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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 9 avril 2025, n° 24/02017

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Optica (SARL)

Défendeur :

Klepierre (SA), Ochito (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Dumeau, Me Duffour, Me Pedroletti, Me Planche, Me Corre

TJ Nanterre, 8e ch., du 18 janv. 2021, n…

18 janvier 2021

EXPOSE DES FAITS

Par acte authentique du 2 février 2000, M. et Mme [S] ont acquis le lot n°1255 de l'état de division de l'ensemble immobilier dénommé Le Zodiaque sis [Adresse 1] à [Localité 11], constitué d'un local à usage commercial d'une superficie d'environ 77 mètres carrés, situé au sein du centre commercial [Adresse 10].

Le 8 février 2000, les époux [S] ont donné ce local à bail commercial à la société Optica, dont M. [S] est le gérant et l'associé unique, pour une durée de 9 ans à compter du 1er mars 2000, pour exercer une activité d'optique sous l'enseigne OPTIC 2000.

Au cours de l'année 2004, la société Corio a fait une offre d'achat du local commercial sous condition suspensive d'acquérir au moins 51% des lots de copropriété du centre commercial, dans la perspective de procéder à sa rénovation.

Le 11 avril 2008, la société Corio a donné le local à bail commercial à la société Optica sous condition suspensive d'acquisition du bien.

Par acte notarié du 4 juillet 2008, M. [S], devenu seul propriétaire depuis le 25 janvier 2008, a vendu son local à la société Corio.

En 2015, la société Klepierre a acquis les titres de la société Corio.

Le 31 janvier 2017, la société Corio a cédé l'ensemble des lots dont elle était propriétaire au sein du centre commercial [Adresse 10] à la société Ochito.

Le 27 mars 2017, la société Corio a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société Klepierre.

Par cinq courriers recommandés adressés entre le 21 novembre 2016 et le 27 mars 2017 à la société Corio, puis à la société Ochito, la société Optica a fait part de ses inquiétudes concernant la dégradation du centre commercial, et a demandé une diminution du montant du loyer.

Le 9 mai 2017, la société Ochito s'y est opposée.

Par actes des 18 et 22 mai 2017 la société Optica a fait assigner la société Klepierre, venant aux droits de la société Corio, et la société Ochito devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin de faire constater leurs manquements aux obligations issues du bail et obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 18 janvier 2021, le tribunal a :

- débouté la société Optica de ses demandes de résiliation du bail aux torts de la société Ochito et de dommages et intérêts ;

- prononcé la résiliation du bail commercial en date du 11 avril 2008 aux torts de la société Optica ;

- dit qu'elle devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que de tous occupants de son chef les lieux qu'elle occupe soit le lot n°1255 de l'état de division de l'ensemble immobilier « Le Zodiaque » sis [Adresse 1] à [Localité 11] dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;

- dit que faute pour elle de quitter les lieux dans le délai et celui-ci passé la société Ochito pourra faire procéder à son expulsion avec l'assistance de la force publique si besoin est ;

- rappelé que le sort des meubles trouvés dans les lieux est régi par l'article L. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution :

- dit n'y avoir lieu à fixation d'une astreinte :

- condamné la société Optica à payer à la société Ochito la somme de 190.055,70 euros au titre de l'arriéré locatif au 28 août 2020 et celle de 1 euro au titre de la clause pénale ;

- accordé à la société Optica un délai de 24 mois pour s'acquitter de sa dette par fractions mensuelles égales à 1.000 euros pendant 23 mois et le solde de la dette lors de la 24ième mensualité ;

- débouté la société Ochito de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toute autre demande ;

- condamné la société Optica aux dépens.

Le tribunal a considéré que la société Corio n'avait pris aucun engagement contractuel de rénovation du centre commercial, que le défaut d'entretien généralisé des parties communes du centre commercial n'était pas démontré, que seul le syndicat des copropriétaires était débiteur de l'obligation d'entretien invoquée et que les bailleresses successives n'avaient pris aux termes du bail aucun engagement quant au taux de commercialisation du centre. Après avoir constaté le défaut de paiement des loyers, le tribunal a prononcé la résiliation du bail aux torts de la société Optica, ordonné son expulsion et l'a condamnée à l'arriéré de loyers.

Par déclaration du 26 février 2021, la société Optica a interjeté appel de l'ensemble des chefs du jugement hormis ceux par lesquels le tribunal a dit n'y avoir lieu à astreinte, l'a condamnée à payer à la société Ochito la somme de 1 euro au titre de la clause pénale, débouté cette dernière de sa demande d'indemnité au titre de l'article 1760 du code civil et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 14 octobre 2021, le conseiller de la mise en état a condamné la société Optica à payer à la société Ochito la somme provisionnelle de 40.000 euros à valoir sur les loyers impayés.

Le 23 novembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Optica sans poursuite d'activité et nommé la société Alliance en qualité de liquidateur judiciaire.

Par courrier adressé à la société Ochito le 26 janvier 2022, la société Alliance ès qualités a procédé à la résiliation du bail.

Par ordonnance du 27 septembre 2023, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la société Klepierre tirées de l'irrecevabilité des demandes de résiliation du bail et de dommages et intérêts formées par la société Optica, représentée par son liquidateur judiciaire, du fait de la résiliation du bail par ce dernier dans le cadre de la procédure collective.

Par jugement du 19 octobre 2023, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Ochito et désigné la société Fhbx, prise en la personne de Me [M], en qualité d'administrateur judiciaire et la société Axyme, prise en la personne de Me [E], en qualité de mandataire judiciaire.

L'interruption de l'instance a été constatée par ordonnance du 17 novembre 2023 et l'affaire a été réinscrite le 2 avril 2024.

Par jugement du 21 mars 2024, la liquidation judiciaire de la société Ochito a été prononcée et la société Axyme, prise en la personne de Me [E], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte d'huissier du 26 mars 2024, la société Alliance ès qualités a fait assigner en intervention forcée la société Axyme ès qualités.

Par dernières conclusions n°5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 octobre 2024, la société Alliance ès qualités demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Optica à payer la somme d'un euro au titre de la clause pénale et débouté la société Ochito de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la juger recevable et bien fondée en son intervention et en son appel limité à l'encontre du jugement tel qu'initié par la société Optica in bonis, et, statuant à nouveau :

- de juger que les sociétés Klepierre et Ochito, propriétaires successifs de la majorité des locaux du centre commercial [Adresse 10] et bailleresses successives de la société Optica, ont manqué à leurs obligations de bonne foi dans l'exécution du bail, de délivrance de la chose louée, de jouissance paisible, d'entretien et de sécurité et n'ont pas respecté leurs engagements,

- de prononcer la résiliation judiciaire du bail du 11 avril 2008 aux torts exclusifs de la société Ochito,

- de débouter la société Ochito de ses demandes tant de fixation que de condamnation,

- de juger la société Klepierre irrecevable et mal fondée en ses demandes de condamnation et de l'en débouter,

- de fixer la créance de la société Optica au passif de la liquidation judiciaire de la société Ochito pour la somme de 683.585 euros à titre chirographaire et de condamner la société Klepierre à lui payer la somme de 265.000 euros au titre de la perte du chiffre d'affaires pour la période du 11 avril 2008 au 30 janvier 2017 et celle de 630.000 euros au titre de la perte du fonds de commerce ;

- en tout état de cause, de condamner la société Klepierre aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 15.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions n°4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 octobre 2024, la société Klepierre demande à la cour :

- de déclarer la société Alliance ès qualités irrecevable et en tout cas mal fondée en toutes demandes et de l'en débouter ;

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- subsidiairement, de déclarer la société Alliance ès qualités irrecevable et en tous cas mal fondée en sa demande de dommages et intérêts, de débouter la société Alliance ès qualités de toutes ses demandes indemnitaires telles que dirigées à son encontre et en particulier au titre de la perte de chiffre d'affaires et de la perte du fonds, et notamment sous la forme d'une condamnation in solidum avec la société Ochito ;

- subsidiairement, de rapporter le montant du préjudice à celui de la perte cumulée résultant des comptes de résultat de 2009 à 2016, soit la somme de 13.433 euros ;

- plus subsidiairement, de condamner la société Axyme ès qualités à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et de juger que la créance de Klepierre sera fixée au passif de la société Ochito à due proportion ;

- de condamner la société Alliance ès qualités au paiement d'une indemnité de 10.000 euros en remboursement des frais non taxables en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Bien que régulièrement assignée par remise de l'acte à personne présente habilitée, la société Axyme ès qualités n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 novembre 2024.

SUR CE,

La recevabilité de l'intervention volontaire de la société Alliance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Optica n'est pas discutée.

Par ailleurs, si la société Optica a déféré à la cour le chef du jugement par lequel le tribunal l'a déboutée de sa demande d'expertise et de paiement d'une indemnité provisionnelle, la société Alliance ès qualités ne formule aux termes du dispositif de ses écritures aucune demande à ces titres de sorte que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes.

Enfin, la société Alliance ès qualités demande à la cour de déclarer la société Klepierre irrecevable et mal fondée en ses demandes de condamnation. Or la société Klepierre ne formule aucune demande de condamnation à son encontre de sorte que la fin de non-recevoir est sans objet.

Sur la recevabilité des demandes de la société Alliance ès qualités

La société Klepierre soulève l'irrecevabilité, pour défaut d'intérêt à agir de la demande de la société Alliance ès qualités tendant à la résiliation du bail et de ses demandes indemnitaires en découlant au motif qu'elle a procédé à la résiliation du bail par courrier du 26 janvier 2022.

La société Alliance ès qualités répond que ledit courrier précise qu'il n'emporte aucune renonciation et qu'il n'a été adressé au bailleur que pour préserver les droits des créanciers de la société Optica et ceux du bailleur dans l'attente de la décision de la cour. Le liquidateur ajoute qu'en tout état de cause, les demandes indemnitaires demeurent recevables et fondées au regard des manquements contractuels des bailleurs.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Par courrier du 26 janvier 2022, la société Alliance ès qualités a informé la société Ochito qu'elle résiliait le contrat de bail consenti à la société Optica.

Le liquidateur a toutefois précisé que : « Cette résiliation, ne vaut pas en l'état actuel des informations en ma possession, renonciation à la procédure pendante devant la cour d'appel de Versailles visant à faire reconnaître la résiliation du bail du fait du bailleur, mais vous est adressée afin de vous permettre de récupérer les locaux en vue de procéder à leur commercialisation ».

L'article L.641-12 du code de commerce dispose que : « Sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes :

1° Au jour où le bailleur est informé de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail ;

2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d'ouverture de la procédure qui l'a précédée. Il doit, s'il ne l'a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire ;

3° Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l'article L. 622-14.

Le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s'y rattachent. En ce cas, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite.

Le privilège du bailleur est déterminé conformément aux trois premiers alinéas de l'article L. 622-16 ».

En application de ces dispositions, le liquidateur dispose d'une seule option : soit continuer le bail dans la perspective de sa cession, soit le résilier.

En l'espèce, la société Alliance ès qualités a décidé de résilier le bail liant la société Optica à la société Ochito et le contrat a pris fin à réception du courrier par lequel le liquidateur a informé cette dernière de sa décision de ne pas continuer le bail conformément au 1° de l'article L.641-12.

La réserve émise par le liquidateur quant à l'absence de renonciation à la procédure visant à faire reconnaître la résiliation du bail du fait du bailleur est sans effet sur la résiliation du bail consécutive au courrier du liquidateur au regard des dispositions de l'article L.641-12 précité.

La demande de la société Alliance ès qualités tendant à voir prononcer la résiliation du bail doit par conséquent être déclarée irrecevable à défaut d'intérêt à agir du liquidateur.

En revanche, les demandes indemnitaires formulées par la société Alliance ès qualités demeurent recevables, n'étant pas formulées au titre des conséquences de la résiliation du bail mais au titre des manquements reprochés aux bailleurs. La fin de non-recevoir sera par conséquent rejetée à cet égard.

Sur les manquements contractuels des bailleurs

- Sur le manquement à l'obligation de bonne foi

La société Alliance ès qualités explique que la société Optica a adressé de nombreuses lettres à ses bailleresses pour leur faire part de ses difficultés et les alerter sur l'état catastrophique du centre commercial ; qu'elle a sollicité un aménagement de loyer, demande à laquelle les sociétés Corio et Ochito n'ont jamais répondu sauf cette dernière par lettre du 9 mai 2017 pour s'y opposer fermement. La société Alliance ès qualités estime que par ce comportement, les bailleresses n'ont donc pas respecté leur obligation de bonne foi dans le cadre de l'exécution du bail.

En application de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

La société Alliance ès qualités verse aux débats 5 courriers recommandés datés des 21 novembre 2016, 18, 30 janvier, 6 février et 27 mars 2017 par lesquels la société Optica ou son conseil ont sollicité une réduction du montant du loyer en raison de la baisse de fréquentation du centre commercial et de ses conséquences sur le chiffre d'affaires de la société Optica.

Une seule réponse sera adressée à la société Optica le 9 mai 2017 par le mandataire de la société Ochito, refusant d'accéder à la demande.

Toutefois, l'absence de réponse apportée par la société Corio ne suffit pas à caractériser sa mauvaise foi, non plus que le retard avec lequel la société Ochito a donné suite aux courriers de la société Optica.

Le manquement à l'obligation de bonne foi n'est par conséquent pas caractérisé.

- Sur les manquements à l'obligation d'entretien

La société Alliance ès qualités soutient que les bailleurs n'ont pas respecté leur obligation d'entretien des parties communes du centre commercial qui sont l'accessoire nécessaire de la chose louée. Elle se prévaut notamment de deux procès-verbaux de constat d'huissier des 23 juin 2016 et 18 octobre 2017, qui démontrent selon elle l'état de délabrement des parties communes du centre commercial entrainant sa désertification. Elle ajoute que le centre commercial souffre de problèmes de sécurité, alors même que le bailleur a une obligation de résultat de se conformer aux règles de sécurité. La société Alliance ès qualités souligne que le local exploité par la société Optica subit des infiltrations liées au défaut d'étanchéité de la dalle située au-dessus des commerces.

La société Klepierre répond que la société Optica ne fournit aucun élément démontrant le manquement invoqué, alors qu'elle-même justifie non seulement d'un entretien régulier, mais également de travaux destinés à réparer, entretenir et améliorer le centre commercial. Elle rappelle que sa responsabilité de bailleur ne peut être engagée au-delà de la date de la vente, le 31 janvier 2017.

Sur ce,

L'article 1719 du code civil dispose que :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière:

1 ° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;

2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations ».

L'obligation de délivrance pesant sur le bailleur impose à celui-ci de délivrer un local conforme à l'usage auquel il est destiné. De ce principe, il se déduit que le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire est tenu d'entretenir les parties communes du centre, accessoires nécessaires à l'usage de la chose louée, tels que le parking, la galerie d'entrée ou les circulations.

Si le centre est placé sous le statut de la copropriété, l'entretien des parties communes incombe au syndicat des copropriétaires. Néanmoins, il incombe au bailleur de faire valoir ses droits et il engage sa responsabilité s'il n'établit pas avoir accompli à l'égard du syndicat des copropriétaires les diligences nécessaires pour mettre fin au trouble subi par son preneur.

Pour établir le défaut d'entretien, la société Alliance ès qualités communique un procès-verbal de constat d'huissier du 23 juin 2016 dont il ressort que :

- « la porte du centre commercial donnant sur l'extérieur ne ferme plus » ;

- « au niveau de l'accès au centre commercial porte Aurica, je constate que celle-ci ne se ferme pas. Les portes sont bloquées en ouverture » ;

- « la sous-face du centre commercial, au niveau de l'entrée est complètement dégradée par d'importantes traces de rouille et de corrosion » ;

- « la porte Sirius d'accès du centre commercial n'est plus fonctionnelle. Les portes ne se ferment plus»;

- « concernant l'entrée principale, depuis le parking, ('). Le sol est très sale avec de nombreuses fientes de pigeons et les grilles du faux plafond sont manquantes ».

La société Alliance ès qualités produit un second procès-verbal de constat du 18 octobre 2017, dont il résulte que :

- « le sol taché et sale, encrassé, maculé de petits papiers, détritus, mégots de cigarette et traces de passage » ;

- « cendrier poubelle débordant » ;

- « murs, peinture encrassée, maculée de traces de fientes de pigeons et d'urine » ;

- « plafond, dalles de faux plafond affaissées, manquantes, encrassées » ;

- « éclairage non fonctionnel » ;

- « dalles de faux plafond manquantes, laissant apparaitre des fils électriques volants » ;

- « je constate la présence d'un nid de pigeons avec des traces de coulures de fientes de pigeons » ;

- « stores maculés de fientes de pigeons » ;

- « sous-face : peinture lézardée, fissurée, écaillée, auréolée avec traces d'infiltrations et d'humidité ».

Le liquidateur communique également un courrier que le conseil de l'association des exploitants du centre commercial [Adresse 10] a adressé à la société Corio le 2 janvier 2013 dans lequel il évoque :

- « le maintien du prononcé de l'avis défavorable de la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public » à la poursuite de l'exploitation du centre commercial,

- les vols subis par plusieurs preneurs au sein du centre commercial « en l'absence de vidéosurveillance et de système d'alarme en cas d'effraction sur les portes du centre commercial »,

- « une dégradation matérielle du centre commercial », « notamment en dernier lieu, l'absence de mise à disposition d'un monte-charge en bon état de fonctionnement, défectuosité du système d'éclairage qui a eu pour conséquence des pannes sectorielles, absence d'ampoules dans les allées, absence de double plafond, absence de maitrise de la température au sein du centre (courant d'air/obligation des preneurs de mettre en place des systèmes de climatisation), issue de secours incendie non accessible, portes défectueuses et servant de passage ».

Il n'est justifié d'aucune contestation, ni réponse apportée à ce courrier alertant la société Corio sur les problèmes de sécurité et d'entretien du centre commercial.

Diverses photographies produites par la société Alliance ès qualités montrent que le sol du parking et certaines circulations du centre sont inondés et que le plafond du local commercial qui était exploité par la société Optica est affecté d'infiltrations, ces photographies n'étant pas discutées.

Enfin, la société Alliance ès qualités verse aux débats de nombreux avis de clients publiés sur Google dont il ressort que ces derniers déplorent le manque d'entretien du centre commercial en ces termes :

- « quelle honte ce centre commercial » ;

- « doit être rénové depuis des années » ;

- « lieu vétuste et lugubre, aucun intérêt » ;

- « trop triste comme endroit. Qu'est-ce qu'on attend pour rénover. Cela fait 10 ans qu'il est complètement abandonné et pourtant il est bien situé » ;

- « centre commercial en décrépitude » ;

- « un lieu vraiment dégueulasse pour recevoir du public, la galerie est fantôme (magasin fermé et dégueu à l'intérieur), des fuites partout dans le parking lugubre, à fuir !!!!) ;

- « tout pourri, à l'abandon » ;

- « crasseux et miteux » ;

- « Sombre, sale, vieillot... Je déteste entrer dans ce centre commercial ».

L'ensemble de ces éléments caractérise le défaut d'entretien du centre commercial.

Si la société Klepierre se prévaut de deux procès-verbaux d'assemblée générale des copropriétaires de l'ensemble immobilier Le Zodiaque des 5 mars 2012 et 18 mars 2013 évoquant la réalisation de divers travaux relatifs au système anti-intrusion, au système incendie ou encore à la réfection de l'étanchéité de la dalle de parking, elle n'établit pas que ces travaux ont effectivement été réalisés. Elle ne justifie pas davantage que la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public a levé son avis défavorable à la poursuite de l'exploitation du centre commercial.

Il n'est pas démontré que la société Ochito, après le rachat de l'ensemble des lots de la société Corio le 31 janvier 2017, a remédié à ce défaut d'entretien.

Dès lors que les sociétés Corio, aux droits de laquelle vient la société Klepierre, et Ochito, en leur qualité de copropriétaires majoritaires et bailleresses successives, n'établissent pas avoir procédé aux diligences nécessaires pour que le syndicat des copropriétaires mette fin au défaut d'entretien des parties communes qui sont des accessoires nécessaires à l'usage de la chose louée, aux infiltrations constatées dans le plafond du local et le parking commun et au défaut de sécurité qui affecte le centre commercial depuis plusieurs années, leur responsabilité est engagée à l'égard de la société Alliance ès qualités sur le fondement de l'article 1719 du code civil.

- Sur l'obligation de commercialité des lieux

La société Alliance ès qualités soutient que le bailleur est tenu d'une obligation de moyens visant à maintenir un environnement commercial favorable, à laquelle les sociétés Klepierre et Ochito ont manqué au regard de la fermeture de nombreuses boutiques, qui dissuade les clients de se rendre dans le centre commercial ; que les bailleurs n'ont pas recherché de nouveaux locataires, ni organisé d'évènement permettant de promouvoir le centre commercial ; qu'ainsi, le désintérêt successif des deux bailleresses a conduit le centre commercial à se dégrader au fil des années.

La société Klepierre répond que la société Corio ne s'est pas engagée contractuellement à la réalisation de travaux de rénovation ; que le bailleur au sein d'un centre commercial n'a pas l'obligation de maintenir un environnement commercial favorable à l'activité du preneur et qu'il ne peut donc lui être reproché de laisser la galerie se désertifier. Elle explique que la société Corio avait bien pour projet de redynamiser le centre commercial, mais qu'elle a été confrontée à de nombreuses difficultés extérieures, notamment avec la ville de [Localité 11] ; que ses tentatives pour acquérir tous les lots de la galerie et rénover le centre commercial démontrent qu'elle a rempli l'obligation de moyens que le propriétaire d'un centre commercial doit mettre au service de la commercialité du site. Elle souligne en tout état de cause que les fermetures invoquées par la société Alliance ès qualités sont intervenues après la revente par la société Corio de ses lots à la société Ochito, de sorte qu'elle ne peut en être tenue responsable.

Sur ce,

N'étant tenu, en application de l'article 1719 du code civil, que d'assurer la délivrance, l'entretien et la jouissance de la chose louée, le bailleur n'a pas d'obligation légale de maintenir un environnement commercial favorable, qui lui imposerait de maintenir les commerces ouverts ou encore de réaliser des opérations promotionnelles.

Ni le bail commercial de la société Optica, ni aucune autre pièce versée aux débats ne comporte d'obligation contractuelle particulière de la bailleresse sur ce point.

Certes, les procès-verbaux de constat d'huissier précités évoquent l'existence de différentes cellules inoccupées et le conseil de l'association des exploitants du centre commercial [Adresse 10] dans son courrier du 2 janvier 2013, tout comme les avis clients sur Google, relatent un phénomène de désertification du centre commercial. Toutefois, la société Alliance ès qualités ne communique pas d'élément chiffré et précis relatif au nombre de cellules commerciales présentes dans le centre et au nombre de fermetures de locaux commerciaux par année.

Dans ces conditions, aucun manquement ne sera retenu à l'encontre des bailleresses.

- Sur le manquement aux engagements pris par les bailleresses

La société Alliance ès qualité expose que la société Corio s'était engagée à redynamiser le centre commercial par d'importants travaux de réhabilitation et à pérenniser l'exploitation de la société Optica ; que le prix d'acquisition du local a été minoré pour tenir compte du coût des travaux de rénovation et de remise aux normes ; que les bailleresses ne justifient pas de leur volonté d'entreprendre les travaux, ni des obstacles rencontrés ; que l'absence de réalisation des travaux de rénovation caractérise le manquement des bailleurs successifs à leur engagement.

La société Klepierre répond qu'elle n'a pris aucun engagement contractuel concernant la réalisation des travaux à l'égard de la société Optica et que si elle a eu la volonté de rénover le centre commercial, elle a été confrontée à des difficultés qui ne lui ont pas permis de mener son projet à bien.

Sur ce,

Au soutien du manquement, la société Alliance ès qualités invoque un courrier que la société Corio a adressé à M. [S], alors propriétaire du local commercial, le 7 décembre 2004 dans lequel elle indique qu'« au demeurant, de très importants et coûteux travaux devront être, en tout état de cause, réalisés et financés par les copropriétaires du centre, quels qu'ils soient, pour maintenir en l'état et sa mise en conformité ».

Elle se prévaut également d'un second courrier du 25 janvier 2005 dans lequel la société Corio écrit à M. [S] que « les travaux de « remise aux normes », qui ont pour but de « maintenir le centre commercial dans un état de fonctionnement correct et de nous protéger, à partir de maintenant jusqu'à la mise en oeuvre du projet lourd de restructuration, sont intégrés au calcul du prix d'acquisition des murs proposé par Corio ».

Dès lors qu'il ressort de cette seconde lettre que le prix d'acquisition du local a été déterminé en tenant compte du coût des travaux de remise aux norme supportés par la société Corio, leur réalisation revêt un caractère contractuel.

Les deux courriers ont été adressés à M. [S] et non à la société Optica comme le relève la société Klepierre. Toutefois, M. [S] est le gérant et l'associé unique de la société Optica, ce que les sociétés Corio et Ochito n'ignoraient pas. En outre, les lettres lui ont été adressées dans le cadre d'échanges préalables à l'opération globale de vente du local et conclusion d'un bail commercial. Ce bail a d'ailleurs été consenti par la société Corio à la société Optica sous la condition suspensive de régularisation de la vente du local par M. [S] à la société Corio. Dans ces conditions, l'engagement pris par la société Corio, aux droits de laquelle vient la société Klepierre, concernant la réalisation de travaux de remise aux normes du centre commercial, qui a été transféré à la société Ochito, revêt un caractère contractuel vis-à-vis de la société Optica.

Or, les bailleresses n'établissent pas avoir effectué ces travaux.

Si la société Corio a visiblement été confrontée à des difficultés concernant l'acquisition de l'ensemble des cellules du centre et ses relations avec la mairie de [Localité 11], il n'en demeure pas moins qu'en fixant le prix d'acquisition du local en fonction du coût des travaux de remise aux normes du centre commercial, la société Corio a pris l'engagement de les réaliser.

Le manquement des sociétés Klepierre et Ochito à l'engagement de réaliser les travaux de remise aux normes du centre est établi.

Sur les demandes indemnitaires de la société Optica

Devant le tribunal, la société Optica sollicitait la condamnation de la société Klepierre à lui payer la somme de 160.000 euros de dommages et intérêts pour la période de 2009 à 2016 et celle de la société Ochito à lui verser « une somme annuelle de 34.000 euros à titre de dommages et intérêts, par une réduction de charges locatives (actuellement de 46.000 euros environ par an) à 12.000 euros HT par an, et ce, à compter du 1er janvier 2017 jusqu'à la résiliation du bail » outre une somme de 600.000 euros à titre d'indemnité de résiliation judiciaire du bail.

Devant la cour, la société Alliance ès qualités conclut à la condamnation de la société Klepierre à lui payer la somme de 265.000 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires pour la période du 11 avril 2008 au 30 janvier 2017, outre celle de 630 000 euros au titre de la perte du fonds de commerce. Elle sollicite par ailleurs la fixation au profit de la société Optica au passif de la liquidation judiciaire de la société Ochito d'une créance d'un montant de 683.585 euros à titre chirographaire.

- Sur la demande indemnitaire au titre de la perte de chiffre d'affaires formulée à l'encontre de la société Klepierre

La société Alliance ès qualités soutient que la société Optica a subi un important préjudice en raison de la déshérence du centre et des manquements contractuels des bailleurs successifs ; que son chiffre d'affaires n'a cessé de baisser alors même que celui des magasins Optic 2000 de la région Ile de France était en augmentation durant la même période et que le nombre de vente de lunettes et de lentilles était en plein essor avec une population vieillissante. Elle précise que la société Klepierre reconnaît dans ses conclusions une perte de chiffre d'affaires de 13.433 euros. La société Alliance demande la somme de 265.000 euros de dommages et intérêts correspondant à 30.000 euros par an depuis 2008.

La société Klepierre conteste le chiffrage établi par l'appelante en expliquant que l'indemnité sollicitée au titre de la perte de chiffre d'affaires ne saurait faire l'objet d'une condamnation solidaire entre elle et la société Ochito, dès lors qu'elle ne peut indemniser l'appelante que pour la période de 2008 à 2016, la société Ochito étant seule tenue pour la période postérieure à 2017. La société Klepierre considère que durant la période 2008 à 2017, la société Optica n'a subi aucun préjudice ; que l'année de référence pour un potentiel préjudice est l'année 2008 au cours de laquelle le chiffre d'affaires était de 456.734 euros et qu'en 2016, il se maintenait à la somme de 416.326 euros ; qu'ainsi durant la période d'exploitation au cours de laquelle elle était la bailleresse, la société Optica se portait bien. La société Klepierre ajoute que le lien de causalité entre la perte de chiffre d'affaires et le défaut d'entretien n'est pas démontré.

Sur ce,

La société Alliance ès qualités sollicite la condamnation de la seule société Klepierre à indemniser la perte de chiffre d'affaires subie par la société Optica de 2008 à 2016, la société Klepierre ayant cédé ses droits à la société Ochito le 31 janvier 2017.

Pour apprécier la baisse du chiffre d'affaires, la société Alliance ès qualités produit les comptes de résultat de la société Optica pour les années 2007 à 2016. Il en ressort que le chiffre d'affaires a évolué comme suit :

Année

Chiffre d'affaires

2007

529.923 euros

2008

456.734 euros

2009

463.451 euros

2010

409.570 euros

2011

467.347 euros

2012

447.971 euros

2013

411.004 euros

2014

397.843 euros

2015

432.536 euros

2016

416.326 euros

Si le chiffre d'affaires de la société Optica a fortement baissé entre 2007 et 2008, la société Alliance ès qualités ne justifie pas de l'état du centre commercial en 2007, puis en 2008. Dès lors que le premier procès-verbal de constat produit par la société Alliance ès qualités n'a été établi qu'en 2016, il ne permet pas de démontrer que le centre commercial n'était pas déjà dans l'état décrit précédemment à 2008 et qu'il se serait dégradé entre 2007 et 2008 du fait des manquements contractuels imputables à la société Klepierre, au point d'expliquer la baisse de chiffre d'affaires entre 2007 et 2008.

L'évolution du chiffre d'affaires sera par conséquent appréciée entre 2008, date de conclusion du bail, et 2016, la société Klepierre ayant cédé ses cellules à la société Ochito début 2017.

Les données issues des comptes de résultat établissent que le chiffre d'affaires de la société Optica a certes connu une baisse significative en 2010, mais qu'il est remonté à son niveau antérieur de 2009, puis qu'il a connu une diminution régulière entre 2011 et 2014, avant une remontée en 2015 à un niveau sensiblement équivalent à celui de 2012 et enfin une baisse en 2016.

Au regard du caractère irrégulier de l'évolution du chiffre d'affaires, le lien de causalité entre ces variations et les manquements imputables à la société Klepierre ne peut être établi, ce d'autant que le centre commercial [Adresse 10] est confronté à un environnement fortement concurrentiel eu égard à la présence à proximité du centre commercial Les Quatre temps.

La société Alliance ès qualités communique également les données statistiques de ventes mensuelles établies par le groupe OPTIC 2000 pour les années 2017, 2019 et 2020, soutenant avoir subi une baisse régulière de son chiffre d'affaires pendant que celui des autres franchisés, tant sur le plan national qu'au niveau régional, a évolué favorablement. Cependant, dès lors que ces statistiques ne sont pas fournies pour la période considérée de 2008 à 2016, aucune conclusion ne peut en être tirée quant au lien de causalité invoqué.

Enfin, la société Alliance ès qualités soutient à tort que la société Klepierre a reconnu l'existence du préjudice résultant de la perte du chiffre d'affaires à concurrence de 13.433 euros, la société Klepierre ayant conclu à titre principal au débouté de la société Alliance ès qualités de sa demande, la valorisation limitée du dommage à la somme de 13.433 euros n'étant proposée qu'à titre subsidiaire.

Le lien de causalité entre les manquements dont la société Klepierre est responsable et la baisse du chiffre d'affaires, au demeurant mesurée, subie par la société Optica de 2008 à 2016 n'étant pas démontré, la demande indemnitaire de la société Alliance ès qualités ne peut aboutir.

- Sur la demande indemnitaire au titre de la perte du fonds de commerce formulée à l'encontre des sociétés Klepierre et Ochito

La société Alliance ès qualités soutient que la résiliation aux torts du bailleur a pour conséquence d'entraîner une perte du fonds de commerce de la société Optica, de sorte que les bailleurs successifs doivent être condamnés à indemniser ce préjudice ; qu'il est d'usage d'évaluer les fonds d'optique de 60 à 155 % du chiffre d'affaires annuel moyen HT et qu'il convient en l'espèce de retenir 100 % du chiffre d'affaires hors taxe ; qu'en tenant compte, par analogie avec la méthode d'évaluation de l'indemnité d'éviction en cas de perte du fonds de commerce, du chiffre d'affaires moyen réalisé entre 2005 et 2007, soit 520.000 euros, et des indemnités accessoires, d'un montant total de 110.000 euros, la perte du fonds de commerce doit être évaluée à la somme de 630.000 euros.

La société Klepierre répond qu'en l'absence de faute commune commise par les bailleresses, aucune condamnation in solidum ne peut être prononcée ; qu'à la date de la cession par la société Corio de ses lots à la société Ochito, la société Optica continuait de réaliser un chiffre d'affaires stable d'environ 400.000 euros ; qu'ainsi, aucune faute commune ne peut être retenue à son égard. A titre subsidiaire, la société Klepierre considère que la valorisation de la perte de fonds de commerce n'est pas justifiée, dès lors qu'il ne faut pas prendre en compte le chiffre d'affaires de 2007 comme référence pour le calcul d'une indemnité d'éviction procédant d'un fonds dissout en 2023 et que la société Alliance ès qualités ne produit aucun justificatif de ses demandes accessoires.

Sur ce,

La résiliation du bail, tout comme la liquidation judiciaire, n'a pas pour conséquence nécessaire la perte du fonds de commerce.

En outre, s'il résulte du compte de résultat de la société Optica pour les années 2017 à 2019, que son chiffre d'affaires a baissé régulièrement au cours de ces trois années (2017 : 351.610 euros, 2018 : 343.613 euros et 2019 : 291.119 euros), la société Alliance ès qualités ne produit pas d'élément au-delà de l'année 2019, alors que la liquidation judiciaire de la société Optica a été prononcée par jugement du 23 novembre 2021.

Ainsi, aucune information concernant l'activité de la société Optica n'est fournie pour la période 2020/2021 au cours de laquelle les entreprises ont été confrontées à un contexte économique particulièrement difficile en raison de la pandémie de Covid-19.

Dans ces conditions, la société Alliance ès qualités échoue à rapporter la preuve d'un lien de causalité entre la perte du fonds de commerce de la société Optica et les manquements contractuels imputables aux sociétés Klepierre et Ochito. Par confirmation du jugement, sa demande indemnitaire à ce titre ne peut aboutir.

Si la société Alliance ès qualités sollicite la fixation d'une créance au profit de la société Optica au passif de la liquidation judiciaire de la société Ochito d'un montant de 683.585 euros à titre chirographaire, elle ne s'explique pas sur la demande de 53.585 euros correspondant à la différence entre le montant de la créance revendiquée et l'évaluation du préjudice au titre de la perte du fonds de commerce. La demande ne peut par conséquent prospérer.

Sur les demandes de la société Ochito

La société Alliance ès qualités soutient que les demandes de la société Ochito sont mal fondées ; que l'indemnité forfaitaire de 10 % de majoration de toute somme due en vertu du bail, ainsi que l'application d'un taux d'intérêt égal au taux mensuel du marché monétaire majoré de 5 points constituent une clause pénale au sens de l'article L. 1231-5 du code civil, dont les conséquences seraient manifestement excessives ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a réduit la clause pénale à 1 euro et débouté la société Ochito de sa demande au titre de l'article 1760 du code civil, dès lors que la bailleresse ne justifie d'aucun préjudice du fait de l'immobilisation du local.

La société Alliance ès qualités s'oppose à la demande formée au titre de l'arriéré de loyer en invoquant le manquement des bailleresses à leur obligation de délivrance.

La société Axyme en qualité de liquidateur judiciaire de la société Ochito n'a pas constitué avocat.

En application de l'article 954 dernier alinéa du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.

Sur ce,

La société Alliance ès qualités ayant procédé à la résiliation du bail par courrier adressé à la société Ochito le 26 janvier 2022, le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail aux torts de la société Optica, ordonné son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique et rappelé le sort des meubles trouvés dans les lieux et confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à astreinte.

Le bail ayant été résilié par courrier de la société Alliances ès qualités du 26 janvier 2022, la demande de la société Ochito tendant au prononcé de la résiliation du bail aux torts de la société Optica est devenue sans objet.

Les premiers juges ont constaté que la société Ochito produisait un décompte de l'arriéré locatif arrêté au 28 août 2020 dont il ressortait que la société Optica était redevable de la somme de 190.055,70 euros au titre des loyers impayés.

La société Alliance ès qualités ne remet pas en cause le montant de cette dette.

Les manquements imputables à la société Ochito ne sont pas d'une gravité telle qu'ils justifient que la société Optica soit dispensée du paiement du loyer.

Dans ces conditions et compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Optica, la créance de la société Ochito au titre des loyers impayés, d'un montant de 190.055,70 euros, sera inscrite au passif de la société Optica à titre privilégié en application des dispositions de l'article L. 622-22 du code de commerce.

Le tribunal a accordé à la société Optica un délai de 24 mois pour s'acquitter de sa dette. Cependant, compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Optica, ce chef du jugement doit être infirmé.

Par ailleurs, les premiers juges ont à juste titre estimé que la majoration de 10 % des sommes dues au titre du bail, en application de l'article 17.2 du bail, s'analyse en une clause pénale. En considération de ses conséquences manifestement excessives, la clause pénale a été réduite à la somme de 1 euro, qui sera inscrite au passif de la société Optica à titre privilégié.

Enfin, l'article 1760 du code civil énonce que : « En cas de résiliation par la faute du locataire, celui-ci est tenu de payer le prix du bail pendant le temps nécessaire à la relocation, sans préjudice des dommages et intérêts qui ont pu résulter de l'abus ».

Comme l'a pertinemment retenu le tribunal, la société Ochito ne justifie d'aucun préjudice lié à l'immobilisation du bien le temps nécessaire à sa relocation. En outre et en tout état de cause, le bail n'a pas été résilié par la faute du locataire, mais en raison de sa liquidation judiciaire. Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Ochito, désormais représentée par son liquidateur judiciaire, de sa demande indemnitaire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Au regard de la situation respective des parties, le jugement sera infirmé du chef des dépens et confirmé du chef des frais irrépétibles.

Chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt réputé contradictoire,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Alliance en qualité de liquidateur judiciaire de la société Optica ;

Déclare irrecevable la demande de la société Alliance ès qualités tendant à voir prononcer la résiliation du bail aux torts de la société Ochito ;

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Klepierre tirée de l'irrecevabilité des demandes indemnitaires formulées par la société Alliance ès qualités ;

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la société Optica, désormais représentée par son liquidateur judiciaire la société Alliance, de ses demandes de dommages et intérêts, d'expertise, d'indemnité provisionnelle et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à astreinte et à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la société Alliance ès qualités de ses demandes de dommages et intérêts formées à l'encontre de la société Klepierre au titre de la perte du chiffre d'affaires et de la perte du fonds de commerce ;

Déboute la société Alliance ès qualités de sa demande de fixation au profit de cette dernière au passif de la liquidation judiciaire de la société Ochito d'une créance d'un montant de 683.585 euros à titre chirographaire ;

Déclare que la demande de la société Ochito, représentée par son liquidateur judiciaire la société Axyme, tendant au prononcé de la résiliation du bail aux torts de la société Optica est devenue sans objet ;

Fixe les créances à titre privilégié de la société Ochito, représentée par son liquidateur judiciaire la société Axyme, au passif de la liquidation judiciaire de la société Optica à la somme de 190.055,70 euros au titre des loyers impayés et celle de 1 euro au titre de la clause pénale ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d'appel ;

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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