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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2025, n° 23/09027

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SARL V

Défendeur :

S.A. K

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Belusa, Me Moisan, Me Pasquesoone, SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, SELARL RACINE AVOCATS

T. com. Paris, du 14 févr. 2023, n° 2021…

14 février 2023

FAITS ET PROCÉDURE

La société [K] [W], qui exerce une activité de création dans le secteur du prêt-à-porter et des accessoires de luxe, dont l'actionnaire principal est désormais la société chinoise Fosun Fashion Group, présente chaque année ses collections dans des showrooms, ce terme désignant à la fois l'espace dédié à la présentation et, par extension l'événement de présentation des nouvelles collections.

La société [V], dont le gérant est M.[I], intervient dans le domaine de l'événementiel.

Ces deux sociétés ont entretenu des relations commerciales, la société [K] [W] confiant à la société [V] l'organisation de ses showrooms dans des locaux qu'elle louait, sur la base de devis négociés entre les parties.

Par lettre 20 décembre 2019, la société [K] [W] a indiqué à la société [V] :

"Nous faisons suite à notre rendez-vous du 18 décembre dernier et nous vous confirmons la résiliation de nos relations commerciales.

Comme nous vous l'avons expliqué la baisse significative de notre chiffre d'affaires nous pousse à revoir l'organisation de nos évènements pour réduire les budgets alloués à ces événements et notamment à l'organisation de nos show-rooms.

Pour ce faire, et comme nous l'avions évoqué ensemble à plusieurs reprises, il était indispensable pour nous de trouver des locaux pour y installer le show-room permanent de [W].

Nous avons trouvé ces locaux et la prise à bail aura lieu en janvier 2020.

Ce show-room permanente entraine une nouvelle organisation dès le prochain show-room qui se déroulera au mois de janvier 2020.

La résiliation de nos relations commerciales sera effective à l'issue d'un préavis de 12 mois.

La période de préavis couvrira les show-rooms des mois de janvier, mars, mai, juin, septembre et novembre 2020".

Postérieurement, par courriel du 31 janvier 2020, la société [K] [W], faisant référence aux difficultés rencontrées pour l'organisation du show-room de janvier, a informé la société [V] qu'elle était "contrainte de mettre fin de manière anticipée à [leurs] relations".

Les représentants des deux entreprises ont tenté de trouver un accord mais sans y parvenir, les termes alors en débat étant les suivants :

- Courriel de [W] du 11 juin 2020, suite à la demande de [V] chiffrant son préjudice à la somme de 694 777 euros : "Permettez-moi de vous rappeler que cette indemnité a pour vocation d'indemniser la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même. En effet, [W] ne peut pas compenser les différentes pertes subies par [V] liées à la fin de la relation. Aussi nous ne comprenons pas la demande fondée sur un an de salaire ni le préjudice moral. Quant à la marge brute [retenue dans le calcul de [V]], la marge à prendre en compte est la moyenne de la marge brute réalisée sur les trois dernières années de relation et non la marge brute prévisionnelle".

- Courriel de [P] du 16 juillet 2020 : "Votre proposition forfaitaire d'une indemnisation à hauteur de 180 000 euros pour les seuls showrooms de janvier et février 2020 arrondie [à cette somme] ne nous convient pas. Nous ne comprenons pas pourquoi seuls les showrooms de janvier et février 2020 devraient être indemnisés ni pourquoi vous ne souhaitez toujours pas construire un calcul cohérent basé sur la marge perdue sur une année. Nous vous avons présenté l'ensemble de nos chiffres clairement et de manière structurée et nous aimerions qu'il en soit de même pour vous afin de pouvoir rapidement passer à autre chose ou à une étape supérieure comme nous l'avons évoqué ensemble".

C'est dans ces circonstances que le 25 février 2021, la société [V] a fait assigner la société [K] [W] devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de ses préjudices.

Par jugement du 14 février 2023, le tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société [K] [W] à payer à la société [V] la somme de 218.102 ' au titre de l'indemnisation du préjudice lié à la rupture brutale,

- débouté la société [V] de sa demande de la somme de 60.000 ' en réparation de son préjudice moral,

- débouté la société [V] de sa demande de la somme de 5.000 ' au titre de la résistance abusive,

- condamné la société [K] [W] à payer à la société [V] la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire,

- condamné la société [K] [W] aux dépens.

La société [V] a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de la cour du 16 mai 2023. La société [K] [W] a formé appel incident.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 28 janvier 2025, la société [V] demande à la Cour, au visa de l'articles L. 442-1 II alinéa 1 du code de commerce, des articles 695 et 700 du code de procédure civile ainsi que des articles 1231-1, 1240 et 1231-7 du code civil, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [K] [W] au visa de l'article L 442-1 II du code de commerce s'étant rendue coupable de la rupture brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société [V],

2) infirmer le jugement en ce qu'il a :

- limité la réparation du préjudice économique de la société [V] lié à la rupture brutale de ses relations commerciales avec la société [K] [W] à la somme de 280.102 ',

- débouté la société [V] de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral,

- débouté la société [V] de sa demande d'indemnisation au titre de la résistance abusive de la société [K] [W],

3) par conséquent, statuant à nouveau :

- condamner la société [K] [W] au paiement des sommes de :

396.834 ' en réparation du préjudice économique de la société [V] lié à la rupture brutale de leurs relations commerciales,

60.000 ' en réparation du préjudice moral de la société [V],

10.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance,

5.016 ' au titre des frais d'expertise exposés par la société [V],

5.000 ' au titre de la résistance abusive,

- fixer le point de départ des intérêts moratoires au jour de l'assignation du 25 février 2021,

- débouter la société [K] [W] de son appel incident et de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 27 janvier 2025, la société [K] [W] demande à la Cour, au visa de l'article L. 442-1 II du code de commerce (dans sa version applicable à l'époque des faits) et de l'article 700 du code de procédure civile, de :

1) débouter la société [V] de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions,

2) déclarer recevable et bien fondée la société [K] [W] en son appel incident du jugement rendu le 14 février 2023 par le tribunal de commerce de Paris,

3) y faisant droit, à titre principal :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société [K] [W] au visa de l'article L. 442-1 II du code de commerce,

- condamné la société [K] [W] à payer à la société [V] la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant à nouveau :

- dire que la société [K] [W] n'a pas engagé sa responsabilité à l'égard de la société [V] au visa de l'article L 442-1 II du code de commerce,

- en conséquence, débouter la société [V] de sa demande sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce,

3) à titre subsidiaire :

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [K] [W] à régler à la société [V] la somme de 218.102 ' au titre du préjudice subi,

- et statuant à nouveau, dire et juger que le préjudice économique allégué par la société [V] doit être évalué à 66.139 ',

4) en tout état de cause, condamner la société [V] à payer à la société [K] [W] la somme de 10.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 janvier 2025.

***

MOTIVATION

A titre préliminaire, les deux parties reconnaissent implicitement (ce point n'étant pas évoqué), mais nécessairement (eu égard aux pièces fournies et points qu'elles développent dans leurs écritures), que les relations commerciales présentaient entre elles un caractère établi.

Il est en outre observé que l'ensemble des factures versées aux débats, y compris celles antérieures à 2012 dont à hauteur d'appel [K] [W] conteste la pertinence, font systématiquement référence à l'organisation du show-room de [W], de sa date et des prestations réalisées et facturées. Il est également constaté que sont produites 300 factures sur la période 2017 à 2019. Par ailleurs, dans ses conclusions de premières instances versées aux débats, la société [K] [W] écrit : "A compter de l'année 2008, [W] a confié à [V] l'organisation de show-rooms temporaires des collections de [W] dans des espaces tiers"( pièce [V] n°17).

Les seuls points utilement en débat portent donc sur la rupture des relations commerciales établies, et sur la réparation consécutive des préjudices subis en lien.

1) Sur la rupture des relations commerciales établies

Moyens et prétentions des parties

Pour démontrer la rupture brutale des relations commerciales établies, la société [V] fait d'abord valoir que la société [K] [W] n'a jamais souhaité poursuivre les relations commerciales aux conditions antérieures, vidant ainsi de sa substance le préavis adressé le 20 décembre 2019. Elle expose que :

- dès les premiers jours de l'organisation du showroom prévu fin janvier 2020, la société [K] [W] lui a fait comprendre qu'elle ne respecterait pas les conditions antérieures de leur relation et lui a imposé de nouvelles conditions pour des raisons strictement internes et sans aucune compensation,

- elle-même lui a proposé d'intervenir pour un budget de 74.606 ' HT, alors que le prix moyen d'un showroom les années précédentes était compris entre 164.991,50 ' et 169.857 ', mais que la société [K] [W] lui a demandé de réduire ses coûts tout en souhaitant bénéficier de prestations aux mêmes standards qu'auparavant,

- dans ses conclusions de première instance et en appel, la société [K] [W] n'a pas caché qu'elle n'entendait pas poursuivre les relations dans les mêmes conditions puiqu'elle y écrivait que la société [V] savait que la poursuite du préavis supposait, compte tenu de sa situation économique difficile, que la nouvelle organisation des showrooms dans un espace permanent entraînerait un moindre volume de prestations et donc de chiffre d'affaires,

- les difficultés financières invoquées par la société [K] [W] existaient dès 2018 et ne sont pas apparues soudainement en décembre 2019.

La société [V] soutient ensuite que la rupture n'est pas justifiée par des circonstances objectives. Elle conteste les difficultés financières alléguées par la société [K] [W], soulignant qu'en novembre 2019 celle-ci souhaitait dépenser la somme de 1.153.320 ' HT pour la location d'espaces showrooms à l'université [Localité 6] [Localité 5] mais qu'un refus lui a été confirmé par courrier du 18 novembre 2019. Elle observe que la stratégie de la société [K] [W] par rapport à l'organisation de ses showrooms, consécutive du changement d'actionnariat, est la conséquence d'une réorganisation de la marque vers l'Asie. Elle ajoute que la société [K] [W] n'avait toujours pas validé ses interventions la veille de la préparation du matériel et à 48 heures du montage du site, raison pour laquelle ses prestataires se sont désengagés.

La société [V] déduit de l'ensemble de ces éléments que la rupture des relations ne peut en aucun cas lui être imputée et que c'est la société [K] [W] qui a procédé à leur rupture brutale.

En réponse, La société [K] [W] fait état de ses difficultés financières ayant abouti à des pertes de plus de 70.000.000 ' en 2019 et l'ayant contrainte à rationaliser ses coûts, notamment en louant un local à titre permanent pour y installer ses showrooms. Elle ajoute avoir informé la société [V] le 7 novembre 2019 qu'elle cherchait un local permanent, le 18 décembre 2019, qu'elle était contrainte de recourir à une nouvelle organisation après avoir trouvé ce local et le 20 décembre 2019 que leurs relations commerciales prendraient fin à l'issue d'un préavis de 12 mois en précisant que le showroom permanent entraînait une nouvelle organisation dès le prochain showroom qui se déroulerait en janvier 2010.

Elle expose que :

- les parties ont échangé en vue de l'organisation de ce premier showroom 2020 qui devait se tenir à partir du 17 janvier 2020 (date de début du montage),

- le 9 janvier 2020, la société [V] lui a soumis des devis pour la production et la mise en oeuvre technique du showroom et elle l'a interrogée sur certaines prestations dont le libellé était imprécis et/ou dont le prix semblait excessif,

- de tels échanges étaient courants entre les parties, les devis étant systématiquement négociés,

- le 12 janvier 2020, la société [V] l'a avisée du désengagement de ses sous-traitants qui faisaient part de leurs difficultés opérationnelles, mais n'a pas cherché à les re-motiver ou à trouver d'autres alternatives,

- malgré ses demandes de réduction du prix de certaines prestations, la société [V] ne lui a jamais transmis de devis révisés et, de fait, a refusé de négocier le prix des prestations,

- le 14 janvier 2020, la société [V] a prétendu avoir reçu le désengagement de son prestataire pour la mise en oeuvre de l'éclairage,

- le 15 janvier 2020, la société [V] l'a averti qu'elle n'interviendrait pas sur le showroom de janvier, ce qui l'a contrainte à l'organiser seule au dernier moment, en recourant aux services d'un architecte,

- c'est dans ces circonstances que le 31 janvier 2020, elle a notifié à la société [V] qu'en définitive, elle n'était en mesure de lui confier, dans le cadre des prochains showrooms, que l'exécution de prestations de ménage et de sécurité, ce que la société [V] a refusé.

La société [K] [W] soutient :

- d'une part, que compte tenu de la gravité de ses difficultés financières, le préavis proposé à la société [V] (c'est à dire 12 mois de préavis avec une activité réorganisée pour tenir compte de ses nouvelles contraintes) était parfaitement conforme et exclusif de la moindre faute,

- d'autre part, que la non-exécution du préavis est imputable à la société [V] qui a refusé de négocier les prestations et leur prix, l'a informée de sa difficulté à trouver des sous-traitants en invoquant des difficultés sans en justifier, ni chercher à les re-motiver et/ou trouver d'es alternatives, a prétendu avoir reçu le désengagement de son prestataire de mise en oeuvre de l'éclairage, lui a finalement annoncé, 2 jours avant le début du montage, qu'elle n'interviendrait pas du tout sur le showroom de janvier, abandonnant donc purement et simplement l'ensemble des autres prestations.

La société [K] [W] en déduit qu'elle n'a commis aucune faute et que la fin anticipée de la relation commerciale est imputable à la société [V].

Réponse de la Cour

L'article L 442-1 du code de commerce, applicable en la cause, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au cas présent, la mission confiée à la société [V] consistait, notamment, à concevoir et aménager les espaces de showrooms, se charger des relations avec les différents sous-traitants, de l'étude des devis et leur négociation ainsi que prendre la charge financière de l'ensemble des prestations techniques, la gestion du montage et du démontage du showroom outre sa gestion pendant l'exploitation.

Les devis qu'elle proposait à la société [W] étaient négociés avec celle-ci.

Il est constant que dans sa lettre du 20 décembre 2019, la société [K] [W] a indiqué qu'en raison de ses difficultés financières, elle devait revoir l'organisation de ses événements, qu'elle avait trouvé des locaux permanents pour ses showrooms et que cela entraînerait une nouvelle organisation dès le prochain showroom de janvier 2020. Elle accordait alors à la société [V], avant la cessation de leurs relations commerciales, un préavis de 12 mois couvrant les showrooms de janvier, mars, mai, juin, septembre et novembre 2020.

Les pièces versées aux débats, notamment la pièce 8 de la société [V], établissent que sont intervenus ensuite les faits suivants :

- par courriel du 9 janvier 2020, la société [V] a envoyé ses devis (technique, production et décor) à la société [K] [W] ;

- la société [K] [W] a répondu le même jour en posant des questions sur les prestations prévues et les prix ;

- puis par courriel du 13 janvier 2020, la société [K] [W] a demandé la modification des devis qu'elle considérait comme trop élevés. La société [V] lui a répondu, s'agissant du devis technique qu'elle ne pouvait trouver d'économies pour l'éclairage, et s'agissant du devis production, qu'il fallait que la société [K] [W] dise clairement si elle validait ou non ses prestations et lui a rappelé qu'à 2 jours de la préparation de leur matériel, les fournisseurs pouvaient se retirer de l'opération à tout moment, "même s'ils poussaient leur limite de délais au maximum" ;

- par courriel du 14 janvier 2020, la société [V] a averti la société [K] [W] du désengagement du prestataire de mise en 'uvre de l'éclairage, en précisant "il en est désolé mais il lui a été impossible de retenir le personnel et le matériel plus longtemps" ;

- la société [K] [W] a répondu, par courriel du même jour, en s'étonnant du retrait du prestataire, précisant que la discussion en cours sur le montant total de la prestation ne remettait pas en cause l'intervention technique et que suite à ce désistement elle allait prendre en charge l'éclairage de 2 pièces initialement confié ;

- par courriel du 15 janvier 2020, la société [V] s'est plainte de n'avoir aucun devis signé et encore moins d'acompte à 24 heures de la préparation du showroom et de ce que la société [K] [W] n'avait pas répondu correctement à ses questions , ce qui la mettait dans l'impossibilité de remplir sa mission, ajoutant que sauf demande écrite et chiffrée de sa part, elle n'interviendrait pas sur ce showroom et demandait un rendez-vous rapide sur ses aspects financiers ainsi que sur la préparation et l'organisation des futurs showrooms ;

- dans son courriel en réponse du même jour, la société [K] [W] s'est déclarée surprise de la décision de la société [V], a précisé que ses demandes répétées pour réduire les devis proposés s'expliquaient du fait de la réduction considérable de son budget et a déclaré que la décision la contraignait à trouver des solutions alternatives dans l'urgence ;

- par courriel du 16 janvier 2020, la société [V] a répliqué que ses devis étaient détaillés, qu'elle n'avait obtenu que des réponses évasives de différents interlocuteurs, qu'elle ne pouvait être responsable d'un manque de budget et qu'elle ne pouvait travailler dans de telles conditions.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que :

- contrairement à ce que soutient la société [K] [W], la société [V] a accepté de réduire le coût de ses prestations, proposant un prix de 74.606 ' HT, tenant compte de la réduction des postes commandés par la société [K] [W] et de ses efforts pour réduire les coûts ; il n'est pas contesté que les années précédentes le prix moyen d'un showroom était compris entre 164.991,50 ' HT et 169.857 ' HT ;

- le 15 janvier 2019, soit 2 jours avant la date prévue pour le début du montage du showroom (17 janvier 2019), la société [K] [W] était avertie du risque de désengagement d'autres prestataires et du désengagement effectif du prestataire de mise en 'uvre de l'éclairage ; à cette date, n'ayant pas encore indiqué le prix qu'elle était décidée à payer par rapport aux devis proposés, elle privait la société [V] de toute possibilité de retenir les sous-traitants et d'organiser le showroom.

Aussi, aucun comportement fautif de la part de la société [V] au cours de l'exécution du préavis notifié par la société [W] n'est établi. C'est en vain, de surcroit, que la société [K] [W] invoque ses difficultés financières, lesquelles ne constituent pas un événement extérieur, imprévisible et irrésistible de nature à lui permettre de se dispenser d'exécuter le préavis dans les conditions antérieures. Il s'ensuit que les causes d'exonération légales énoncées à l'article L. 442-1, II, du code de commerce ne sont pas démontrées.

Dès lors, en ne poursuivant pas la relation commerciale dans les mêmes conditions pendant le délai de préavis notifié par lettre du 20 décembre 2019, la société [K] [W] a brutalement rompu la relation commerciale établie et engagé sa responsabilité en application de l'article L.442-1 II du code de commerce.

Le jugement est confirmé pour ces motifs substitués.

2) Sur la demande en réparation du fait de la rupture

Moyens et prétentions des parties

Pour réclamer la somme de 396.834 ' en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies, la société [V] soutient que :

- l'indemnisation doit être calculée sur les 6 showrooms prévus pendant la durée du préavis de 12 mois et non en fonction du chiffre d'affaires de la société [V] au cours des années précédentes,

- le préjudice doit être évalué à la date de la rupture, sans tenir compte des circonstances postérieures, en particulier de la crise sanitaire liée à l'épidémie Covid-19,

- la durée des relations commerciales, soit 12 ans, avait toujours été admise par la société [K] [W], qui indiquait dans ses conclusions devant le tribunal de commerce que ces relations avaient débuté à compter de 2008, ce qui constitue un aveu judiciaire,

- les relations commerciales ont débuté le 15 octobre 2017 avec M. [I] et Mme [M] par le bais de la société THBC, qui a perduré par le biais de la société THBE, dénommée ensuite [V], ainsi qu'il est prouvé par les factures versées aux débats et le courriel du 19 décembre 2011.

La société [K] [W] critique l'évaluation du préjudice faite par le tribunal qui s'est fondé sur le chiffre d'affaires total de la société [V], supérieur à celui réalisé avec elle qui s'élève à la moyenne annuelle de 698.019 ' HT sur les années 2017, 2018 et 2019.

Elle fait valoir que la société [V] ne peut obtenir aucune indemnisation pour le showroom de janvier 2020 puis qu'elle a refusé d'y participer et qu'elle ne peut obtenir une indemnisation que pour le seul showroom en présentiel de mars 2020.

Sur la base d'un préavis de 4 mois, la société [K] [W] évalue le préjudice à 66.139 ', c'est à dire à la somme correspondante à la marge moyenne réalisée par show room, attestée par commissaire aux comptes.

Elle précise se trouver toujours dans une situation financière précaire, ses pertes étant de plus de 68.000.000 ' en 2023.

Réponse de la Cour

Il convient de rappeler que seul le préjudice résultant de la brutalité de la rupture, et non celui résultant de la rupture, peut être indemnisé en application de l'article L. 442-1 II du code de commerce. Ce préjudice doit être évalué au jour de la rupture, sans tenir compte des circonstances postérieures.

Les critères pertinents pour apprécier la durée du préavis éludé sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion.

Le préjudice de gain manqué résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-a'-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompte' et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n°21-16.940).

Il résulte du rapport établi par M. [E] [Z], expert-comptable et commissaire aux comptes, les éléments comptables suivants :

- le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé par la société [V] avec la société [K] [W] pendant les années 2017, 2018 et 2019 est de 698.019 ',

- la marge sur coûts variables est en moyenne de 39 % sur cette période,

- l'activité réalisée avec la société [K] [W] représentait en moyenne 87% de l'activité totale de la société [V] au cours des années 2015 à 2019.

Eu égard, à la durée de la relation commerciale établie, à la nature de l'activité de la société [V] qui ne se trouvait pas en état de dépendance économique mais qui réalisait la plus grande partie de son chiffre d'affaires avec la société [K] [W], et du temps nécessaire pour lui permettre de trouver d'autres partenaires, c'est un préavis de 12 mois qui aurait dû lui être accordé.

En conséquence, le préjudice de la société [V] sera calculé comme suit : 698.019 ' x 39% = 272.227,41 '.

Le jugement est infirmé.

Comme le permet l'article 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal sur cette somme courront à compter du jour de l'assignation, soit du 25 février 2021, comme sollicité par la société [V].

3) Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

Moyens et prétentions des parties

La société [V] expose que, du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales, elle a perdu toute crédibilité auprès de ses fournisseurs à qui elle répétait sans cesse que les efforts financiers seraient récompensés dès la finalisation par la société [K] [W] de sa nouvelle stratégie commerciale et de sa nouvelle politique de management. Elle demande la somme de 60.000' en réparation de son préjudice moral.

La société [K] [W] s'oppose à cette demande aux motifs que la société [V] ne démontre aucune faute ni lien de causalité entre une telle faute et le dommage qu'elle prétend subir.

Réponse de la Cour

La société [V] ne produit pas la moindre pièce pour justifier de ses affirmations et de l'existence d'un préjudice moral. Elle sera donc déboutée de ce chef de demande.

4) Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive

Moyens et prétentions des parties

La société [V] reproche à la société [K] [W] de n'avoir jamais expliqué la méthode de calcul de ses offres financières, limitant ainsi tout débat et solution amiable, et lui imposant de saisir le tribunal de commerce, puis la cour d'appel. Elle demande la somme de 5.000 ' pour résistance abusive.

La société [K] [W] s'oppose à cette demande aux motifs que la société [V] ne démontre aucune faute, ni lien de causalité entre une telle faute et le préjudice prétendument subi.

Réponse de la Cour

La société [K] [W], qui avait proposé de verser la somme forfaitaire de 180.000 ' lors de discussions amiables, n'a pas fait preuve de résistance abusive. La demande de dommages-intérêts de la société [V] sera donc rejetée.

5) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société [K] [W] qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à la société [V] la somme de 12.000 ' au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, en ce inclus celle de 5.016 ' correspondant à ses frais d'expertise, et de débouter la société [K] [W] de ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la société [K] [W] au paiement de la somme de 218.102 ' au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Statuant à nouveau sur ce point,

- Condamne la société [K] [W] à payer à la société [V] la somme de 272.227,41', à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 25 février 2021,

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions soumises à la cour, sauf sur l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [K] [W] à payer à la société [V] la somme de 12.000 ' à ce titre ,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société [K] [W] aux dépens d'appel.

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