CA Riom, ch. com., 9 avril 2025, n° 24/00574
RIOM
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidente :
Mme Dubled-Vacheron
Conseillers :
Mme Noir, Mme Berger
Avocats :
Me Roesch, SELARL Sudre
ARRET :
Prononcé publiquement le 09 Avril 2025, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Valérie SOUILLAT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [D] [C] est le président de la SAS [5], créée le 1er octobre 2016.
Cette société a fait face à des difficultés financières.
Le 14 octobre 2021 le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a prononcé une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SAS [5] et la SELARL Sudre a été désignée ès-qualités de liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 31 juillet 2021.
Par requête en date du 19 octobre 2023, Mme le procureur de la République a requis que soit prononcée une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée qui ne saurait être inférieur à 10 ans, à l'encontre de M. [C].
Par jugement du 14 mars 2024, le tribunal de Clermont-Ferrand a :
- Prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée de 8 ans, à l'encontre de M. [C] ex-président de la SAS [5],
- Ordonné les mentions, communications et publications prescrites par la loi
Il a considéré :
- que la date de cessation de paiement a été fixée au 31 juillet 2021 ; que la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation est intervenue le 7 octobre 2021, soit plus de 45 jours après la date de cessation de paiement prévue légalement à l'article L 653-8 du code de commerce ;
- qu'en application de l'article L 622-6 du code de commerce, M. [C] se devait de transmettre la liste de ses créanciers, ce qu'il n'a pas fait;
- qu'au jour de l'ouverture de la procédure de liquidation, la SAS [5] a déclaré un passif de 258 363.97 euros, bien inférieur au passif actualisé qui s'élève à 596.458 euros,
- qu'il ne peut être fait droit à la demande de relevé d'interdiction de gérer dans la mesure où M. [P] n'a pas contribué personnellement et de manière suffisante à la diminution de l'insuffisance d'actif.
Par déclaration du 03 avril 2024, M. [C] a interjeté appel du jugement de l'ensemble des chefs sub-cités.
Le 20 août 2024, un avis de caducité de la déclaration d'appel a été adressé aux parties pour non-respect de la signification des conclusions ; par ordonnance en date du 7 novembre 2024, le juge de la mise en état a dit n'y avoir lieu à la caducité de l'appel.
Par conclusions d'appelant notifiées le 28 août 2024, M. [C] demande à la cour de dire n'y avoir lieu à prononcer une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise et à titre subsidiaire le relever de toute interdiction.
Par conclusions d'intimé notifiées le 28 aout 2024, Mme le procureur général près la cour d'appel de Riom demande à la cour de confirmer le jugement dont appel.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2025.
MOTIFS :
A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions recevables des parties et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion contenue dans ces écritures
Sur la demande d'infirmation du prononcé d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale :
Tout débiteur qui se trouve dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible est en état de cessation des paiements et doit solliciter près le tribunal dans le ressort duquel son activité est domiciliée, l'ouverture d'une procédure collective (C. com., art. L. 631-1, L. 631-2).
- Sur le non-respect des dispositions de l'article L 653-8 alinéa 3 du code de commerce :
L'article L 631-8 du code de commerce prévoit que l'appréciation de l'état de cessation des paiements s'effectue au moment où la juridiction statue sur l'ouverture de la procédure collective.
Par ailleurs, " l'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report " (Cass. Com., 4 novembre 2014, n° 12-23.070).
La déclaration de la cessation des paiements doit être effectuée dans les 45 jours de l'état de cessation des paiements. À défaut, le débiteur encourt la sanction commerciale d'interdiction de gérer. Celle-ci ne peut être prononcée que si le dirigeant a omis de déclarer l'état de cessation des paiements " sciemment " (C. com., art. L. 653-8, al. 3).
Les juges du fond doivent apprécier si c'est en connaissance de cause que le dirigeant n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai légal (Cass. Com., 15 mai 2019, n° 16-10.660).
En l'espèce, M. [C] se prévaut des dispositions de l'ordonnance du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises modifiée par l'ordonnance n° 2020-596 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19 visant notamment, pendant une période dite " protégée ", à :
- suspendre l'obligation faites aux sociétés et à ses dirigeants de déclarer l'état de cessation des paiements ;
- laisser le choix de recourir aux procédures de prévention des difficultés ; et
- faciliter les formalités pour se déclarer en état de cessation des paiements ou pour déposer une déclaration de créances.
Il prétend que la cristallisation provisoire du 12 mars 2020 au 31 août 2020, de l'état de cessation de paiement lui est profitable.
Il explique que les difficultés rencontrées par la société liquidée ont essentiellement pour origine un redressement fiscal de 120 000 euros. Ce redressement a provoqué la démotivation puis le départ des salariés. Resté seul il n'a pu souscrire de nouveaux chantiers, alors que parallèlement, les chantiers signés avant l'épidémie ont été fortement impactés par la hausse des matières premières.
Il fait observer que le liquidateur n'a relevé à son encontre aucune faute de gestion et prétend que l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements n'a aucun caractère volontaire mais procède seulement des circonstances liées à la crise sanitaire.
Pour s'opposer à sa demande, Mme le procureur général fait valoir que la date de cessation de paiement est intervenue le 31 juillet 2021, soit postérieurement à la période de cristallisation mentionnée. La déclaration d'état de cessation des paiements faite le 7 octobre 2021 devait donc intervenir avant le 15 septembre 2021.
La cour relève après analyse des pièces du dossier que M. [C] a déclaré l'état de cessation des paiements le 7 octobre 2021, soit plus de 45 jours après la date de cessation des paiements fixée au 31 juillet 2021, par le jugement intervenu du 14 octobre 2021. Le caractère tardif de cette déclaration ne s'impute pas à une simple négligence dès lors que M. [C] indique lui-même que depuis la crise sanitaire son entreprise se trouvait en grande difficulté et qu'il ne pouvait seul, faire face aux chantiers. Antérieurement à la procédure de liquidation judiciaire, il a subi un redressement fiscal de 120 000 euros, ce qui traduit des difficultés de gestion.
Par ailleurs, M. [C] n'a pas relevé appel de la décision fixant la date de cessation des paiements au 31 juillet 2021, soit postérieurement à la période de " cristallisation " dont il se prévaut.
Cette faute est donc caractérisée.
- Sur la violation des dispositions de l'article L653-5 5° du code de commerce :
Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après (')
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement (..).
L'article L 653-8 du code de commerce permet à la juridiction, dans les cas prévus aux articles L653-3 à L 653-6 de prononcer une mesure d'interdiction de gérer à la place de la faillite personnelle.
Il est fait grief à M. [C] de ne pas avoir respecté les dispositions de l'article L622-6 du code de commerce en ne remettant pas la liste des créanciers au mandataire judiciaire.
Dans un rapport du 2 novembre 2021, le mandataire a signalé que M. [C] n'avait pas remis la liste des créanciers, de sorte que les créanciers n'ont pas fait l'objet d'un avertissement individuel et ne pouvaient avoir connaissance de la procédure collective que par la publicité faite au BODACC et dans un journal d'annonces légales.
M. [C] ne conteste pas cette réalité dans ses conclusions.
Le reproche qui lui est fait est donc caractérisé et doit s'analyser en considération de l'impact qu'à eu cette absence d'information.
Mme le procureur général rappelle que M. [C] a favorisé certains créanciers en leur attribuant les actifs de la société.
Le tribunal souligne en effet que M. [C] a déclaré au commissaire-priseur avoir donné du matériel d'exploitation à certains créanciers choisis par lui, ce que ne critique pas M. [C] dans son appel.
Cette violation de l'interdiction faite au débiteur de favoriser certains créanciers au détriment d'autres est envisagée par l'article L653-5 4° et entraîne le prononcé d'une interdiction de gérer.
Enfin, la déclaration d'un passif d'un montant global de 258 363.97 euros, nettement inférieur au passif réel qui s'élève aujourd'hui à 596 458 euros témoigne pleinement de la volonté de M. [C] de dissimuler la réalité économique de son entreprise et de ne pas collaborer avec les organes de la procédure.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [C] une interdiction de gérer, diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale.
- Sur le quantum de la sanction :
L'article L. 653-11 du code de commerce dispose que " lorsque le tribunal prononce la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, il fixe la durée de la mesure, qui ne peut être supérieure à quinze ans ".
La juridiction qui prononce une mesure d'interdiction de gérer doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé (Com. 5 juill. 2018, n o 18-11.743).
Cette sanction doit être proportionnée aux manquements commis.
Les agissements de M. [C] ont fait obstacle au bon déroulement de la procédure de liquidation et témoignent d'une véritable absence de bonne foi dans la gestion de la procédure collective. Les conclusions du mandataire doivent être prises avec distance dès lors que ce dernier ignorait au moment de leur rédaction l'état réel du passif.
Au regard des éléments de éléments de motivation précités il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions y compris celles concernant le rejet de la demande de relèvement de sanction, le tribunal ayant justement observé que M. [C] ne remplissait les conditions de l'article L653-11 du code de commerce.
Les dépens seront laissés à la charge de M. [C].
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, l'arrêt étant mis à disposition des parties au greffe de la juridiction.
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Y ajoutant :
Condamne M. [C] aux dépens d'appel.