CA Besançon, 1re ch., 8 avril 2025, n° 24/01473
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Isirepro (SARL), Isiconcept Informatique (SARL)
Défendeur :
Koesio Est (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
M. Maurel, Mme Willm
Avocats :
Me Danel-Monnier, Me Martin, Me Monnet
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La SAS Koesio Est, anciennement dénommée Koesio Bourgogne Franche-Comté (la société Koesio), a pour activité la commercialisation auprès des entreprises et administrations de solutions de reprographie, informatique et téléphonie.
La SARL Isirepro est une société commerciale de solutions de reprographie et de bureautique détenue par la SARL Isiconcept Informatique (la société Isiconcept), qui commercialise quant à elle des solutions informatiques.
Le 22 avril 2021, la société Koesio a procédé au rachat de la société Copie Repro, et a repris les salariés de celle-ci.
Reprochant aux sociétés Isirepro et Isiconcept des actes de concurrence déloyale, et notamment le débauchage de certains des anciens salariés de la société Copie Repro dont elle avait repris les contrats, la société Koesio a saisi le président du tribunal de commerce de Besançon d'une requête tendant à la désignation, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'un commissaire de justice afin de procéder à diverses constatations aux sièges sociaux des sociétés Isirepro et Isiconcept.
Par ordonnance du 13 février 2024, le président du tribunal de commerce, au visa de la requête, a :
- désigné la SELARL Lexlegati, huissiers de justice (...) ;
- autorisé l'huissier à se faire assister dans l'exercice de sa mission par un expert informatique indépendant des parties requérantes ;
Avec pour mission :
* se rendre au siège social de la société Isirepro et de la société Isiconcept (...) ;
* laisser l'huissier ainsi que l'expert informatique accéder à la totalité des locaux dont ces sociétés auraient l'usage et la jouissance, et, au besoin dans ses établissements ou annexes situés dans le ressort de leur compétence territoriale ;
* se faire communiquer l'identité de toutes les personnes présentes dans les lieux précités et d'obtenir de celles-ci qu'elles en justifient par tout moyen au besoin par la présentation d'une pièce d'identité ;
* vérifier si Mme [M] [K], M. [B] [L], M. [E] [I] et M. [C] [O] travaillent pour la société Isirepro ou Isiconcept, le cas échéant se faire remettre l'original du contrat de travail les liant à la société Isirepro ou à la société Isiconcept ;
* se faire remettre, ou à défaut de communication spontanée, rechercher l'original afin d'en prendre copie des contrats conclus entre Isirepro et les anciens clients de la société Copie Repro/Koesio ayant résilié leur contrat depuis le 2 juin 2022, à savoir :
* Literie [W]
* Pays des 7 Rivières
* Bati.fr
* Est Emballages
* Mairie de [Localité 3]
* [P] [X]
* SNDRA
* IAD Territoire Digital
* FMA [F] [Z] Automatisme
* [Adresse 6]
* Sielec
* la Roche du Trésor
* office notarial Henri Oechslin
* JPA Conditionnement et Emballage
* Emballage Comtois
* [Adresse 4]
* commune de [Localité 2]
* CPCM
* SNC Pretet
* Ec'Lor Expertise Comptable
* SARL le Pétrin
* [Adresse 7]
* MPG Conseil Expertise
* Maison Cottin
* Seguin Maîtrise d'oeuvre
* INCO
* mairie de [Localité 5]
* Mécano Service 39
* Pépinière Guillaume
- autorisé l'expert informatique à installer tout logiciel ou brancher tout périphérique pour les besoins des opérations, afin de rechercher et se faire remettre :
* les fichiers informatiques et documents comportant dans leur dénomination ou dans leur contenu le terme (en majuscule ou en minuscule) : 'Koesio', 'Burocom', 'Copie Repro', ainsi que les noms des clients cités ci-avant ;
* les messages électroniques présentant dans leur objet ou leur contenu le ou les termes précités sur le logiciel de messagerie des sociétés Isirepro et Isiconcept :
* dans l'hypothèse où les emails ne seraient pas stockés dans un client de messagerie (type Outlook, Outlook Express, Lotus Note, Mail, Mozilla, etc.), de procéder à la consultation de l'historique des sites web consultés sur le dernier mois afin de déterminer l'utilisation d'un Webmail (type Hotmail, Gmail, Yahoo, Orange, etc.)
* se faire communiquer les identifiants et codes afin de procéder aux mêmes recherches sur les emails reçus et envoyés, et transférer les emails considérés sur un support d'enregistrement numérique ;
Et pour ce faire, notamment :
* accéder à l'ensemble des documents papiers des sociétés Isirepro et Isiconcept ainsi qu'à l'ensemble des serveurs et à tous les postes informatiques fixes ou portables des sociétés Isirepro et Isiconcept (locaux et distants) ainsi qu'à tout matériel de stockage numérique tels que disques durs externes, clés USB, CD-ROM, DVD-ROM appartenant aux sociétés Isirepro et Isiconcept, susceptibles de contenir tout ou partie des éléments susvisés ;
* accéder à l'ensemble des serveurs et à tous les postes informatiques fixes ou portables (locaux ou distants) ainsi qu'à tout matériel de stockage numérique tels que disques durs externes, clés USB, CD-ROM, DVD-ROM appartenant à Mme [M] [K], M. [B] [L], M. [E] [I] et M. [C] [O], susceptibles de contenir tout ou partie des éléments susvisés ;
* se faire communiquer les login et mots de passe permettant d'accéder aux matériels et logiciels concernés et autoriser les huissiers et l'expert informatique à accéder aux disques durs et plus généralement à toutes unités de stockages susceptibles de contenir tout ou partie des éléments susvisés ;
* si la recherche s'avère fructueuse, de procéder à une copie en deux exemplaires des fichiers, dossiers et courriers électroniques identifiés en rapport avec la mission, sous forme numérique et sur tout support (clefs USB, CD, DVD et autres disques durs externes) ou sur support papier ;
* dans l'hypothèse où la bonne fin de la mission pourrait être compromise du fait d'un obstacle technique tenant à la volumétrie des informations, ou de l'impossibilité d'utiliser sur place les outils techniques nécessaires :
* autorisé l'huissier instrumentaire, assisté de l'expert informatique, à effectuer des copies complètes des disques durs des ordinateurs fixes ou portables et autres supports, lesquels seront conservés sous séquestre en l'étude de l'huissier aux fins d'analyse et de copie ultérieure ;
* de dresser procès-verbaux des opérations effectuées, auxquels seront annexées les copies des documents ayant un lien avec leur mission, ainsi que la note technique d'intervention de l'expert informatique l'ayant assisté, et en remettre une copie aux requérantes, accompagnée d'un exemplaire des copies des documents qui auront été réalisées ;
- dit que le procès-verbal, l'ensemble des pièces et documents saisis seront conservés par l'huissier de justice jusqu'à ce qu'un juge autorise la remise des pièces aux parties ;
- autorisé l'huissier à faire toute recherche et constatation utile, consigner les déclarations des répondants et toutes paroles prononcées au cours des opérations, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;
- autorisé l'huissier instrumentaire à se faire communiquer les codes d'accès, notamment informatiques, nécessaires à l'exécution de sa mission ;
- il conviendra d'autoriser l'huissier à se faire assister de la force publique et d'un serrurier ;
- dit que les sociétés Isirepro et Isiconcept, ainsi que leurs associés et préposés, devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce soit les opérations de l'huissier instrumentaire et de l'expert informatique, notamment en verrouillant l'accès physique ou logique à leurs ordinateurs ;
- dit que les huissiers devront effectuer les opérations dans un délai de trois mois à compter de la signature de l'ordonnance ;
- dit que la copie de la requête et de l'ordonnance seront laissées à la personne à laquelle elles sont opposées ;
- dit que le double de la présente ordonnance et de la copie des pièces seront conservées au greffe du tribunal où il pourra en être donné connaissance à la personne intéressée.
Les opérations de constat se sont déroulées le 8 avril 2024.
Par exploit du 29 avril 2024, la société Koesio a fait assigner les sociétés Isirepro et Isiconcept devant le président du tribunal de commerce aux fins de se voir autorisées à recevoir communication par le commissaire de justice des pièces saisies au cours des opérations ainsi que des documents et fichiers copiés sur clé USB par l'expert informatique.
Les sociétés Isirepro et Isiconcept se sont opposées à la demande, en sollicitant la rétractation de l'ordonnance et la mise sous séquestre des informations collectées, en faisant valoir qu'aucun motif légitime ne justifiait les mesures ordonnées, et que n'était pas établi la nécessité du recours à une mesure non contradictoire.
Par ordonnance de référé rendue le 4 septembre 2024, le président du tribunal de commerce a :
- débouté les sociétés Isirepro et Isiconcept de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- autorisé la société Koesio Est à se faire communiquer par la SELARL Lexlegati et Maître [T] [Y], commissaire de justice, les pièces saisies à l'occasion des opérations de constat menées le 8 avril 2024 au siège des sociétés Isirepro et Isiconcept, ainsi que les documents / fichiers qui ont été copiés par l'expert informatique sur deux clefs USB ;
- dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les parties conserveront la charge de leurs propres dépens ;
- liquidé les dépens de la présente ordonnance à la somme de 57,65 euros.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- sur la proportionnalité des mesures ordonnées :
* que la mission du commissaire de justice était limitée aux éléments en rapport avec les faits litigieux exposés dans la requête ;
* que l'objet de la mission était parfaitement circonscrit comme ne concernant que le débauchage de quatre salariés clairement identifiés et le détournement supposé de clients dont les noms étaient limitativement cités ;
* que la mission du commissaire de justice était clairement identifiée, et la recherche des éléments limitée par une liste de mots clés ;
- sur le motif légitime, que la société Koesio disposait d'indices lui permettant d'imaginer le débauchage de collaborateurs dans le but de détourner sa clientèle, et qu'il était évident que, pour faire valoir ses droits et quantifier son éventuel préjudice elle avait besoin d'informations non accessibles par de simples investigations ;
- sur la dérogation au principe du contradictoire, que l'ordonnance renvoyait à la requête, qui fait état du risque que les documents puissent être dissimulés ou détruits, de sorte que leur obtention imposait un effet de surprise ;
- sur le secret des affaires :
* qu'il avait été démontré que la mesure était circonscrite dans son objet, limitée aux faits litigieux et restreinte par l'utilisation de mots clés ; que la recherche de preuve n'était ainsi pas disproportionnée au but poursuivi ;
* que les informations recueillies ne présentaient pour la société Koesio aucun autre intérêt que la possibilité de produire des preuves relatives au litige ;
* que, s'agissant d'une activité ne nécessitant pas une expertise particulière, ni une stratégie commerciale spécifique, il ne pouvait être question de secret des affaires ;
- qu'en conséquence, il devait être ordonné que le commissaire de justice puisse communiquer à la société Koesio les pièces recueillies, devant permettre d'établir le comportement fautif des sociétés Isirepro et Isiconcept.
Les sociétés Isirepro et Isiconcept ont relevé appel de cette décision le 2 octobre 2024.
Par conclusions transmises le 25 novembre 2024, les appelantes demandent à la cour :
Vu les articles 496 et 497 du code de procédure civile,
- d'infirmer le jugement rendu par le président du tribunal de commerce de Besançon ;
Et statuant à nouveau :
- de rétracter les deux ordonnances rendues n°C001258640998070 et n°C001258680998071 en date du 13 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Besançon à la requête de la société SAS Koesio Est ;
- d'ordonner la mise au séquestre de l'entièreté des informations collectées lors des opérations de constat menées le 8 avril 2024 au siège des sociétés Isirepro et Isiconcept Informatique ;
- de condamner SAS Koesio Est à régler à la SARL Isirepro une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner SAS Koesio Est à régler à la SARL Isiconcept Informatique une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la SAS Koesio Est aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 10 décembre 2024, la société Koesio Est demande à la cour :
A titre principal
Vu l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile,
Vu l'article 954 alinéa 3,
Vu la circulaire du 2 juillet 2024 de présentation du décret n° 2023-1391,
- de juger que les sociétés Isirepro et Isiconcept Informatique, qui demandent l'infirmation de l'ordonnance du 4 septembre 2024, devaient obligatoirement mentionner, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, les chefs de l'ordonnance critiqués ;
- de juger, en conséquence, que la cour ne peut que confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dans la mesure où les sociétés Isirepro et Isiconcept Informatique demandent, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, l'infirmation de l'ordonnance relativement à aucun chef ;
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée ;
A titre subsidiaire
Vu l'article 145 du code de procédure civile,
- de juger que la société Koesio Est disposait d'un motif légitime à obtenir de façon non contradictoire des documents lui permettant de fonder son action future en concurrence déloyale et parasitisme, dans des conditions proportionnées aux droits des parties subissant la mesure ;
- de juger qu'aucune atteinte au secret des affaires ne saurait sérieusement être opposée par les sociétés Isirepro et Isiconcept Informatique ;
En conséquence,
- de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée ;
En tout état de cause
- de condamner la société Isirepro à payer à la société Koesio Est la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner société Isiconcept Informatique à payer à la société Koesio Est la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner les appelants aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 11 février 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
L'intimée fait valoir que la cour est tenue de confirmer la décision entreprise dès lors que le dispositif des écritures des appelantes ne satisfait pas aux exigences de l'article 954 du code de procédure civile en ce qu'il ne comporte pas l'énoncé des chefs de la décision de première instance qui sont critiqués.
Les appelantes ne répondent pas sur ce point.
L'article 954 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d'appel en matière civile, applicable à l'espèce dès lors que l'appel a été formé postérieurement au 1er septembre 2024, dispose que :
'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues aux deuxième à quatrième alinéas de l'article 960. Elles formulent expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l'appelant indique s'il demande l'annulation ou l'infirmation du jugement et énonce, s'il conclut à l'infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l'ensemble des parties récapitule leurs prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes conclusions sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties reprennent, dans leurs dernières conclusions, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.'
Il est constant que le dispositif des seules conclusions déposées par les appelantes, s'il conclut à l'infirmation de la décision déférée, n'énonce pas les chefs du dispositif de l'ordonnance qui sont critiqués, contrevenant ainsi aux exigences de l'alinéa 2 du texte précité.
La cour étant, en vertu de l'alinéa 3 du même texte, tenue de ne statuer que sur les seules prétentions énoncées au dispositif, et n'étant, aux termes de ce dispositif, pas saisie de la critique d'un chef quelconque de la décision déférée, elle ne pourra que confirmer celle-ci.
Les appelantes seront condamnées aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer, chacune, à l'intimée la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 4 septembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Besançon ;
Condamne la SARL Isirepro et la SARL Isiconcept Informatique aux dépens d'appel ;
Condamne la SARL Isirepro à payer à la SAS Koesio Est la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Isiconcept Informatique à payer à la SAS Koesio Est la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.