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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 8 avril 2025, n° 24/01493

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SDE 360 Productfotografie BV (Sté), Tourbe Blanche (SARL), SDE Witteveen Import Export BV (Sté)

Défendeur :

Volkswagen Group France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Forquin, HOLFRAN AVOCATS, SCP Milliand Thill Pereira, SELARL Bollonjeon, SELAS Vogel & Vogel

T. com. Chambéry, du 9 oct. 2024

9 octobre 2024

Faits et procédure

Les trois sociétés SDE 360 Productfotografie B.V. (de droit néerlandais) agissant sous le nom commercial Witteveen Cars & Cargo (Witteveen Cars & Cargo), Witteveen Import Export BV (Witteveen Import Export) (de droit néerlandais) et Tourbe Blanche (de droit français) font partie du groupe Witteveen :

- Witteveen Cars & Cargo B.V. a notamment pour objet l'achat et la vente de véhicules neufs ou usagés ;

- Tourbe Blanche a pour objet social le commerce de gros et de détail de véhicules neufs ;

- Witteveen Import Export, importe et exporte des véhicules, au sein de l'Association Européenne de Libre-Echange (AELE) et de l'UE (pièce n°1b).

La société [K] [L] est une société de droit français de négoce, entretien, réparation de tout véhicule, neuf ou d'occasion et de vente de pièces détachées. Elle est membre du réseau de distribution sélective Skoda en application d'un contrat conclu avec la société Volkswagen Group France, importateur en France de la marque Skoda, qui lui impose l'obligation de ne vendre des véhicules neufs de cette marque qu'à des clients finaux, la revente hors réseau étant prohibée.

Au début de l'année 2022, la société SDE 360 Productfotografie B.V. a commandé auprès de la société [K] [L] 24 véhicules électriques neufs de la marque Skoda, qui devaient être livrés entre le 30 octobre 2022 et le 30 mars 2023. Un acompte d'un montant de 72 000 euros a été versé à ce titre.

En avril 2022, une autre commande, portant sur 41 véhicules électriques neufs de la marque Skoda, a été passée auprès de la société [K] [L] par la société Tourbe Blanche, avec des livraisons devant s'étaler entre le 30 avril et le 30 juin 2023.Un acompte d'un montant de 115 000 euros a été versé à ce titre.

Les délais de livraison des véhicules n'ont pu être respectés et par courriels des 17 décembre 2022 et 23 janvier 2023, la société [K] [L] a informé ses contractantes que leurs commandes étaient annulées, en faisant notamment valoir que son fournisseur ne pouvait lui livrer les véhicules convenus. Elle a ensuite procédé, en mars 2023, au remboursement des acomptes versés, avec application du taux d'intérêt légal, mais refusé de verser des dommages et intérêts complémentaires.

Suivant exploit en date du 23 juin 2023, les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V et Tourbe Blanche ont fait assigner la société [K] [L] devant le tribunal de commerce de Chambéry afin d'obtenir la réparation de leurs préjudices.

Par acte du 23 décembre 2023, la société [K] [L] a appelé en garantie la société Volkswagen Group France, reprochant à cette dernière de ne pas lui avoir livré les véhicules faisant l'objet des commandes litigieuses.

La société Witteveen Import Export BV est quant à elle intervenue volontairement à l'instance, aux côtés des deux requérantes, par conclusions du 22 mars 2024.

Par jugement du 9 octobre 2024, le tribunal de commerce de Chambéry :

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lyon ;

- a dit que le greffier devrait notifier le jugement aux parties et à leurs avocats par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception ;

- a dit que sur l'obtention d'un certificat de non-appel auprès du greffe de la cour ou d'un acte d'acquiescement, le greffier devra transmettre le dossier de l'affaire au greffier du Tribunal de Commerce de Lyon, en vue de la reprise des débats, au fond ;

- a rejeté l'ensemble des demandes des sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche ;

- a laissé les dépens à la charge des demandeurs.

Aux motifs que :

' l'exception d'incompétence soulevée par la société Volkswagen Group France, appelée en garantie, est recevable, dès lors que l'article 333 du code de procédure civile ne lui interdit que de décliner la compétence territoriale et non la compétence d'attribution de la juridiction saisie ;

' les commandes passées par les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V et Tourbe Blanche pouvaient être destinées à des ventes illicites, car réalisées en dehors du réseau de distribution exclusif dont fait partie la société [K] [L] ;

' un tel litige relève donc de l'article L 442-2 du Code de Commerce, et ainsi de la compétence du tribunal de commerce de Lyon, en application de l'article L. 442'4 III du Code de Commerce et de son annexe 4.2.1.

Par déclaration au greffe du 30 octobre 2024, les trois sociétés du Groupe Witteveen ont interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de leurs dernières écritures du 31 janvier 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche sollicitent l'infirmation des chefs critiqués de la décision et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

- Juger irrecevable la demande invoquant l'incompétence du Tribunal de céans (au profit du Tribunal de Commerce de Lyon) formulée par SAS [K] [L] Entreprises, celle n'ayant pas été invoquée in limine litis et SAS [K] [L] Entreprises ayant appelé en garantie Volkswagen Group France devant le Tribunal de Commerce de Chambéry,

- Constater que le litige ne relève pas de l'article L 442-2 du Code de Commerce et de ce fait juger que le Tribunal de Commerce de Chambéry est compétent pour juger des demandes originelles et de l'appel en garantie;

- Débouter la SAS [K] [L] Entreprises et Volkswagen Group France SAS de leurs demandes portant sur l'incompétence du Tribunal de Commerce de Chambéry,

Et évoquant le fond pour une bonne administration de la justice,

- Condamner la SAS [K] [L] Entreprises à payer à 360 Productfotografie B.V. (exploitant sous le nom commercial Witteveen Cars & Cargo) les sommes de :

- 7.950,90 euros au titre des intérêts au taux prévu par l'article L441-10 du Code de Commerce (sur la somme versée à titre d'acompte de 72.000,00 euros), et à défaut, si le 'tribunal' devait estimer que ce taux n'a pas vocation à s'appliquer, au taux de placement moyen 2022 de 5 %, soit des intérêts de 3.600 euros, augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 34.703,90 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de marge commerciale escomptée augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 8.000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner SAS [K] [L] Entreprises à payer à Tourbe Blanche SARL les sommes de :

- 10.552,52 euros au titre des intérêts au taux prévu par l'article L441-10 du Code de Commerce (sur la somme versée à titre d'acompte de 115.000,00 euros), ou à défaut si le tribunal devait estimer que ce taux n'a pas vocation à s'appliquer, au taux de placement moyen 2022 de 5% soit 5.740 euros augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 76.450,00 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de marge commerciale escomptée augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 8.000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile,

- Condamner SAS [K] [L] Entreprises à payer à Witteveen Import Export les sommes de :

- 109.155,65 euros (34.703,90 + 74.451,75) euros à titre de dommages et intérêts pour perte de marge commerciale escomptée, augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 129.074,84 euros à titre de dommages et intérêts pour perte d'image, augmenté des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement à intervenir,

- 8.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouter la SAS [K] [L] Entreprises et Volkswagen Group France SAS et rejeter l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à l'encontre de 360 Productfotografie B.V. (exploitant sous le nom commercial Witteveen Cars & Cargo) Tourbe Blanche SARL et Witteveen Import Export BV,

- Condamner la SAS [K] [L] Entreprises aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, elles font notamment valoir que :

' l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée par la société [K] [L] in limine litis et doit être déclarée irrecevable, en application de article 74 du Code de procédure civile ;

' le litige qui les oppose à la société [K] [L] ne relève pas de l'article L.442-2 du code de commerce, l'unique question en débat étant celle de savoir si la société JL SAS a négocié de mauvaise foi des contrats de ventes de véhicules neufs à des sociétés dont elle n'ignorait pas l'activité de revendeur, en passant outre l'interdiction qui lui était imposée par Volkswagen Group ;

' aucune des parties, pas même Volkswagen Group, ne formule de demande en responsabilité sur le fondement de l'article L442-2 du code de commerce ;

' le tribunal n'avait pas à se prononcer sur la question de la revente hors réseau, puisqu'aucune revente n'a eu lieu, de sorte que le réseau sélectif n'a pas été violé ;

' elles ne sollicitent pas d'indemnisation pour l'annulation des ventes, mais pour la négociation de mauvaise foi par [K] [L], qui n'ignorait rien de l'activité de revente des sociétés du groupe Witteveen ;

' leur mauvaise foi n'est pas démontrée, alors qu'elles ignoraient, en ce qui les concerne, que Volkswagen Group avait un réseau de distribution sélectif en France pour la marque Skoda, dont fait partie JL SAS, quelle était la nature des restrictions imposées, et si ce réseau était conforme aux exigences du Règlement Européen d'exemption aux restrictions de concurrence pour le secteur automobile ;

' du fait que Witteveen Cars & Cargo et TB SARL ont dû annuler leur contrat et n'ont pas pu livrer les véhicules à Witteveen Import Export, cette dernière a dû, à son tour, annuler les contrats de vente conclus auprès de ses propres clients, ce qui lui a causé un préjudice dont elle est fondée à obtenir la réparation sur un fondement délictuel ;

' les agissements de [K] [L] vis-à-vis de Witteveen Cars & Cargo et TB SARL, entrainant sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de ces dernières, constituent donc également une faute délictuelle vis-à-vis de Witteveen Import Export ;

' il peut en outre être reproché à la société JeanLain une pratique commerciale déloyale et trompeuse et donc un comportement répréhensible, condamnable au titre des articles 1240 et 1241 du Code civil.

Dans ses dernières conclusions du 31 janvier 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [K] [L] demande quant à elle à la cour, de :

A titre principal, vu l'article L442-2 du Code de commerce :

- Confirmer le jugement attaqué en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon,

- Débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de leurs demandes tendant à voir la Cour évoquer le dossier et statuer sur leurs demandes,

- Renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon,

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que le Tribunal de commerce de Lyon n'est pas compétent et qu'elle décidait d'évoquer le fond du dossier,

- Constater que la société Volkswagen a refusé de lui livrer les véhicules commandés, la mettant dans l'impossibilité de livrer elle-même les véhicules,

- Juger que le refus de la société Volkswagen de lui livrer les véhicules constitue une cause étrangère,

- Juger que le fait du tiers est de nature à exonérer la société [K] [L] de sa responsabilité,

- Juger qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat de vente,

- Dire que les sociétés appelantes ne démontrent pas de faute de sa part,

- Débouter en conséquence les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,

- Juger que les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche ne rapportent pas la preuve de leurs préjudices,

- En conséquence, débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de l'intégralité de leurs demandes,

- Condamner le cas échéant la société Vokswagen Group France à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre,

En tout état de cause,

- Condamner les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les mêmes aux entiers dépens d'instance.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir que :

' la procédure devant le Tribunal de commerce étant une procédure orale, il importe peu que la partie ait conclu au fond avant de soulever une exception de procédure, dès lors que l'ordre des moyens s'apprécie au stade de la plaidoirie ;

' il est reproché aux trois sociétés du groupe Witteveen d'avoir méconnu les dispositions d'ordre public de l'article L.442-2 du code de commerce, de sorte que seul le tribunal de commerce de Lyon est compétent pour connaître du présent litige ;

' tout contrat passé en violation de cet article est nul,et ne peut recevoir aucune exécution ;

' les trois sociétés du groupe Witteveen, qui reconnaissent vendre des véhicules neufs en dehors du réseau de distribution sélective Skoda, engagent leur responsabilité sur le fondement de l'article L.442-2 du code de commerce ;

' c'est la société Volskwagen qui est à l'origine du défaut de livraison des véhicules commandés, ce qui constitue une cause étrangère qui l'exonère de sa responsabilité ;

' dès lors qu'elle a remboursé les acomptes qui lui avaient été versés, les sociétés du groupe Witteveen ne subissent aucun préjudice et elles ne justifient en outre nullement des préjudices dont elles excipent ;

' les dispositions de l'article L.441-10 du code de commerce ne s'appliquent qu'au retard de paiement des factures, et non au remboursement des acomptes.

Dans ses dernières conclusions du écritures du 30 janvier 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Volkswagen Group France demande de son côté à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 9 octobre 2024 (n° 2023F00191) en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'action des sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche et par suite sur l'appel en garantie formé contre la société VGF en ce que le Tribunal de commerce de Chambéry n'a pas la compétence de statuer lorsque les dispositions de l'article L. 442-2 du Code de commerce sur l'interdiction directe ou indirecte de la revente hors réseau de distribution sélective et la complicité de revente hors réseau sont invoquées, seul le tribunal de commerce de Lyon ayant la compétence légale en tant que juridiction spécialisée pour en connaître dans ce cas,

En conséquence,

- Débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de l'ensemble de leurs moyens, fins et demandes,

- Rejeter toute demande formée à l'encontre de la société VGF,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour d'appel devait déclarer le tribunal de commerce de Chambéry compétent pour statuer sur le fond du dossier,

- Débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de leur demande d'évocation,

- Renvoyer les parties au fond devant le tribunal de commerce de Chambéry,

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour d'appel devait déclarer le tribunal de commerce de Chambéry compétent pour statuer sur le fond du dossier, et ne pas renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Chambéry pour statuer sur le fond du dossier,

- Débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de l'ensemble de leurs moyens, fins et demandes aucune demande principale ou en garantie ne pouvant être formée sur la base de contrats nuls contraires à l'ordre public et prohibés en vertu de dispositions impératives du droit français interdisant toute participation directe ou indirecte à une revente hors réseau,

- Rejeter toute demande formée à l'encontre de la société VGF,

En tout état de cause,

- Débouter les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche de l'ensemble de leurs moyens, fins et demandes,

- Rejeter toute demande formée à l'encontre de la société VGF,

- Rejeter la demande d'exécution provisoire,

- Condamner les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche à verser chacune à la concluante la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Audrey Bollonjeon, avocat associé de la Selurl Bollonjeon, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, elle fait notamment valoir que :

' les sociétés appelantes revendent de manière illicite, hors réseaux de distribution sélective, des véhicules neufs ; ce sont ainsi elles qui se rendent coupables d'actes de concurrence déloyale ;

' la compétence exclusive du tribunal spécialisé pour connaître des litiges en lien avec l'article L. 442-2 du Code de commerce s'applique que cet article soit invoqué en demande ou en défense ;

' le tribunal qui doit statuer sur le fond devra en effet nécessairement statuer sur cette question de revente hors réseau aux fins de déterminer si l'annulation des commandes litigieuses était, ou non, justifiée ;

' une évocation du fond par la Cour d'appel ferait perdre aux parties, de façon injustifiée, un degré de juridiction ;

' l'annulation des commandes était légitime, dès lors qu'elles avaient été passées en violation de dispositions d'ordre public ;

' les appelantes ne peuvent solliciter la réparation d'un préjudice illicite, qu'elles ne caractérisent du reste nullement.

Cette affaire a été plaidée à l'audience du 3 février 2025.

Motifs de la décision

I - Sur la recevablité de l'exception d'incompétence

L'article 74 du code de procédure civile impose aux parties, à peine d'irrecevabilité, de soulever simultanément, et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, les exceptions de procédure, parmi lesquelles figurent les exceptions d'incompétence.

Il est constant, en l'espèce, que ce n'est qu'aux termes de ses écritures n°2, après avoir préalablement appelé en la cause la société Volkswagen Group France le 23 décembre 2023, et avoir présenté une défense au fond dans ses premières conclusions, que la société [K] [L] a conclu pour la première fois à l'incompétence du tribunal de commerce de Chambéry pour connaître du litige au profit du tribunal de commerce de Lyon.

Force est de constater, cependant, que dès lors que la procédure devant le tribunal de commerce est une procédure orale, l'ordre des prétentions exposées par les parties ne peut s'apprécier qu'au stade de leur plaidoirie. Les demandes peuvent en effet être formulées au cours de l'audience et il en est notamment ainsi des exceptions de procédure (voir sur ce point notamment: Cour de cassation Civ 2ème, 16 octobre 2003, n°01-13.036 P et Civ 2ème, 1er octobre 2009, n°08-14.135 P). Ainsi, la circonstance que la société [K] [L] ait soulevé son exception d'incompétence après ses premières écritures au fond ne saurait être de nature à la rendre irrecevable, dès lors qu'il n'est pas contesté que cette exception de procédure a été plaidée en premier lors de l'audience.

Il convient d'observer par ailleurs qu'en réalité, c'est la société Volkswagen Group qui, après avoir été appelée en la cause, a conclu la première, dans ses écritures du 22 février 2024, à l'incompétence du tribunal de commerce de Chambéry, cette argumentation ayant été ensuite reprise par la société [K] [L]. Or, il n'est nullement soutenu par les appelantes que la prétention qui a été formée de ce chef par la société Volkswagen Group serait irrecevable, étant observé que l'argumentation qui était exposée par les sociétés du groupe Witteveen en première instance sur le fondement de l'article 333 du code de procédure civile n'a pas été reprise en cause d'appel.

Et en tout état de cause, la compétence d'attribution afférente aux litiges relatifs à l'application des dispositions de l'article L. 442-2 du code de commerce est d'ordre public, de sorte que le tribunal de commerce pouvait soulever d'office son incompétence.

II - Sur l'exception d'incompétence

Aux termes de l'article L 442-2 du code de commerce: « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice que cause, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».

L'article L. 442-4 III du code de commerce prévoit quant à lui que les 'litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret'. Et l'annexe 4-2-1 du même code donne compétence au tribunal de commerce de Lyon pour connaître de tels litiges sur le ressort de la cour d'appel de Chambéry.

Il est constant, en l'espèce, que la société [K] [L] est membre du réseau de distribution sélective Skoda en application d'un contrat conclu avec la société Volkswagen Group France, importateur en France de la marque Skoda, qui lui impose l'obligation de ne vendre des véhicules neufs de cette marque qu'à des clients finaux, la revente hors réseau étant prohibée. L'article 3.10 du contrat de distribution conclu entre ces deux sociétés prévoit en effet que 'le distributeur ne peut vendre les produits contractuels inutilisés qu'à des clients finaux et à d'autres membres du réseau de distribution Skoda qui sont agréés pour vendre des produits contractuels. La vente des produits contractuels inutilisés à des revendeurs qui ne sont pas membres du réseau de distribution Skoda ou qui le sont mais qui ne sont pas autorisés à vendre les produits contractuels, n'est pas autorisée dans le cadre de cette disposition. Les véhicules inutilisés correspondent aux véhicules avec moins de 1000 km au compteur'.

Dans le cadre de la présente instance, les sociétés appelantes n'entendent nullement, comme elles le font observer, engager la responsabilité de la société [K] [L] sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 442-2 du code de commerce. Au soutien des demandes indemnitaires qu'elles forment à son encontre, elles lui reprochent d'avoir négocié de mauvaise foi en 2022 des contrats de vente de véhicule neufs, alors qu'elle savait, depuis une précédente vente de véhicules d'occasion intervenue en 2021, que les sociétés du groupe Witteveen exerçaient une activité de négociant de véhicules, qu'elle n'était pas autorisée à procéder à de telles ventes, au regard du contrat de distribution qui la liait à la société Volkswagen, et qu'elle les aurait ainsi 'menées en bateau' en profitant d'une trésorerie gratuite grâce aux acomptes perçus. Elles estiment que la société [K] [L] a ainsi commis des actes de concurrence déloyale qui engagent sa responsabilité délictuelle à leur égard.

Il est constant, par ailleurs, qu'aucune demande indemnitaire n'est non plus expressément formée par les autres parties au litige sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-2 du code de commerce.

Pour autant, il ne peut qu'être constaté par la présente juridiction que les prétentions qui sont formées par les sociétés appelantes ont nécessairement pour support et pour origine la conclusion de contrats de vente de véhicules neufs qui ont été conclus hors réseau de distribution, en violation des dispositions de l'article L. 442-2 du code de commerce. Tel est bien le coeur du litige qui oppose les parties dans le cadre de la présente procédure, puisque les sociétés du groupe Witteveen reprochent précisément à la société [K] [L] d'avoir conclu des ventes en violation du contrat de distribution qui la liait à la société Volkswagen Group France, puis de les avoir annulées pour ce motif. Dans ce contexte, l'argumentation qui est exposée par les appelantes, tendant à stigmatiser la mauvaise foi de leur contractante, est de toute évidence indissociable de l'appréciation de l'existence de ventes intervenues hors réseau de distribution.

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la compétence des tribunaux spécialisés pour connaître des litiges en lien avec l'article L. 442-2 du code de commerce s'applique que cet article soit invoqué en demande ou en défense (voir sur ce point notamment: Cour de cassation, Com, 3 juillet 2019, n°17-22.739).

Et en l'espèce, les intimées développent dans leurs écritures respectives des argumentations qui sont expressément fondées sur ces dispositions d'ordre public. Elles arguent en effet, en particulier, de la nullité des ventes qui ont été conclues hors réseau de distribution, en se prévalant des dispositions combinées des articles L 442-2 du code de commerce et 1162 du code civil et soutiennent que ces ventes ne pourraient ainsi recevoir exécution. Elles prétendent, en outre, que cette circonstance serait de nature à légitimer leur annulation, intervenue à l'initiative de la société [K] [L], et questionnerait également le caractère réparable des préjudices dont les appelantes sollicitent la réparation.

Il convient d'observer, enfin, que le débat qui oppose les parties dans le cadre de la présente instance porte notamment sur la connaissance qu'avait la société [K] [L] de ce que les véhicules neufs qu'elle a successivement vendus aux sociétés SDE 360 Productfotografie B.V., agissant sous le nom commercial Witteveen Cars & Cargo (« Witteveen Cars & Cargo »), et Tourbe Blanche, étaient destinés à leur revente, ce qui caractériserait une violation de son contrat de distribution, et sur la connaissance qu'avaient les sociétés du groupe Witteveen de l'existence du réseau de distribution exclusif de la marque Skoda dont la société [K] [L] est membre. Il est ainsi bien reproché aux trois sociétés du groupe Witteveen d'avoir méconnu les dispositions d'ordre public de l'article L.442-2 du code de commerce

Or, il est manifeste que l'ensemble de ces questions, qui devront être examinées au fond, se rapportent clairement à l'application des dispositions de l'article L. 442-2 du code de commerce.

Il se déduit ainsi nécessairement de ces constatations que le litige dont la présente juridiction se trouve saisie est bien 'relatif à l'application' de ces dispositions d'ordre public, au sens de l'article L. 442-4 III du code de commerce.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Lyon, seul compétent pour connaître du litige, conformément à l'annexe 4-2-1 du code de commerce.

III - Sur les autres demandes

Le jugement du 9 octobre 2024 sera par contre infirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes des sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche et laissé les dépens à la charge des demandeurs, dès lors qu'il n'a pas encore été statué au fond sur les prétentions formées par les trois sociétés requérantes et que la procédure reste pendante suite au renvoi sur incompétence.

Statuant à nouveau de ces chefs, il convient de réserver l'ensemble des autres demandes formées par les parties, ainsi que les dépens.

En tant que parties perdantes, les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche seront condamnées in solidum aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Audrey Bollonjeon, avocat associé de la Selurl Bollonjeon, ainsi qu'à payer aux sociétés [K] [L] et Volkswagen Group France la somme de 2.000 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais qu'elles ont exposés en cause d'appel.

La demande qui est formée de ce chef par les appelantes sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement rendu le 9 octobre 2024 par le tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il a :

- rejeté l'ensemble des demandes des sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche,

- laissé les dépens à la charge des demandeurs,

Et statuant à nouveau de ces chefs,

Réserve l'ensemble des autres demandes, ainsi que les dépens,

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche aux entiers dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Audrey Bollonjeon, avocat associé de la Selurl Bollonjeon,

Condamne in solidum les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche à payer à la société [K] [L] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel,

Condamne in solidum les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche à payer à la société Volkswagen Group France la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

Rejette la demande formée de ce chef par les sociétés SDE 360 Productfotografie B.V, Witteveen Import Export BV et Tourbe Blanche.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

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