CA Montpellier, ch. com., 8 avril 2025, n° 24/04516
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Demont
Conseillers :
M. Graffin, M. Vetu
Avocat :
Me Clement
FAITS ET PROCEDURE :
Par jugement du 24 mai 2023, le tribunal de commerce de Carcassonne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SARL [6], dont le gérant est M. [X] [Y], et désigné la SELARL [H] [K], prise en la personne de M. [H] [K], en qualité de liquidateur.
La date de cessation des paiements a été provisoirement fixée au 31 décembre 2021.
Dans son rapport du 4 août 2022 adressé au procureur de la République en vertu de l'article R. 653-1 du code de commerce, la société [H] [K], ès qualités, a notamment relevé que M. [Y] avait détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif de la société [6], fait disparaître des documents comptables, n'avait pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière et omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Par requête le procureur de la République du tribunal de commerce de Carcassonne a sollicité que M. [Y] soit assigné avec visa des articles 56 et 855 du code de procédure civile aux fins de voir prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 10 ans ou, à défaut, une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans.
Par jugement réputé contradictoire du 17 juillet 2024, le tribunal de commerce de Carcassonne a :
- prononcé à l'encontre de [X] [Y], dirigeant de la société [6], une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- et dit que les dépens seront frais privilégié de la liquidation judiciaire.
Par déclaration du 4 septembre 2024, M. [X] [Y] a relevé appel de ce jugement en intimant le procureur de la république de Carcassonne.
Par déclaration du 10 septembre 2024, M. [X] [Y] a de nouveau relevé appel de ce jugement mais en intimant le procureur général près la cour d'appel de Montpellier.
Les procédures d'appel ont été jointes.
Par conclusions du 18 novembre 2024, M. [X] [Y] demande à la cour, au visa des articles L. 653-1 et suivants du code de commerce, de :
À titre principal,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
À titre subsidiaire, et si par extraordinaire si la cour devait retenir l'existence d'un grief à son encontre,
- proportionner la sanction à l'éventuel grief retenu et substituer à la place d'une sanction de faillite personnelle une mesure plus douce et plus courte dans le temps.
Par avis communiqué aux autres parties par RPVA le 19 novembre 2024, le ministère public sollicite la confirmation du jugement entrepris, de prononcer à l'encontre de M. [X] [Y] une faillite personnelle pour une durée de 10 ans et à défaut, de prononcer une mesure de faillite personnelle ou une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 10 ans pour les mêmes motifs que ceux retenus par le premier juge et précise que ce dernier a déjà été condamné au pénal pour dissimulation de salariés.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 25 février 2025.
MOTIFS :
" Sur la mesure de faillite personnelle
1. Il résulte des dispositions de l'article L. 653-4 du code de commerce que :
"Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale."
2. En vertu du 6°, de l'article L. 653-5 du même code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables
3. Selon l'article L. 653-2 du Code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
4. Selon le premier alinéa de l'article L. 653-11 du code de commerce, lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, il fixe la durée de la mesure, qui ne peut être supérieure à quinze ans.
5. En vertu de ce texte, les juges du fond apprécient ainsi souverainement la sanction liée à l'interdiction de gérer, dont les principe et quantum sont appréciés en fonction de la gravité des fautes commises et de la situation personnelle de l'intéressé dès lors, pour ce dernier critère, qu'il en est fait état par elle.
6. La sanction de faillite personnelle ayant un caractère de punition, celle-ci ne peut être prononcée que dans les cas limitativement énumérés par la loi, qui sont d'interprétation stricte.
7. Au regard des textes qui précèdent, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur " l'absence de déclaration de cessation de paiement dans le délai légal ". La demande de confirmation par le ministère public de la sanction au regard de cette faute ne peut davantage prospérer.
8. Restent ainsi à examiner l'absence de tenue de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation et la dissimulation de tout ou partie de l'actif relevée par le premier juge.
9. Toutefois, aucune production n'établit en l'espèce la réalité de ces fautes et encore moins l'intention frauduleuse qui les accompagne.
10. En effet, le dossier de première instance et, en particulier le procès-verbal de carence qui apporterait la démonstration de ce que le dirigeant n'aurait pas justifié du sort de certains actifs, lequel a emporté la conviction des premiers juges de l'existence de cette faute, n'est pas versé aux débats.
11. Il en est de même s'agissant de la faute consistant à ne pas tenir de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation.
En effet, en l'absence de toute production, les " réserves " émises par le premier juge " sur les chiffres communiqués ", et la condamnation pour travail dissimulé dont se prévaut le ministère public, intervenue postérieurement, le 16 février 2023 seulement, dont on voit mal en quoi il serait en lien avec les infractions prévues à l'article L. 653-3 du code de commerce, sont insuffisants à cet égard, et conduire à prononcer la mesure d'interdiction de gérer sollicitée en substitution de la faillite personnelle.
12. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de M. [X] [Y].
" Sur la demande de substituer à la faillite personnelle une interdiction de gérer
13. Aux termes de l'article L. 653-8 du code de commerce :
" Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. "
14. C'est à bon droit que l'appelant se prévaut des procès-verbaux d'assemblées générales ordinaire et extraordinaire des 31 décembre 2021 ayant acté la dissolution anticipée de la SARL [6] pour dénier toute absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours.
15. En effet, il ressort de ces procès-verbaux qu'à la clôture de la liquidation, fixée au 9 mars 2022, avec effet au 31 décembre 2021 (publié au BODACC et enregistré par le greffe), cette société présentait un compte créditeur.
16. En l'absence de quelque production du ministère public, il n'est pas rapporté la preuve de ce que quarante-cinq jours avant le 31 décembre 2021, date de la cessation des paiements fixée par le tribunal, l'appelant aurait manqué à ses obligations déclaratives en la matière.
17. S'agissant de la dissimulation de tout ou partie de l'actif et l'absence de tenue de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation, la cour se réfère à ses précédents développements aux termes desquels ces fautes ne sont pas établies.
18. Ainsi, la requête du ministère public visant à voir substituer à cette mesure de faillite personnelle, une mesure d'interdiction de gérer, sera également rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Rejette la requête du ministère public tendant à voir sanctionner M. [X] [Y] d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer en substitution,
Dit que les dépens de première instance et d'appel resteront à la charge du trésor public.