CA Versailles, ch. civ. 1-3, 10 avril 2025, n° 21/03735
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mecaelec (SARL)
Défendeur :
Duray Diffusion Info (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseiller :
M. Maumont
Conseiller :
Mme Girault
Avocats :
Me Wiart, Me Canivet, Me Lecki, Me Sadoudi, Me Lafon, Me Mercier
FAITS ET PROCEDURE :
La société Mecaelec, représentée par M. [P] [U], a pour activité la vente de mobiliers de bureaux.
Elle expose que suivant contrat de cession de portefeuille en date du 14 octobre 2014, elle a repris la clientèle de la société Cepac qui avait pour gérant M. [H] [O] ; clientèle qui était gérée en grande partie par M. [K] [E], en qualité de commercial indépendant, lequel a ensuite poursuivi son activité pour le compte de la société Mecaelec.
M. [M] [V], salarié de la société Cepac a également rejoint la société Mecaelec qui l'a engagé comme cadre commercial suivant contrat de travail à durée indéterminée du 30 décembre 2014. Il avait pour mission de suivre, gérer, développer et fidéliser la clientèle de la société Cepac devenue celle de la société Mecaelec, jusqu'à la rupture conventionnelle intervenue le 22 décembre 2015, à effet au 30 janvier 2016.
La société Mecaelec a constaté fin 2015, une baisse du chiffre d'affaires généré par les clients gérés par M. [E] et M. [V].
Soupçonnant M. [E] d'avoir détourné une partie de la clientèle cédée au profit d'une société concurrente, la société D2I [C] Diffusion (ci-après aussi dénommée " société D2I "), avec laquelle il travaillait avant de rejoindre la société Cepac, la société Mecaelec a obtenu sur requête, le 24 mars 2016, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une ordonnance du président du tribunal judiciaire de Pontoise, commettant la SCP d'huissiers de justice Tristant - Le Peillet - Darq, aux fins de se rendre au domicile de M. [E] pour procéder à des mesures de constat et d'appréhension de documents.
La mesure a été exécutée le 18 avril 2016, une copie du procès-verbal avec les documents joints ayant été remise à la société requérante. Le 20 juin 2016, M. [E] a sollicité la rétractation de l'ordonnance auprès du président du tribunal de grande instance de Pontoise qui, par ordonnance du 24 octobre 2016, l'a débouté de sa demande. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 15 juin 2017.
C'est dans cet état que la société Mecaelec a, par actes d'huissiers, fait assigner devant le tribunal judiciaire de Pontoise, M. [E], la société D2I [C] Diffusion, M. [V] en responsabilité pour actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 13 avril 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
- dit que M. [E] exerçait son activité pour le compte de la société Mecaelec en qualité d'agent commercial,
- dit que M. [E] et la société D2I [C] Diffusion ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Mecaelec,
- débouté la société Mecaelec de ses demandes dirigées contre M. [V],
- condamné in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral,
- débouté la société Mecaelec de sa demande au titre de son préjudice matériel,
- condamné in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Mecaelec à payer à M. [V] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté pour le surplus des demandes,
- condamné in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par acte du 11 juin 2021, la société Mecaelec a interjeté appel et prie la cour, par dernières conclusions du 23 octobre 2023 de :
- infirmer le jugement déféré uniquement en ce qu'il a condamné in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à lui payer la seule somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral et l'a déboutée pour le surplus et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre du préjudice matériel,
- confirmer le jugement déféré dans ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
- condamner in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à lui payer la somme de 1 684 000 euros au principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au fond du 19 février 2018, au titre du préjudice matériel qu'elle a subi du fait des actes de concurrence déloyale,
- condamner in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à lui payer la somme de 30 000 euros au principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation au fond en date du 19 février 2018, au titre du préjudice moral qu'elle a subi du fait des actes de concurrence déloyale,
En tout état de cause,
- débouter M. [E] et la société D2I [C] Diffusion de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- condamner in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion à lui payer la somme de 10 560 euros au titre des honoraires d'expert,
- condamner in solidum M. [E] et la société D2I [C] Diffusion aux entiers dépens.
Par dernières écritures du 25 octobre 2023, la société D2I [C] Diffusion prie la cour de :
À titre principal,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Mecaelec,
Statuant à nouveau,
- dire qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Mecaelec,
- débouter en conséquence la société Mecaelec de l'ensemble de ses demandes formées à son égard,
- condamner la société Mecaelec à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice moral,
- débouter la société Mecaelec de sa demande à hauteur de 10 560 euros relative aux frais de la société SV Advisory,
À titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Mecaelec au titre de son préjudice matériel,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme de 3 000 euros, le préjudice moral allégué par la société Mecaelec au titre du détournement de clientèle par M. [E],
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de garantie formée à l'encontre de M. [E] en cas de condamnation,
Statuant à nouveau,
- dire que M. [E] sera tenu de la garantir de toute condamnation qui serait mise à charge dans le cadre de la présente procédure,
En tout état de cause,
- condamner tout succombant à lui verser la somme de 14 916 euros, au titre des honoraires de M. [Y],
- condamner tout succombant à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner tout succombant aux dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par Me Franck Lafon, avocat au barreau de Versailles, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 15 septembre 2023, M. [E] prie la cour de :
- le dire recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes,
En conséquence,
- dire que le document intitulé " contrat de cession de portefeuille clients " produit par la société Mecaelec (pièce adverse n°1) comporte la signature de M. [O] mais celle-ci ayant été formellement contestée par l'intéressé, et en conséquence, déclarer nul et invalide le document intitulé " contrat de cession de portefeuille clients " produit par la société Mecaelec (pièce adverse n°1) qui constitue un faux document et doit donc être écarté des débats,
- infirmer le jugement déféré de Pontoise en ce qu'il :
* a dit qu'il exerçait son activité pour le compte de la société Mecaelec en qualité d'agent commercial (et statuant à nouveau dire qu'il avait la qualité de salarié),
* a dit que la société D2I [C] Diffusion et lui-même ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Mecaelec,
* l'a condamné in solidum avec la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral,
* l'a condamné in solidum avec la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamné in solidum avec la société D2I [C] Diffusion aux dépens,
Et, statuant à nouveau,
- débouter la société Mecaelec de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Mecaelec au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et procédure abusive,
Subsidiairement, si, par extraordinaire, la cour devait retenir sa responsabilité,
- dire que le contrat est d'une durée d'une année à compter du 1er janvier 2015 jusqu'au 1er janvier 2016 et ne saurait produire d'effets juridiques antérieurs au 1er janvier 2015 ou postérieurs au 1er janvier 2016,
- confirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions à l'exception de la demande formulée par la société Mecaelec au titre du préjudice moral dont elle sera déboutée,
En tout état de cause,
- condamner la société Mecaelec au paiement de la somme de 26 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Mecaelec aux entiers dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Pour imputer des actes de détournement de clientèle à M. [E] et à la société D2I, le tribunal, après avoir constaté la réalité de la cession de clientèle réalisée par la société Cepac au profit de la société Mecaelec, a retenu d'une part, que M. [E] était lié à la société Mecaelec par un contrat d'agence commerciale qui lui interdisait d'exercer sans l'accord de son mandant une activité telle que celle qu'il exerçait pour le compte de la société concurrente D2I ; d'autre part, que la société D2I a profité de la clientèle que gérait M. [E] en ne s'enquérant pas de savoir si ce dernier détenait l'accord de son mandant, accord dont elle ne pouvait ignorer la nécessité.
Le tribunal a en revanche écarté les griefs dirigés contre M. [V], en considérant qu'il ne pouvait être reproché à ce dernier des actes de concurrence déloyale postérieurs à la cessation de ses relations avec la société Mecaelec et en l'absence de clause de non concurrence. Le jugement est définitif sur ce point compte tenu du périmètre de la saisine de la cour.
1. Sur la cession de portefeuille clients :
Contestant l'engagement de sa responsabilité, M. [E] prétend tout d'abord qu'aucun effet juridique ne découle de la convention de cession de clientèle entre la société Cepac et la société Mecaelec qui lui est opposée, en ce que le consentement et la capacité de M. [O], ancien gérant de la société Cepac, ne pourraient être considérés comme certains, ce qui invaliderait cette convention qu'il qualifie de faux, et en ce qu'une telle cession n'aurait pas reçu l'approbation de l'assemblée générale des associés de la société Cepac. Il ajoute qu'en sa qualité d'autoentrepreneur il n'a aucunement été mis en capacité de prendre connaissance du contenu exact des mentions de l'acte de cession, et de vérifier les conditions de sa passation.
A titre subsidiaire, il estime qu'à supposer que le contrat conclu entre la société Cepac et la société Mecaelec soit valide, il y aurait lieu de tirer toutes les conséquences de sa durée limitée d'un an, qui empêcherait de formuler des prétentions pour une période antérieure ou postérieure à l'année 2015.
La société Mecaelec répond que la réalité de la cession de clientèle est démontrée par plusieurs éléments du dossier, notamment les attestations de salariés de la société Cepac et la reconnaissance de cette cession par M. [E] lui-même lorsqu'il s'est proposé d'ajouter la liste des clients rachetés par Mecaelec au 1er janvier 2015, dans le projet de " contrat de logistique et d'assistance commerciale " auquel il était censé consentir. Elle ajoute qu'un acte irrégulier peut être " ratifié tacitement " par un commencement d'exécution ultérieur et que la prétendue absence d'autorisation de l'assemblée générale de la Cepac comme l'absence alléguée d'enregistrement de l'acte de cession auprès des services fiscaux sont indifférents.
Sur ce,
Si aux termes de l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, il est de jurisprudence constante que le contrat est opposable par les parties aux tiers, ces derniers devant respecter la situation juridique créée par le contrat.
A cet égard, la société Mecaelec invoque un acte dénommé " contrat de cession de portefeuille client " conclu le 14 octobre 2014, entre Mecaelec ([P] [U]) et Cepac ([H] [O]) par lequel, moyennant rémunération (dans la limite de 325 000 euros) la Cepac s'est engagée à " remettre à Mecaelec, à l'exclusion de tout autre opérateur économique, la totalité de ses clients (actifs et inactifs) présents dans les 5 dernières d'activité de Cepac (2013, 2012, 2011, 2010, 2009).
M. [E] produit une attestation de M. [O], datée du 9 octobre 2019, dans laquelle celui-ci indique qu'il n'est pas signataire du contrat, ni l'auteur de la mention manuscrite " lu et approuvé " apposée sur le contrat, et précise qu'à la date de l'acte il n'était plus le gérant de la société Cepac puisqu'il avait signalé son départ à la retraite avec une date effective au 28 février 2011.
M. [E] demande en conséquence de voir " déclarer nul et invalide le document intitulé contrat de cession de portefeuille clients produit par la société Mecaelec qui constitue un faux document et doit donc être écarté des débats ".
Cette demande fondée sur l'article 1128 du code civil issu de l'ordonnance du 10 février 2016 - et donc inapplicable à l'acte litigieux - se heurte au caractère de nullité relative de la sanction encourue concernant le grief invoqué, qui tient au défaut de consentement de la société Cepac, partie représentée au contrat. Il en va de même du grief pris d'un défaut de pouvoir supposé du représentant de la société Cepac en l'absence d'autorisation de l'assemblée générale. L'action en nullité n'ayant pas été introduite par la société Cepac qui n'est pas même dans la cause, il est exclu de déclarer l'acte nul, quand il ressort par ailleurs que le grief pris de l'absence d'enregistrement de la convention auprès des services fiscaux n'est manifestement pas susceptible d'entrainer la nullité de l'acte.
En outre, l'argumentation développée qui tend à remettre en cause la réalité de la signature de M. [O] par comparaison avec d'autres documents signés par lui, renvoie à une contestation relative aux actes sous seing privé, plus particulièrement à la procédure de vérification d'écriture réglementée aux articles 287 et suivants du code de procédure civile ; procédure qui suppose une demande en ce sens de la partie au procès déniant l'écriture qui lui est attribuée. Or, M. [O] n'est pas dans la cause.
Au-delà de ces considérations, le contrat de cession de portefeuilles invoqué par Mecaelec vise à mettre en avant une situation juridique dont la réalité est établie par ailleurs. Comme relevé à raison par le tribunal, il est constant que la société Mecaelec et M. [E] sont entrés en négociation pour arrêter les termes d'un contrat de collaboration (" contrat d'assistance logistique et commerciale ") et que les différents projets qu'ils ont échangés rappellent expressément la cession de portefeuille clients par la société Cepac à la société Mecaelec.
Outre que dans la dernière version du projet figure la liste ajoutée par M. [E] des clients rachetés par Mecaelec, il ressort d'un courriel envoyé par M. [E] le 18 mai 2015, que celui-ci a proposé d'amender une clause en ces termes : " [K] [E] s'engage auprès de Mecaelec à suivre et transmettre les commandes des clients rachetés par Mecaelec au 1er janvier 2015 à l'exclusion de tout autre opérateur économique autre que Mecaelec ".
Cette proposition de modification corrobore la portée juridique qu'il convient d'attribuer à la clause du contrat de cession de portefeuille client, décrivant l'engagement de la société Cepac à la suite de la cession de clientèle réalisée :
" Cepac s'engage à assurer pour une durée de 1 an (du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015) :
- l'accompagnement complet de Mecaelec dans la présentation et le suivi de l'ensemble de ses clients,
- à faire ses meilleurs efforts pour développer sa clientèle, et maintenir les marges habituelles de Cepac ".
Ainsi, la convention de cession décrit une obligation de suivi à durée déterminée, distincte de la cession de clientèle, et qui ne modifie aucunement l'ampleur de cette dernière ; la cession intervenue à la date de la signature de la convention porte, selon l'article 3 de la convention, sur la totalité des clients de la société Cepac présents dans les 5 dernières années d'activité.
Enfin, M. [M] [L], que la société Mecaelec présente comme l'ancien gérant de la société Cepac, a communiqué au conseil de Mecaelec une attestation manuscrite et signée de M. [E], datée du 10 décembre 2014, dans laquelle celui-ci indique avoir cédé tous les droits portant sur la clientèle qu'il gérait à la société Cepac, pour un prix de cession de 15 000 euros, et s'engageait " en cas de cession de la clientèle Cepac à une autre société à suivre les instructions de la société Cepac afin de pouvoir suivre et travailler [son] ancienne clientèle ". Ce document démontre que la cession de portefeuille client au profit de la société Mecaelec s'inscrivait dans un processus connu de M. [E], et même anticipé par lui.
M. [E] met en avant la disparité des prix de cession entre les deux opérations (325 000 euros dans le cadre de la cession de Cepac à Mecaelec - 15 000 euros s'agissant de la cession de M. [E] à Cepac). Or, si cette différence peut s'expliquer par le contenu distinct du portefeuille de clients cédé (les clients apportés par M. [E] d'un côté, les clients apportés par la Cepac de l'autre), elle n'emporte toutefois aucune conséquence sur " l'étendue temporelle du litige " comme le prétend M. [E], seule étant en cause le sort des clients cédés par la société Cepac à la société Mecaelec, à effet au 1er janvier 2015.
Au vu de ces éléments, et pour ces motifs ajoutés à ceux du tribunal que la cour adopte, il doit être considéré comme acquis que la société Cepac a cédé ses clients à la société Mecaelec, parmi lesquels figurent ceux que M. [E] a continué de gérer postérieurement à cette cession.
2. Sur la nature et la qualification juridique de la relation entre M. [E] et la société Mecaelec
M. [E] demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'il exerçait son activité pour le compte de la société Mecaelec en qualité d'agent commercial. Il dénie avoir agi en cette qualité, en relevant qu'il n'était pas inscrit sur le registre spécial des agents commerciaux. Evoquant son statut d'autoentrepreneur, il considère comme l'" exacte qualification " devant être retenue, celle correspondant à une " relation de travail salariée ", dans la mesure où " dans le cadre d'une clause d'exclusivité, est généré un lien de subordination ".
La société Mecaelec fait valoir que M. [E] était leur agent commercial, que le contrat d'agent commercial quoique n'ayant pas été écrit a bien reçu exécution, et comportait une obligation d'exclusivité connue de M. [E] que celui-ci n'a jamais tenté de remettre en cause. Elle estime que l'absence d'inscription de M. [E] sur un registre spécial est sans conséquence sur l'existence d'un mandat d'agent commercial, lequel n'est en outre pas incompatible avec le statut d'autoentrepreneur.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 134-1 du code de commerce " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s'immatricule, sur sa déclaration, au registre spécial des agents commerciaux."
L'article 2 de la loi du 25 juin 1991 devenu l'article L. 134-2 du code de commerce n'exige aucun écrit pour la preuve d'un contrat d'agent commercial (Com. 25 juin 2002, n° 00-14.326).
La société Mecaelec verse aux débats les factures que lui a adressé M. [E] pour être réglé de ses commissions sur les ventes réalisées par son intermédiaire (pièce Mecalec n° 3). Ces factures associées aux courriels et autres documents comptables échangés entre juillet 2014 et décembre 2015 permettent d'établir que M. [E] a exécuté durant cette période des prestations de nature commerciale pour le compte de la société Mecaelec en réalisant des ventes auprès des clients de la société, moyennant commission.
Il est également établi que M. [E] et M. [U] ont négocié le contenu d'un contrat dénommé " contrat d'assistance logistique et commerciale " aux fins que M. " [K] [E] s'engage à assurer le suivi commercial de l'ensemble de ses clients et à faire les meilleurs efforts pour développer sa clientèle " moyennant une rémunération " correspondant à l'application d'un pourcentage à hauteur de 50 % de la marge nette dégagée ". Dans sa dernière version du 18 mai 2015 (pièce Mecaelec n° 13) le projet comporte la clause précédemment citée, telle que remaniée par M. [E], aux termes de laquelle " [K] [E] s'engage auprès de Mecaelec à suivre et transmettre les commandes des clients rachetés par Mecaelec au 1er janvier 2015 à l'exclusion de tout autre opérateur économique autre que Mecaelec ". Cette clause est contenue dans un article 3 intitulé " exclusivité de l'engagement ".
Quoique resté à l'état de projet, ce contrat est à même de décrire la nature des relations ayant existé entre la société Mecaelec et M. [E] dans la mesure où, de fait, les prestations qui y sont visées ont été exécutées de part et d'autre.
Par ailleurs, les conditions de rémunération de M. [E] et certains autres éléments - la signature " Mecaelec " de l'un de ses mails ou encore la mention de sa qualité de commercial de Mecaelec dans une fiche informative à destination de la clientèle (pièces Mecaelec n° 7 et 17) - dénotent que M. [E] n'agissait pas auprès de la clientèle en son nom propre pour le compte de Mecaelec, comme dans le cadre d'un simple contrat de commission, mais bien au nom et pour le compte de Mecaelec.
Enfin, la nature de relation de travail invoquée par M. [E] n'est étayée par aucun élément. S'il fait état d'un lien de subordination il s'abstient de toute démonstration, alors qu'un tel lien suppose l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Or, la teneur des échanges entre M. [U] et M. [E] montre au contraire que M. [E] était libre d'organiser son activité comme il l'entendait, en toute indépendance, ce qui est exclusif du statut de VRP implicitement revendiqué.
Il s'infère de l'ensemble de ces éléments que les relations entre la société Mecaelec et M. [E] étaient régies par un mandat d'intérêt commun non écrit répondant à la qualification de contrat d'agence commercial.
Au-delà, il est rappelé que pour les contrats conclus après l'entrée en vigueur de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991, l'application du statut d'agent commercial n'est plus soumise aux conditions de forme tenant à l'existence d'un contrat écrit et à l'immatriculation de l'agent commercial au registre spécial des agents commerciaux. Par ailleurs, le statut d'agent commercial, professionnel indépendant, n'est aucunement incompatible avec celui d'autoentrepreneur.
Dans ses rapports avec la société Mecaelec, M. [E] était donc soumis au statut des agents commerciaux.
3. Sur les responsabilités
La société Mecaelec fait valoir que M. [E] a manqué à son obligation d'exécuter son contrat de manière loyale, en détournant la clientèle de Mecaelec au profit de la société concurrente D2I, en débauchant M. [V] et l'assistante de Mecaelec au profit de cette même société, en travaillant pour D2I en parfaite clandestinité puis en cessant brutalement son activité d'agent commercial auprès de Mecaelec. Elle ajoute que M. [E] " a sciemment laissé croire qu'il avait l'intention de s'associer sur le long terme (à durée indéterminée), générant ainsi une confiance désastreuse de la part de Mecaelec qui ne s'est ainsi pas méfiée de son commercial sur toute l'année 2015 ".
Elle estime que M. [E] a été assisté par la société D2I qui avait pleinement connaissance et conscience des actes de détournement de clientèle de M. [E] à son détriment et qui a participé à la désorganisation de la société dès le premier trimestre 2015 par l'utilisation du fichier de clientèle de Mecaelec, la débauche de salariés, la passation de commandes auprès de la clientèle de Mecaelec, le dénigrement de la société.
M. [E] soutient qu'il n'était pas lié par une clause d'exclusivité, une telle clause d'exclusivité étant léonine et interdite en ce qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties. Il estime qu'à supposer l'existence d'un contrat conclu avec la société Mecaelec, celui-ci ne comportait aucune liste de clients et avait pour terme le 31 décembre 2015.
La société D2I reproche au tribunal d'avoir assis sa motivation sur la dénaturation d'un échange avec M. [N] et en occultant certaines de ces pièces. Elle conteste tout détournement de clientèle ou complicité, dans la mesure ou M. [E] s'est toujours présenté comme commercial indépendant avec sa clientèle propre et comme n'étant pas contractuellement lié à la société Mecaelec, et qu'elle ne pouvait pas connaître les relations réelles qu'il entretenait avec cette dernière. Concernant le prétendu débauchage de M. [V], elle soutient que ce dernier est parti de la société Mecaelec en raison du comportement de M. [U] et que le fait d'embaucher une personne précédemment employée dans une société concurrente n'est pas en soi fautif. Enfin, elle réfute toute participation à une prétendue désorganisation de la société Mecaelec qui est alléguée sans preuve.
3.1. Sur les fautes de M. [E]
Si l'article L. 134-1 du code de commerce offre la possibilité pour l'agent commercial d'agir pour plusieurs mandants, c'est à la condition posée par l'article L. 134-3 du même code, qu'il n'accepte pas la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans solliciter son accord préalable.
Plus largement, l'article L. 134-4 prévoit que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties et que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
En l'espèce, les relations d'affaires de M. [E] et de la société Mecaelec ont débuté au second semestre 2014 pour s'achever sans préavis dans le courant du mois de janvier 2016, date à laquelle M. [E] s'est abstenu de répondre aux sollicitations de M. [U] et a cessé ses activités pour le compte de la société Mecaelec. S'il est constant que le " contrat d'assistance logistique et commerciale " incluant une clause d'exclusivité n'a finalement jamais été signé, leur relation s'inscrivait néanmoins dans un contrat non écrit d'agence commerciale.
Or, même en l'absence d'exclusivité, l'agent commercial est tenu de se comporter loyalement vis-à-vis de son mandat, ce qui implique, conformément à l'art. L. 134-3, de l'informer pour obtenir son autorisation au cas où il voudrait mener des activités similaires avec un concurrent (cf. Com. 15 mai 2007, n° 06-12.282).
En l'occurrence, il ressort des pièces versées aux débats que M. [U] a commencé à s'étonner du résultat des ventes de M. [E] en décembre 2015 (pièce Mecaelec n° 15 - courriel à M. [E] du 30 décembre 2015 : " que s'est-il passé ce mois-ci '' Y a-t-il un problème particulier '' ") puisque le chiffre d'affaires réalisé ce mois-là était très inférieur aux mois précédents déjà en tendance baissière. Puis, le 10 février 2016, la société Mecaelec s'est vue transférer par l'un de ses clients (Samu social) un courriel que lui avait adressé M. [E] le 18 janvier 2016, dans lequel il indiquait avoir arrêté ses prestations avec la société Mecaelec en ce que celle-ci ne répondrait plus à la " qualité de suivi administratif et qualitatif demandé ", et dans lequel il sollicitait un rendez-vous pour " garder un suivi " des fournitures de bureau de ce client (Pièce Mecaelec n° 20).
La société Mecaelec a ensuite été autorisée sur requête à procéder à des mesures de constat et d'appréhension de documents au domicile de M. [E]. Comme relevé par le tribunal, les différents courriels appréhendés lors de la mesure de constat (pièces Mecaelec 24 à 33), démontrent que M. [E] était en relation d'affaires avec la société D2i dès le mois de mars 2015, ce qui s'est concrétisé par l'envoi de factures de commissions de M. [E] à la société D2i dès le mois d'août 2015, et par l'ouverture de comptes clients auprès de cette société (pièces Mecaelec n° 38 et 46) ; clients parmi lesquels certains de ceux listés par M. [E] dans le " contrat d'assistance logistique et commerciale " et correspondant aux clients " rachetés par Mecaelec au 1er janvier 2015 ".
M. [E] souligne la durée limitée de son engagement auprès de la société Mecaelec. A cet égard, la société Mecaelec note elle-même que M. [E] " a sciemment laissé croire qu'il avait l'intention de s'associer sur le long terme (à durée indéterminée), générant ainsi une confiance désastreuse de la part de Mecaelec ", ce dont il s'infère que le " contrat d'assistance logistique et commerciale " avait précisément vocation à organiser les termes de cette collaboration sur une durée indéterminée.
Cependant, bien que libéré de ses engagements à l'égard de la société Mecaelec le 31 décembre 2015, et sans que soit remis en cause le fait que les nouveaux clients apportés par M. [N] après la date du 1er janvier 2015 devait rester sa " propriété ", il n'en demeure pas moins qu'en n'informant pas la société Mecaelec qu'il exerçait en 2015, au profit d'une société concurrente, en l'occurrence la société D2I, une activité en tous points similaire à celle exercée auprès de Mecaelec, il a manqué à son obligation de loyauté. En outre, son comportement est constitutif d'actes de concurrence déloyale dans la mesure où il a apporté à la société D2I des clients dont il n'ignorait pas qu'ils avaient été cédés par la société Cepac à la société Mecaelec, opérant ainsi un détournement de clientèle au profit de la société D2I.
3.2. Sur le comportement de la société D2I
Les articles 1240 et 1241 du code civil, anciennement 1382 et 1383 du code civil, fondent la sanction des comportements délictuels de marché, parmi lesquels le fait de détourner une clientèle par des moyens déloyaux.
Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Pour étayer sa thèse suivant laquelle la société Mecaelec a " participé, encouragé et facilité la désorganisation de la société Mecaelec, encouragé les manquements contractuels de M. [K] [E] et commis des actes de concurrence déloyale à son égard ", l'appelante s'appuie sur les pièces 24, 25 et 43 de son dossier, qui consistent en des échanges de mails entre M. [E] et M. [C], dirigeant commercial de D2I.
Pour caractériser un comportement fautif de M. [C], révélateur de sa mauvaise foi, le tribunal a cru pouvoir déduire d'un courriel envoyé le 26 mai 2015 par ce dernier à M. [E], à propos de l'ouverture des comptes clients apportés par M. [E], la volonté du dirigeant de la société D2I de dissimuler le nom de M. [E] au sein de sa société. Toutefois, le mail en question est bien peu évocateur puisqu'il se limite à une seule phrase " Non [K], pour l'instant, tout ce qui te concerne doit passer par moi ". Par ailleurs, s'y trouve attaché un autre message envoyé quelques minutes plus tard par Mme [A], attachée commerciale de D2I, et donc parfaitement informé de l'existence de M. [E], qui précise : " [K], pour les OC, c'est [R] ! A bientôt ! ". De cet échange, propre semble-t-il à préciser à qui M. [E] devait s'adresser, ne peut être déduit aucune mauvaise foi ou connivence de la part de la société D2I.
N'est pas davantage significatif l'échange de courriels du 25 février 2016, soit à une époque où M. [E] avait cessé ses relations avec la société Mecaelec, qui évoque les conditions de rémunération de M. [E] et les prévisions de chiffres d'affaires d'autres collaborateurs, notamment de " [W] " (pour [M] [V]) qui n'était plus sous contrat avec Mecaelec depuis fin janvier 2016. Sur ce point, il doit être relevé que les éléments versés aux débats ne permettent pas de reprocher à la société D2I un quelconque débauchage de salarié, cette affirmation n'étant étayée par aucun élément probant.
Toutefois, il est produit le mail d'attache envoyé par M. [E] à M. [C], le 19 mars 2015, dans lequel le premier indique au second : " ['] aujourd'hui on va peut-être pouvoir bosser encore 6 ans ensemble. Je ne suis pas du tout exigeant sur la qualité écrite de notre partenariat. Avec Mecaelec je n'ai aucun contrat pour l'instant et si on ne signe rien entre nous ça me convient ". Or, ces explications auraient dû attirer l'attention de M. [C] qui, ne pouvant ignorer les relations d'affaires parallèles de M. [E] avec Mecaelec devait s'interroger sur les conditions exactes d'exercice de son activité avec cette entreprise concurrente. A cet égard, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, la société D2I ne pouvait ignorer qu'un agent commercial ne peut travailler pour une société concurrente, sauf accord de son mandat.
La société D2I soutient que M. [E] s'est toujours présenté comme commercial indépendant avec sa clientèle propre. Elle en veut pour preuve un courrier que lui a adressé M. [E], le 26 février 2016 (pièce n° 2), dans lequel celui-ci affirme notamment :
" J'ai, comme autoentrepreneur, travaillé avec la société Mecaelec durant l'année 2015, faisant suite au rachat du portefeuille clients de Cepac. J'exerçais durant les années précédentes à 2015 [sous] ce même statut d'autoentrepreneur chez Cepac ['] Aujourd'hui je n'ai aucun contrat qui me lie avec Mecaelec puisqu'après négociations ce Monsieur a renoncé début mai 2015 à parapher et valider celui que je lui ai proposé ['] Je te propose donc de reprendre comme nous l'avons fait précédemment (à cette époque j'étais salarié D2i) une collaboration afin de gérer mes clients et éviter ainsi de voir mon portefeuille (') m'échapper car je ressens un agacement de leur part et une volonté de ne plus vouloir subir une dégradation de leur qualité de livraison et suivi logistique. Je t'enverrai les fiches clients à saisir dans ton logiciel SOFI. Tu remarqueras que presque toutes existaient dans ta base, puisque ce sont mes clients que je t'avais déjà apportés après la liquidation de mon activité ['] je suis persuadé que nous pouvons apporter encore toute notre énergie à partager du business et notre professionnalisme ne pourra que réconforter l'ensemble de ma clientèle ".
La société Mecaelec ne conteste pas la valeur probante de ce document, dont il ressort effectivement que M. [E] s'est présenté près d'un an après le début de sa collaboration avec la société D2I comme un autoentrepreneur, libre de tout contrat ou engagement à l'égard de la société Mecaelec, et déterminé à collaborer pour la gestion de son portefeuille client.
Il ressort néanmoins de ce même courrier comme des échanges précédents que M. [E] a indiqué clairement qu'il travaillait pour le compte de la société Mecaelec en 2015. Or, le statut d'autoentrepreneur mis en avant par M. [E] n'était aucunement incompatible avec celui d'agent commercial, tout comme était indifférente l'absence de contrat écrit, ce que ne pouvait ignorer un directeur commercial d'une société opérant sur le même marché que Mecaelec. Par ailleurs, et même si M. [C] évoquait dans ce courrier " ses clients ", " sa clientèle ", " son portefeuille " il mentionnait également le contexte dans lequel s'est effectuée sa collaboration auprès de Mecaelec, à savoir " suite au rachat du portefeuille clients de Cepac ". Un directeur commercial normalement prudent et diligent aurait donc dû, dans ces circonstances, s'assurer que parmi les clients qui lui ont été apportés aucun n'entrait dans la cession de portefeuille évoquée.
Etant précisé que le caractère intentionnel de la faute n'est pas une condition de mise en 'uvre de la responsabilité pour concurrence déloyale, il y a lieu de considérer que la société D2I a manqué de vigilance en collaborant avec M. [E] sans s'être assuré de son statut exact, de l'accord de son mandant et de l'origine de la clientèle apportée, ce comportement constituant dans son ensemble une faute de négligence ayant contribué de manière déterminante au détournement de clientèle.
4. Sur les préjudices réparables
4.1. Sur le préjudice matériel
Pour débouter la société Mecaelec de sa demande au titre du préjudice matériel, le tribunal a jugé que les pièces versées aux débats n'étaient pas suffisamment probantes, la demanderesse se contentant de fournir des tableaux de type Excel, non certifiés par un comptable et non accompagnés de pièces comptables attestant la réalité des chiffres.
A hauteur d'appel, la société Mecaelec communique un rapport d'évaluation du préjudice subi établi par un cabinet de conseil (SV Advirory) chiffrant notamment le gain manqué de Mecaelec depuis la date du rapport jusqu'à ce jour, du fait des agissements fautifs de M. [E] et de la société D2I (détermination du chiffre d'affaires dont Mecaelec a été privé avec déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité de la victime), et la perte de valeur du fonds de commerce issu de la clientèle Cepac. Elle chiffre son préjudice total à la somme de 1 684 000 euros suivant la méthode de chiffrage la moins-disante.
En réponse aux moyens adverses, l'appelante fait valoir, d'une part, que les 64 clients formellement identifiés comme ayant été captés par la société D2I par l'intermédiaire de M. [E] ne représentent qu'un échantillon de tous les autres clients captés, et relève le chiffre d'affaires deux fois moindre réalisé par Mecaelec avec le portefeuille de 1 493 clients par rapport au chiffre d'affaires qu'obtenait la société Cepac avec ces mêmes clients ; d'autre part, que la preuve d'une augmentation du chiffre d'affaires de D2I n'est aucunement déterminante, ce d'autant qu'il n'est pas précisé quel chiffre d'affaires réalisait cette société en 2014.
M. [E] conteste l'existence d'une perte de chiffres d'affaires qui lui serait imputable puisqu'il ressort de ses échanges avec M. [U] qu'au contraire son chiffre d'affaires avait progressé en 2015. Il reproche à l'appelante d'augmenter artificiellement ses résultats de 2014 pour mettre en avant un plus gros différentiel sur l'année 2015. Il ajoute que la perte de chiffres d'affaires relative à la clientèle Cepac était connue de M. [U] depuis septembre 2014, et que cette perte ne lui est pas imputable. Enfin, il remet en cause le sérieux de l'expertise produite, qui raisonne sur la base de l'intégralité de la clientèle Cepac (soi-disant 1 471 clients), alors que lui-même n'était en charge que de 64 clients de ce portefeuille.
La société D2I explique avoir soumis le rapport de SV Advisory à un expert-comptable, expert judiciaire, qui a mis en lumière les nombreuses carences, erreurs et imprécisions dans l'évaluation des préjudices allégués. Elle estime que si la méthode proposée est valable dans son principe, elle n'a pas été appliquée correctement puisqu'elle a été calculée sur la base d'une perte de chiffres d'affaires hypothétique, rapportée à des coûts non démontrés, sur une période excessivement longue, avec un taux de 100 % non justifié. A cet égard, elle estime que la base de calcul est fausse puisque le rapport prend en compte l'intégralité de la clientèle Cepac, alors que seuls 64 clients auraient été identifiés comme ayant suivi M. [E], et que parmi ces clients il n'est pas démontré que tous auraient passé commande auprès de la société D2I et auraient généré un bénéfice pour cette dernière. Elle reproche à Mecaelec de ne pas fournir sa comptabilité détaillée et fait valoir que les pièces produites ne permettent pas de vérifier que les pertes alléguées sont en lien avec le prétendu détournement de clientèle gérée par M. [E]. Elle estime que tout au plus le préjudice ne pourrait consister qu'en une perte de chance, aucune certitude n'existant quant à la fidélité de la clientèle, au surplus auprès d'une nouvelle société partenaire.
Sur ce,
Il est de jurisprudence constante que le préjudice indemnisable doit être direct, c'est-à-dire qu'il doit découler du fait dommageable, et qu'il doit être certain et non simplement éventuel ou hypothétique.
L'indemnisation au titre des gains manqués requiert la démonstration qu'un gain aurait été obtenu avec certitude en l'absence du fait dommageable, tandis que la perte de chance suppose l'existence d'un aléa inhérent à un gain escompté, lequel aurait pu ou non être obtenu si le fait dommageable n'était pas survenu.
En l'espèce, la société Mecaelec verse aux débats le rapport d'un cabinet de conseil établi non contradictoirement, qui aux termes de sa première étape de calcul réalise une projection sur 5 ans (2015-2020) du chiffre d'affaires qu'aurait dû procurer le portefeuille de clients Cepac (1 493 clients) si le chiffre d'affaires réalisé par la société Cepac au moyen de ce même portefeuille avait été maintenu. Etant donné la baisse du chiffre d'affaires constaté (1275 K' avant cession - 279 K'), l'expert en déduit que 80 % de la clientèle aurait été détournée dès la fin de la première année d'activité sous la gestion de Mecaelec.
Or, les pièces saisies dans le cadre de la mesure d'instruction ne permettent d'établir l'ouverture de comptes clients auprès de D2I que pour ce qui concerne 64 clients gérés par M. [E], issus de ce portefeuille. Il n'est produit aucune analyse sur le comportement de ces clients en particulier, au fil des ans, de la fréquence et de la quantité de leurs achats. Il ne peut donc être conclu avec certitude à un gain manqué, dans la mesure où il n'est pas même avéré que ces clients ont commandé auprès de la société D2I.
Compte tenu de l'aléa inhérent à la conservation d'une clientèle qui plus est dans un contexte de cession du portefeuille à une autre entreprise, il ne peut être conclu avec certitude qu'à l'existence d'une perte de chance de réaliser un gain auprès des clients détournés, et encore, durant une période limitée dans le temps, et qui ne saurait en l'occurrence dépasser 2 ans, période au-delà de laquelle la perte de chance devient hypothétique.
Même si l'expert de Mecaelec ne peut être suivi dans ses conclusions, en raison des justes critiques exposées par les intimées tenant principalement au lien de causalité entre l'étendue du préjudice objectivé et les fautes reprochées, l'assiette du préjudice indemnisable peut être évaluée sur la base des données chiffrées que contient ce rapport, en ce que la méthode employée est conforme à celle attendue pour le calcul des préjudices économiques, et que les chiffrages, qui ont pu être discutés au moyen des annexes du rapport et des autres éléments versés aux débats, demeurent cohérents.
Les gains manqués capitalisés pour l'ensemble du portefeuille client en 2015 et 2016 représentent 492 K' (303+189). Rapportés au nombre de clients (1493) cela correspond à une perte de gains par client de 329,53 euros. Dans la mesure où le détournement n'est établi qu'en ce qui concerne 64 clients, l'assiette du préjudice sur deux ans peut être fixé à la somme de 42 179,84 euros (329,53 x 64 x 2). Partant de là, il convient de tenir compte de l'incertitude inhérente aux achats qu'auraient effectués ces clients et à la conservation de cette clientèle en l'absence de détournement, en appliquant un taux de perte de chance de 50 %.
Etant donné que les pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir une perte de valeur du fonds de commerce, compte tenu des seuls clients concernés par le détournement, l'unique préjudice économique de la société Mecaelec en lien de causalité avec les fautes commises doit être chiffré à la somme de 21 089,92 euros et correspond à la perte de chance de réaliser des gains.
Le jugement déféré sera réformé en conséquence pour voir condamner in solidum M. [E] et la société D2I au règlement de cette somme.
4.2. Sur le préjudice moral
L'appelante prétend que les actes de concurrence déloyale exercés par M. [E] et la société D2I ont eu un impact significatif sur la réputation de la société Mecaelec auprès de ses clients. Elle invoque un courriel adressé par M. [E] au Samu social et dénigrant la société. Elle fait également état de la désorganisation en interne de la société après le départ de M. [V] vers la société D2I.
M. [E] estime que le préjudice moral n'est pas fondé étant donné que le Samu social, seul visé, a continué de passer commande auprès de Mecaelec en 2016 et 2017, et rappelle qu'il n'est formulé aucune demande à l'encontre de M. [V] en appel.
La société D2I relève qu'il n'est produit qu'un seul mail, très peu probant, adressé à M. [E] à un client, et qu'à défaut de preuve établissant des man'uvres de la société D2I pour nuire significativement à la réputation de la société Mecaelec, cette demande ne peut prospérer.
Sur ce,
Le préjudice moral d'une personne morale désigne toute atteinte à un intérêt extra-patrimonial compatible avec sa nature, notamment l'atteinte à l'image de marque d'une société.
Dans un courriel adressé le 18 janvier 2016 au Samu social, client de Mecaelec, M. [E] a indiqué à sa correspondante qu'il avait arrêté ses prestations avec la société Mecaelec en précisant que cette société ne répondait plus à " la qualité de suivi administratif et qualitatif demandé ". Or, il n'est pas démontré qu'un tel message isolé et par la suite transféré à Mecaelec par son destinataire, ait effectivement dégradé l'image de marque de la société, ni même seulement l'opinion du Samu social à l'égard de son fournisseur.
Aucune désorganisation de la société en lien avec les fautes bien comprises de M. [E] et de la société D2I, seule dans la cause à hauteur d'appel, n'est par ailleurs démontrée.
La société Mecaelec sera donc déboutée de sa demande et le jugement réformé sur ce point.
5. Sur l'appel en garantie
La société D2I sollicite d'être intégralement garantie de ses condamnations par M. [E] en ce que ce dernier s'est toujours présenté à son égard comme propriétaire de sa clientèle et comme n'ayant aucun contrat avec la société Mecaelec. Elle estime que le jugement, qui n'a pas statué sur cette demande, doit nécessairement être infirmé sur ce point.
Sur ce,
Il est rappelé qu'en prononçant une condamnation in solidum le juge ne statue pas sur l'appel en garantie exercé par l'un des codébiteurs condamnés à l'encontre d'un autre, ni ne préjuge de la manière dont la contribution à la dette entre tous les codébiteurs condamnés devra s'effectuer (Civ. 1ère, 20 mars 2007, n° 06-12.074).
En l'espèce, la société D2I se borne à évoquer la manière dont M. [E] s'est présenté à elle, sans expliciter les fondements juridiques de sa demande. Le 29 février 2016, date du courrier que M. [E] a envoyé à M. [C], le premier était effectivement sans contrat avec Mecaelec, lequel avait pris fin, et il ne précisait pas les clients qu'il entendait apporter à la société D2I, sinon ses propres clients.
Il n'est donc démontré aucune faute de M. [E] à l'égard de la société D2I à même de fonder le recours en garantie quand il apparaît, au surplus, que les fautes respectives de M. [E] et de la société D2I ont concouru de manière égale au préjudice de la société Mecaelec.
6. Sur la procédure abusive
La démonstration de l'abus dans l'exercice d'une voie de recours étant incompatible avec le bien-fondé de l'action, il y a lieu, au regard du sens de la présente décision, de débouter M. [E] et la société DSI de leurs prétentions indemnitaires à l'encontre de la société Mecaelec ; le jugement sera confirmé de ce chef.
7. Sur les autres demandes
Succombant, M. [E] et la société D2I seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
La société Mecaelec justifie de frais d'expertise amiable pour un montant de 10 560 euros (pièce n° 52). Ces frais, non compris dans les dépens, sont justifiés dans la mesure où ils ont été utiles au chiffrage des préjudices.
Il sera fait droit à cette demande qui se rattache à celle relative aux frais irrépétibles, l'équité commandant de confirmer les dispositions du jugement sur ce point et, à hauteur d'appel, de condamner in solidum M. [E] et la société D2I à régler à la société Mecaelec la somme de
15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :
- condamné in solidum M. [K] [E] et la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral,
- débouté la société Mecaelec de sa demande au titre du préjudice matériel,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
- condamne in solidum M. [K] [E] et la société D2I [C] Diffusion à payer à la société Mecaelec la somme de 21 089,92 euros au titre du préjudice de perte de chance de gain,
- déboute la société Mecaelec de sa demande au titre du préjudice moral,
- déboute la société société D2I [C] Diffusion de son appel en garantie,
- condamne in solidum M. [K] [E] et la société D2I [C] Diffusion aux dépens de l'appel,
- condamne in solidum M. [K] [E] et la société D2I [C] Diffusion à régler à la société Mecaelec la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel, en ce compris les frais d'expertise amiable.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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