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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 3 avril 2025, n° 23/13515

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Miquel

Avocats :

Me Daval-Guedj, Me Ah-Toy

T. com. Nice, du 24 oct. 2023, n° 2023L0…

24 octobre 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS [7], immatriculée au RCS de Nice ([N° SIREN/SIRET 4]) depuis le 7 août 2015 avait pour activité la fabrication, vente et livraisons de plats préparés et plus généralement tous services de traiteur, et particulièrement la livraison de repas à des personnes âgées. Son dirigeant était M. [T] [Z].

Sur déclaration de cessation des paiements déposée en avril 2022, le tribunal judiciaire de Nice a prononcé le 14 avril 2022 la liquidation judiciaire de la société et désigné la Selarl [W] - Les Mandataires, représentée par Me [G] [W] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le passif déclaré, de 118 451,16 euros, dont 50 000 euros à titre provisionnel et privilégié (Urssaf), n'a pas fait l'objet d'une vérification.

Le tribunal de commerce de Nice, saisi le 22 juin 2023, d'une requête en sanction par le ministère public a, par jugement réputé contradictoire du 24 octobre 2023, prononcé à l'encontre de M. [T] [Z] une interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale pendant une durée de 10 ans, avec exécution provisoire.

Le tribunal a retenu comme griefs : la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales, la carence de M. [T] [Z] pendant toute la durée de la procédure et l'importance du passif qui s'élève à 118 451,16 euros.

M. [T] [Z] a interjeté appel de cette décision le 31 octobre 2023.

Par conclusions déposées et notifiées au RPVA le 9 octobre 2024, M. [T] [Z] demande à la cour un certain nombre de choses qui sont autant de moyens et plus particulièrement :

- de réformer le jugement dont appel,

En conséquence :

- annuler la décision portant interdiction de gérer prise à l'encontre de M. [T] [Z],

- ordonner les formalités de publicité légale,

- condamner la Selarl [W]-Les Mandataires à verser à M. [T] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Me Daval-Guedj.

L'appelant fait valoir que la SAS [7] tenait bien une comptabilité et a présenté son grand livre journal et les déclarations de TVA, mais que ne disposant plus de ressources financières pour payer son comptable, elle n'a pas finalisé les documents relatifs aux comptes annuels (bilan, compte de résultats) dont la date de dépôt était postérieure à la demande de la liquidation judiciaire ; que M. [T] [Z] ne s'est pas présenté à l'audience du tribunal de commerce ignorant qu'il avait été cité à comparaître.

La déclaration d'appel a été signifiée à personne morale à la Selarl [W] - Les Mandataires qui n'a pas constitué avocat.

Par avis déposé le 14 janvier 2025 le ministère public relève qu'il ressort du rapport du mandataire, qu'il communique aux débats, que la dernière situation comptable remise correspond à l'année 2020 et que la comptabilité de l'année 2021 ne lui a pas été remise ; que le motif invoqué par M. [T] [Z] selon lequel Mme [X] [E] serait devenue actionnaire unique et présidente de la société en 2021 est inopérant dès lors que ce changement n'a respecté aucune des formalités légales ; que M. [T] [Z] n'a déféré à aucune convocation du liquidateur judiciaire, invoquant des problèmes de santé et qu'il avait fini par baisser les bras tout en concédant que c'était à tort. Le ministère public requiert la confirmation du jugement attaqué.

Les parties ont été avisées le 17 novembre 2023 de la fixation à bref délai de l'affaire à l'audience du 9 octobre 2024. Un avis de renvoi a été adressé aux parties pour l'audience du 5 février 2025.

La clôture a été prononcée le 16 janvier 2025.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article L.653-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent III du titre V du livre VI du code de commerce relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdictions sont applicables, notamment, :

« 1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé;

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ; (')».

L'article L653-4 du code de commerce dispose que :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

Selon l'article L653-5 du même code,

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée. »

Enfin, en application de l'article L.653-8 du code de commerce, « Dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L.653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L.622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L.622-6.

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. »

Il incombe, conformément à l'article 9 du code civil, à celui qui demande le prononcé d'une sanction à l'encontre du dirigeant d'une société placée en liquidation judiciaire, de rapporter la preuve des fautes qu'il a commises fondant la sanction.

Il résulte des dispositions des articles L.123-12 à L.123-24 et L.230 du code de commerce que la comptabilité de la SAS doit comporter obligatoirement un livre-journal qui reprend tous les mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise, enregistrés au jour le jour, opération par opération et selon le plan comptable utilisé par l'entreprise ;

Un grand livre, qui reprend les écritures enregistrées dans le livre-journal en les ventilant selon le plan comptable utilisé par l'entreprise ;

Doivent être établis également des compte annuels au titre de chaque exercice, en l'occurrence un bilan comptable, un compte de résultat et une annexe légale, ce dernier document ayant pour but d'apporter de l'information et d'aider à la compréhension du compte de résultat et du bilan.

Le fait de ne pas tenir correctement une comptabilité de son entreprise constitue une faute de gestion passible, outre les sanctions prévues à l'article 1741 du code général des impôts, d'une sanction au titre des articles L653-5 à L653-8 du code de commerce.

La requête en sanction du parquet de Nice se fonde sur le seul grief fait à M. [T] [Z] de n'avoir communiqué aucune information quant à la tenue d'une comptabilité supposant qu'il n'a pas rempli ses obligations légales à ce titre lorsque les textes applicables en font obligation ou qu'il a pu faire disparaître des documents comptables.

M. [T] [Z] a justifié avoir remis entre les mains du liquidateur judiciaire le grand livre général 2021 ainsi qu'il ressort du courriel du 2 novembre 2023 (pièce n°10 de l'appelant) de même qu'il n'est pas contesté qu'il a remis au liquidateur judiciaire la comptabilité de l'année 2020.

Il ressort en outre de l'attestation de la société [5], expert comptable de la SAS [7], en date du 11 décembre 2023 (pièce n°8 de l'appelant), produite en cause d'appel, libellée en ces termes :

« - Nous sommes entrés en fonction sur ce dossier en juillet 2019.

- En mars 2020, l'entreprise a commencé à connaître des difficultés liées au confinement imposé par le Gouvernement en raison de la pandémie Covid.

- La reprise post Covid fut très difficile. Voici ce que nous avions noté dans le dossier de demande de liquidation déposé début avril 2022 :

"L'activité consiste en la livraison de repas essentiellement à des personnes âgées et dépendantes. Pendant la période de Covid, les familles ont soit renoncé à nos services car elles plaçaient leurs anciens en EPAD, soit ont décidé de s'en occuper.

Des décès sont également survenus. Le nombre de clients a chuté et nous ne parvenons pas à conclure de nouveaux contrats. La société ne génère plus de CA permettant d'atteindre au minimum le point mort. "

- La comptabilité a été régulièrement tenue jusque décembre 2021, traitée en janvier 2022.

- L'activité économique de la société s'est arrêtée début janvier 2022.

- Les payes et déclarations DSN ont été établies par le cabinet jusque mars 2022.

- Le salarié a été licencié pour motif économique le 10/02/2022.

- Restait le dernier salarié, l'ex-compagne ([X] [E]) de M. [Z], qui devait devenir actionnaire unique et présidente, en 2021, puisqu'elle souhaitait gérer et développer seule cette entreprise.

- Malheureusement, elle n'a pas pu effectuer la reprise post Covid et M. [Z] a pris la décision de demander la liquidation judiciaire.

- Le bilan 2021 (à déposer avant le 2 mai 2022) n'a pas été achevé puisque d'une part notre cabinet n'était plus réglé, que d'autre part la demande de liquidation est intervenue, et enfin, que [X] [E] se trouvait dans un état de malaise, de dépression, d'échec...

- Le 14/04/2022, le TRIBUNAL DE COMMERCE de Nice a rendu un jugement d'ouverture de liquidation judiciaire.

En date du 24 octobre 2023, Monsieur [T] [Z] a été condamné à une interdiction de gérer en raison de l'absence de comptabilité. Certes, pour les raisons exposées ci-dessus la comptabilité n'est pas arrêtée, mais il convient de préciser que sa tenue a été assurée jusque début 2022 ainsi que l'ensemble des déclarations obligatoires ont été déposées. »

Il résulte de ce qui précède que la société [7] a effectivement confié la tenue de sa comptabilité à un expert-comptable qui atteste l'avoir tenue depuis juillet 2019 jusqu'en décembre 2021 et traitée en janvier 2022, que son activité a cessé début janvier 2022 et que les payes et déclarations nominatives de salaires ont été établies jusqu'en mars 2022 ; que les documents comptables obligatoires, notamment le bilan et le compte de résultats de l'année 2021 n'ont pas été établis avant le jugement d'ouverture faute par l'expert-comptable d'avoir été réglé de ses honoraires.

Toutefois, compte tenu de ce que les documents comptables obligatoires de l'exercice 2021, en l'occurrence, les bilan, compte de résultats et annexes, pouvaient être établis jusqu'à fin avril 2022 pour un dépôt avant le 2 mai 2022, soit concomitamment ou postérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, qui de plein droit, opère dessaisissement du débiteur de tout acte de gestion, d'administration et de disposition sur le patrimoine de la personne morale, le grief invoqué à l'encontre de M. [Z] manque en fait et sera donc écarté.

L'existence d'un passif s'élevant à plus de 118 000 euros, au demeurant non vérifié, ne caractérise pas, à lui seul, une faute susceptible d'entraîner le prononcé d'une sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.

Enfin, en retenant à l'encontre de M. [Z] sa carence pendant toute la durée de la procédure collective, le tribunal s'est fondé sur un grief dont il n'était pas saisi aux termes de la requête en sanctions déposée par le ministère public et a ainsi modifié l'objet du litige.

Le jugement critiqué sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions.

La requête aux fins de sanction personnelle sera par conséquent rejetée comme non fondée.

Sur les demandes accessoires

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. [Z] au titre de l'article 700 du code de procédure civile dès lors que les frais qu'il a dû supporter pour assurer la défense de ses intérêts en cause d'appel sont le fait de sa négligence. Il incombait en effet à ce dernier de communiquer sa nouvelle adresse au liquidateur judiciaire, ce qui aurait permis de le faire citer utilement devant le tribunal de commerce, comme de justifier auprès du liquidateur judiciaire de l'attestation de son expert comptable qu'il n'a produite qu'en cause d'appel.

Il sera par conséquent débouté de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront mis à la charge du trésor public et il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Daval-Guedj

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 octobre 2023 (n°minute 2023L1126) par le tribunal de commerce de Nice ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice de sa demande aux fins de voir prononcer à l'encontre de M. [T] [Z] une faillite personnelle entraînant interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale pendant une durée de 10 ans avec exécution provisoire ;

Déboute M. [T] [Z] de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Dit que les dépens d'appel seront mis à la charge du Trésor Public et qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Daval Guedj avocat associé de la SCP Cohen Guedj Montero Daval-Guedj, avocats.

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