CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 9 avril 2025, n° 23/17778
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Ino-Rope (SAS)
Défendeur :
France - Ste Maritime (SARL), Ropeye OÜ (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohee
Avocats :
Me David, Me Lombard, Me Guyonnet, Me Rebbot
EXPOSÉ DU LITIGE
La société INO-ROPE est une entreprise française créée en 2013. Elle a pour activité la recherche, le développement et la commercialisation de tous produits, principes et procédés notamment dans le domaine nautique et industriel. Elle se présente comme concevant, développant et commercialisant des poulies et cordages, en particulier des poulies dénommées « Ino Block » qu'elle décrit comme particulièrement innovantes.
Ces poulies sont couvertes par un brevet français FR 1301574 (ci-après, le brevet FR 574) intitulé « Poulie » dont la demande a été déposée le 3 juillet 2013 et publiée le 9 janvier 2015, qui a été délivré le 3 novembre 2017 et dont les annuités ont été payées régulièrement.
La société [R] FRANCE ' STE MARITIME (ci-après, la société [R]) est membre du groupe international [R], spécialisé dans les produits d'accastillage et les équipements nautiques. Elle indique que dans le cadre de son activité, elle collabore avec différents fabricants et qu'elle a, dans le passé, collaboré avec la société estonienne ROPEYE OÜ, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits nautiques, notamment de poulies, et qu'elle a en particulier distribué certains produits de cette société, notamment la poulie « U-Block ».
La société de droit estonien ROPEYE OÜ (ci-après, la société ROPEYE), spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits nautiques et notamment de poulies, a conçu entre autres la poulie « U-Block » et les prototypes « Spider Block » et « X-Block ».
Ayant constaté la promotion, par la société de droit estonien ROPEYE, de poulies fabriquées par ses soins et reproduisant, selon elle, les caractéristiques de ses demandes de brevets, la société INO-ROPE a informé cette société de ses droits, avant de la faire assigner devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris, par acte
du 13 novembre 2017, en même temps que la société [R] et M. [P], tous deux distributeurs des produits ROPEYE en France.
La demande de brevet français a fait l'objet d'une extension européenne et internationale sous le n° PCT/EP 2014 064 202. Un brevet européen couvrant les poulies de la société INO-ROPE a été délivré le 9 mai 2018 sous le numéro EP 3 016 848 (ci-après, le brevet EP 848) avant de faire l'objet d'une opposition par la société de ROPEYE.
Un brevet a également été délivré aux Etats-Unis.
Par ordonnance du 28 juin 2019, le juge de la mise en état du tribunal a prononcé un sursis à statuer sur les demandes de la société INO-ROPE jusqu'à la clôture de la procédure d'opposition contre le brevet EP 848 initiée par la société ROPEYE, alors en cours devant l'OEB. Le 10 mars 2022, l'opposition a été rejetée définitivement et le brevet a été maintenu tel que délivré.
Par ordonnance du 16 janvier 2023, le juge de la mise en état du tribunal a déclaré parfait le désistement d'instance et d'action de la société INO-ROPE à l'égard de M. [P].
Par jugement contradictoire du 28 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Paris a:
- rejeté toutes les demandes de la société INO-ROPE fondées sur la contrefaçon de brevets et la concurrence déloyale ;
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société ROPEYE et de la société [R] FRANCE aux fins d'annulation des brevets opposés, en dénigrement fautif et fondées sur un abus de procédure ;
- condamné la société INO-ROPE aux dépens dont distraction au profit de Me GUYARD sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamne la société INO-ROPE à payer à chacune des société ROPEYE et [R] FRANCE la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le 3 novembre 2023, la société INO-ROPE a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 2 décembre 2024 la société INO-ROPE, appelante demande à la cour :
Vu les articles L.613-3, L.613-4 et suivants, L.615-1 et suivants, et L.615-7 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
d'infirmer le jugement et, à tout le moins, de le réformer en ce qu'il a :
rejeté toutes les demandes d'INO-ROPE fondées sur la contrefaçon de brevets et la concurrence déloyale,
condamné INO-ROPE aux dépens dont distraction au profit de Me GUYARD sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
condamné INO-ROPE à payer à ROPEYE et [R] la somme de 10.000 ' par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
statuant à nouveau,
à titre principal :
de déclarer la société INO-ROPE recevable et bien fondée en ses demandes,
de débouter les intimées de l'ensemble de leurs demandes,
de juger qu'en fabriquant, mettant dans le commerce, offrant à la vente et important les produits contrefaisants et en particulier les poulies référencées U-BLOCK et X-BLOCK, les sociétés ROPEYE et [R] ont commis des actes de contrefaçon du brevet français FR1301574 et de la demande de brevet européen EP 2014/0604202 d'INO-ROPE,
en conséquence :
d'interdire aux sociétés ROPEYE ainsi que [R] de fabriquer, reproduire, faire usage, distribuer et/ou commercialiser, sous quelque forme que ce soit, sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir, les produits ROPEYE reproduisant les caractéristiques du brevet FR1301574 et/ou de la demande de brevet européen EP 2014/064202,
de condamner solidairement les sociétés ROPEYE et [R] à payer à la société INO-ROPE la somme de 585.263.15 euros, sauf à parfaire, au titre des actes de contrefaçon du brevet,
de condamner solidairement les sociétés ROPEYE et [R] à payer à INO-ROPE la somme de 75.000 euros au titre du préjudice moral subi,
à titre subsidiaire :
de juger que les sociétés ROPEYE et [R] ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires en fabriquant, mettant sur le marché, offrant à la vente et important les produits litigieux reproduisant les caractéristiques du brevet français FR 574 et de la demande de brevet européen EP 2014/0604202,
de condamner solidairement les sociétés ROPEYE et [R] à payer à l'appelante la somme de 585.263.15 euros à parfaire au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
d'interdire la poursuite des actes de concurrence déloyale sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,
en tout état de cause :
de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés ROPEYE et [R] aux fins d'annulation des brevets opposés, en dénigrement fautif et fondées sur un abus de procédure,
en conséquence, de débouter les sociétés ROPEYE et [R] de l'ensemble de leurs demandes,
d'ordonner la destruction, aux frais des sociétés ROPEYE et [R], sous le contrôle d'un huissier de justice, des produits litigieux reproduisant les caractéristiques du brevet français FR 574 et de la demande de brevet européen EP 2014/0604202 d'INO-ROPE, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard, dans un délai de 30 jours suivant la signification de la décision à intervenir,
d'ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais des Intimées sur la page d'accueil du site internet https://www.ropeye.com/ ainsi que le site https://www.[05].fr pendant une durée d'un mois à compter de sa première mise en ligne, et ce dans un délai de 48 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
d'ordonner qu'il soit procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil desdits site, de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « times new roman », de taille « 12 », droits, de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468X120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre « COMMUNIQUE JUDICIAIRE » en lettres capitales et de taille « 14 »,
d'ordonner la publication de la décision à intervenir, en intégralité, par extraits ou en résumé, en une page complète dans trois journaux ou revues au choix de l'appelante et aux frais des sociétés ROPEYE et [R], sans que le coût de chaque insertion ne puisse être supérieur à 7.500 euros,
de dire que la cour se réservera la compétence pour liquider les astreintes prononcées conformément aux dispositions de l'article L131-3 du code des procédures civiles d'exécution,
de condamner solidairement les sociétés ROPEYE et [R] à payer à l'appelante la somme de 55 000 euros augmenté de la facture du commissaire de justice de 2.111,28 euros TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
de condamner solidairement les sociétés ROPEYE et [R] aux entiers dépens, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 25 octobre 2024, la société [R], intimée demande à la cour :
Vu les articles L. 611-10 et suivants, L. 613-2 et suivants, L. 613-25 et suivants, L. 614-13 et suivants, L. 615-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
Vu les articles 9, 32-1, 699 et 700 du code de procédure civile,
Sur la contrefaçon :
à titre principal,
de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société INO-ROPE fondées sur la contrefaçon de brevets,
en conséquence, de débouter la société INO-ROPE de l'ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
de constater l'absence de responsabilité de la société [R] qui n'a pas agi en connaissance de cause,
en conséquence, de débouter la société INO-ROPE de l'ensemble de ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire, en cas de condamnation de la société [R] au titre des actes de contrefaçon,
de constater que la société [R] n'est pas impliquée dans la totalité du préjudice subi par la société INO-ROPE,
de constater que la société [R] ne peut être condamnée solidairement au paiement de la totalité des sommes sollicitées par la société INO-ROPE au titre des actes de contrefaçon,
en conséquence, de réduire le montant des dommages et intérêts dû par la société [R] et le limiter à la somme maximale de 11.431,60 euros,
de constater que la société [R] ne peut matériellement agir sur les stocks des produits argués de contrefaçon par la société INO-ROPE dont disposerait la société ROPEYE et en de rejeter les demandes de destruction sous astreinte de ces produits formés par la société INO-ROPE,
Sur la concurrence déloyale :
à titre principal,
de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société INO-ROPE fondées sur la concurrence déloyale,
en conséquence, de débouter la société INO-ROPE de l'ensemble de ses demandes,
- à titre subsidiaire, en cas de condamnation de la société [R] au titre des actes de concurrence déloyale, de ramener à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts dû par la société [R],
Sur les mesures de publication et de destruction :
de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de publication de la décision et de destruction des produits,
en conséquence, de rejeter les mesures de publication et de destruction sollicitées par la société INO-ROPE,
Sur le surplus :
de déclarer la société [R] recevable et bien fondée en son appel incident,
y faisant droit, d'infirmer le jugement entrepris pour le surplus,
et statuant à nouveau,
de constater l'absence de nouveauté des revendications 1, 3, 4, 8 et 9 du brevet européen EP 2014064202 de la société INO-ROPE,
de constater l'absence d'activité inventive des revendications 1 à 20 du brevet européen EP 2014064202 de la société INO-ROPE et des revendications 1 à 9 du brevet français FR1301574,
de prononcer la nullité du brevet français FR1301574 et de la demande du brevet européen EP 2014064202 de la société INO-ROPE,
d'ordonner la transmission par le greffe à l'Institut National de la Propriété Industrielle et à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir,
d'autoriser en tant que de besoin, la société [R] à notifier le jugement à intervenir à l'Institut National de la Propriété Industrielle ainsi qu'à l'Office Européen des Brevets aux fins d'inscription du jugement à intervenir,
de condamner la société INO-ROPE à verser à la société [R] la somme de 35.000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice subi,
de condamner la société INO-ROPE à verser à la société [R] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de la procédure abusive,
En tout état de cause :
de débouter la société INO-ROPE de l'ensemble de ses demandes,
de condamner la société INO-ROPE à verser à la société [R] la somme de 150.000 euros au titre des frais irrépétibles,
de condamner la société INO-ROPE aux entiers dépens.
La société ROPEYE n'a pas constitué avocat. La société appelante lui a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions conformément à l'article 8 du règlement (UE) n° 202/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale. L'autorité estonienne requise a fait connaître que la déclaration d'appel et les conclusions avaient été signifiées à la société ROPEYE, respectivement le 19 février 2024 et le 31 août 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles sont transmises, telles que susvisées.
La présentation du brevet EP 848 (qui s'est en principe substitué au brevet français FR 574 qui couvre la même invention, et ce, en application de l'article L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle dans son ancienne version
1: « Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant-cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l'opposition au brevet européen est expiré sans qu'une opposition ait été formée, soit à la date à laquelle la procédure d'opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu.
Toutefois, lorsque le brevet français a été délivré à une date postérieure à l'une ou l'autre, selon le cas, de celles qui sont fixées à l'alinéa précédent, ce brevet ne produit pas d'effet.
L'extinction ou l'annulation ultérieure du brevet européen n'affecte pas les dispositions prévues au présent article ».
)
Le brevet s'intitule « Poulie » (comme le brevet français) et concerne le domaine des poulies, et plus particulièrement des poulies permettant la déviation d'un cordage.
La description du brevet cite le brevet US 675306 (délivré en 1901) comme l'état de la technique le plus proche. Ce document divulgue une poulie constituée d'un réa (une roue de poulie à gorge) monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées, un évidement central transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour dévier un cordage, l'évidement central et la surface extérieure concave étant fixes l'un par rapport à l'autre, une tige de fixation du réa, traversant l'évidement central du réa, la tige de fixation étant en contact direct avec l'évidement central (§ 1).
Il est indiqué qu'il existe plusieurs types de poulies sur le marché :
- un premier type de poulie est le réa permettant de dévier un cordage lorsqu'il passe dans l'évidement central du réa. Ces réas à faible friction offrent un rapport solidité/poids/prix à toute épreuve, car il n'y a pas de pièce en rotation. La résistance au frottement est obtenue uniquement par la fibre du cordage à dévier et celle qui sert à fixer le réa. Ce produit est très présent sur les bateaux de course au large car il est un gage de fiabilité. Son inconvénient majeur est qu'il augmente énormément les frottements du cordage qui passent en son centre, et de ce fait, il nécessite beaucoup plus d'énergie pour man'uvrer le cordage que sur une poulie classique.
- un deuxième type de poulie comprend un réa à billes, c'est-à-dire une poulie avec un réa tournant par l'intermédiaire d'un roulement à billes. Ce réa à billes offre un très faible coefficient de frottement et est très efficace, permettant de réaliser des systèmes de démultiplication d'efforts complexes. L'inconvénient de ces poulies est qu'elles coûtent cher lorsqu'elles sont prévues pour de fortes charges. Elles demandent également de l'entretien et une vérification régulière en raison de la présence du roulement à billes. En outre, si l'axe, les faces latérales ou le point d'accroche viennent à casser, alors la liaison est rompue entre le cordage et le point d'accroche et il en résulte des dommages collatéraux pour le système dans son ensemble. De plus, un réa à billes conçu pour des fortes charges possède un poids conséquent et dans le domaine nautique, par exemple, cet inconvénient nuit à la performance d'un bateau.
Le but de l'invention est de pallier ces inconvénients en proposant une poulie améliorée réduisant les frottements du cordage à dévier tout en ayant une forte résistance à la charge, pour un poids réduit.
À cette fin, l'invention propose une poulie comprenant :
un réa monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées, un évidement central transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour dévier un cordage, l'évidement central et la surface extérieure concave étant fixes l'un par rapport à l'autre,
un cordage de fixation du réa, traversant l'évidement central du réa, le cordage de fixation étant en contact direct avec l'évidement central,
un élément écarteur agencé pour écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa. (§ 6)
La figure 2 du brevet représente une vue en perspective de l'invention selon un premier mode de réalisation :
Le brevet européen comporte 20 revendications, 1 principale, 19 dépendantes, seules étant opposées les revendications 1, 2, 4, 5, 6, 8, 9 et 20, libellées comme suit :
Revendication 1 : « Poulie comprenant :
' un réa (11) monobloc comprenant deux faces longitudinales (12, 13) opposées, un évidement central (14) transversal, et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire (15) prévue pour dévier un cordage (16), l'évidement central (14) et la surface extérieure concave (15) étant fixes l'un par rapport à l'autre,
' un cordage de fixation (17) du réa (11), traversant l'évidement central (14) du réa (11), le cordage de fixation (17) étant en contact direct avec l'évidement central (14),
' un élément écarteur (20) agencé pour écarter le cordage de fixation (17) des faces longitudinales du réa (11) » ;
Revendication 2 : « Poulie selon la revendication 1, caractérisée en ce que l'élément écarteur (20) comprend deux extrémités (22, 23) transversalement en saillie par rapport aux faces longitudinales (12, 13) du réa (11), les deux extrémités (22, 23) en saillie étant agencées pour recevoir en appui le cordage de fixation (17) » ;
Revendication 4 (revendication 6 du brevet FR) : « Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) s'écarte du réa (11) en suivant deux directions (31, 32), une de chaque côté du réa (11), en ce que les deux directions (31, 32) forment entre elles un angle (') compris entre 10° à 180°, et de préférence entre 80° à 120° » ;
Revendication 5 (revendication 8 du brevet FR) : « Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que l'élément écarteur (20) comprend une gorge d'orientation (34) du réa (11), la gorge d'orientation (34) étant prévue pour coiffer au moins une partie du réa (11) » ;
Revendication 6 (propre au brevet EP) : « Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) comprend deux brins (18, 19) traversant l'évidement central (14) du réa (11) » ;
Revendication 8 (propre au brevet EP) : « Poulie selon l'une quelconque des revendications 6 ou 7, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) forme une boucle sans fin, en ce que l'élément écarteur (20) est agencé pour recevoir deux ganses (26, 27) formées par le cordage de fixation (17) de part et d'autre de l'évidement central (14) et pour permettre une fixation de la poulie (10) en traversant les deux ganses (26, 27) » ;
Revendication 9 (propre au brevet EP) : « Poulie selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisée en ce que le cordage de fixation (17) comprend au moins deux brins (75) traversant l'évidement central (14) du réa (11) et en ce que les au moins deux brins (75) sont jointifs » ;
Revendication 20 (propre au brevet EP) : « Poulie selon l'une des revendications précédentes, caractérisée en ce que l'élément écarteur (66) comprend au moins une rainure (67) dans laquelle le réa (11) est glissé ».
Sur la demande de la société [R] en nullité des revendications du brevet EP 848
La société [R] poursuit l'annulation des brevets de la société INO-ROPE :
- des revendications 1, 3, 4, 8 et 9 du brevet EP 848 pour défaut de nouveauté au regard des poulies de la marque « COLLIGO MARINE » (références CSS42Blk ou CSS41), indiquant que ces produits ont donné lieu à une publication sur Facebook le 12 février 2011, qu'elles ont été mises en vente sur le site de la société COLLIGO MARINE dès le 22 octobre 2012 et fait l'objet d'un article dans Sail magazine d'octobre 2012 et de deux vidéos diffusées sur YouTube publiées les 22 août 2011 et 4 octobre 2013,
- des revendications 1 à 20 du brevet EP 848 pour absence d'activité inventive au regard de combinaisons entre le brevet américain US 675306, déposé le 25 octobre 1900 par [O] [C] et délivré le 28 mai 1901, le brevet FR 2923451 A1 déposé par la société KARVER le 12 novembre 2007 et publié le 15 mai 2009, les poulies de la société COLLIGO MARINE, le brevet FR 2945603 A1 déposé par la société KARVER et publié le 19 novembre 2010, le brevet déposé aux Etats-Unis par la société [R] et publié le 23 octobre 2001, sous le numéro US 6305669 B1.
La société INO-ROPE conclut au rejet de la demande reconventionnelle, arguant que l'ensemble des documents invoqués sont strictement identiques à ceux qui ont déjà été présentés et rejetés par l'Office européen des brevets (OEB) qui a rejeté l'opposition de la société ROPEYE et maintenu le brevet tel que délivré.
En première instance, la société [R] s'associait aux développements de la société ROPEYE relatifs à la nullité des brevets de la société INO-ROPE, qu'elle indique reprendre intégralement en appel.
En l'absence de tout élément nouveau invoqué en appel, c'est par des motifs justes et pertinents, aussi bien en droit qu'en fait, qui sont adoptés par la cour, que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité fondée sur l'absence de nouveauté, retenant que le produit « Colligo Dux » de la société COLLIGO MARINE concerne un gréement dormant (« standing rigging ») ' dans lequel aucune poulie n'est nécessaire puisque les cordages y sont fixes, précise la société INO-ROPE non contredite sur ce point ' et non une poulie, qu'il ne divulgue en aucun cas un élément écarteur, et que la vidéo produite par extraits divulgue quant à elle une poulie accrochée à une potence au moyen d'un cordage de fixation traversant la poulie, mais pas d'élément écarteur.
En l'absence de tout élément nouveau invoqué en appel, c'est par des motifs justes et pertinents, aussi bien en droit qu'en fait, adoptés par la cour, que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité fondée sur l'absence d'activité inventive, estimant que le brevet [C], cité par le brevet EP 848 de la société INO-ROPE comme étant l'art antérieur le plus proche, enseigne un réa monobloc relié au cordage de fixation par une tige traversant la partie centrale du réa, et qu'il n'est pas susceptible de mettre la personne du métier sur la voie de l'invention, tandis que les brevets KARVER et [R] ne divulguent pas des éléments écarteurs mais des éléments de maintien.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité du brevet de la société INO-ROPE.
Sur les demandes de la société INO-ROPE
Sur la demande principale en contrefaçon des revendications du brevet
Sur la matérialité de la contrefaçon
En application des dispositions du dernier alinéa de l'article 64 de la Convention de Munich (CBE), la contrefaçon d'un brevet européen est appréciée conformément à la législation nationale.
Selon l'article L. 614-9 du code de la propriété intellectuelle, « Les droits définis aux L. 613-3 à L. 613-7, L. 615-4 et L. 615-5 (') peuvent être exercés à compter de la date à laquelle une demande de brevet européen est publiée conformément aux dispositions de l'article 93 de la Convention de Munich (') ».
Selon l'article L. 613-3 du code de la propriété intellectuelle, « Sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet :
a) La fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;
b) L'utilisation d'un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l'utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l'offre de son utilisation sur le territoire français;
c) L'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet ».
Aux termes de l'article L. 615-1, alinéas 1 et 2, du code de la propriété intellectuelle, « Toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L.613-3 à L.613-6, constitue une contrefaçon. La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur ».
La contrefaçon est réalisée lorsque les moyens constitutifs essentiels de l'invention revendiquée, se retrouvent dans le ou les produits incriminés ou lorsque toutes les étapes comprises dans la revendication sont reproduites.
S'agissant de la revendication 1
La société INO-ROPE soutient que les poulies fabriquées par la société ROPEYE constituent des contrefaçons de ses brevets, notamment de la revendication 1 du brevet EP 574. Elle fait valoir que la poulie « U-Block » de ROPEYE comprend : (i) un réa monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées, un évidement central transversal, une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour dévier un cordage, un évidement central et une surface extérieure concave fixes l'un par rapport à l'autre, (ii) un cordage de fixation du réa, traversant l'évidement central du réa, le cordage de fixation en contact direct avec l'évidement central, (iii) un élément écarteur agencé pour écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa ; que contrairement à ce que soutient l'intimée et à ce qu'a retenu le tribunal, la pièce en forme de U inversé située au-dessus du réa la poulie « U-Block » remplit la fonction d'« écarteur », permettant d'écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa et d'éviter au maximum un frottement du cordage sur ces faces, ce qui ressort du constat du commissaire de justice du 11 juillet 2024 qu'elle a fait établir et qui a en outre permis de vérifier qu'il existe un espace de plus de 4 millimètres entre la largeur du réa et la largeur de la pièce en U inversé à l'endroit où émergent les brins du cordage de fixation ; que ce U inversé n'a aucunement pour fonction d'éviter que le cordage de fixation s'écarte du réa ; que le constat de commissaire de justice produit par [R] n'est pas probant, l'officier ministériel s'étant contenté d'effectuer deux simulations de rotation avec et sans mise sous tension de la poulie, afin d'observer l'altération des faces longitudinales du réa due aux frottements, alors que la constatation de l'altération des faces longitudinales du réa dues aux frottements des brins de cordage malgré la présence de la pièce en U ne peut en aucun cas suffire à démontrer l'absence d'effet écarteur de cette dernière, sans simulation contradictoire en l'absence de la pièce en U ; qu'une simulation effectuée sans cette pièce démontrerait en effet, sans nul doute, des frottements plus importants, et donc un effet écarteur de la pièce en U.
La société [R] répond que, comme l'a retenu le tribunal, la pièce en U de la poulie « U-Block » fabriquée par la société ROPEYE n'est pas conçue en vue d'assurer la fonction d'écartement des brins de cordage de fixation vis-à-vis des faces longitudinales du réa et, en tout état de cause, ne remplit pas une telle fonction ; que le fait que les brins de cordage puissent frotter entre eux ne constitue pas un problème que ROPEYE souhaitait résoudre avec sa poulie ; que d'ailleurs, la poulie « U-Block » permet une friction des brins de cordage, contrairement à la poulie d'INO-ROPE qui précisément écarte les brins de cordage pour résoudre le problème de friction des brins de cordage identifié par l'appelante ; qu'en réalité, la pièce en U de la poulie ROPEYE vise à éviter que les brins de cordage de fixation ne s'écartent du réa selon des directions divergentes ; que dans la poulie INO-ROPE, il existe un angle non nul entre les brins émergeant de part et d'autre du réa, en raison de la présence de l'élément écarteur, alors que la fonction de la pièce en U des poulies « U-Block » n'est pas de former un angle entre les brins de cordage de fixation de chaque côté du réa, mais au contraire de s'assurer d'un angle nul entre lesdits brins, le parallélisme entre les brins, de chaque côté du réa de ces poulies, permettant de garantir une unique direction des efforts appliqués à la poulie sous charge ; que sur la poulie « U-Block », les ouvertures aménagées de part et d'autre de la pièce en U (pour permettre le passage des brins du cordage de fixation) sont réalisées de sorte que leurs bords intérieurs se trouvent à l'aplomb des bords externes de la gorge du réa et qu'il n'y ait pas d'angle entre les brins de cordage de fixation de part et d'autre du réa, l'écartement ne devant ni être supérieur à la largeur du réa, ni lui être inférieur ; que ce faisant, la pièce en U exerce un guidage contraignant sur les brins de cordage de fixation, afin que lesdits brins s'étendent, en particulier sous charge, selon des directions parallèles les plus proches possibles, réduisant le risque de cassure du réa, et les brins de cordage de fixation des poulies « U-Block » ne sont pas écartés des faces longitudinales externes du réa ; que selon la revendication 1 du brevet INO-ROPE, il faut entendre par « écarter » le fait d'augmenter volontairement la distance qui séparent des éléments ; que l'écart d'un millimètre entre la pièce en U et le réa de la poulie ROPEYE vise simplement à permettre le passage du cordage et le mouvement du réa ; que malgré la présence de la pièce en U, le cordage prend appui sur les surfaces longitudinales externes du réa de sorte que son rôle n'est pas de créer un écart entre ces éléments ; que la simulation non contradictoire menée par l'expert de l'appelante ne résiste pas à l'examen ; qu'au sens du dictionnaire Larousse , « écarter » s'entend de « Mettre entre deux objets, deux corps une certaine distance ; éloigner » ou « Disjoindre plusieurs éléments qui se touchent ou qui sont près les uns des autres, augmenter la distance qui les sépare, agrandir une ouverture » ; que la simulation que [R] a fait réaliser par un conseil en propriété industrielle sur la poulie « U-Block » montre que malgré la présence de la pièce en U inversé, le cordage de fixation frotte contre les faces longitudinales du réa et qu'il n'en est donc pas écarté, et ce, même sans mise sous tension, ce frottement du cordage contre les faces longitudinales étant amplifié lorsque le réa est chargé ; que la pièce en U inversé n'a donc aucune fonction d'écartement puisque malgré son existence, les brins de cordage viennent bien frictionner les faces longitudinales du réa ; que la raison en est que ROPEYE n'a pas considéré que les frottements entre les brins de cordage de fixation et les surfaces longitudinales externes du réa sont un problème, estimant que les frottements susceptibles de provoquer un échauffement et une altération du cordage de fixation se situent davantage au niveau de la surface interne du réa, précisément là où la surface du réa se trouve en contact avec les brins traversant l'évidement central ; qu'ainsi les produits litigieux proposent deux solutions techniques parfaitement différentes et incomparables et que, comme l'a jugé le tribunal, les poulies « U-Block » et « X-Block » de ROPEYE ne peuvent être regardées comme des imitations des produits INO-ROPE.
Ceci étant exposé, il est constant que les poulies « U-Block » et « X-Block » litigieuses (ci-dessous) comprennent un réa monobloc comprenant deux faces longitudinales opposées avec un évidement central, ainsi qu'un cordage de fixation traversant l'évidement central et une surface extérieure concave formant une gorge annulaire prévue pour recevoir un cordage, ainsi qu'un cordage de fixation traversant l'évidement central du réa et étant en contact avec cet évidement central, ce qui correspond aux deux premières caractéristiques de la revendication 1 du brevet EP 848 :
Il ressort du procès-verbal de constat que la société INO-ROPE a fait établir par commissaire de justice le 11 juillet 2024, et en particulier des mesures et tests auxquels a procédé un conseil en propriété industrielle sur une poulie « U-Block U4 », que le U inversé présent sur la poulie, qui présente, à l'endroit exact où émergent les brins du cordage de fixation, une largeur (30,23 millimètres) plus grande que celle du réa (26,09 millimètres), a pour effet d'écarter les brins du cordage de fixation des parois longitudinales opposées du réa, et ce, de part et d'autre desdites parois, i.e. de tenir éloigné ces brins du cordage de fixation de ces parois, ce qui a pour effet d'empêcher ou du moins de limiter les frottements de ces brins sur les parois du réa. Ceci est illustré de façon flagrante sur les deux clichés ci-dessous, insérés dans les écritures de l'appelante, qui montrent pour l'un, la poulie dont on a retiré le U inversé (le cordage de fixation vient alors frotter sur les faces longitudinales du réa) et pour l'autre, la poulie munie de son U inversé qui éloigne le cordage de fixation des faces longitudinales du réa et limite ainsi nécessairement le frottement de ces éléments entre eux :
Ces seules constations conduisent la cour à ne pas suivre les premiers juges qui ont estimé que la poulie litigieuse ne comportait pas d'élément écarteur au sens du brevet, c'est-à-dire conçu pour écarter le cordage de fixation des faces longitudinales du réa monobloc, dès lors que la pièce en forme de U inversé située au-dessus du réa monobloc a, selon le tribunal, au contraire pour fonction d'éviter que le cordage de fixation ne s'écarte du réa. Il apparaît en effet très nettement au vu de ces deux clichés que la pièce en U a pour effet que le cordage de fixation s'écarte de part et d'autre des deux faces opposées du réa. Contrairement à ce qu'affirme la société [R], les brins de cordage de fixation des poulies « U-Block » sont effectivement écartés des faces longitudinales externes du réa.
La société [R] oppose que la pièce en U inversé n'a pas été conçue en vue d'assurer la fonction d'écartement des brins de cordage de fixation vis-à-vis des faces longitudinales du réa, mais d'assurer un guidage des dits brins et un parallélisme entre ces brins, de chaque côté du réa afin de garantir une direction unique des efforts appliqués à la poulie sous charge. Cependant, cette circonstance est indifférente dès lors que la pièce en U inversé remplit effectivement, également, la fonction d'écartement du cordage de fixation. Au demeurant, la fonction alléguée de guidage en vue d'assurer un parallélisme des brins de cordage ne semble pas remplie avec une totale efficacité au vu du schéma proposé par la société [R] dans ses conclusions, qui montre que le parallélisme entre les brins du cordage de fixation s'interrompt dès que les brins ressortent des ouvertures aménagées de part et d'autre du U inversé puisque ces brins convergent alors très nettement :
La société [R] objecte par ailleurs qu'il résulte des tests qu'elle a fait réaliser par devant commissaire de justice les 10 septembre et 16 octobre 2024 que malgré la présence de la pièce en U inversé, le cordage de fixation frotte contre les faces longitudinales du réa et qu'il n'en est donc pas écarté, et ce, même sans mise sous tension, ce phénomène de frottement du cordage contre les faces longitudinales étant amplifié lorsque le réa est chargé, ce dont elle déduit que la pièce en U inversé n'a pas la fonction d'écartement prétendue. Mais il n'est pas soutenu par la société INO-ROPE que le U inversé a pour fonction ou effet de supprimer tout frottement, seulement de réduire ce frottement, la cour constatant que la revendication 1 divulgue un écartement et non la suppression de tout frottement, et, eu égard aux deux clichés reproduits supra, il est certain que dans le test réalisé par la société [R], des frottements plus importants auraient été constatés en l'absence de la pièce en U inversé sur la poulie « U-Block ».
La contrefaçon est réalisée dès lors que toutes les caractéristiques de la revendication 1 sont reproduites dans la poulie « U-Block » de la société ROPEYE.
Le jugement sera donc infirmé en ce sens.
S'agissant de la revendication 2
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 2 sont reproduites par les poulies « U-Block ». Elle fait valoir que la partie de la pièce en U de la poulie litigieuse, en dessous des ouvertures dans lesquelles passent les brins du cordage de fixation, n'a pas de fonction ; qu'elle correspond à une simple garniture qui n'est là que pour protéger les éléments encadrés de la poulie de la percussion par des pièces externes à la poulie et qu'elle peut être retirée ; que lorsqu'on retire cette garniture, on retrouve une forme quasi similaire à l'ensemble cordage de fixation/écarteur du mode de réalisation représenté en figure 11 du brevet EP ; que la pièce en U inversé comprend bien des extrémités en saillie par rapport aux faces longitudinales du réa, ce qui est mis en évidence par le constat de commissaire de justice précité.
La société [R] répond que la pièce en U ne comprend pas d'extrémités en saillie, les brins étant guidés par des ouvertures aménagées dans la pièce et ne viennent pas en appui contre des extrémités en saillie.
Ceci étant exposé, les extrémités du U inversé écarteur de la poulie ROPEYE viennent en saillie par rapport aux faces longitudinales du réa, autrement dit dépassent en largeur les faces longitudinales du réa. Le constat de commissaire de justice produit par l'appelante démontre d'ailleurs que les deux faces de la pièce en U sur lesquelles le cordage de fixation vient s'appuyer sont distantes de 30,23 millimètres alors que les faces longitudinales du réa sont distantes de 26,09 millimètres seulement.
Cependant, les extrémités du U inversé, dont la société INO-ROPE affirme qu'elles n'ont pas de fonction et ne constituent que de simples garnitures, ce qui ne permet pas pour autant de les retirer pour les seuls besoins de son argumentation, ne sont pas « agencées pour recevoir en appui le cordage de fixation » comme dans la revendication 2 du brevet, puisque ce cordage passe dans les ouvertures aménagées de part et d'autre du U, sensiblement au-dessus de ces extrémités, ce qu'illustre la figure proposée par la société intimée en page 14 de ses écritures :
La revendication 2 du brevet n'est donc pas reproduite. Le jugement sera confirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 4
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 4 sont reproduites par les poulies litigieuses. Elle fait valoir que le cordage de fixation s'écarte du réa en suivant deux directions, une de chaque côté du réa, en ce que ces deux directions forment entre elles un angle d'environ 120° ; que cet angle ne peut, en tout état de cause, être nul étant donné l'écart entre la largeur du réa et la largeur des parties évidées de l'écarteur ; que cet angle est bien compris dans l'intervalle précisé en revendication 4 du brevet.
La société [R] répond que la fonction de la pièce en U de la poulie ROPEYE est de garantir un angle nul entre les directions suivies par les brins du cordage de fixation de part et d'autre du réa, de sorte que les brins de cordage ne sont pas écartés des faces longitudinales externes du réa par la pièce en U, encore moins selon des directions formant entre elles un angle supérieur à 10° ou compris entre 80° et 120°.
Ceci étant exposé, les brins du cordage de fixation du réa qui ressortent des ouvertures aménagées de part et d'autre du U inversé ne forment pas un angle nul compte tenu de la présence de l'élément écarteur que constitue le U inversé, et ce, au vu des schémas proposés par la société [R] elle-même. Mais pour autant, il n'est pas produit d'élément objectif permettant de vérifier que l'angle est supérieur à 10 °, l'objet de la revendication, en ce qu'il divulgue un angle « compris entre 10° à 180° » étant par ailleurs très imprécis, si ce n'est indéfini comme le plaide l'intimée.
Il n'est donc pas démontré que la revendication 4 du brevet est reproduite. Le jugement sera confirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 5
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 5 sont reproduites par les poulies litigieuses. Elle fait valoir que l'intérieur de l'élément écarteur (U inversé) de la poulie litigieuse forme une gorge d'orientation du réa, la gorge d'orientation étant prévue pour coiffer au moins une partie du réa.
La société [R] prétend que la gorge d'orientation visée dans la revendication 5 du brevet vise à empêcher le réa de pivoter par rapport à l'élément écarteur alors que les poulies fabriquées par la société ROPEYE ne reproduisent pas cette caractéristique additionnelle, puisqu'il existe sur ces produits une liberté de mouvement, y compris de pivoter, du réa par rapport à la pièce en U ; que les poulies ROPEYE ne contiennent pas de « gorge », le mouvement du réa et du cordage étant libre ; que la pièce en U dans son ensemble, y compris les ouvertures en partie supérieure permettant le passage du cordage, permettent d'éviter que les brins de cordage de fixation ne s'écartent du réa et d'assurer une trajectoire parallèle rapprochée sous charge ; qu'en tout état de cause, ce n'est pas ce qu'INO-ROPE désigne la « gorge » de la pièce en U qui évite au cordage de sortir de la gorge du réa.
Ceci étant exposé, la partie inférieure de la pièce en U inversé de la poulie de la société ROPEYE (i.e. le creux du U inversé) constitue une gorge qui vient coiffer la partie supérieure du réa (cf. schéma supra proposé par la société [R]) et qui permet tout à la fois au réa d'éviter de sortir de sa position et au cordage d'éviter de sortir de la gorge du réa, ce qui correspond précisément à l'indication apportée par le § 43 de la description du brevet, à la lumière duquel doit être lue la revendication 5, quant à la gorge d'orientation 34 du brevet. La société [R] argue que la poulie litigieuse diffère en ce que, alors que la gorge d'orientation de la revendication 5 vise à empêcher le réa de pivoter par rapport à l'élément écarteur, le mouvement du réa et du cordage est libre sur la poulie ROPEYE, le réa étant en particulier libre de pivoter par rapport à la pièce en U. Mais, comme le souligne la société INO-ROPE, s'il existe effectivement un mouvement libre sur la poulie ROPEYE, qui a été mesuré lors du constat précité du 11 juillet 2024, le réa de toute poulie doit pouvoir pivoter autour de son axe de rotation et la revendication 5 du brevet ne précise rien quant à l'absence de liberté de mouvement du réa.
La revendication 5 du brevet est ainsi reproduite. Le jugement sera infirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 6
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 6 sont reproduites par les poulies litigieuses. Elle fait valoir que sur la poulie ROPEYE, le cordage de fixation comprend deux brins traversant l'évidement central du réa.
La société [R] admet que, comme sur de nombreuses poulies à évidement central et cordage de fixation, deux brins sont effectivement engagés dans ledit évidement central sur certaines poulies ROPEYE, cette caractéristique étant toutefois particulièrement courante.
La revendication 6 est reproduite dès lors que la poulie de la société ROPEYE comprend un évidement central dans lequel passent deux brins de cordage de fixation du réa. Le jugement doit être infirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 8
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 8 sont reproduites par les poulies litigieuses. Elle fait valoir que sur la poulie « U-Block » de la société ROPEYE, le cordage de fixation forme une boucle sans fin et l'élément écarteur est agencé pour recevoir deux ganses formées par le cordage de fixation de part et d'autre de l'évidement central et pour permettre une fixation de la poulie en traversant les deux ganses.
La société [R] répond que la caractéristique de la revendication 8 est une configuration classique du cordage de fixation pour des poulies à évidement central et cordage de fixation ; que dans les poulies « U-Block », les ganses formées par le cordage de fixation ne sont pas reçues par la pièce en U mais par une pièce de blocage distincte spécifique.
Il est constant que le cordage de fixation du réa sur la poulie litigieuse forme une boucle sans fin. Il ressort par ailleurs de l'examen de cette poulie que le U inversé, qui fait fonction d'écarteur comme il a été démontré, est traversé par deux ganses (boucles) formées par le cordage de fixation, qui passent également au travers de l'évidement central du réa, ces ganses (boucles) permettant la fixation de la poulie :
Les ganses de fixation sont ainsi bien « reçues » par la pièce en U, la société [R] ne justifiant pas que ces ganses seraient reçues par « une pièce de blocage distincte spécifique » sur laquelle aucune explication ni aucune illustration n'est fournie.
La revendication 8 est donc reproduite. Le jugement doit être infirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 9
La société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 9 sont également reproduites par les poulies litigieuses. Elle fait valoir que sur la poulie « U-Block », le cordage de fixation comprend deux brins traversant l'évidement central du réa et que les deux brins sont jointifs.
La société [R] observe que la caractéristique 9 se rapporte à une configuration classique pour des poulies à évidement central et cordage de fixation, selon laquelle le cordage de fixation est engagé dans l'évidement central et comprend deux brins jointifs.
La reproduction de la revendication 9 est établie. Le jugement doit être infirmé sur ce point.
S'agissant de la revendication 20
Enfin, la société INO-ROPE soutient que les caractéristiques de la revendication 20 sont également reproduites par les poulies « X-Block » de la société ROPEYE. Elle fait valoir que l'examen de la poulie « X-Block » de ROPEYE montre que l'élément écarteur comprend au moins une rainure dans laquelle le réa est glissé ; que la rainure est, selon le dictionnaire Larousse, une « entaille longue, de section rectangulaire, en forme de T, ou en queue d'aronde, pratiquée dans une pièce », cette définition ne précisant en aucun cas que cette pièce serait non-traversante ; que le site Wikipédia définit la rainure comme « une entaille longue (et souvent débouchante) sur une pièce pour recevoir une languette, un lardon' », cette définition admettant donc que cette entaille est souvent ouverte ; qu'en tout état de cause, l'article 69 (1) de la Convention sur le brevet européen précise que « l'étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications » ; que dans le brevet, le dessin de la rainure 67 de la figure 8 démontre que celle-ci est bien traversante, et ne laisse aucun doute quant à l'interprétation du terme « rainure » :
Mais le terme « rainure » utilisé improprement dans la revendication 20 du brevet sera compris par la personne du métier comme un trou traversant réalisé dans l'élément écarteur afin de placer le réa, comme illustré par la figure 8 reproduite ci-dessus. Or, il n'y a pas de trou traversant, ni d'entaille ni d'encoche dans la pièce en U de la poulie « X-Block », cette poulie comportant une pièce en forme d'anneau allongé, de forme ovale, et largement évidé dans lequel s'insère le réa, ce large évidement ne pouvant être assimilé à une « rainure » même comprise comme une « entaille ». En outre, comme l'a retenu le tribunal, la revendication 20 du brevet, illustrée par la figure 8 reproduite ci-dessus, concerne un dispositif à réas multiples positionnés côte à côte, ce qui ne correspond pas à la poulie « X-Block » qui comporte un seul réa.
La reproduction de la revendication 20 n'est donc pas établie. Le jugement sera confirmé sur ce point.
En ce qui concerne les revendications du brevet français
La société INO-ROPE demande que soit également constatée la contrefaçon des revendications de son brevet français, indiquant que, compte-tenu de la rédaction des revendications contrefaites du brevet EP et de celle des revendications du brevet FR, la démonstration de la reproduction par les poulies « U-block » et « X-block » de ROPEYE des revendications du brevet EP s'applique aux revendications du brevet français.
Mais comme il a été dit, le brevet EP 848 s'est substitué au brevet français FR 574 qui couvre la même invention, et ce, en application de l'article L. 614-13 du code de la propriété intellectuelle.
Il n'y a donc pas lieu de constater la contrefaçon des revendications du brevet français.
Sur la responsabilité de la société [R]
La société [R] conteste sa responsabilité dans les actes de contrefaçon sur le fondement de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle. Elle fait valoir que INO-ROPE ne fait pas l'effort de démontrer que [R] commercialisait effectivement la poulie « U-Block », mais se contente de produire des captures écran de son site internet datant de novembre 2017, qui ne démontrent rien ; que le prototype « X-Block » n'a même jamais été vendu par la société [R] ; que surtout, INO-ROPE, à qui incombe la charge de la preuve, ne démontre pas que [R] connaissait le caractère contrefaisant de la poulie « U-Block » lors de sa commercialisation ; que INO-ROPE n'a pas interpellé [R] sur la contrefaçon reprochée à la société ROPEYE ; qu'en outre, INO-ROPE ne prend pas la peine de caractériser les actes commis par [R] et de distinguer la responsabilité de ROPEYE de celle d'[R], alors que l'imputabilité des actes de contrefaçon suppose que la contribution des coauteurs à la contrefaçon et au dommage soient individualisée et qu'à défaut, aucune responsabilité' des défendeurs ne saurait être engagée ; que si la société ROPEYE devait être reconnue responsable d'actes de contrefaçon et condamnée, [R] ne saurait donc être condamnée solidairement avec elle.
La société INO-ROPE soutient que les captures d'écran qu'elle verse au débat, pleinement recevables et dont l'intimée ne démontre pas les irrégularités ou incohérences qui les rendraient douteuses, montrent que la société [R] proposait à la vente directement sur sa boutique en ligne les produits objets de la présente procédure ; qu'il importe peu que le produit « X-Block » n'ait pas fait l'objet d'une commercialisation dès lors qu'il a été démontré que [R] participait avec ROPEYE à la présentation de prototypes contrefaits sur des salons internationaux, en particulier au salon international du METS à [Localité 4] en 2015 et en 2016 ; qu'enfin, [R] connaissait parfaitement le caractère contrefaisant de la poulie « U-Block » lors de sa commercialisation, INO-ROPE n'ayant pas manqué de lui en faire part lors d'échanges téléphoniques, confirmés par courriel, avec Mark [X] en 27 juillet 2017 ; que la charge de la preuve de la contrefaçon en connaissance de la cause peut être renversée, et notamment peut se déduire de circonstances précises et particulières, telle que la qualité de professionnel du revendeur ; qu'en l'occurrence, [R], comme elle le revendique, dispose d'une renommée internationale et d'un important réseau de distribution dans le secteur de l'accastillage et des équipements nautiques, et dès lors, compte tenu de son expertise en ce domaine très spécialisé, elle ne pouvait ignorer la teneur des produits qu'elle vendait ; qu'elle ne peut donc invoquer son ignorance ou imposer à INO-ROPE d'établir la preuve qu'elle a agi en connaissance de cause.
Ceci étant exposé, l'alinéa 3 de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « (') l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause ».
En l'espèce, la société INO-ROPE fournit des copies d'écran du site de la société [R] datées de 2017, dont l'intimée ne conteste pas utilement l'authenticité et la date, qui montrent qu'elle proposait à la vente en ligne cette année-là des poulies ROPEYE « U-Block » dans plusieurs versions (les poulies « X-Block », invoquées seulement au titre de la contrefaçon de la revendication 20, n'ont pas été jugées contrefaisantes). L'appelante verse en outre des échanges de courriels entre MM. [W] et [U] de la société INO-ROPE et M. [X] de la société [R], en janvier et février 2014, puis en juillet 2017, desquels il ressort que les représentants de la société INO-ROPE se sont rendus aux Etats-Unis en 2014 en apportant à la société [R], à sa demande, des exemplaires de poulies et des extraits d'un brevet français, et qu'en juillet 2017, M. [W], président de la société INO-ROPE, à l'occasion d'échanges sur la « nouvelle relation » de la société [R] avec la société ROPEYE, a indiqué à M. [X] : « Nous n'avons aucun problème avec les produits padeye [ropeye] mais comme vous pouvez le comprendre, nous ne sommes pas d'accord avec la totalité de la gamme de poulies Ropeye ». En l'absence de toute précision sur le point de désaccord entre les partenaires, il ne peut être déduit de ce dernier échange que la société [R] avait connaissance du caractère contrefaisant des poulies « U-Block » fabriquées et commercialisées par la société ROPEYE, quand bien même elle aurait eu entre les mains, depuis 2014, des exemplaires de produits INO-ROPE, dont la nature n'est pas précisé dans les échanges précités, et des extraits d'un brevet français de cette dernière, dont il n'est au demeurant pas précisé la teneur, de sorte qu'il ne peut être considéré avec certitude qu'il s'agissait du brevet FR 574 dont le brevet EP 848 est le prolongement.
La qualité de distributeur de la société [R] et sa renommée internationale ne peuvent suffire, en l'absence de circonstances précises dont justifierait la société INO-ROPE, à renverser la charge de la preuve de la connaissance par l'intimée du caractère contrefaisant de la poulie « U-Block ».
Pour ces motifs, la responsabilité de la société [R] ne peut être retenue dans les actes de contrefaçon et la société INO-ROPE sera déboutée en conséquence de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre.
Seule la société ROPEYE, défaillante en appel, qui a fabriqué et commercialisé en France la poulie « U-Block » litigieuse, directement, notamment sur son site internet, ou à plusieurs distributeurs, dont la société [R], sera déclarée responsable des actes de contrefaçon.
Sur la demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire
Dès lors que la demande en contrefaçon de la société INO-ROPE n'a pas prospéré relativement à toutes les revendications opposées du brevet EP 848, il convient d'examiner sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire.
La société INO-ROPE soutient que les sociétés ROPEYE et [R] ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice en fabriquant, mettant sur le marché, offrant à la vente et important les produits litigieux reproduisant les caractéristiques du brevet français FR 574 et de « la demande de brevet européen EP 2014/0604202 ». Elle fait valoir que le tribunal n'a pas explicité en quoi les poulies de ROPEYE ne sauraient être « regardées comme des imitations des produits » d'INO-ROPE ; que ROPEYE et [R] se sont appropriées indûment les investissements importants effectués par INO-ROPE afin de développer ses poulies et créer une confusion entre les produits ; que ces deux sociétés ont ainsi pu se développer et gagner en notoriété sur la base de l'invention brevetée, notamment par le biais de publications sur les réseaux sociaux, sur leur site internet et par la présentation de prototypes sur des salons ; que compte-tenu des importantes similitudes entre les produits, ces man'uvres et appropriation déloyales ont eu pour conséquence de détourner une partie de la clientèle d'INO-ROPE ; que contrairement à ce qui est affirmé, les objectifs des poulies en litige ne sont pas distincts.
La société intimée poursuit la confirmation du jugement, faisant valoir qu'elle n'est pas à l'origine de la conception, du développement et de la fabrication des poulies litigieuse, de sorte qu'il ne peut lui être reprochée d'avoir utilisé les investissements supposés de l'appelante en commercialisant des produits ROPEYE ; que l'on ne comprend pas comment [R], dont l'appelante reconnait qu'elle est « l'un des leaders mondiaux de fabrication et distribution de matériel et accessoires pour voiliers », se serait développée et aurait gagné en notoriété à partir de l'invention d'INO-ROPE qui est une jeune entreprise créée en 2013 ; que l'objectif des produits des sociétés INO-ROPE et ROPEYE sont distincts, les produits d'INO-ROPE cherchant à écarter les brins de fixation du cordage avec un angle compris entre 10° et 180° afin de limiter le frottement entre lesdits brins, alors que les produits de ROPEYE sont au contraire destinés à maintenir un angle nul entre les brins de cordage de fixation, le frottement entre eux n'étant pas un problème technique selon ROPEYE ; que les produits en litige proposant donc deux solutions techniques parfaitement différentes et incomparables, il ne saurait y avoir de risque de confusion et de détournement de clientèle ; que l'appelante invoque un risque de confusion sans prendre la peine de procéder à une réelle description de ses poulies ; que INO-ROPE a continué à commercialiser des produits ROPEYE sur son site internet bien après son acte introductif d'instance.
Ceci étant exposé, la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.
Le tribunal a pertinemment rappelé qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, tout acteur économique est autorisé à attirer vers lui la clientèle de son concurrent, voire à imiter ses produits, ce qui n'est pas en soi fautif dès lors que ne sont pas employés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.
En l'espèce, c'est à juste raison que le tribunal a considéré que le risque de confusion allégué, sur lequel repose la concurrence déloyale, n'est pas démontré par la société INO-ROPE qui ne se livre à aucun examen comparatif des poulies incriminées de la société ROPEYE avec celles qu'elle-même conçoit et commercialise, lesquelles, pas davantage qu'en première instance, ne font l'objet d'une description distincte du brevet, alors que les photographies produites au débat révèlent d'importantes différences visuelles entre les poulies des deux sociétés, que ne manqueront pas de relever les consommateurs concernés, d'une attention élevée compte tenu de la technicité des produits en cause qui ne sont pas des biens de consommation courante :
Le parasitisme n'est pas plus démontré, en l'absence de tout élément établissant l'existence d'une valeur économique individualisée que constitueraient les poulies de la société INO-ROPE invoquées dans le présent litige, qui entrent dans une large gamme de poulies sous des références distinctes (pièce 28 appelante). En outre, l'intimée souligne à juste raison qu'il n'est nullement démontré que la société [R], immatriculée en 1988, et filiale d'un groupe américain qui est l'un des leaders mondiaux du secteur considéré, à la tête d'un réseau de distributeurs répartis dans 48 pays, ainsi que l'admet l'appelante, a cherché à tirer profit du savoir-faire, du travail, de la notoriété et des investissements de la société INO-ROPE, entreprise familiale entrée sur le marché en 2013.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société INO-ROPE de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire.
Sur les mesures réparatrices de la contrefaçon
La société INO-ROPE soutient qu'elle a subi un préjudice lié à la perte de marge engendrée par la vente de produits contrefaisants (manque à gagner) qu'elle estime à 129 000 ' sur la base de 1 200 produits vendus au prix moyen de 430 ' et d'un taux de marge moyen de 25 %. Elle évalue ensuite les bénéfices indûment réalisés sur la vente des produits contrefaisants à 78 000 ', auxquels s'ajoutent les économies d'investissement, notamment intellectuels, réalisées par la société ROPEYE estimés à 378 263 '. Elle prétend avoir subi en outre un préjudice moral (75 000 ') résultant de l'atteinte portée à son brevet, de la dévalorisation de son invention sur un marché hautement concurrentiel et spécialisé et de l'altération de son image de marque.
Selon l'article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle, 'Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon (') »
Il est rappelé qu'il y a lieu, pour fixer les dommages et intérêts conformément à ces dispositions, de prendre en considération distinctement les différents postes de préjudices sans pour autant cumuler les indemnités susceptibles d'être calculées pour chacun des postes énumérés.
La société INO-ROPE avance que les intimées ont vendu 600 poulies litigieuses par an sur une période de deux années, soit une masse contrefaisante de 1 200 poulies. Cependant, en l'absence de saisie-contrefaçon, et eu égard au fait que la société [R] prétend en avoir reçu sur la période considérée 443, dont 312 prétendument défectueuses et donc invendues ou remplacées à ses frais, et que la société [R] n'était pas le seul distributeur de la société ROPEYE, un chiffre de 600 poulies sera retenu. Un prix moyen de 260 ' sera pris en compte, ainsi qu'un taux de marge de 25 %, non contesté.
La société INO-ROPE justifie par ailleurs de frais d'investissement qu'elle évalue, sur la base de sa déclaration 2013/2014 en vue de l'obtention du crédit impôt recherche, à 370 757 ', dont elle déduit à juste raison les subventions qu'elle a obtenues (142 082 '), et auxquels elle ajoute les investissements, non éligibles au crédit impôt recherche, relatifs au conseil, développement et fabrication des prototypes, frais de recherche, d'impression, tests', soit 149 588 '. Ces montants doivent cependant être relativisés dès lors qu'il n'est aucunement démontré que ces investissements soient exclusivement relatifs aux poulies contrefaites par les poulies « U-Block » de la société ROPEYE et qu'en outre, comme il a été dit, la pièce en U inversé sur les poulies litigieuses n'a pas seulement une fonction d'écartement, ce pour quoi elle a été jugée contrefaisante, mais également de guidage des brins de cordage de fixation, ce qui n'est pas sérieusement contesté.
Enfin, la contrefaçon a été reconnue pour les seules revendications 1, 5, 6, 8 et 9 du brevet EP 848.
La cour dispose ainsi des éléments suffisants lui permettant de fixer à 60 000 ' le montant du préjudice économique souffert par la société INO-ROPE du fait des actes de contrefaçon.
La société appelante a en outre subi un préjudice moral résultant du fait que son brevet a été nécessairement banalisé et que les actes de contrefaçon sont le fait de la société ROPEYE avec laquelle elle était, et reste, en relation d'affaires. Ce préjudice sera évalué à la somme de 10 000 '.
Ces sommes seront à la charge de la seule société ROPEYE, la responsabilité de la société [R] dans les actes de contrefaçon ayant été écartée.
Il sera fait interdiction à la société ROPEYE de fabriquer, reproduire, faire usage, distribuer et/ou commercialiser, sous quelque forme que ce soit, les poulies « U-Block » reproduisant les revendications 1, 5, 6, 8 et 9 du brevet EP 548 (et les revendications 1 et 8 du brevet FR 574) de la société INO-ROPE.
Il sera ordonné, à toutes fins, à la société ROPEYE de procéder à la destruction des poulies contrefaisantes.
Le prononcé d'astreintes n'apparait pas nécessaire compte tenu du fait qu'il n'est pas démontré que les agissements contrefaisants se poursuivent et qu'il est constant que les parties sont toujours en relation d'affaires, la société INO-ROPE continuant, malgré le litige, à commercialiser des poulies en provenance de la société ROPEYE.
Le préjudice de la société INO-ROPE étant ainsi suffisamment réparé, il n'y a pas lieu de faire droit à ses demandes de publication.
Sur les demandes indemnitaires de la société [R]
Sur la réparation du préjudice né de l'instance
La société [R] soutient qu'elle a été mise en cause uniquement pour garantir les condamnations éventuelles de la société estonienne ROPEYE, ce qui est confirmé par l'abandon des poursuites à l'encontre de M. [P], également distributeur des produits ROPEYE ; qu'en initiant une action contre [R] sans le moindre fondement, INO-ROPE a très certainement voulu se venger de cette dernière qui n'avait pas souhaité faire affaire avec elle ; que cette action initiée par opportunisme et par vengeance ouvre droit à réparation ; que le comportement de INO-ROPE à l'égard de [R] peut également s'assimiler à du dénigrement commercial ayant pour effet de jeter le discrédit sur celle-ci ; que [R] subit en outre un préjudice d'image ainsi qu'une atteinte à sa réputation en ce qu'elle est présentée comme contrefactrice alors qu'elle ignorait les faits réellement reprochés à la société ROPEYE par INO-ROPE ; que ce faisant, INO-ROPE a mis à mal sa crédibilité professionnelle et fait naître un doute dans l'esprit des tiers sur son professionnalisme.
La société INO-ROPE répond qu'elle n'a cherché qu'à faire reconnaître la réalité des faits litigieux et que le préjudice allégué n'est aucunement démontré.
La demande de la société [R] repose en partie sur une hypothèse dont la démonstration ne peut reposer sur le seul désistement de la société INO-ROPE à l'égard de M. [P], autre distributeur des produits ROPEYE. Par ailleurs, la société [R] invoquait en première instance des faits de dénigrement commercial résultant de courriels adressés aux organisateurs d'un salon qui s'est tenu en 2016, mais elle ne produit en appel aucun élément à cet égard, étant au surplus souligné que la contrefaçon prétendument invoquée dans ces courriels est jugée établie en appel.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société [R].
Sur la procédure abusive
La société [R] soutient que la procédure initiée à son encontre par la société INO-ROPE est abusive ; qu'elle est partie à cette procédure uniquement parce qu'elle a refusé de collaborer avec l'appelante et qu'elle a été en contact avec la société ROPEYE ; que les demandes de la société INO-ROPE à son encontre s'inscrivent dans une volonté de vengeance ; qu'elle est en effet le seul distributeur intimé dans ce dossier, l'instance ayant été abandonnée à l'égard de M. [P] dont la défense était pourtant identique à celle de [R] ; que la seule différence est que [R] est une structure de renom, certainement considérée comme solvable et sérieuse et donc en mesure de subir une condamnation à tort.
La société INO-ROPE oppose que la conclusion d'un accord transactionnel avec M. [P] ne prouve pas une animosité particulière à l'égard de [R] ; que la poursuite contre [R] est fondée sur des faits et des preuves spécifiques qui diffèrent de ceux concernant M. [P], notamment la cessation immédiate de la distribution des poulies litigieuses par ce revendeur et sa faible implication dans les ventes des produits litigieux (trois ventes contre une centaine pour [R]) ; que si un protocole transactionnel n'a pas été signé avec [R], c'est parce qu'aucun accord satisfaisant n'a pu être trouvé entre l'appelante et [R], malgré l'ouverture de négociations.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, seule une faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
En l'espèce, même si la société INO-ROPE succombe en son appel en ce qu'il est dirigé contre la société [R], la responsabilité de celle-ci dans les faits de contrefaçon n'ayant pas été retenue, il n'est pas démontré de faute à son encontre qui aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, en première instance comme en appel, l'intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. En outre, la société [R] ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande pour procédure abusive formée en première instance et la société intimée sera déboutée de sa demande formée en appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société ROPEYE, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et la somme qui doit être mise à sa charge au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société INO-ROPE peut être équitablement fixée à 50 000 ', en ce compris les frais de constat par commissaire de justice (2 111,28 ' TTC).
Les dispositions prises sur les dépens de première instance sont infirmées et celles prises sur les frais irrépétibles de première instance sont confirmées en ce qui concerne la société [R] mais infirmées en ce qui concerne la société ROPEYE.
La somme qui doit être mise à la charge de la société ROPEYE au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société [R] peut être équitablement fixée à 15 000 ', cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
Par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement en ce qu'il a :
rejeté les demandes de la société INO-ROPE fondées sur la contrefaçon de brevets,
condamné la société INO-ROPE aux dépens dont distraction au profit de Me GUYARD sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile,
condamné la société INO-ROPE à payer à la société ROPEYE OÜ la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que la société de droit estonien ROPEYE OÜ, en fabricant et mettant dans le commerce des poulies référencées « U-Block », a commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 5, 6, 8 et 9 du brevet EP 848 de la société INO-ROPE,
Dit que la société [R] FRANCE ' STE MARITIME, distributeur, n'est pas responsable des actes de contrefaçon commis et déboute en conséquence la société INO-ROPE de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre,
En conséquence, condamne la société ROPEYE OÜ à payer à la société INO-ROPE :
60 000 ' en réparation de son préjudice économique résultant de la contrefaçon,
10 000 ' en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon,
Fait interdiction à la société ROPEYE OÜ de fabriquer, reproduire, faire usage, distribuer et/ou commercialiser, sous quelque forme que ce soit, les poulies « U-Block » reproduisant les revendications 1, 5, 6, 8 et 9 du brevet EP 848 de la société INO-ROPE,
Ordonne, à toutes fins, à la société ROPEYE OÜ de procéder à la destruction des poulies « U-Block » contrefaisantes restantes,
Condamne la société ROPEYE OÜ aux dépens de première instance,
Déboute la société ROPEYE OÜ de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,
Rejette le surplus des demandes de la société INO-ROPE,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute la société [R] FRANCE ' STE MARITIME de sa demande pour procédure abusive formée en appel,
Condamne la société ROPEYE OÜ aux dépens d'appel,
Condamne la société ROPEYE OÜ à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel :
à la société INO-ROPE, la somme de 50 000 ', en ce compris les frais de constat par commissaire de justice (2 111,28 ' TTC),
à la société [R] FRANCE ' STE MARITIME, la somme 15 000 '.