CA Lyon, 3e ch. A, 10 avril 2025, n° 24/04867
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. T
Défendeur :
MANDATAIRES JUDICIAIRES (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dumurgier
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Delpoux, SCP Jacques Aguiraud et Philippe Nouvellet
EXPOSÉ DU LITIGE
La société [12] avait pour activité l'exploitation, la gestion et la création sous forme de supermarché, de tous fonds de commerce d'épicerie, vins, liqueur, spiritueux, tous produits alimentaires et autres objets.
Aux termes des statuts constitutifs, M. [L] [G] détenait 90 % des actions et M. [T] [S] 10 %.
Par jugement du 24 novembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [12] et désigné la SELARL [9] en qualité d'administrateur judiciaire et la SELARL [14] en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 15 décembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire. La SELARL [14] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 20 juillet 2023, la SELARL [14] a assigné MM. [G] et [S] devant le tribunal de commerce de Lyon, aux fins de sanction.
Par jugement contradictoire du 6 juin 2024, le tribunal de commerce de Lyon a :
prononcé à l'encontre de M. [T] [S], né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 10] (Côte d'Ivoire), l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de six ans,
rejeté la demande de M. [S] de limiter cette mesure à la gestion de sociétés ayant le même objet social que la société [12],
ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription du Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Par déclaration reçue au greffe le 14 juin 2024, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 23 septembre 2024, M. [S] demande à la cour, au visa des articles L. 653-5 et suivants du code de commerce et de l'article R. 661-1 du code de commerce, de :
juger qu'il n'était pas investi, en sa qualité de directeur général de la SAS [12], du pouvoir de tenir la comptabilité de cette dernière,
En conséquence,
infirmer le jugement rendu par la chambre des sanctions du tribunal de commerce de Lyon le 6 juin 2024, en ce qu'il a :
- prononcé à l'encontre de M. [R]-chancolon, né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 10] (Côte d'Ivoire), l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 6 ans,
- rejeté la demande de M. [R]-chancolon de limiter cette mesure à la gestion de sociétés ayant le même objet social que la société [12],
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- rappelé qu'en application des articles L 128-1 et suivants du R 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil National des greffiers des tribunaux de commerce.
Statuant à nouveau :
juger qu'il n'était pas investi, en sa qualité de directeur général de la SAS [12], du pouvoir de tenir la comptabilité de cette dernière,
En conséquence,
A titre subsidiaire,
infirmer le jugement rendu par la chambre des sanctions du Tribunal de commerce de Lyon le 6 juin 2024 en ce qu'il a :
prononcé à l'encontre de M. [S], né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 10] (Côte d'Ivoire), l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 6 ans,
Statuant à nouveau :
juger, le cas échéant, que la sanction d'interdiction de gérer sera limitée à :
une période strictement nécessaire à la protection de l'ordre public économique,
la gestion de sociétés ayant le même objet social que la société [12].
En toute hypothèse :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
condamner la Selarl [14], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], à payer à M. [T] [S] la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner la Selarl [14], ès-qualités, aux entiers dépens.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 14 novembre 2024, la SELARL [14], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L. 653-1 et suivants, L. 227-6 et suivants et L. 225-51 du code de commerce, de :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
prononcé à l'encontre de M. [T] [S], né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 10] (Côte d'Ivoire), l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 6 ans,
rejeté la demande de M. [S] de limiter cette mesure à la gestion de sociétés ayant le même objet social que la société [12],
ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription du Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Y ajoutant,
Condamner M. [T] [S] à payer à la Selarl [15] représentée par Me [I] [F] ou Me [Z] [O] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers de première instance et d'appel,
A défaut,
dire la Selarl [15] représentée par Me [I] [F] ou Me [Z] [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12] recevable et fondée en ses demandes et conclusions, y faisant droit,
juger que M. [S] en tant que directeur général et dirigeant de droit de la société [12] était tenu de tenir la comptabilité de cette dernière,
débouter M. [S] de l'intégralité de ses demandes, et notamment de sa demande de voir réduire le quantum de la sanction prononcée et de la limiter à la gestion de sociétés ayant le même objet social que la société [12],
prononcer à l'encontre de M. [T] [S], né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 10] (Côte d'Ivoire), l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de 6 ans,
débouter M. [S] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
condamner M. [T] [S] à payer à la Selarl [15] représentée par Me [I] [F] ou Me [Z] [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers de première instance et d'appel.
***
Le ministère public, par avis du 14 novembre 2024 communiqué contradictoirement aux parties le 15 novembre 2024, a requis la confirmation du jugement aux motifs qu'une délégation de pouvoir ne saurait exonérer un dirigeant social de l'obligation de tenir une comptabilité, surtout lorsque une telle défaillance aboutit à une liquidation comportant un million d'euros de passif.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 janvier 2025, les débats étant fixés au 6 février 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité de dirigeant de M. [S]
M. [S] fait valoir que :
- les statuts de la société prévoient expressément la faculté du président de consentir à tout mandataire de son choix des délégations de pouvoirs ; ils prévoient également que le directeur général disposera des mêmes pouvoirs que le président sauf décision contraire ; il ressort des statuts de la société [12] que les obligations de tenue de la comptabilité pèsent sur le président de la société,
- à compter de la constitution de la société, il était titulaire d'une délégation limitée de pouvoir,
- il résulte de la délégation de pouvoirs du président du 22 mars 2019 une liste précise et limitative de pouvoirs délégués, qui correspond bien à une 'décision contraire' limitant les pouvoirs du directeur général au sens des statuts de la société,
- le pouvoir de tenir la comptabilité de la société ne figure pas parmi les pouvoirs qui lui ont été accordés ; à défaut de délégation expresse, il n'est donc pas délégataire des obligations légales relatives à la comptabilité,
- la délégation de pouvoir du 22 mars 2019 a été dûment publiée et respecte les statuts de la société ; elle est donc valable et opposable,
- le tribunal n'a pas répondu à ses arguments sur la limitation des pouvoirs dont il était investi en application de la délégation de pouvoir ; la motivation est insuffisante.
La SELARL [14] ès qualités fait valoir que :
- l'argument selon lequel M. [S] ne pourrait se voir opposer un manquement au titre de la tenue de la comptabilité en raison de pouvoirs limités par l'effet d'une délégation de pouvoir reçue du président est contraire aux statuts de la société [12] et aux dispositions légales,
- M. [S] était dirigeant de droit de la société [12] ; il était désigné en qualité de directeur général ; selon les statuts de la société et conformément à l'article L.227-6 du code de commerce, le directeur général dispose des mêmes pouvoirs que le président,
- on peut douter de la validité de la décision du président de limiter les pouvoirs du directeur général dès lors que seuls les statuts pouvaient opérer une telle limitation,
- en toute hypothèse, la délégation de pouvoir ne peut limiter les obligations légales des dirigeants de droit tels que l'appelant concernant la tenue de la comptabilité,
- M. [S] tente d'opérer une confusion entre la décision du 22 novembre 2017 le désignant directeur général, et la délégation de pouvoir du 22 mars 2019 faisant doublon avec des pouvoirs dont il était déjà titulaire,
- M. [S] était soumis à l'obligation légale de tenue d'une comptabilité en tant que dirigeant de droit, dont il ne pouvait se décharger,
- M. [S] se contredit en affirmant que ses pouvoirs n'étaient issus que de la délégation de pouvoir, alors qu'il a été directeur général pendant une période plus longue que la délégation de pouvoir.
Sur ce,
Selon l'article L. 653-1, I, alinéa 1er, du code de commerce, 'Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables :
1° (...)
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;
3° (...).'
S'agissant de la société par actions simplifiée, l'article L. 227-5 du code de commerce prévoit que 'les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée' et l'article L. 227-6 énonce que 'La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social.
Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.
Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article.
Les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers.'
Il résulte de ces deux derniers textes que doivent être distingués, d'une part le pouvoir de direction ou de gestion de la société, lequel relève de la liberté des statuts (article L. 227-5), et d'autre part le pouvoir de représentation de la société par le directeur général, s'agissant d'un titre reconnu légalement (article L. 227-6). Le directeur général, dont l'existence doit être prévue par les statuts de la SAS, est investi des mêmes pouvoirs de représentation et d'engagement de la société que le président. Ainsi, dans l'ordre externe à la société, la limitation de pouvoirs du directeur général n'est pas opposable aux tiers.
En revanche, la limitation des pouvoirs du directeur général, qui peut restreindre son pouvoir de direction ou de gestion de la SAS, est opposable dans l'ordre interne à la société. Il en résulte que le directeur général peut se prévaloir d'une limitation de ses pouvoirs pour contester les fautes de gestion invoquées par le liquidateur judiciaire.
En l'espèce, la société [12] est une société par actions simplifiée immatriculée le 28 novembre 2017 et dont les statuts prévoient, à l'article 18, que 'la société est administrée et dirigée par un Président, personne physique ou morale.'
L'article 19 précise, au point 2, que 'le Président peut consentir à tout mandataire de son choix toutes délégations de pouvoirs qu'il juge nécessaires, dans la limite de ceux qui lui sont conférés par la loi et les présents statuts.'
Et l'article 20 ajoute que 'le Président peut également désigner un Directeur Général ou un Directeur Général délégué qui disposera, à l'égard de la société, des mêmes pouvoirs que le Président, sauf décision contraire.'
Par décision du 22 novembre 2017, publiée au RCS le 28 novembre 2017, le président de la société [12], M. [G], a nommé M. [S] directeur général, avec 'les pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société [12], dans les limites de l'objet social défini dans les statuts de ladite société.'
Cette nomination prévoit des limitations en ce qu'il est fait obligation au directeur général d'obtenir préalablement l'autorisation du président pour toutes les décisions au-dessus de la somme de 30.000 euros pour contracter au nom de la société [12] en vue de tous travaux et entreprise, et au-dessus de 10.000 euros pour toute opération d'acquisition ou cession de titres de participation, recourir à l'emprunt, agir en justice ou transiger. De plus, il est précisé que le directeur général n'a aucun pouvoir de signature sur les comptes bancaires de la société [12].
Enfin, cette nomination de M. [S] en qualité de directeur général n'est pas limitée dans le temps. Elle figure sur l'extrait Kbis de la société.
M. [S] produit une seconde délégation de pouvoirs qui lui a été consentie par M. [G], président de la société [12], le 22 mars 2019. Cette délégation de pouvoirs a été déposée au greffe du tribunal de commerce et enregistrée au RCS le 13 mai 2019. Elle lui a été consentie pour une durée de dix-huit mois, 'soit jusqu'au 22 septembre 2020 sauf révocation anticipée ou renouvellement exprès'.
Aux termes de cet acte, le président a délégué à M. [S] des pouvoirs en matière commerciale et bancaire, en matière d'hygiène, en matière de gestion du personnel, en matière administrative, judiciaire ou procédurale, et enfin en matière de négociation auprès des fournisseurs.
Ainsi, la délégation en matière commerciale et bancaire porte sur la conclusion des baux et le fonctionnement des comptes bancaires, l'obtention de prêts ou autres crédits nécessaires pour assurer la trésorerie de la société. La délégation en matière d'hygiène porte sur le respect des conditions d'hygiène et de sécurité du travail, ainsi que la bonne exécution et la surveillance du travail des salariés. La délégation en matière de gestion du personnel porte sur le recrutement ainsi que le suivi de la gestion du personnel de l'établissement, sur le plan administratif et disciplinaire, en ce compris les licenciements. La délégation en matière administrative, judiciaire et procédurale porte, notamment sur la capacité à effectuer toutes les démarches administratives auprès des organismes publics et privés, la représentation de la société en justice, l'introduction de toute instance, la signature de tout compromis, la désignation d'arbitres, l'exécution de décisions de justice. Enfin, la délégation en matière de négociation auprès des fournisseurs porte sur le pouvoir de négocier, de signer tout contrat et d'en poursuivre l'exécution.
Or, il peut être observé que la première délégation de pouvoirs n'a pas été révoquée et il n'est pas indiqué dans la seconde que celle-ci se substituerait à la première. Mais surtout, il s'avère, à la lecture de sa seconde délégation de pouvoirs, que celle-ci ne fait que préciser les domaines relevant du pouvoir de gestion du directeur général M. [S], et met expressément à la charge de ce dernier la responsabilité, notamment pénale, qui s'y attache.
La délégation de pouvoirs du 22 mars 2019 ne limite pas les pouvoirs de M. [S] et, en particulier, n'exclut pas de ses fonctions la gestion comptable de la société.
En conséquence, M. [S], en sa qualité de directeur général investi des pouvoirs du président, peut être sanctionné en application des articles L. 653-1 et suivants du code de commerce.
Sur les fautes de gestion et la sanction
M. [S] fait valoir que :
- il n'est pas précisé en quoi le défaut de comptabilité au liquidateur judiciaire serait en tant que tel la cause du montant du passif déclaré au mandataire judiciaire.
- sa sanction doit prendre en compte la limitation de ses pouvoirs ; le président de la société a été condamné à une interdiction de gérer de 6 ans pour les faits reprochés au concluant ; or, sa responsabilité est nécessairement moindre,
- il n'avait jamais exercé de mandats sociaux de dirigeant de société avant sa nomination en qualité de directeur général,
- la répartition des pouvoirs était de nature à générer une confusion quant au débiteur de l'obligation de tenue de la comptabilité,
- sa peine d'interdiction de gérer doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour protéger l'ordre public économique.
La Selarl [14] ès qualités fait valoir que :
- les seuls comptes annuels établis concernent l'exercice clos au 30 août 2019 ; postérieurement à cette date, aucun document comptable n'a été établi ; pendant plus de deux ans, aucun document comptable n'a été produit ; l'appelant n'apporte aucune explication ;
- il n'est pas nécessaire de caractériser un lien entre le manquement de l'appelant et l'insuffisance d'actif constatée, dès lors que c'est une sanction professionnelle et non pécuniaire qui est sollicitée,
- la liquidation judiciaire avait en première instance souligné l'importance de l'insuffisance d'actif et indiqué que la comptabilité aurait pu permettre aux dirigeants d'avoir conscience du passif et de l'exploitation certainement déficitaire,
- l'appelant sollicite en réalité de la cour qu'elle réduise à néant la mesure d'interdiction de gérer à son encontre,
- la faute commise n'est pas propre au secteur d'activité de la société [12], s'agissant d'une obligation à laquelle sont soumis tous les commerçants,
- la mesure d'interdiction de gérer ne perturbe pas l'activité de l'appelant, dès lors qu'il a démissionné de ses fonctions de dirigeant de la société [11], son épouse étant en ses lieux et place.
Sur ce,
L'article L. 123-12 du code de commerce fait obligation à toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant d'établir une comptabilité annuelle comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe.
Selon l'article L. 653-5, 6°, du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables'.
Et l'article L. 653-8 du même code prévoit que, 'dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.'
En l'espèce, M. [S] ne conteste pas ne pas avoir établi de comptabilité postérieurement au 30 août 2019, date de clôture des derniers comptes annuels établis, ni ne pas avoir remis de documents comptables au liquidateur judiciaire pour la période du 31 août 2019 au 24 novembre 2021.
Or, comme il l'a été précédemment examiné, M. [S] était tenu des mêmes obligations que le président de la société [12].
Cette carence dans la tenue de la comptabilité constitue une faute justifiant la sanction d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal, pour une durée de six ans, laquelle est proportionnée à la situation de M. [S]. En effet, l'obligation de tenue d'une comptabilité est essentielle et la nature de la sanction prononcée est en adéquation avec la faute retenue ; s'agissant du quantum, il est proportionné à la faute dès lors que le défaut de tenue d'une comptabilité a duré plus de deux ans et que le montant du passif de la société liquidée s'élève à la somme de 1.097.850,37 euros. Pour ces mêmes motifs, il n'y a pas lieu de limiter l'interdiction de gérer à des sociétés ayant le même objet social que la société [12].
Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La procédure de sanction du dirigeant est distincte de la procédure collective ouverte à l'égard de la société, de sorte que les dépens de la procédure de sanction du dirigeant ne constituent pas une créance sur la société en liquidation. En conséquence, ces dépens ne sauraient être tirés en frais privilégiés de la procédure collective. Le jugement sera donc infirmé de ce chef. En revanche, le tribunal a pu décider, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir la demande formée par le liquidateur judiciaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que ce chef sera confirmé.
M. [S] succombant à l'instance, il sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il sera condamné à payer au liquidateur judiciaire la somme de 1.500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [S] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne M. [S] à payer à la SELARL [14] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [12], la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.