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Décisions

CA Orléans, ch. com., 27 mars 2025, n° 23/00751

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Isofrance Fenetres (SARL)

Défendeur :

MG Amenagement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chegaray

Conseillers :

Mme Chenot, M. Desforges

Avocats :

Me Berger, Me Bloch, Me Devauchelle, Me Chelly Szulman

T. com. Orléans, du 23 févr. 2023

23 février 2023

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

La société Isofrance Fenêtres a conclu avec la société Conseils Habitat un contrat de concession commerciale en date du 3 septembre 2013. Par ce contrat, la société Isofrance Fenêtres, concédante, consentait une exclusivité commerciale à la société Conseils Habitat, concessionnaire, pour la vente aux particuliers des produits figurant dans son catalogue et plus généralement de ceux commercialisés et agréés par la marque. L'ensemble des droits et obligations découlant de ce contrat de concession commerciale a été repris par la société MG Aménagement venue aux droits de Conseils Habitat par avenant du 5 mai 2017.

Par courrier recommandé du 14 août 2019, la société MG Aménagement a notifié à la société Isofrance Fenêtres sa décision de résilier le contrat de concession commerciale.

En retour, la société Isofrance Fenêtres a pris acte de cette décision, tout en indiquant que le délai de préavis d'un an devait être respecté de sorte que la résiliation ne serait effective qu'au 14 août 2020.

Au motif que la société MG Aménagement avait, avant cette date, enfreint l'interdiction d'adhérer à un réseau concurrent, la société Isofrance Fenêtres l'a faite assigner devant le tribunal de commerce d'Orléans suivant acte du 15 septembre 2020 en vue de la voir condamner au paiement d'une indemnité de 125'644 euros.

Par jugement du 23 février 2023, le tribunal de commerce d'Orléans a :

- déclaré la société Isofrance Fenêtres mal fondée en ses demandes,

- débouté la société Isofrance Fenêtres de sa demande d'indemnisation à hauteur de 126'644 euros,

- condamné la société Isofrance Fenêtres à payer à la société MG Aménagement la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Isofrance Fenêtres aux entiers dépens, y compris les frais de greffe liquidés à la somme de 64,68 euros.

La société Isofrance Fenêtres a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 16 mars 2023 en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 septembre 2024, la société Isofrance Fenêtres demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 23 février 2023 en ce qu'il a débouté Isofrance de sa demande d'indemnisation à hauteur de 126'400 euros et condamné celle-ci à payer 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- constater la violation du contrat de concession par la société MG Aménagement,

en conséquence,

- condamner la société MG Aménagement au paiement de la somme de 125'644 euros,

- débouter la société MG Aménagement de ses contestations et demandes,

- la condamner aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'au paiement d'une somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 novembre 2024, la société MG Aménagement demande à la cour, au visa de l'article 1184 du code civil, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans le 23 février 2023 en ce qu'il a :

* déclaré la société Isofrance mal fondée en ses demandes,

* débouté la société Isofrance de sa demande d'indemnisation à hauteur de 126'644 euros,

* condamné la société Isofrance à payer à la société MG Aménagement la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Isofrance aux entiers dépens,

Y ajoutant :

- juger que la société MG Aménagement a résilié le contrat de commissionnement à la suite des manquements imputés à Isofrance (résiliation du contrat avec le fournisseur principal du réseau Isofrance qui rejoignait la concurrence, absence de directeur commercial pendant une année, absence d'assistance),

- juger que la clause d'approvisionnement exclusif est nulle,

- juger que la clause de non-concurrence et non ré-affiliation post-contractuelle est nulle,

- débouter la société Isofrance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre subsidiaire :

- réduire à de plus justes proportions les demandes de la société Isofrance, laquelle ne fait pas la preuve d'un manquement, d'un préjudice, ni d'un lien de causalité avec les prétendus manquements invoqués,

En toutes hypothèses :

- condamner la société Isofrance au paiement de la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société MG Aménagement,

- condamner la société Isofrance aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 novembre 2024. L'affaire a été plaidée le 28 novembre suivant.

MOTIFS :

Sur la responsabilité contractuelle de la société MG Aménagement pour non-respect du délai de préavis :

Suivant le paragraphe 10 du contrat de concession commerciale signé le 3 septembre 2013, la résiliation du contrat à l'initiative du concessionnaire est possible :

- avec respect d'un préavis de 2 mois par année complète ou entamée de collaboration, au maximum de 12 mois, et ce quelle qu'en soit la cause,

- sans préavis « en cas de manquements graves du concédant à ses obligations, notamment:

* non-respect de la part du concédant de son obligation d'exclusivité telle que définie [...] au contrat,

* débauchage par le concédant de salariés du concessionnaire ».

Pour justifier le non-respect du délai de préavis après sa résiliation par courrier recommandé du 14 août 2019, la société MG Aménagement, qui ne prétend pas que la société Isofrance Fenêtres aurait manqué à son obligation d'exclusivité ou aurait débauché l'un de ses salariés, se prévaut des dispositions de l'article 1184 ancien du code civil suivant lesquelles « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des parties ne satisfera point à son engagement ».

Il importe dès lors de rechercher si la société Isofrance Fenêtres a commis un manquement contractuel d'une gravité telle qu'il justifiait une rupture unilatérale sans respect du délai contractuel de préavis de la part de la société MG Aménagement.

Si son courrier de résiliation du 14 août 2019 ne comportait aucun grief précis, la société MG Aménagement a pu reprocher à son ancienne concédante au cours des échanges qui ont suivi :

- une offre de produits insuffisante, et notamment l'absence de modèle compatible avec les normes applicables aux construction neuves,

- la sortie du réseau d'un fournisseur majeur, la société Soprofen, ainsi que celle du fournisseur Klozip, sans solution de remplacement proposée,

- l'inadaptation des produits à la demande des consommateurs générant de nombreux problèmes de service après-vente sur les gammes PVC,

- un défaut d'assistance et de suivi commercial.

Force est toutefois de constater qu'alors qu'il lui appartient de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de la part de sa concédante pour justifier une résiliation unilatérale du contrat sans préavis, la société MG Aménagement se borne à reprocher à la société Isofrance Fenêtres de ne pas démentir ses griefs et de ne pas justifier de son côté de la bonne exécution de ses obligations contractuelles, renversant ainsi la charge de la preuve, sans produire de pièces étayant ses allégations ni donner d'éléments contredisant les réponses formulées par la société Isofrance Fenêtres dès avant l'introduction de l'instance, selon lesquelles :

- la société MG Aménagement a pu prendre connaissance du catalogue et des produits commercialisés avant de s'engager ; elle n'ignorait pas à cet égard que le c'ur de métier du réseau Isofrance Fenêtres est la vente aux particuliers d'huisseries plutôt que le marché des constructions neuves,

- les sociétés Isofrance Fenêtres et MG Aménagement se sont rencontrées en juin 2019 alors que cette dernière se plaignait de ne pas avoir une offre produit PVC pour le neuf et pour l'aluminium ; à la suite de cette rencontre elle lui a fait une proposition début juillet 2019 par mail, restée sans réponse,

- la cession de la société Soprofen n'a pas remis en cause les contrats d'approvisionnement signés avec les différentes entités de ce groupe ( Soprofen [Localité 5], Soprofen Industrie, Soprofen Portes Industrie),

- à la suite de la cessation d'activité du fabricant Klozip en janvier 2019, Isofrance Fenêtres a présenté un nouveau partenaire à ses concessionnaires lors de la « Commission produits » du mois d'avril 2019, à laquelle MG Aménagement n'était toutefois pas présente,

- ses commerciaux de terrain ont continué à se déplacer régulièrement auprès de la société MG Aménagement jusqu'à l'annonce de la résiliation du contrat par celle-ci et son intégration du réseau concurrent Homkia.

En définitive, alors-même qu'elle ne conteste pas avoir intégré un réseau concurrent d'Isofrance Fenêtres, Homkia, concomitamment à la notification de la résiliation du contrat de concession qui la liait à la première, ce que démontrent au besoin les visuels versés au débat (pièce 49 Isofrance), la société MG Aménagement n'établit pas l'existence de manquements suffisamment graves de la part de sa concédante susceptibles de justifier qu'elle n'ait pas respecté le délai de préavis contractuel d'un an à compter de cette notification.

Elle a dès lors commis une faute contractuelle à double titre :

- d'une part en cessant de s'approvisionner auprès des fournisseurs référencés et agréés par sa concédante à hauteur de 80 % de son volume d'achat, conformément à l'article 7 du contrat de concession, avant l'expiration du délai de préavis d'un an le 14 août 2020,

- d'autre part en violant la clause de non-concurrence prévue à l'article 18 qui lui faisait notamment interdiction, avant le terme du contrat, de concurrencer directement ou indirectement le concédant par la commercialisation de produits identiques et de s'affilier à un réseau concurrent.

C'est en vain que l'intimée se prévaut de la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif en visant les articles 101-1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne et L 420-1 du code de commerce. En effet ces textes, dont la vocation est de limiter les pratiques anticoncurrentielles, ne rendent pas nécessairement nulle une clause d'approvisionnement exclusif entre un concédant et un concessionnaire, et ce quand bien même celle-ci ne remplirait pas les conditions d'exemption fixées par le règlement UE 330/210 également visé par l'intimée, s'il n'est pas établi que ladite clause a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (voir à cet égard Com, 3 déc. 2003, n°02-12.910).

Or tel n'est pas l'objet ni l'effet de la clause d'approvisionnement figurant au contrat de concession litigieux, laquelle limite au demeurant l'obligation d'approvisionnement exclusif du concessionnaire auprès du concédant à 80 % de son volume d'achat, sans l'empêcher d'acquérir des produits extérieurs à la gamme Isofrance dans la limite de 20 %, y compris, par une analyse a contrario de l'article 18 du même contrat, des produits identiques, semblables ou susceptibles de concurrencer directement ou indirectement les produits Isofrance dès lors que ceux-ci sont ensuite commercialisés à l'extérieur du secteur géographique concerné par le contrat de concession.

C'est tout aussi vainement que l'intimée excipe de la nullité de la clause de non-concurrence post contractuelle figurant à l'article 18 §2 du contrat dès lors qu'au cas présent l'appelante lui reproche d'avoir cessé de s'approvisionner auprès des entreprises de son réseau et d'avoir intégré un réseau concurrent pendant le cours du contrat, et non postérieurement à celui-ci.

Enfin la société MG Aménagement ne peut sans mauvaise foi reprocher à la société Isofrance Fenêtres d'avoir failli à ses propres obligations au-delà du 14 août 2019 pour ne pas l'avoir conviée à la réunion annuelle des concessionnaires et ne plus avoir envoyé ses commerciaux sur son point de vente, alors que sa concédante avait connaissance depuis l'été 2019 que sa concessionnaire avait rejoint le réseau concurrent Homkia et ne s'approvisionnerait donc plus auprès d'elle, de sorte que toute action d'accompagnement à son égard au-delà de cette date devenait sans objet.

La responsabilité contractuelle de la société MG Aménagement se trouve ainsi bel et bien engagée à l'endroit de la société Isofrance.

Sur le préjudice de la société Isofrance Fenêtres :

Suivant l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation sauf à justifier que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

Il est toutefois de jurisprudence acquise qu'une faute contractuelle n'implique pas nécessairement par elle-même l'existence d'un dommage en relation de cause à effet avec cette faute, et que ne peuvent être alloués des dommages intérêts que si le juge constate, lorsqu'il statue, qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle.

Aussi la faute ayant consisté pour la société MG Aménagement à s'affranchir du délai de préavis d'un an en intégrant un réseau concurrent d'Isofrance Fenêtres dès la notification à cette dernière de la résiliation du contrat qui les liait n'a pas nécessairement causé un préjudice à la société Isofrance Fenêtres, et il appartient donc à cette dernière d'en rapporter la preuve pour justifier du bien-fondé de sa demande indemnitaire (voir par ex Civ 1re, 22 nov. 2017, n°16-27.551).

Or, tandis que la société MG Aménagement n'a de cesse, depuis le départ de la procédure, de faire observer que la société Isofrance Fenêtres n'établit en rien l'existence du préjudice dont elle réclame indemnisation, et alors que les premiers juges ont pu à leur tour reprocher à la requérante de ne pas justifier du mode calcul de sa prétention financière, celle-ci n'établit toujours pas devant la cour tant les contours que la réalité-même d'un dommage financier en lien avec le comportement fautif de sa concessionnaire.

L'appelante affirme seulement que la société MG Aménagement était tenue de payer un commissionnement sur son chiffre d'affaires comme cela résultait « expressément » des dispositions contractuelles, de sorte qu'en se dispensant de réaliser le chiffre d'affaires initialement prévu elle n'a pas payé le commissionnement qui devait en résulter.

La fausseté de ce postulat ressort pourtant des pièces qu'elle verse elle-même aux débats. La lecture du contrat de concession litigieux montre en effet que la société MG Aménagement n'était tenue au paiement d'aucun commissionnement sur son propre chiffre d'affaires. Parallèlement les contrats de partenariat entre la société Isofrance Fenêtres et ses fournisseurs révèlent que cette dernière se rémunérait en réalité via une commission que ceux-ci lui versaient trimestriellement, sur la base d'un pourcentage du montant du chiffre d'affaires hors taxes qu'ils réalisaient avec l'ensemble des concessionnaires du réseau Isofrance.

L'on aurait pu dès lors s'attendre à ce que la société Isofrance Fenêtres, afin d'établir la réalité d'un préjudice financier qu'elle chiffre à hauteur de 125 644 euros, s'emploie à justifier de la part que représentaient les achats réalisés par la société MG Aménagement dans le chiffre d'affaires de ses fournisseurs, avant de montrer une diminution de ce chiffre d'affaires et donc de ses rétrocessions au-delà du 14 août 2019.

Au lieu de cela, l'appelante se borne à produire ses 74 factures de commissionnement établies trimestriellement sur l'année 2019 à l'adresse de ses différents fournisseurs, lesquelles mentionnent le seul chiffre d'affaires global réalisé par ceux-ci avec l'ensemble des concessionnaires Isofrance. L'intimée n'ignore pourtant pas que cette production de factures, qui ne dit rien du volume des achats que réalisait habituellement la société MG Aménagement auprès de ses fournisseurs et qui en outre ne se rapporte qu'à la seule année 2019, est insusceptible de mettre en exergue une perte de commissionnement entre le 14 août 2019 et le 14 août 2020, après l'arrêt des commandes par la société MG Aménagement au sein de son réseau. Aucun lien ne peut dès lors être établi entre de telles factures et les chiffres que l'appelante se contente d'énoncer en page 3 de ses conclusions sans aucune explicitation.

Ce faisant, la société Isofrance Fenêtres échoue à rapporter la preuve de l'existence même du préjudice financier dont elle demande réparation.

Aussi le jugement déféré sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Isofrance Fenêtres de sa demande d'indemnisation.

Sur les demandes accessoires :

Une faute contractuelle ayant été retenue à l'encontre de la société MG Aménagement, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles et la société MG Aménagement condamnée aux dépens de première instance et d'appel, sans que lui soit allouée aucune somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.

Compte tenu du sens de la présente décision, la société Isofrance Fenêtres sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société MG Aménagement aux dépens de première instance,

Dit n'y avoir lieu à indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

Y ajoutant,

Condamne la société MG Aménagement aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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