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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 avril 2025, n° 23/17126

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lacheze

Vice-président :

M. Varichon

Conseiller :

Mme Rohart

Avocats :

Me Croquelois, SCP Croquelois Avocats

T. com. Paris, du 12 sept. 2023, n° 2022…

12 septembre 2023

FAITS ET PROCÉDURE:

La société par actions simplifiée [9] créée en mai 2018, exploitait un fonds de commerce de protection physique des personnes et de formation et de conseil dans le domaine de la protection physique des personnes.

Sur assignation du 9 août 2019 émanant d'anciens salariés, par jugement du 28 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire de la société [9], désigné La SELARL [8] administrateur judiciaire et la SCP [S] [O], prise en la personne de Me [G] [S] en qualité de mandataire judiciaire.

Le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 9 août 2019.

La procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 19 mars 2021 et la SCP [S] [O], prise en la personne de Me [G] [S], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

L'insuffisance d'actif s'élève à 488 782 euros.

Sur requête du ministère public du 6 octobre 2022, le président du tribunal a fait convoquer M. [C] [N] en sa qualité de dirigeant de droit de la société [9] afin d'être entendu et faire application à son encontre des dispositions des articles L.653-1 à L.653-11 du code de commerce.

Dans sa requête, le ministère public reproche à M. [C] [N] les griefs suivants :

- Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard de l'article L.653-5 6° du code de commerce ;

- Avoir omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation de paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Par jugement contradictoire du 12 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a prononcé à l'encontre de M. [C] [N] une mesure d'interdiction de diriger, contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale, fixé la durée de cette mesure à 4 ans, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement, dit que cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dit que les dépens seront employés en frais de liquidation judiciaire.

Par déclaration du 19 octobre 2023, M. [C] [N] a relevé appel de ce jugement, intimant la SELARL [7] ès qualités d'une part et le procureur général d'autre part.

Par ordonnance du 16 janvier 2024 les procédures inscrites au répertoire général sous les numéros 23/17126 et 23/17129 ont été jointes sous le numéro unique 23/17126.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 19 janvier 2024,

M. [N] demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de le relaxer des faits de prévention.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 avril 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 septembre 2023 qui a prononcé à l'encontre de M. [N] une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de 4 ans.

La SELARL [7] prise en la personne de Me [G] [S] n'a pas constitué avocat mais la déclaration d'appel lui a été régulièrement signifiée à tiers présent par acte de commissaire de justice, le 2 février 2024.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 décembre 2024.

SUR CE,

Sur le grief de retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements

M. [N] fait valoir que la société [9] était créancière dès le 20 mars 2019 d'une somme de 200 800 euros, que sa débitrice, la société [11] lui a fait croire de façon réitérée que les difficultés de trésorerie étaient en voie de règlement. Il souligne que si cette créance avait été réglée dans les délais, elle aurait couvert les dettes de la société. Il explique que la première inscription de privilège ne date que de février 2019 et qu'il a légitimement pu croire que ses dettes seraient prochainement apurées par le règlement imminent de la société [11]. Il en conclut que ce n'est pas sciemment qu'il s'est abstenu d'effectuer une déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Le ministère public répond que la date de cessation des paiements retenue par le tribunal soit le 9 août 2019 correspond à la date de l'assignation en liquidation judiciaire et que ce n'est que par jugement du 28 février 2020 que le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [9]. Il fait valoir que le passif né en période suspecte soit entre le 9 août 2019 et le 28 février 2020 s'élève à la somme de 268 389 euros soit 55% de l'insuffisance d'actif. Il estime que M. [N] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société [9] compte tenu de la nature exclusivement privilégiée de ce passif (passif fiscal de 19 275 euros et passif social de 249 114 euros), que 15 inscriptions ont été prises entre le 13 février 2019 et le 13 février 2020 au profit de [10] et de l'Urssaf pour la conservation d'une somme d'un montant total de 274 711 euros. Le ministère public en déduit donc que c'est sciemment que M. [N] a omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai légal.

Selon l'article L.653-8 alinéa 3 du code de commerce une interdiction de gérer " peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation."

En l'espèce, le jugement d'ouverture date du 28 février 2020 et la date de cessation des paiements a été fixée irrévocablement par le tribunal au 9 août 2019. Cette date s'impose au juge de la sanction.

M. [N] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société [9] compte tenu de l'existence des 15 inscriptions de privilèges prises entre le 13 février 2019 et le 13 février 2020 au profit de [10] et de l'Urssaf pour la conservation d'une somme d'un montant total de 274 711 euros. Il a donc sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective. Le seul fait de croire en un paiement prochain ne l'exonère pas de sa responsabilité.

Il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a retenu ce grief.

Sur le grief tenant à la comptabilité

M. [N] reproche au tribunal d'avoir retenu le grief de défaut de comptabilité alors que la société a tenu une comptabilité pour 2018 et que ses déclarations sociales ont été faites pour l'année 2019 par expert-comptable. Il explique que par la suite c'est le défaut de règlement de la facture de la société [11] qui a empêché la société [9] de régler les honoraires de l'expert-comptable, ce qui a entraîné le défaut de tenue de la comptabilité, ses travaux ayant été suspendus.

Le ministère public répond que l'expert-comptable dans un courriel du 20 septembre 2022 au liquidateur judiciaire affirme qu'aucune comptabilité n'a été tenue depuis le 1er janvier 2019 à défaut d'avoir été payé par M. [N] et qu'il convient donc de retenir le grief.

Selon l'article L.653-5 du code de commerce : " Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : (')

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ; "

En l'espèce, il résulte d'un courriel du 20 septembre 2022 adressé par M. [H], expert-comptable de la société débitrice, à Me [S] que son cabinet n'a " fait aucune comptabilité depuis le 1er janvier 2019 n'ayant jamais été payé du moindre centime' ".

Il s'ensuit qu'il est établi que la comptabilité n'était pas tenue depuis le 1er janvier 2019 de sorte que le grief est caractérisé à compter de cette date et que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu ce grief.

Sur la sanction

Les griefs ainsi retenus sont à l'origine d'une part importante de l'insuffisance d'actif qui ne saurait être inférieure à près de 275 000 euros. Dès lors, il apparaît proportionné de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction de gérer, mais de limiter la durée de la durée de la mesure à 3 ans.

Sur les dépens

M. [N] qui demeure condamné à hauteur d'appel sera condamné aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a fixé la durée de la mesure d'interdiction de diriger, contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, en tout cas toute personne morale, à 4 ans ;

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Fixe la durée de cette mesure à 3 ans et ordonne la modification de l'inscription au fichier national des interdits de gérer ;

Condamne M. [C] [N] aux dépens d'appel.

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