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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2025, n° 22/19414

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Microflux (SA)

Défendeur :

Balt International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Dallery

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Ardaillou, Me Lesenechal, Me Barbu, SELARL LX Paris-Versailles-Reims, SELAS Ginestié Magellan Paley-Vincent, Simmons & Simmons LLP

T. com. Paris, 13e ch., du 7 nov. 2022, …

7 novembre 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Microflux, de droit espagnol, qui a pour activité la vente de produits et appareils médicaux, a assuré la distribution des produits médicaux fournis par la société Balt International de 1986 à 2017. Le 31 décembre 2017, elle a cessé cette activité sur le territoire espagnol, à la suite de l'acquisition par la société Balt Spain de l'ensemble des activités espagnoles de la société Microflux.

Concomitamment, la société Miroflux a commencé à distribuer les produits fournis par la société Balt International sur le territoire cubain, à destination de la société Medicuba.

Le 19 janvier 2018, les parties ont formalisé leur relation commerciale en concluant un contrat de fourniture et de distribution exclusif concernant la vente des produits sur le territoire cubain, dont l'entrée en vigueur a été fixée rétroactivement au 1er décembre 2017 et le terme prévu au 31 décembre 2020.

En novembre 2018, la société Microflux a informé la société Balt International de son souhait de commercialiser des nouveaux produits " Optima " et " Barricade " fournis par celle-ci sur le territoire cubain.

Par lettre du 7 novembre 2019, la société Balt International a notifié à la société Microflux la résiliation de leur contrat de fourniture et de distribution exclusif du 19 janvier 2018, avec prise d'effet au 31 décembre 2019, faisant état d'un flux d'affaires trop faible sur l'année 2019.

Par lettre du 2 décembre 2019, la société Microflux a contesté la résiliation anticipée de leur contrat à durée déterminée pour le motif avancé, indiquant qu'elle entendait exécuter le contrat jusqu'à son terme.

Par lettre du 30 décembre 2019, la société Balt International a fait savoir qu'elle s'y opposait.

La proposition du 5 mars suivant de recherche d'un accord amiable de la société Microflux, est demeurée sans réponse.

C'est dans ces circonstances que, par acte du 18 décembre 2020, la société Microflux a assigné la société Balt International devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 7 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société de droit espagnol Microflux de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale,

- Débouté la société de droit espagnol Microflux de ses demandes, principale et subsidiaire, au titre de la perte de chance,

- Condamné la société de droit espagnol Microflux à payer à la société Balt International la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- Condamné la société de droit espagnol Microflux aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.

La société Microflux a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 17 novembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 12 avril 2023, la société Microflux demande à la Cour de :

Vu l'article L.442-1, II du Code de commerce,

Vu l'article 1231-2 du Code civil,

Vu les pièces produites et les jurisprudences citées,

Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Microflux à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 7 novembre 2022,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- Déboute la société de droit espagnol Microflux de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale,

- Déboute la société de droit espagnol Microflux de ses demandes, principale et subsidiaire, au titre de la perte de chance,

- Condamne la société de droit espagnol Microflux à payer à la société Balt International la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif, mais uniquement lorsqu'il déboute la société Microflux de ses demandes,

- Condamne la société de droit espagnol Microflux aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.

Statuant à nouveau,

Sur la brutalité de la rupture :

Condamner la société Balt International à payer à la société Microflux la somme de 603 450 euros en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture,

Sur la perte de chance :

A titre principal,

Condamner la société Balt International à verser à la société Microflux la somme de 235 410 euros au titre de sa perte de chance de n'avoir pu se voir attribuer le marché MediCuba pour les produits " Barricade Coil system " en raison des manquements contractuels de la société Balt International,

A titre subsidiaire,

Condamner la société Balt International à verser à la société Microflux la somme de 160 550 euros au titre de sa perte de chance de n'avoir pu se voir attribuer le marché MediCuba pour les produits présentant des configurations identiques à celles listées dans l'appel d'offres de MediCuba,

En tout état de cause :

Débouter la société Balt International de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner la société Balt International à verser à la société Microflux la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Balt International aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 7 juillet 2023, la société Balt International demande à la Cour de :

Vu les articles 1189, 1231-1, 1231-3 et 1353 du code civil,

Vu l'article L.442-1, II du code de commerce,

Vu les articles 514-5, 521, 699 et 700 du code de procédure civile,

Vu les principes de la liberté contractuelle et de la réparation intégrale du préjudice,

Vu les pièces versées aux débats,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Microflux de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Microflux de ses demandes, principale et subsidiaire, au titre de la perte de chance,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Microflux à verser à la société Balt International la somme de 12 000 euros au titre des frais irrépétibles supportés par la société Balt International en première instance, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Microflux de toutes ses demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif du jugement entrepris,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Microflux aux dépens de première instance,

Débouter la société Microflux de ses plus amples demandes,

Condamner la société Microflux à verser à la société Balt International la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles supportés par la société Balt International en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Microflux aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

I- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Exposé des moyens

La société Microflux soutient avoir entretenu, une relation commerciale établie avec la société Balt International pour avoir assuré, de 1986 à 2017, la distribution de ses produits sur le territoire espagnol ainsi qu'à compter de 2014 et jusqu'à la date de la rupture, sur le territoire cubain. Elle évalue à 35 ans l'ancienneté de cette relation commerciale.

Elle fait état d'une relation commerciale entretenue de façon constante entre les parties, en ce qu'elle a concerné les mêmes partenaires et a porté sur une seule et même activité, à savoir la distribution en Espagne puis à Cuba des produits fabriqués par le groupe Balt. Elle souligne que le tribunal de commerce a, à tort, fixé au 1er décembre 2017 le point de départ de la relation commerciale, alors que celle-ci a, dans sa globalité, débuté en 1986 par la distribution des produits de Balt en Espagne. Elle soutient qu'elle a également distribué dès 2014 les produits de la société Balt International sur le territoire cubain, produisant à cet égard différentes pièces dont une facture émise en 2014 concernant la vente desdits produits (pièce 43) et un certificat qualité émis par Balt qui ferait référence au même numéro de commande (pièce n°46).

S'agissant du caractère établi de cette relation, elle fait état d'un flux d'affaires constant avec la société Balt de 2014 à 2018 pour l'activité cubaine, au regard d'un chiffre d'affaires équivalent à 640 109 euros. En outre, elle affirme que l'existence d'une clause excluant toute reconduction tacite dans le contrat de distribution du 19 janvier 2018 ne remet pas en cause le caractère établi de la relation commerciale, dans la mesure où, au regard du flux d'affaires, elle pouvait croire légitimement en la poursuite de ses relations commerciales, ajoutant que le renouvellement exprès du contrat était une possibilité. Elle invoque aussi l'absence de précarité de la relation commerciale tenant à sa participation à des appels d'offres pour distribuer à Cuba les produits fabriqués par la société Balt International, ce qui n'impactait pas la distribution des produits, de même que le contexte économique et politique cubain dans lequel s'inscrivaient leurs relations.

La société appelante prétend que la rupture résulte de la mise en 'uvre irrégulière de l'article 8.1 du contrat de distribution du 19 janvier 2018 lequel permet aux parties de ne pas renouveler leur relation au-delà de la durée contractuelle initialement prévue, sous réserve d'en avoir avisé l'autre partie au moins trente jours avant la fin de l'année précédant la date d'expiration du contrat de distribution, et ne permet ainsi pas à l'une des parties de mettre un terme au contrat au 31 décembre de chaque année. Aussi, elle soutient que la société Balt International a, de façon irrégulière, rompu de façon anticipée le contrat de distribution les liant alors qu'elle était tenue d'exécuter le contrat jusqu'à son terme, soit jusqu'au 31 décembre 2020. En raison de cette rupture anticipée et irrégulière, elle prétend n'avoir pas pu honorer les marchés publics qui lui ont été attribués par la société Medicuba en octobre 2019. A cet égard, elle expose que la société Balt International l'a informée le 27 novembre 2019, ne pas pouvoir honorer les commandes qu'elle lui avait passées en novembre 2019 à compter du 31 décembre 2019. Aussi, elle prétend n'avoir pas pu bénéficier d'un délai de préavis suffisant pour honorer le marché public lui ayant été octroyé.

Elle affirme que la société Balt International ne rapporte pas la preuve de l'existence de manquements suffisamment graves pour justifier la rupture de leur contrat de distribution avec un délai de préavis de 2 mois. En effet, elle fait valoir que la société Balt International ne mentionnait pas dans sa lettre de rupture l'ensemble des griefs invoqués dans le cadre de la présente instance, ne faisant référence qu'à une baisse de volume d'affaire entre les parties au titre de l'année 2019.

La société appelante estime qu'elle devait bénéficier d'un délai de préavis qui tienne compte de l'ancienneté de la relation commerciale, de la spécificité du secteur de la commercialisation de produits médicaux sur le territoire cubain, et de son degré de dépendance économique à l'égard de la société Balt International.

Dans ces circonstances, elle sollicite l'application d'un délai de préavis de 18 mois, compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale, qu'elle fixe à 35 ans, de sa dépendance économique et de la spécificité du secteur de commercialisation de produits médicaux.

Elle demande à la Cour de condamner la société Balt International au paiement de la somme de 603 450 euros correspondant au gain manqué dont elle aurait été privée du fait de la brutalité de la rupture.

La société Balt International rétorque que deux relations commerciales distinctes ont existé, pour avoir été initiées à des périodes différentes et pour porter sur deux territoires distincts. A ce titre, elle expose qu'une première relation commerciale a été nouée avec la société Microflux en Espagne de 1986 et 2017 et s'est soldée par l'acquisition, fin 2017, de ses activités de distribution en Espagne suivant contrat de concession du 28 décembre 2017, moyennant le versement de la somme de 3,5 millions d'euros. Elle explique qu'une seconde relation commerciale a été nouée avec la société Microflux en 2017 à Cuba, qui a pris fin en 2019. Elle fait valoir que le litige porte sur la distribution des produits sur le territoire cubain intervenue de 2017 à 2019, pour laquelle un contrat a été établi le 19 janvier 2018. Elle précise que ce contrat ne comporte aucune référence relative à une relation commerciale antérieure. Concernant le point de départ de la relation commerciale en lien avec la distribution des produits sur le territoire cubain, elle affirme que la société Microflux ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un flux d'affaires à Cuba en 2014 permettant de considérer que leur relation commerciale aurait débuté à cette époque. Elle affirme n'avoir jamais entendu reprendre la relation commerciale entretenue entre la société Microflux et la société Blockade, qu'elle a acquise en septembre 2016, dès lors qu'aucune mention relative à une telle reprise ne figure dans le contrat du 19 janvier 2018. Selon elle, la date du point de départ de la relation commerciale concernant la distribution des produits à Cuba doit être au plus tôt fixée à la date d'effet du contrat, à savoir le 1er décembre 2017.

La société intimée soutient également que la société Microflux ne démontre pas le caractère établi de leur relation commerciale concernant la distribution des produits sur le territoire cubain. A cet égard, elle fait état d'une chute de près de 80 pourcents du volume d'achats effectués par la société Microflux en 2019 par rapport au volume d'achats de l'année précédente. Elle ajoute que la relation liant la société Microflux à la société Medicuba, exclusivement basée sur des appels d'offres, était elle-même précaire. Enfin, elle souligne que sa relation commerciale nouée avec la société Microflux pour la distribution de ses produits sur le territoire cubain n'a fait l'objet que d'un contrat à durée déterminée qui excluait en son article 8.1 toute reconduction tacite de sorte qu'elle ne pouvait légitimement croire en la stabilité de la relation commerciale. Elle invoque également l'instabilité de la relation commerciale du fait du contexte économique et politique cubain peu favorable au commerce international, excluant toute attente légitime des parties en la pérennité de la relation commerciale.

S'agissant de rupture, la société intimée observe que la société Microflux invoque la résiliation abusive, alors qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle en mettant en 'uvre régulièrement l'article 8.1 du contrat de distribution. Elle dénonce une confusion des régimes juridiques par la société Microflux, laquelle fonde sa demande indemnitaire au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies sur la mise en 'uvre irrégulière d'une stipulation contractuelle. Concernant l'interprétation de la clause litigieuse, elle indique que celle-ci offre aux parties la faculté de résilier le contrat plus tôt, à l'issue de chaque année, c'est-à-dire à la fin de l'année 2018 ou 2019, sous réserve d'une notification réalisée avant le 31 novembre 2018 ou le 31 novembre 2019. Elle explique que l'interprétation retenue par la société Microflux est dépourvue de sens dans la mesure où, à défaut de reconduction tacite prévue au contrat, celui-ci s'éteint automatiquement si les parties ne manifestent pas leur accord pour le renouveler .En somme, elle affirme avoir résilié le contrat en respectant les conditions de résiliation du contrat prévues à l'article 8.1 dès lors qu'elle a notifié sa décision de rompre à la société Microflux le 7 novembre 2019, soit avant le 30 novembre 2019 et prétend ainsi n'avoir été aucunement tenue de procéder à des livraisons après le 31 décembre 2019, date de fin du contrat.

La société Balt International soutient avoir rompu le contrat de distribution du 19 janvier 2018 à raison de manquements imputables à la société Microflux. Elle affirme à ce titre qu'il lui était loisible d'octroyer un délai de préavis dont la durée était, en tout état de cause, suffisante.

La société Balt International reproche à la société Microflux d'avoir manqué à son obligation d'obtention des autorisations préalables à la commercialisation des produits médicaux, prévue à l'article 1.1 de l'annexe 1 du contrat de distribution. Elle indique avoir reproché un tel manquement à la société Microflux dans son courrier du 30 décembre 2019 et que, compte tenu de cette mauvaise gestion, elle a constaté une baisse significative des commandes en 2019. Elle affirme qu'un tel manquement revêt une gravité suffisante puisqu'il apparait que la société Microflux n'était pas en mesure de réaliser le minimum d'achats qu'elle pouvait raisonnablement attendre d'un distributeur déployant ses efforts commerciaux pour la distribution de ses produits.

Elle reproche aussi à la société Microflux d'avoir manqué à son obligation de transmission des sommes d'argent versées par ses clients concernant son activité de distribution des produits en Espagne, obligation pourtant mise à sa charge à la suite de la conclusion du contrat de cession de 2017. Aussi, elle affirme avoir été créancière en juin 2019 d'un montant de 23 348,25 euros correspondant à trois factures impayées. Indépendamment de la libération des sommes séquestrées en garantie du transfert de tous les contrats intervenus dans une volonté alléguée d'apaisement, elle souligne le manquement de la société Microflux à son obligation de bonne foi dans l'exécution de ses obligations.

La société intimée estime que le délai de préavis de 2 mois octroyé du 7 novembre 2019 au 31 décembre 2019 est suffisant au regard de l'ancienneté de la relation commerciale, établie à 23 mois à la date du 7 novembre 2019, date de notification de la rupture du contrat de distribution du 19 janvier 2018.

Réponse de la Cour

Au préalable la Cour constate que si la société Microflux évoque la mise en 'uvre irrégulière de l'article 8.1 du contrat de distribution du 19 janvier 2018 et une rupture anticipée et irrégulière de ce contrat, sa demande de dommages-intérêts est néanmoins fondée sur l'article L.442-1, II du code de commerce.

Cependant, les régimes juridiques de la rupture des relations commerciales et de la résolution d'une convention sont distincts, la première relevant en droit interne de la responsabilité délictuelle (en ce sens, Com., 13 janvier 2009, n° 08-13.971) tandis que la seconde ressort de la responsabilité contractuelle de son auteur. Or, en vertu des dispositions combinées des articles 1103, 1231 et suivants et 1240 du code civil, la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels entre les parties qui ne disposent pas d'une option entre ces deux régimes de responsabilité.

Aussi, au regard de la motivation des écritures de la société Microflux ainsi que de la nature du préjudice qu'elle invoque, qui est celui propre à l'article L 442-1 II du code de commerce et qui est sans rapport avec celui visé par les articles 1231-1 et suivants du code civil, seul le premier de ces textes régit son action.

L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeur".

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial.

La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.

En l'espèce, la Cour retient que la relation de distribution concernant le territoire espagnol s'est achevée par la signature du contrat de concession du 28 décembre 2017 aux termes duquel la société Balt Spain Medical a acquis les activités de distribution en Espagne de la société Microflux à effet du 31 décembre 2017 (pièce 9 de l'appelante).

Le présent litige concerne la distribution par la société Microflux de produits Balt sur le territoire cubain.

Si la société appelante soutient que cette relation a commencé dès l'année 2014, l'attestation qu'elle produit de la société Medicuba du 3 avril 2018 (sa pièce 10) établit seulement qu'elle a été le fournisseur de cette dernière depuis plus de 5 ans.

Il est également établi que la société Balt International et la société Microflux ont conclu le 19 janvier 2018 un contrat de fourniture et distribution de produits médicaux sur le territoire cubain, à effet du 1er décembre 2017, Balt fournissant ces produits et Microflux les distribuant (Pièce 11de l'appelante).

Ce contrat a été conclu jusqu'au 31 décembre 2020, " sauf si l'une des parties notifie à l'autre son intention de ne pas renouveler le Contrat au moins trente (30) jours avant la fin d'une période annuelle en cours" (article 8.1 du contrat).

Le second alinéa de cet article dispose :

"Par la suite, ce Contrat pourra être renouvelé par accord écrit entre les Parties au plus tard 2 mois avant l'expiration du Contrat ".

L'appelante produit également un contrat de distribution (pièce 41) conclu le 25 mars 2013 à effet du 2 janvier 2013 entre Balt Extrusion et Microflux qui concerne le territoire espagnol.

Elle verse aussi aux débats le contrat de vente internationale de marchandises du 4 juin 2014 qu'elle a conclu avec Médicuba (sa pièce 42). Si le listing de description de la marchandise joint à ce contrat comporte parmi les 56 références retenues, celles enregistrées sous les numéros IVA6F80 et IVA6F dont il est établi qu'il s'agit de marchandises produites par Balt (certificat de qualité de mai et août 2014 - pièces 45 et 46), ces seuls éléments s'agissant de deux références pour des montants limités ne sont pas de nature à démontrer l'existence d'un flux suffisant de nature à établir l'existence de relations commerciales établies entre les parties remontant à l'année 2014.

Par ailleurs, si ce même listing mentionne en numéros 16, 17 et 19, trois produits " Coil. Barricade 10 " référencés 9000490201FN10, 9000500202FNH10 et 9000560304FN1, et s'il peut être retenu que les produits " Barricade Coil System " sont produits par la société Blockade Medical LLC, il résulte de la pièce 49 que Balt International n'a acquis cette société que le 17 août 2016 sans qu'aucun élément produit ne permette de retenir une reprise par Balt de l'ancienneté des relations ayant existé avec Microflux.

Par conséquent, la société appelante échoue à établir avoir entretenu des relations commerciales établies avec Balt International sur le territoire cubain depuis l'année 2014.

La cour retient l'existence de relations commerciales ayant commencé le 1er décembre 2017 d'une durée de moins de deux ans lorsque la société Balt International a notifié par lettre du 7 novembre 2019 à Microflux la résiliation de leur contrat du 18 janvier 2018 avec prise d'effet le 31 décembre 2019.

Or, s'agissant d'un seul contrat à durée déterminée excluant toute reconduction tacite, l'appelante ne peut se prévaloir de relations commerciales établies, faute de pouvoir prétendre à une stabilité prévisible de flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Il s'ensuit que le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société Microflux de sa demande d'indemnisation fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

II- Sur la demande au titre d'une perte de chance

Exposé des moyens

La société Microflux soutient que la société Balt International a manqué à son obligation d'assistance prévue à l'article 1.2 de l'annexe 1 du contrat de distribution et plus particulièrement concernant la vente des produits de la gamme " Barricade Coil system ", fabriqués par la société Blockade. Elle expose ainsi avoir participé à un appel d'offres le 4 avril 2019 et que, dans ce cadre, elle devait procéder au renouvellement du certificat d'enregistrement desdits produits auprès des autorités cubaines. Or, la société Balt International a fait échec au renouvellement de ce certificat en ne suivant pas ses instructions, laissant ainsi le certificat expirer le 31 mai 2019.

Elle demande à être indemnisée de la marge qu'elle aurait réalisée si elle s'était vu attribuer le marché Medicuba dans le cadre duquel elle a proposé la fourniture de produits de la gamme " Barricade Coil system ". Elle indique que ce manque d'assistance et de coopération lui a causé un manque à gagner évalué à la somme de 235 410 euros environ.

A titre subsidiaire, elle demande à la Cour de condamner la société Balt International au paiement de la somme de 160 550 euros en réparation de la perte de chance de s'être vu attribuer le marché du 4 avril 2019 pour les produits présentant des configurations identiques à celles listées dans l'appel d'offres de la société Medicuba (pièce n°55 de Microflux).

En réponse, la société Balt International affirme qu'elle demeurait libre, en sa qualité de tête de réseau, comme rappelé par l'article 3.4 du contrat de distribution, de choisir de cesser la commercialisation de certains produits ou de ne pas débuter cette commercialisation sur le territoire concerné, sauf à avoir souscrit un engagement spécifique en ce sens auprès du distributeur.

Elle ajoute que l'expiration du certificat d'enregistrement des produits de la gamme Barricade est exclusivement imputable à la société Microflux, laquelle a fait preuve d'une légèreté blâmable dans l'obtention de son renouvellement.

Par ailleurs, elle expose que le contrat de distribution contient à l'article 6.2 une clause exonératoire de responsabilité en vertu de laquelle elle n'engagerait sa responsabilité contractuelle qu'en cas de faute lourde ou dolosive et que le manquement contractuel allégué à une obligation d'assistance ne revêt pas un degré de gravité suffisant pour être assimilé à une faute lourde ou dolosive.

S'agissant du préjudice, elle soutient que la société Microflux confond le principe de non-cumul des ordres de responsabilité et le principe de réparation intégrale du préjudice en sollicitant deux fois l'indemnisation du même préjudice, à savoir, d'une part, la marge qu'elle aurait obtenue au cours des mois pendant lesquels elle aurait honoré les commandes de la société Medicuba dans le cadre de l'appel d'offres de 2019, et d'autres part, la marge qu'elle aurait réalisé avec les mêmes commandes.

Elle ajoute que le préjudice tiré d'une perte de chance invoqué par la société Microflux n'est pas indemnisable car aucun élément ne permettait à la société Microflux de savoir avec certitude que son offre allait être retenue à l'issue de la procédure d'appel d'offres, étant observé que l'offre présentée ne comportait pas l'ensemble des informations requises par Medicuba dans son cahier des charges, que l'examen global de l'offre formulée permet de constater que 22 produits sur 40 des produits proposés par celle-ci ne correspondaient pas aux exigences de la société Medicuba, non tenue de retenir sa candidature comme elle avait pu le faire auparavant.

Elle précise également que les modalités de livraison des marchandises apparaissent, à la lecture du cahier des charges, comme un critère déterminant de sélection alors même que la société Microflux n'y satisfaisait pas.

Enfin, elle fait valoir que l'existence de différends entre les deux sociétés fragilisaient sa candidature. Elle en déduit que la société Microflux ne démontre pas le caractère certain d'une créance indemnitaire liée à une perte de chance de se voir attribuer le marché public en cause.

A titre subsidiaire, elle souligne qu'est invoquée une perte de chance de participer à l'appel d'offres et non de la remporter. Dans cette dernière hypothèse, elle dit que la société Microflux aurait dû établir la probabilité que l'éventualité qui lui était favorable se réalise.

Réponse de la Cour

La société Microflux invoque le manquement de la société Balt International à son obligation d'assistance figurant à l'article 1.2 de l'annexe 1 du contrat de distribution, qui stipule " Balt ou le Fournisseur assiste le distributeur dans l'obtention des approbations gouvernementales susmentionnées en fournissant au distributeur la documentation requise par les autorités gouvernementales, (') Balt ou le fournisseur devra fournir au Distributeur les données, la documentation et les informations nécessaires concernant les Produits afin de permettre au Distributeur d'effectuer les demandes d'agrément règlementaire (') "plus particulièrement concernant la vente des produits de la gamme "Barricade Coil system", fabriqués par la société Blockade.

A cet égard, elle justifie d'un certificat d'enregistrement auprès des autorités cubaines valable jusqu'au 31 mai 2019 (sa pièce 16).

Cependant la Cour observe que le manquement de la société Balt International à son obligation d'assistance" et de collaboration " ne peut être retenu dans la mesure où celle-ci n'a été saisie que le 18 mars 2019 d'une demande d'assistance pour l'obtention d'un nouveau certificat d'inscription de Blockade Medical LLC (pièce 16 de l'appelante). Ce manque d'anticipation lui est imputable.

Par ailleurs, la décision de Balt International de ne pas enregistrer l'Optima pour le moment et de continuer avec le Barricade ( pièce 15 de l'appelante) ne peut être reprochée à celle-ci, s'agissant de son choix conformément à l'article 3.4 du contrat liant les parties, lui permettant de choisir de cesser la commercialisation de certains produits ou de ne pas débuter cette commercialisation sur le territoire concerné, sauf à avoir souscrit un engagement spécifique en ce sens auprès du distributeur.

Par conséquent, faute d'établir les manquements contractuels reprochés à sa cocontractante, Microflux ne peut qu'être déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de chance à titre principal comme à titre subsidiaire.

Le jugement est confirmé de ce chef.

III- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société appelante qui succombe en ses demandes, justement condamnée aux dépens de première instance, est condamnée aux dépens d'appel.

Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et est condamnée à payer la somme supplémentaire en appel de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

Déboute la société Microflux de sa demande de frais irrépétibles ;

Condamne la société Microflux aux dépens d'appel et à payer à la société Balt International la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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