargé relations clients comptes stratégiques.

La convention collective nationale applicable est celle des transports routiers.

Au mois de mars 2014, la société TNT Express International a informé le comité d'entreprise en vue de sa consultation sur le projet de restructuration et de compression des effectifs et sur le projet de licenciement collectif.

Le 17 mars 2014, la société TNT Express International a informé la DIRECCTE de Rhône Alpes de l'existence d'un projet de licenciement collectif pour motif économique des salariés répartis sur l'ensemble du territoire national.

Le 15 mai 2014 un accord collectif d'entreprise sur le plan de sauvegarde de l'emploi a été partiellement conclu. Cet accord a été complété par un document unilatéral établi par la direction de l'entreprise.

L'accord majoritaire partiel a été validé et le document unilatéral homologué par décision de la DIRECCTE du Rhône-Alpes en date du 2 juin 2014.

Par lettre en date du 19 décembre 2014, la société TNT Express International a notifié à M. [P] son licenciement pour motif économique.

Par requête du 29 septembre 2015, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny aux fins de voir, notamment, juger leur licenciement économique dénué de cause réelle et sérieuse, reconnaître une situation de co-emploi et condamner la société à leur verser diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Courant 2016, le groupe Fedex a racheté le groupe TNT de sorte que la société Fedex Express FR vient aux droits de la société TNT Express International.

Par jugement du 15 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny, en formation de départage a statué en ces termes :

- Dit qu'il n'existe pas de situation de co-emploi avec les sociétés TNT France Holding aux droits de laquelle vient la société Fedex Express FR Holding, et TNT Express N.V. ;

- Dit que le licenciement de M. [J] [P] par la société TNT Express International repose sur une cause réelle et sérieuse ;

- le déboute en conséquence de l'ensemble des demandes subséquentes;

- déboute M. [J] [P] de sa demande d'indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail;

- déboute les parties de toute autre demande, fin ou prétention plus ample ou contraire;

- laisse à la charge de chacune des parties la charge des frais exposés par elles et non compris dans les dépens;

- condamne M; [J] [P] aux dépens;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 28 juillet 2021, M. [P] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2024, M. [P] demande à la cour de :

' infirmer le jugement du 15 juin 2021 rendu par la formation départage du Conseil de prud'hommes de Bobigny en ce qu'il a :

Statuant à nouveau,

' Condamner in solidum du fait de la situation de coemploi les sociétés TNT Holding

France, TNT Express N.V et TNT Express International pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à verser à l'appelant une indemnité de :

Nom : [P] [J]

Ancienneté : 8 ans 4 mois

Indemnités : 2 années de salaire soit 59.225,32 euros

' Condamner la société TNT Express International du fait de l'absence de motif économique réel et sérieux du licenciement à payer à l'appelant l'indemnité suivante pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Nom : [P] [J]

Ancienneté : 8 ans 4 mois

Indemnités : 2 années de salaire soit 59.225,32 euros

' Condamner la TNT Express International pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de la violation de l'obligation individuelle de reclassement à verser au salarié les indemnités suivantes :

Nom : [P] [J]

Ancienneté : 8 ans 4 mois

Indemnités : 2 années de salaire soit 59.225,32 euros

' Condamner les sociétés intimées à payer à chacun à l'appelant une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' Assortir les condamnations à intervenir d'intérêts au taux légal ;

' Condamner les sociétés intimées aux entiers dépens ;

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2025, les sociétés Fedex Express FR, Fedex Express FR Holding et Fedex Express International B.V demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Bobigny en ce qu'il a :

* Dit qu'il n'existe pas de situation de co-emploi

* Débouté Monsieur [P] de l'intégralité de ses demandes

* Condamné Monsieur [P] au paiement de 300 euros à chacune des sociétés intimées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

* Condamné Monsieur [P] aux dépens

* Dit qu'il n'y avait lieu à exécution provisoire

- Débouter Monsieur [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner Monsieur [P] au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le co-emploi

M. [P] conclut à une situation de co-emploi en se fondant sur le procès-verbal de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 14 décembre 2015 libellé en ces termes: « il a été mis en évidence ce jour-là seulement que le résultat d'exploitation de TNT EXPRESS INTERNATIONAL est ramené à zéro chaque fin de mois, par des refacturations au niveau de TNT Express International et TNT Express National. Ces refacturations à l'euro ne prennent pas en compte la notion de valeur ajoutée. La conséquence pour TNT EXPRESS INTERNATIONAL réside dans la difficulté à générer du résultat. Les charges d'exploitation incluent la masse salariale et les impôts. La valeur ajoutée générée n'est pas refacturée [']. Par ailleurs, il existe une refacturation de dotation aux amortissements, calculée sur des immobilisations financées par les fonds de TNT EXPRESS INTERNATIONAL, refacturation qui disparaît à la fin de la période d'amortissement. Cela prive TNT EXPRESS INTERNATIONAL d'un produit, lorsque les filiales continuent à utiliser les biens amortis financièrement ».

Cette attitude caractérisait selon le salarié une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société filiale et que selon la situation décrite par l'expert la société TNT Express International n'avait pas la maîtrise de la gestion économique de ses affaires et de l'immixtion dans celle-ci des sociétés TNT Express National er TNT Express International.

En réplique, les sociétés Fedex Express FR, Fedex Express FR Holding et Fedex Express International B.V. s'opposent à cette demande et soutiennent que :

- le salarié est mal fondée et ne produit aucun élément de preuve alors qu'il supporte la charge de la preuve du co-emploi allégué,

- il n'y pas de lien de subordination entre le salarié et les sociétés Fedex Express FR Holding et Fedex Express International B.V. ; M. [P] n'était salarié que de la société Fedex Express FR (venant aux droits de TNT Express International),

- si les sociétés TNT Express France, TNT Express N.V. et TNT Holding France font partie du même groupe, M. [P] ne prouve nullement l'existence d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société l'employant, à savoir la société TNT Express International,

- la seule pièce sur laquelle M. [P] se fonde ne vise à aucun moment ni TNT Express N.V. ni Fedex Express FR Holding (anciennement TNT France Holding) ; seules sont citées TNT Express International, TNT Express France et TNT Express National (maintenant toutes devenues Fedex Express FR) ; plus précisément, le procès-verbal indique : « le résultat d'exploitation de TNT Express International est 'ramené à zéro chaque fin de mois, par des refacturations au niveau de TNT Express International et TNT Express National' sans que cela ne démontre l'existence d'une immixtion dans la gestion économique et sociale dans la société TNT Express International par les sociétés TNT Express N.V. ou Fedex Express FR Holding (anciennement TNT France Holding).

Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail qu'une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre, hors l'existence d'un lien de subordination, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient qu'aucun des éléments produits par les parties ne permet de retenir l'existence d'une immixtion permanente de la société TNT Express N.V. et de la société TNT France Holding dans la gestion économique et sociale de la société TNT Express International, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière. A ce titre, il sera observé que la seule pièce au visa de laquelle le salarié soutient son argumentation ne se rapporte qu'aux sociétés TNT Express International, TNT Express France et TNT Express National et non TNT Express et TNT France Holding et ne permet pas de démontrer une immixtion dans la gestion économique et sociale dans la société TNT Express International.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de reconnaissance d'une situation de co-emploi et de celle afférente de condamnation in solidum des trois sociétés.

Sur le licenciement économique

La lettre de licenciement est ainsi libellée:

' " (...) Pour sauvegarder la compétitivité du Groupe "TNT" dans son secteur d'activité du transport express de documents et de colis, la Société a été contrainte d'adopter un projet de réorganisation de ces activités, accompagné d'un projet de licenciement.

Ces projets ont été l'objet d'une consultation des institutions représentatives compétentes, et ont été assortis d'un Plan de sauvegarde de l'emploi ayant donné lieu à un accord majoritaire avec les organisations syndicales représentatives, et une validation et homologation par la DIRECCTE en date du 5 juin 2014.

Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour motif économique pour les raisons, développées dans le projet de réorganisation exposé aux représentants du personnel, dont nous vous rappelons ci-après les éléments essentiels.

Le contexte économique :

Notre Société et le Groupe auquel elle appartient opèrent sur un marché hautement concurrentiel, qui diminue en valeur et est caractérisé par une forte baisse des prix.

Le marché du transport "express" diminue en effet en valeur malgré la hausse des volumes et ce à cause d'une baisse significative des prix.

Cette baisse s'explique notamment par la volonté des clients de se tourner vers des modes de livraison plus lents et moins onéreux, mais assurant un niveau de service équivalent. Ainsi au niveau national, le prix moyen unitaire des colis express léger est passé de 7,5 ' au 3ème trimestre 2008 à 6,2 ' au 4e trimestre 2014. Au niveau international le prix moyen d'une livraison "express" à l'exportation sur le marché européen est passé d'environ 38 ' au 3e trimestre 2008 à environ 26 ' au 1er trimestre 2013. La même baisse est observée à l'importation, le prix baissant sur la même période de 10 ' à un peu moins de 8 '.

Au niveau du Groupe, une baisse similaire a pu être constatée : au niveau national, le prix moyen unitaire des envois est passé de 9 ' en 2008 à 8,2 ' en 2013, et au niveau international, le prix moyen unitaire des envois est passé de 70 ' en 2008 à environ 51 ' en 2013.

Dans ce contexte, nous devons faire face à une concurrence particulièrement agressive dont la taille, l'organisation et l'offre permettent de mieux répondre aux enjeux liés à une demande de produits à plus bas prix et aux coûts d'infrastructures élevés liés à une présence mondiale, compte tenu des volumes et des distances.

En effet, malgré la position de 4e opérateur mondial sur le marché du transport "express", le Groupe "TNT" a une taille bien inférieure à ses concurrents Fedex, UPS et DHL (au moins 5 fois plus petite en terme de chiffre d'affaires). Et nos concurrents continuent de croître par des opérations de rachat, ce qui leur permet de mieux absorber les coûts d'infrastructures.

En France, l'agressivité commerciale de Chronopost et GLS qui ont notamment développé des solutions économiques, leur fait gagner des parts de marché au détriment de TNT.

Les conséquences sur les résultats du Groupe et en France :

Ce contexte défavorable a eu des conséquences économiques et financières importantes sur le Groupe, tant à l'international qu'en France.

Ainsi, les résultats enregistrés par le Groupe en 2013 ont confirmé le très net recul de ses performances.

Le résultat net fait apparaître une nouvelle perte pour l'exercice 2013 de 122 millions d'euros, en augmentation de près de 50 % par rapport à l'exercice 2012, tandis que le chiffre d'affaires était aussi en recul de 4, 7 % par rapport à 2012.

Une érosion drastique de la compétitivité peut être également observée au niveau de la Business Unit ("BU") France du Groupe, à laquelle la Société est rattachée. Même si le chiffre d'affaires a évolué positivement de 5,9 % entre 2007 et 2013, en raison de l'augmentation du volume de colis traité, le résultat d'exploitation et le résultat net ont chuté sur la même période, et particulièrement entre 2012 et 2013 :

- le résultat d'exploitation : de 37,21 millions d'euros à 24, 83 millions d'euros ; pour rappel en 2007 il était de 61,9 millions d'euros,

- le résultat net : de 11,79 millions à 7 millions ; en 2007 il s'établissait à 25,93 millions d'euros.

Cette baisse est la conséquence d'une augmentation des charges de sous-traitance, des salaires et des achats de matières premières.

Elle s'est confirmée sur l'année 2014. La BU France affichait un résultat d'exploitation de - 28,65 millions d'euros et une perte nette de 18,91 millions d'euros.

La menace réelle qui pèse ainsi sur la compétitivité de TNT l'a contrainte à se réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité.

Le Groupe, avant de mettre en place un Plan de Sauvegarde de l'emploi, a mis en 'uvre plusieurs actions et notamment :

- à l'international : la cession de la filiale chinoise Hoau le 1er novembre 2013, la mise en place du programme "Deliver" ;

- en France : la rationalisation de la sous-traitance, la limitation des coûts de voyage et de déplacement, la renégociation des contrats fournisseurs à compter de 2011, qui a permis d'économiser 300 000 ' en 2013.

Ces actions ne sont pourtant pas suffisantes compte tenu de l'ampleur des difficultés rencontrées et il a été décidé de mettre en 'uvre une réorganisation au niveau mondial pour répondre aux enjeux différents des marchés domestique et international et limiter les coûts de structure. La nouvelle organisation sera structurée autour de 3 divisions essentiellement orientées autour du produit commercialisé, national (Domestic) ou international (Europe International/Reste du Monde).

L'activité du Groupe en France sera dorénavant rattachée, pour l'activité nationale, à la division Domestic, et pour l'activité internationale à la BU Europe International..(...).'

M. [P] soutient que son licenciement économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour les motifs suivants:

- les motifs économiques ne sont pas fondés du fait de l'absence de prise en compte du secteur d'activité du groupe TNT auquel appartient l'entreprise TNT Express International et de l'absence de toute menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe TNT auquel appartient la société TNT Express International;

- l'employeur n'a pas respecté l'obligation de reclassement du fait de l'absence de tout courrier de recherche des possibilités de reclassement adressé par la société TNT Express International aux sociétés du groupe, du fait de la violation par la société TNT Express International de l'article L. 1233-4-1 du code du travail, du fait de son manquement à l'obligation tant de rechercher que de proposer les possibilités de reclassement dans les entités étrangères du groupe, et du fait du manquement à l'obligation de fournir à chaque salarié des propositions de reclassement fermes, précises et individualisées.

M. [P] soutient par ailleurs que les offres de reclassement sont manifestement irrégulières en ce qu'elles ne sont ni fermes, ni précises, et encore moins individualisées : la société TNT Express International s'est contentée de faire parvenir aux salariés licenciés une liste de postes disponibles, sans préciser les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, l'employeur se contentant d'indiquer " en cas de pluralité de candidatures sur un même poste, nous serons amenés à faire un choix parmi les différents salariés ayant accepté la proposition. " ; de surcroît, la liste de postes disponibles ne contient pas plusieurs informations obligatoires et notamment les horaires de travail.

En réplique, la société Fedex Express FR s'oppose à cette demande et soutient que :

- elle a apporté des éléments précis et tangibles démontrant une menace réelle pesant sur sa compétitivité comme cela ressort de la lettre de licenciement et des documents qui ont été produits dans le cadre de la procédure d'information et consultation des représentants du personnel,

- elle verse aux débats des données chiffrées tant de son groupe que des concurrents qui ont été rendues publiques et sont disponibles sur les sites internet de ces groupes;

- Les indicateurs financiers et comptables du groupe et de la business unit (BU) France montrent en effet très clairement une érosion inquiétante de la performance au niveau du groupe et de la BU France,

- plusieurs décisions ont déjà retenu le bien-fondé des motifs économiques,

- en ce qui concerne l'obligation de reclassement, l'employeur qui a proposé au salarié plusieurs offres de reclassement écrites, précises et personnalisées, sur des postes équivalents à celui qu'il occupait et situés à proximité de son domicile, satisfait à son obligation de reclassement, même s'il ne justifie pas ses recherches auprès des différentes entreprises du groupe,

- de nombreuses offres de reclassement ont été faites à M. [P]; aucune d'entre elles n'a été acceptée.

Sur le motif économique

L'article L 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige disposait :

" Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques (...) ".

En outre, à la date du licenciement de M. [P], une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'était pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, pouvait constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'appréciait, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise au sein du groupe.

Après analyse des pièces et données chiffrées concernant la situation économique et concurrentielle de la société TNT Express International et du groupe TNT dans son ensemble, la cour retient que :

- il existait une menace réelle sur la compétitivité de l'entreprise appréciée au niveau du secteur d'activité, justifiant sa décision de se réorganiser,

- le groupe TNT avait en 2015 un secteur d'activité unique, celui de la messagerie (livraison express de marchandises), et le groupe TNT avait enduré une diminution continue de son chiffre d'affaires depuis 2012 en raison notamment d'une baisse généralisée des tarifs dans le secteur ;

- en 2014, pendant la période contemporaine des licenciements, ce chiffre d'affaires était encore en baisse de 3%, passant de 6 904 millions d'euros en 2013 à 6 680 millions d'euros en 2014, et la société TNT Express International enregistrait dans le même temps une aggravation des pertes (de -122 millions d'euros en 2013 à -190 millions d'euros en 2014, soit une perte additionnelle de 68 millions) et un résultat net déficitaire,

- au terme du troisième trimestre 2014, le chiffre d'affaires était en baisse de 2 %, le groupe TNT subissant une baisse de 3% et à la fin de l'année 2014 une baisse de 15, 3%;

- le résultat opérationnel du groupe était évalué pour l'année 2014 à - 86 millions d'euros;

- cette dégradation des résultats s'inscrivait dans un contexte très concurrentiel, avec une forte pression sur les prix et un marché dominé par les trois autres opérateurs au niveau mondial sur le marché du transport express, à savoir les sociétés FEDEX, DHL et UPS qui ont enregistré pendant les même périodes une augmentation de leur chiffre d'affaires et de leur profitabilité,

- si la réorganisation effectuée a nécessairement entraîné des dépenses avec un impact sur les résultats, la réorganisation s'avérait donc nécessaire pour que la société TNT Express International conserve ses parts de marché et préserve sa compétitivité.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a dit que le motif économique du licenciement était justifié.

Sur l'obligation de reclassement

Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige,

"le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises".

Selon l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, lorsque l'entreprise ou le groupe est implanté hors de France, l'employeur demande préalablement au salarié s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de France et sous quelles restrictions éventuelles. Le salarié manifeste son accord pour recevoir de telles offres dans un délai de 6 jours ouvrables à compter de la réception de la proposition et son absence de réponse vaut refus. Les offres de reclassement écrites et précises ne sont adressées qu'au salarié ayant accepté de les recevoir et compte tenu des restrictions qu'il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n'est adressée est informé de l'absence d'offres correspondant à celles qu'il a accepté de recevoir. »

L'article D. 1233-2-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige disposait :

« I.-Pour l'application de l'article L. 1233-4-1, l'employeur informe individuellement le salarié, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de conférer date certaine, de la possibilité de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national.

II.-A compter de la réception de l'information de l'employeur, le salarié dispose de sept jours ouvrables pour formuler par écrit sa demande de recevoir ces offres. Il précise, le cas échéant, les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ainsi que toute autre information de nature à favoriser son reclassement.

III.-Le cas échéant, l'employeur adresse au salarié les offres écrites et précises correspondant à sa demande en précisant le délai de réflexion dont il dispose pour accepter ou refuser ces offres ou l'informe de l'absence d'offres correspondant à sa demande. L'absence de réponse à l'employeur à l'issue du délai de réflexion vaut refus.

Le délai de réflexion mentionné à l'alinéa précédent ne peut être inférieur à huit jours francs, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

Une offre est précise dès lors qu'elle indique au moins :

a) Le nom de l'employeur ;

b) La localisation du poste ;

c) L'intitulé du poste ;

d) La rémunération ;

e) La nature du contrat de travail ;

f) La langue de travail.

IV.-Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus dans une entreprise de cinquante salariés et plus dans une même période de trente jours, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou le document unilatéral mentionné à l'article L. 1233-24-4 précise notamment :

1° Les modalités de l'information individuelle du salarié prévue au I du présent article;

2° Les conditions dans lesquelles le salarié formalise par écrit auprès de l'employeur son souhait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et le délai dont il dispose pour manifester son intérêt à compter de la réception de l'information de l'employeur, sans que ce délai puisse être inférieur à celui prévu au II du présent article;

3° Les modalités de la communication au salarié des offres de reclassement prévue au III du présent article ;

4° Le délai de réflexion dont dispose le salarié pour se prononcer sur les propositions de reclassement qui lui sont faites, dans le respect des règles définies au deuxième alinéa du III du présent article. »

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a loyalement et sérieusement exécuté son obligation de recherche de reclassement dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel elle appartient. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

S'agissant des offres de reclassement à l'étranger, il était mentionné, dans les courriers adressés aux salariés que s'ils souhaitaient recevoir des offres du groupe, ils devaient retourner, dans un délai de 6 jours, le questionnaire, joint en annexe avec la liste des pays accessibles. M. [P] était ainsi invité à faire part de son acceptation ou de son refus d'être reclassée à l'étranger, sans qu'il lui soit demandé d'emblée d'accepter un tel reclassement. Le premier juge relève que la pièce communiquée témoigne de ce que la demande était claire, puisque certains salariés avaient fait part de leur acceptation ou de leur refus portant sur des pays précis.

La cour constate que M. [P] a été interrogé par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juin 2014 sur son intérêt pour des propositions de reclassement à l'étranger conformément aux dispositions précitées de l'article L.1233-4-1 du code du travail, qu'il n' y a pas répondu.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [P] est mal fondé à soutenir que la société TNT Express France n'a pas rempli l'obligation de reclassement qui lui incombait en application des articles L.1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail.

Par ailleurs, la société TNT Express France a fait des propositions de reclassement qui démontrent qu'elle a effectué des recherches de reclassement et qu'il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir produit les lettres de recherches de reclassement qu'elle a adressées aux diverses entités du groupe, que les propositions de reclassement effectuées par lettre recommandée avec accusé de réception datées du 18 septembre 2014 pour 28 postes en France dont 7 postes de chargés de clientèle et certains en région parisienne sont des offres de reclassement écrites et précises conformes aux dispositions de l'article L.1233-4 du code du travail, s'agissant de propositions de reclassement pour des postes situés en France, qu'elles comportent de surcroît les mentions relatives au nom de l'employeur, à la localisation du poste, à l'intitulé et à la qualification du poste, à la rémunération et à la nature du contrat de travail étant précisé qu'aucun texte applicable à la date du licenciement de M. [P] ne rendait obligatoire la mention exacte des horaires de travail et que ce n'est que la loi du 21 décembre 2017 (l'article D. 1233-2-1 du code du travail dans sa nouvelle rédaction)- postérieure donc au licenciement litigieux - qui a rendu obligatoire le descriptif du poste et l'énonciation des critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste.

Le premier juge a pertinemment relevé que M. [P] a refusé tous les postes proposés. Par ailleurs, il note que l'employeur a indiqué que le salarié pouvait avoir accès à l'ensemble des postes disponibles dans le groupe et pouvait se rapprocher du service de recrutement et mobilité interne pour envisager avec lui le cas échéant les modalités de reclassement sur un éventuel poste qui ne lui aurait pas été proposé.

M. [P] allègue cependant que les postes de travail n'ont en réalité pas été supprimés puisque les salariés ont été remplacés sur les mêmes postes au lendemain des licenciements. Il se fonde sur ce point sur le procès verbal de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 14 décembre 2015 aux termes duquel M. [K], membre du cabinet d'expert comptable du comité d'entreprise indique que ' en 2014, les embauches ont été de 65 CDI et 95 CDD (données du bilan social). .. Un nombre particulièrement important de recrutements a été effectué en 2012, et que le nombre de CDD de 2014 augmente en comparaison de 2010 et 2011. Dans un contexte de PSE, il serait important d'apporter des éléments de clarification sur les raisons des recours à ces CDD en cette période. »

Il fait également état du procès verbal du comité d'entreprise en date du 21 juin 2016, soit deux ans après le licenciement et aux termes duquel Mme [Z], directrice des affaires sociales et présidente du comité a indiqué: « sur le fait que les évolutions technologiques sont très rapides et que les entreprises ont un besoin crucial d'innovation dans tous les domaines. Le maintien des salariés dans l'emploi est parfois également un enjeu majeur pour les entreprises. Et l'investissement dans les plans de formation, réels plans de développement des salariés, est destiné à éviter de procéder ultérieurement à des réductions de postes. Au sein de TNT, il y a eu un PSE. Or, globalement l'effectif est pratiquement le même aujourd'hui. Cela signifie qu'il y a eu des recrutements' .

Toutefois, l'analyse du registre du personnel de la société TNT Express International ne confirme pas ce point. En 2015 et 2016, plusieurs embauches ont été réalisées à temps partiel et en contrat à durée déterminée sur différents sites pour des postes d'opérateurs, agent contentieux , agent de facturation, agents de tri etc. Ont certes été recrutés en qualité de conseiller clientèle ou chargé de relation des salariés en contrat à durée déterminée, quatre conseillers clientèle en 2014, plusieurs conseillers au cours de l'année 2015 sur différents sites étant rappelé que 28 postes de reclassement étaient proposés au salarié qui les a refusés. Par ailleurs, des recrutements ne sont pas incompatibles avec une situation économique tendue, et ne sauraient suffire à remettre en cause le diagnostic porté sur la situation économique de l'entreprise, étant observé que la suppression d'emploi n'implique pas nécessairement la diminution globale de l'effectif de l'entreprise.

Compte tenu de ce qui précède, le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a retenu que la société TNT Express International établit avoir satisfait loyalement et sérieusement à son obligation de reclassement, que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté en conséquence de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [P] ne contestant pas à hauteur d'appel les dispositions du jugement l'ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution du contrat de travail, celles-ci seront en conséquence confirmées.

Sur les autres demandes

La cour condamne M. [P] aux dépens d'appel en sus des dépens de première instance.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions.

Ajoutant,

Rejette la demande formée par la société Fedex Express FR au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [J] [P] aux dépens d'appel.

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