CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 9 avril 2025, n° 21/08518
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. C
Défendeur :
Servia service (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meunier
Conseillers :
Mme Norval-Grivet, Mme Marques
Avocats :
Me Belcolore, Me Grelin
Faits, procédure et prétentions des parties
La société S.A.R.L Servia service est une entreprise spécialisée dans le secteur d'activité du nettoyage courant des bâtiments. La société Servia service emploie plus de 11 salariés.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en date du 1er janvier 1988, M. [C] [Z] a été engagé par la société CETEM.
Le contrat de travail a été transféré à la société Servia Service et par contrat de
travail à durée indéterminé en date du 3 mars 1995, M. [Z] a été engagé en qualité de contremaître, coefficient 250, avec reprise d'ancienneté au 1er janvier 1988.
Par avenant en date du 1er janvier 1999, M. [Z] a été promu au poste de responsable de secteur, échelon MP1, coefficient 300.
Suivant avenant du 2 janvier 2005, il a été convenu que le salarié exercerait une mission supplémentaire, à savoir celle de responsable du suivi du parc automobile de la société, moyennant le paiement d'une prime annuelle de 400 euros.
Suivant avenant en date du 2 janvier 2009, la société Servia service a accordé à M. [Z] le bénéfice d'une prime de 13ème mois.
Le 21 septembre 2011, la société a consenti une délégation de pouvoir et de signature à M. [Z].
Dans le dernier état des relations contractuelles, sa rémunération brute mensuelle moyenne était de 4 577,21 euros.
La convention collective applicable est celle des entreprises de propreté et de services associés du 26 juillet 2011.
Par courrier du 1er août 2019, M. [Z] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 août suivant, avec mise à pied à titre conservatoire à compter du 2 août 2019.
M. [Z] a été placé en arrêt de travail à partir du 19 août 2019 jusqu'au 30 août 2019 et reconduit jusqu'au 15 septembre et enfin au 15 octobre 2019.
L'entretien préalable a été reporté au 5 septembre 2019 à la demande du salarié. M. [Z] a sollicité un nouveau report de l'entretien, ce qui a été refusé par la société Servia service. M. [Z] ne s'est pas présenté à l'entretien.
Par courrier en date du 3 octobre 2019, M. [Z] a été licencié pour faute grave.
M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny, le 9 octobre 2019 aux fins de voir annuler la sanction disciplinaire en date du 1er août 2019, juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et comdamner la société Servia service à lui payer diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement en date du 7 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny, a :
- Débouté M. [C] [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la société Servia service de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné M. [C] [Z] aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe en date du 14 octobre 2021, M. [Z] a régulièrement interjeté appel de la décision.
L'affaire a été enregistrée sous le N° RG : 21/8518.
Le conseil de M. [Z] a également interjeté appel par la voie postale. L'affaire a été enregistrée sous le N° RG : 21/8775.
Par ordonnance en date du 28 mars 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures et dit qu'elles se poursuivront sous le n° RG 21/8518.
Aux termes de ses dernières conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 13 janvier 2025, M. [Z] demande de :
- Se voir, la cour, infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2021,
- Se voir, la cour, dire et juger que le licenciement de M. [C] [Z] par la société Servia Service est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse et à fortiori grave.
- Se voir, en conséquence, la cour condamner la société Servia Service à payer à M. [C] [Z] de la somme de :
4 577.21 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
25 379.22 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle, ni sérieuse,
25 379.22 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
4 577.21 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
457 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudices moraux et matériels.
- Ordonner la suppression dans les conclusions prises par Servia Service de l'allégation d'organisation de fraude proférée contre M. [Z];
- Se voir, la cour donner acte à M. [Z] de son intention de faire citer devant le tribunal correctionnel de Bobigny, le Président de Servia Service du chef de dénonciation calomnieuse par application des dispositions de l'article 226.10 du code pénal;
- Se voir la cour condamner la société Servia Service au payer à M. [C] [Z] de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses uniques conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 2 février 2022, la société Servia service demande à la cour de :
- Déclarer M. [C] [Z] mal fondé en son appel principal,
- Déclarer la société Servia service recevable et bien fondée en son appel incident,
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu le 7 octobre 2021 par le Conseil de prud'hommes de Bobigny en ce qu'il a :
- Débouté M. [C] [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné M. [C] [Z] aux entiers dépens.
- L'infirmer pour le surplus et notamment en ce qu'il a :
- Débouté la société Servia service de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Débouté la société Servia service de sa demande au titre de la procédure abusive ;
Statuant à nouveau :
- Condamner M. [C] [Z] à payer à la société Servia service la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- Condamner M. [C] [Z] à payer à la société Servia service la somme de 7 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [C] [Z] aux entiers dépens.
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et, en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux dernières conclusions échangées en appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « donner acte » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur le licenciement pour faute grave
L'article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Aux termes de l'article L.1232-1 du même code, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.
En l'espèce, aux termes de la lettre de rupture en date du 3 octobre 2019, il est reproché au salarié les faits suivants :
1-des fautes dans la gestion courante des chantiers : sur le site Givenchy, sur le site Schiaparelli et 1ère cascade, et l'absence de préparation de la gestion des chantiers pendant la période estivale;
2-l'orchestration d'un système de fraude dans l'embauche des agents de services et dans la gestion des plannings.
Le salarié fait valoir que la société a été créée par le père de l'actuelle dirigeante laquelle recherche de manière obsessionnelle la rentabilité et s'est engagée dans une logique de licenciement des anciens cadres, trop coûteux. Il nie avoir embauché, pour le compte de la société Servia Service, du personnel en situation irrégulière. Il précise que s'il a bien pressenti 3 personnes pour intervenir sur ses chantiers dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée, il ne lui incombait pas de vérifier la conformité de leur identité et la qualité des titres de séjour qu'elles présentaient, le secrétariat de la société devant établir les contrats de travail et vérifier l'identité des intéressés. M. [Z] soutient que la société ne prouve d'ailleurs pas que les identités présentées pas les intéressés ne correspondaient pas à la réalité. Il conteste les autres griefs.
Aux termes de sa fiche de poste, les tâches de M. [Z], sont les suivantes :
- Contrôle des sites (contrôle + contrôle qualité)
- Organisation des chantiers
- Approvisionnement et gestion des sites en matériels et produits
- Ouverture des sites
- Commande des produits et fournitures
- Management du personnel d'exploitation
- Gestion des heures sur sites
- Planification des opérations
- relation clientèle,
- embauche et gestion du personnel d'exploitation
S'agissant du premier grief, la société verse aux débats un mail en date du 22 juillet 2019 de Mme [I], responsable des services généraux chez LVMH Flagrance Brands ( site Givenchy) selon lequel les tables de jardins ne sont pratiquement jamais nettoyées, le nettoyage des escaliers n'est pas fait et seuls '3 petits coups d'aspirateurs' sont passés au milieu des pièces pour les bureaux du 5 ème étage. Il est également reproché la présence d'énormes cartons au rez de chaussé.
Pour le client Schaparelli, la société verse aux débats un mail en date du 4 juillet 2019, du directeur administratif et financier qui démontre que ce client n'est pas satisfait du travail des salariés intervenants sur le site, l'employeur décidant d'ailleurs de muter l'équipe dès la reprise et de procéder au changement de l'échelon d'encadrement, soit M. [C] [Z].
Ces élements sont établis.
S'agissant de la préparation de la gestion des chantiers pendant la période estivale, la société soutient que le salarié, en congé du 15 juillet au 10 août 2019, n'a pas pris soin de gérer l'organisation des sites avant son départ en congé. Elle souligne qu'ayant constaté cet élément, elle a décalé les vacances du salarié d'une semaine mais qu'il n'a pas plus organisé la période estivale.
Pour preuve de ce grief, la société verse aux débats des mails en date du 22 juillet et du 24 juillet 2019 adressés au salarié qui font état de nombreux dysfonctionnements dans l'organisation des sites et plusieurs mails de clients soulignant divers problèmes ( il n'a pas été livré à une salariée en contrat à durée déterminé affectée sur le site Cloe de chaussures de sécurité, remplacements non prévus sur le site Berluti, matériel non vérifié et non livré sur le site France Agrimer, deux embauches non effectuées pour le site Givenchy, plannings incohérents sur les sites UGC notamment). La société établit la désorganisation qui s'en est suivie.
Le grief est établi.
S'agissant du dernier grief, la société souligne que M. [Z] disposait de larges responsabilités pour gérer les sites qui lui étaient confiés et qu'en sa qualité de responsable de secteur, il devait embaucher et gérer le personnel d'exploitation. Elle souligne qu'il disposait également d'une délégation de pouvoirs.
La cour constate que la fiche de poste, signée par M. [Z] prévoit qu'il lui revient l'embauche et la gestion du personnel d'exploitation. Par ailleurs, le salarié bénéficiait depuis le 21 septembre 2011, d'une délégation de pouvoirs émanant de la gérante de la société aux fins de :
'-Représenter la Société, en son nom et pour son compte, auprès des clients et salariés dont il a la charge;
- Sélectionner les salariés à embaucher, et en déclencher l'embauche selon le besoin Chantier et conformément aux consignes de gestion du site et aux règles légales en vigueur;
- Gestion du personnel : contrôle des heures exécutées, contrôle d'identité, respect de la réglementation sur la durée du travail, autorisation des congés payés aux salariés, remise des bulletins de salaire aux salariés et/ou de tout document nécessaire au bon fonctionnement des ressources humaines;
- S'assurer du retour des documents remis aux salariés pour signature;
- Et de façon générale, concernant la gestion managériale des chantiers, assurer le respect de la législation et de la réglementation relative aux conditions de travail et de sécurité.'
Par ailleurs, la société verse aux débats un document nommé 'constitution du vivier d'embauche jusqu'à l'embauche régulière et effective' lequel mentionne qu'il doit être procédé au contrôle de l'identité de la personne et à une vérification préfectorale pour toute première embauche aux fins de s'assurer de la validité du titre de séjour.
Il est également produit le document fixant la procédure d'embauche.
Il appartenait ainsi bien à M. [Z] de procéder à l'embauche des salariés amenés à travailler sur les sites sous sa responsabilité et de vérifier, notamment, l'identité du candidat et la régularité de son titre de séjour.
Or la société verse aux débats les contrats conclus par M. [Z] (et signé par lui), accompagnées des fiches des renseignements établis par ses soins, concernant des salariés pour lesquels les identités déclarées ne correspondaient pas à l'identité réelles des personnes ( M. [Y], M. [T],M. [H], Mme [T], Mme [V], Mme [G] [O]) ou embauchées successivement sous plusieurs identités ( M. [N] [M], Mme [K]). Certaines personnes étaient sans titre de séjour leur permettant de travailler, certains dossiers présentants un titre de séjour appartenant à un tiers (Mme [U]). La société verse aux débats les lettres de licenciement de ces salariés.
La société verse également aux débats la photographie de plusieurs salarié(e)s en comparaison avec la photographie du titre d'identité produit, démontrant parfaitement qu'il n'y avait pas adéquation entre les deux.
La société justifie également en produisant des échanges de mails avec les clients et des palnnings que ceux établis par M. [Z] ne correspondaient pas à la réalité des chantiers effectués ni aux besoins.
Le gief est en conséquence établi.
L'ensemble de ces faits caractérisent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de M. [C] [Z] dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur.
Dès lors le jugement est confirmé de ce chef, en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes pécuniaires afférentes et de sa demande de voir ordonner la suppression dans les conclusions de la société l'allégation d'organisation de fraude faite à son encontre.
3-Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement
Le salarié expose qu'il a été convoqué à un entretien préalable pour le 5 septembre 2019 alors qu'il était en arrêt maladie à cette date, ce dont son employeur était parfaitement informé. Il souligne qu'il n'a pas été reconvoqué et a été licencié le 3 octobre 2019. Il en déduit que la procédure de licenciement était irrégulière
L'employeur n'avait nullement l'obligation de reporter la date de l'entretien préalable au motif que le salarié était en arrêt de travail.
Il n'y a aucune irrégularité dans la procédure de licenciement.
Le salarié est débouté de sa demande de ce chef.
Le jugement est confirmé.
4-Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moraux et matériels
M. [Z] expose qu'il a dédié toute sa carrière professionnelle à la société Servia Service et qu'il a fortement participé à son développement. Il souligne qu'il avait des responsabilités importantes, étant l'un des quatre chefs des chantiers d'Ile de France et s'occupaient des plus prestigieux.
M. [Z] souligne qu'il a fait une dépression après son licenciement et est toujours en arrêt maladie. Il explique que son licenciement est un véritable 'assassinat psychologique'.
La cour a toutefois retenu que le licenciement pour faute grave était fondé.
Par ailleurs, le salarié ne verse aux débats qu'un seul certificat de son médecin traitant en date du 12 juin 2020, selon lequel il présentait à cette date, un état dépressif réactionnel depuis août 2019 nécessitant une surveillance et un traitement régulier. Il ne présente aucun document médical au delà de cette date.
Il ne justifie pas de sa situation professionnelle postérieure eu licenciement.
Le salarié doit en conséquence être débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement est confirmé de ce chef.
5-Sur la demande de la société de dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Servia service sollicite une somme de 10000 euros de ce chef.
En application des articles 1240 et 32-1 du code de procédure civile, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus de droit que lorsqu'il procède d'une faute et notamment s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol ; l'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.
La société doit établir l'existence d'un préjudice.
Il n'est pas établi que le salarié a abusé de son droit d'agir en justice.
En tout état de cause, la société n'établit pas qu'elle a, dans le cadre de l'action de M. [Z], subi un préjudice ouvrant droit à réparation.
La société est déboutée de ce chef. Le jugement est confirmé.
6-Sur les demandes accessoires
Le jugement est confirmé sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante,M. [C] [Z] est condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel au profit de la société ainsi qu'il sera dit au dispostif. .
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement déféré,
Y AJOUTANT,
DEBOUTE M. [C] [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
CONDAMNE M. [C] [Z] à payer à la SAS Servia Service la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
CONDAMNE M. [C] [Z] aux dépens d'appel.