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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 8, 10 avril 2025, n° 23/00244

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cb Assurance (Sté)

Défendeur :

EIRL A

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Frenoy

Vice-président :

Mme Montagne

Conseiller :

Mme Moisan

Avocats :

Me Hinoux, Me Regnier

Cons. prud'h. Créteil, du 21 nov. 2022, …

21 novembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [X] [O] a été engagé par l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) [M] [J], exerçant une activité d'agent et de courtier en assurances, par contrat de travail à durée déterminée du 6 novembre 2017 au 6 mars 2018, en qualité de chargé de clientèle professionnelle.

La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée et un avenant a été signé en ce sens par les parties le 2 janvier 2019, le salarié occupant le poste de chargé d'affaires entreprise, classe 2 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances.

Le contrat de travail de M. [O] comportait une clause de non-concurrence en cas de cessation de ses fonctions.

Les parties sont convenues d'une rupture conventionnelle, qui a été homologuée le 27 avril 2020.

M. [O] a créé la société CB Assurance, immatriculée le 27 mai 2020.

Le 25 février 2021, l'EIRL [M] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil afin d'obtenir notamment l'exécution de la clause de non-concurrence ainsi que la réparation de ses préjudices.

La juridiction saisie, par jugement du 21 novembre 2022 :

- a débouté la société CB Assurance et M. [O] de leur demande tendant à voir écarter comme demande nouvelle l'action en responsabilité et concurrence déloyale et manquement à l'obligation de loyauté faite par l'EIRL A. [J],

- s'est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes formulées par l'EIRL A. [J] contre la société CB Assurance et M. [O] solidairement au titre de l'action en responsabilité et concurrence déloyale et manquement à l'obligation de loyauté et renvoyé les parties à mieux se pourvoir auprès du tribunal de commerce,

- a dit et jugé recevables et bien fondées les autres demandes formulées contre M. [O] en sa qualité d'ancien salarié,

- a dit et jugé la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail valable et opposable,

- a constaté la violation de la clause de non-concurrence par M. [O],

- a condamné M. [O] à payer à l'EIRL [M] [J] les sommes de :

- 41 576,29 euros au titre des pénalités pour violation de la clause de non-concurrence,

- 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour réparation du préjudice lié à la désorganisation de l'entreprise,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de notoriété et d'image qui lui a été causé,

- a prononcé l'exécution provisoire de droit conformément aux dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail,

- a ordonné que les sommes de la condamnation portent intérêts au taux légaI à compter du prononcé du jugement,

- a débouté l'EIRL A. [J] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté M. [O] de sa demande reconventionnelle de rappels de salaire,

- a débouté M. [O] et la société CB Assurance de leur demande au titre de l'article 700 et condamné M. [O] aux dépens.

Le 29 décembre 2022, la société CB Assurance et M. [O] ont interjeté appel de ce jugement.

Le 8 juin 2023, la cour d'appel de Paris, par ordonnance, a ordonné une médiation dans la présente affaire.

Le 5 janvier 2024, les appelants informaient la cour de l'échec de la médiation.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 juin 2024, M. [O] et la société CB Assurance demandent à la cour de :

- juger recevables et bien fondés leur appel et leurs demandes, fins et prétentions,

y faisant droit :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

* déboute la société CB Assurance et M. [O] de leur demande tendant à voir écarter comme demande nouvelle l'action en responsabilité et concurrence déloyale et manquement à l'obligation de loyauté faite par l'EIRL A. [J],

* dit et juge recevables et bien fondées les autres demandes formulées contre M. [O] en sa qualité d'ancien salarié,

* dit et juge la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail valable et opposable,

* constate la violation de la clause de non-concurrence par M. [O],

* condamne M. [O] à payer à l'EIRL A. [J] les sommes de :

- 41 576,29 euros au titre des pénalités pour violation de la clause de non-concurrence,

- 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour réparation du préjudice lié à la désorganisation de l'entreprise,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de notoriété et d'image qui lui a été causé,

* prononce l'exécution provisoire de droit,

* ordonne que les sommes de la condamnation portent intérêts au taux légaI à compter du prononcé du jugement,

* déboute M. [O] de sa demande reconventionnelle de rappels de salaire,

* déboute M. [O] et la société CB Assurance de leur demande au titre de l'article 700 et condamne M. [O] aux dépens,

et statuant à nouveau des chefs de jugement critiqués :

à titre principal

- juger nulle la clause de non-concurrence,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] la somme de 10 000 euros au titre du préjudice découlant de la mention d'une clause de non-concurrence nulle dans le contrat de travail,

à titre subsidiaire

- juger non-écrite la clause de non-concurrence par suite du déséquilibre significatif du contrat de travail,

à titre très subsidiaire

- juger que le défaut de versement de contrepartie vaut libération de la clause de non-concurrence et qu'en tout état de cause aucune violation de ladite clause n'est caractérisée,

- juger que M. [O] n'a pas enfreint la clause de non-concurrence,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] la somme de 7 380 euros brut au titre de la contrepartie à la clause de non-concurrence, outre 738 euros de congés payés,

à titre encore plus subsidiaire, si la clause de non-concurrence était jugée valable et opposable:

- juger inopposable la clause pénale conventionnelle,

- fixer à 552 euros le montant du préjudice subi par l'EIRL A. [J] et condamner ce dernier à payer M. [O] une somme égale au préjudice qu'il prétend avoir subi, à titre de dommages et intérêts,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] la somme de 7 380 euros brut au titre de la contrepartie à la clause de non-concurrence, outre 738 euros de congés payés,

à titre infiniment subsidiaire, si la clause de non-concurrence était jugée valable et opposable :

- juger manifestement excessive la clause pénale,

- fixer à 552 euros le montant du préjudice subi par M. [J] et condamner ce dernier à payer à M. [O] une somme égale au préjudice qu'il prétend avoir subi, à titre de dommages et intérêts,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] la somme de 7 380 euros brut au titre de la contrepartie à la clause de non-concurrence, outre 738 euros de congés payés,

en tout état de cause

- débouter l'EIRL A. [J] de son appel incident et de toutes ses demandes et prétentions,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] les sommes suivantes :

* 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et matériel découlant des procédés visant à imposer l'application de la clause de non-concurrence,

* 10 477 euros brut à titre de rappel de salaires (commissions) outre 1 047,70 euros brut de congés payés, sauf subsidiairement à désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la cour, avec mission habituelle en la matière, afin de déterminer pour la totalité de la période contractuelle, le commissionnement exact auquel le salarié aurait dû avoir droit sur la base des tableaux envoyés à l'employeur (pièce appelant n°5), si besoin en interrogeant la société AXA en qualité de sachant,

* 2 000 euros bruts à parfaire, au titre des commissions dues du 2ème trimestre 2020 et 200 euros bruts de congés payés afférents,

* 18 450 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à l'exécution déloyale du contrat,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à M. [O] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'EIRL A. [J] à payer à la société CB Assurance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'EIRL A. [J] aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 21 novembre 2024, l'EIRL [M] [J] demande à la cour de :

sur l'appel principal

- débouter M. [O] et la société CB Assurance de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement attaqué du conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a :

* dit et jugé recevables et bien fondées les autres demandes formulées contre M. [O] en sa qualité d'ancien salarié,

* dit et jugé la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail valable et opposable,

* constaté la violation de la clause de non-concurrence par M. [O],

* condamné M. [O] à payer à l'EIRL A. [J] les sommes de 41 576,29 euros au titre des pénalités pour violation de la clause de non-concurrence, de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour réparation du préjudice lié à la désorganisation de l'entreprise, de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de notoriété et d'image qui lui a été causé,

* prononcé l'exécution provisoire de droit du jugement conformément aux dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail,

* ordonné que les sommes de la condamnation portent intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

* débouté M. [O] de sa demande reconventionnelle de rappels de salaire,

* débouté M. [O] et la société CB Assurance de leur demande au titre de l'article 700 et condamné M. [O] aux dépens,

y ajoutant

- condamner M. [O] à payer à l'EIRL A. [J] la somme de 620,47 euros au titre des pénalités pour violation de la clause de non-concurrence au titre de la tentative de détournement de clientèle et de transfert du contrat d'Europisol,

sur l'appel incident

- déclarer recevable l'appel incident de M. [J], exerçant sous l'enseigne l'EIRL [M] [J],

y faisant droit,

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [J], exerçant sous l'enseigne EIRL [M] [J], de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [O] à payer à M. [J], exerçant sous l'enseigne EIRL [M] [J], la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 novembre 2020,

- condamner in solidum M. [O] et la société CB Assurance à payer à M. [J], exerçant sous l'enseigne EIRL [M] [J], la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile de première instance,

en toute hypothèse

- débouter M. [O] et la société CB Assurance de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum M. [O] et la société CB Assurance à payer à M. [J], exerçant sous l'enseigne EIRL [M] [J], la somme de 13 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner in solidum M. [O] et la société CB Assurance aux dépens d'appel comprenant les honoraires du médiateur et admettre Me Bruno Regnier, avocat, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 décembre 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 28 janvier 2025.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la clause de non-concurrence :

M. [O] soutient que la clause de non-concurrence stipulée à son contrat de travail, qui ne prévoit aucune limitation géographique précise, aucune contrepartie financière, ni limitation matérielle, ni clause pénale, ni renvoi explicite à la convention collective applicable et qui n'a fait l'objet d'aucune rémunération à son profit est nulle. Il sollicite la somme de 10'000 ' au titre du préjudice découlant de la mention dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence nulle; il invoque à ce titre les pressions morales, financières et professionnelles que l'EIRL A. [J] a exercées sur lui, jeune courtier de 24 ans et ancien salarié, pour se faire remettre des sommes sans rapport avec la réalité du préjudice prétendu, l'acharnement et l'inflexibilité de M. [J] face à ses propositions amiables, les répercussions graves sur sa famille et son environnement professionnel, ayant consacré beaucoup de temps à réagir aux attaques de son adversaire au lieu de développer son activité.

À titre subsidiaire, M. [O] soutient que cette clause doit être réputée non écrite.

À titre très subsidiaire, il considère que le défaut de versement de contrepartie vaut libération de la clause et qu'aucune violation n'est caractérisée en l'espèce.

L'EIRL A. [J] fait valoir que la clause de non-concurrence figurant à l'avenant au contrat à durée déterminée est parfaitement conforme puisqu' elle se réfère explicitement à l'application de l'article 52 de la convention collective (en réalité article 51) qui prévoit une contrepartie financière, que d'ailleurs le salarié, dans sa demande de rupture conventionnelle, s'est engagé à respecter cette clause ' sur les reprises des contrats, sauf comme vu ensemble les contrats de (ma) sa famille' et que le jugement de première instance doit être confirmé en ce qu'il a constaté la validité de cette clause. Il relève que la convention collective à laquelle le contrat fait référence est expressément mentionnée dans le contrat de travail et qu' à l'occasion de son actualisation et de son extension, l'article 52 est devenu l'article 51.

L'intimé estime qu'il était bien fondé à ne pas verser à M. [O] de contrepartie financière au titre de l'obligation de non-concurrence dès lors que ce dernier, autorisé à la suite de l'échange de courriels du 2 avril 2020 à reprendre les seuls contrats appartenant à sa famille lors de son installation comme courtier en assurances, avait violé ses obligations dès le 27 mai suivant en enregistrant auprès de l'INSEE la société CB Assurance, ayant strictement la même activité que l'EIRL A. [J].

L'article 51 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2020 prévoit la possibilité d'insérer dans le contrat de travail une clause de non-concurrence qui doit être 'triplement limitée'

'-dans le temps : pour une durée maximale de 18 mois à compter de la date de rupture du contrat de travail ;

- dans l'espace : à la circonscription du salarié si elle est définie au contrat de travail ; à défaut de définition, la clause de non-concurrence devra expressément être limitée à un rayon maximal de 50 km autour du ou des points de vente de l'agence ;

- quant à la nature des activités interdites : toute présentation, directe ou indirecte, d'opérations d'assurances appartenant aux mêmes catégories que celles du portefeuille de l'agence.'

Ce texte précise en son alinéa 5° que 'pendant l'exécution de l'interdiction, l'employeur verse au salarié une contrepartie pécuniaire mensuelle dont le montant est égal à 20 % de la rémunération moyenne mensuelle des 12 derniers mois, telle que définie à l'article 31 de la présente convention, ou de la durée de l'emploi si celle-ci a été inférieure à 12 mois.'

Il est constant que la clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions, appréciées à la date de sa conclusion et non lorsque le juge statue, étant cumulatives.

La validité d'une telle clause ne peut résulter que de l'accord certain et non équivoque des parties.

Portant atteinte aux principes fondamentaux que sont la liberté du travail et la libre concurrence, elle doit faire l'objet d'une appréciation stricte.

En cas de rupture du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise.

En l'espèce, la clause de non-concurrence stipulée à l'article X de l' 'avenant au contrat de travail à durée indéterminée à temps plein' en date du 2 janvier 2019 est ainsi rédigée :

'Compte tenu des fonctions exercées notamment ses connaissances de la clientèle, des tarifs et des conditions de vente de l'agence, M. [O] [X] s'interdit à la cessation de son contrat de travail, et ce pour quelque motif que ce soit, d'effectuer directement ou indirectement, dans la circonscription géographique définie dans ce contrat et pendant 3 mois, toute présentation d'opérations d'assurances appartenant aux mêmes catégories que celles du portefeuille de l'agence précitée.

M. [O] [X] s'interdit également de reprendre l'ensemble des prospects et clients de l'agence et ce pour quelque motif que ce soit, et pendant une durée de 12 mois à compter de son départ de l'entreprise, à la condition que la vie des contrats soit supérieurs (sic) à 24 mois.

En vertu de l'article 52 de la convention collective, M. [J] [M] se réserve la possibilité de réduire la durée d'application de la présente clause ou de renoncer au bénéfice de celle-ci en prévenant M [O] [X] par lettre recommandée avec AR dans les 15 jours suivant la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture du contrat de travail.'

Si le contrat de travail mentionne par ailleurs l'adresse de l'EIRL [M] [J] à [Localité 7] et, en son article V, le lieu de travail du salarié ('à titre d'information, il ne constitue pas un élément essentiel du contrat'), à cette même adresse, force est de constater que la clause qui ne fait pas strictement référence à cet article, doit être interprétée comme n'étant pas limitée dans l'espace.

En outre, cette clause ne contient mention d'aucune contrepartie financière; la référence à l'article 52 de la convention collective, faite sans autre précision et alors que la 'convention collective applicable' n'est pas autrement définie dans le contrat, ne saurait suppléer cette carence, d'autant que ce texte conventionnel s'avère être le support de la renonciation de l'employeur à une partie de la durée d'application de la clause ou à son bénéfice, stipulation sans lien avec la contrepartie de l'atteinte à la liberté d'entreprendre du salarié.

Surabondamment, il y a lieu de constater qu'à la date de la rupture du contrat de travail, le 30 avril 2020, date d'exigibilité de la contrepartie financière et date à laquelle M. [O] n'exerçait aucune autre activité professionnelle, l'EIRL A. [J] n'a versé aucune somme à son ancien salarié au titre de la clause de non-concurrence, ni même envisagé de le faire conformément aux dispositions de l'article 51 de la convention collective applicable.

Il convient donc de constater la nullité de la clause de non-concurrence, en l'espèce.

Enfin, quant à la demande d'indemnisation du préjudice résultant de la nullité de la clause de non-concurrence, il est constant que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Alors que les parties sont convenues d'une rupture conventionnelle, à son initiative et en vue de lui permettre d'exercer une activité similaire à celle de son employeur, M. [O], qui n'a dû répondre aux interrogations et injonctions de son ancien employeur qu'en raison des constats faits par ce dernier à la suite de son départ de l'agence, ne démontre aucun préjudice résultant de la mention dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence nulle.

Sa demande d'indemnisation doit donc être rejetée.

Sur le préjudice moral et matériel :

M. [O] réclame également 40'000 ' à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et matériel découlant des procédés visant à lui imposer l'application d'une clause de non-concurrence.

L'EIRL A. [O] conclut au rejet de la demande.

L'indemnisation sollicitée suppose, en l'espèce, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

À défaut pour l'appelant de démontrer un quelconque préjudice résultant de la rédaction et de l'invocation d'une clause pénale nulle, des prétentions de son adversaire fondées sur les conditions de son départ de l'agence [J], du refus opposé à ses propositions amiables et du temps perdu pour développer son activité professionnelle notamment, sa demande doit être rejetée.

Sur la clause pénale :

La demande de l'EIRL A. [J] tendant à la condamnation de M. [O] à lui verser la somme de 41'576,29 ' en exécution de la clause pénale contractuelle, par application de l'article 51 6° de la convention collective, est fondée sur la violation par l'ancien salarié de son obligation de non-concurrence.

Selon l'article 51 6° de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances, dans sa version applicable au litige, " en cas de violation de l'interdiction par le salarié, l'employeur sera pour sa part libéré de son engagement de versement de la contrepartie financière. En outre, le salarié sera redevable d'une pénalité dont le montant est égal au montant de la contrepartie pécuniaire mensuelle telle que définie ci-dessus. Cette somme doit être versée à l'employeur pour chaque infraction constatée".

Eu égard à la nullité de cette clause et en l'absence de toute clause pénale contractualisée, la seule référence à la convention collective - sans autre précision- dans le contrat de travail ne pouvant suffire, il convient de rejeter la demande.

Le jugement de première instance qui a considéré applicable la pénalité évoquée par ce texte conventionnel et a condamné M. [O] à la somme de 41'576,29 doit donc être infirmé de ce chef.

Sur la désorganisation de l'entreprise, le préjudice moral, de notoriété et d'image, la tentative de détournement de clientèle et de transfert du contrat d'Europisol:

Face à l'EIRL A. [J] qui réclame la confirmation du jugement au titre des dommages-intérêts pour désorganisation de l'entreprise et préjudice de notoriété et d'image, et qui sollicite en outre 620,40 ' de pénalités au titre de la tentative de détournement de clientèle et de transfert du contrat d'Europisol, ainsi que 5 000 ' pour préjudice moral - par infirmation du jugement entrepris-, M. [O] conclut au rejet des demandes.

Les condamnations prononcées à ces différents titres par le conseil de prud'hommes sont fondées sur la violation de la clause de non-concurrence et de la clause pénale, lesquelles, comme déjà analysé, sont respectivement nulle et inopposable à M. [O].

De même, la demande de pénalités au titre d'un détournement de clientèle et de transfert du contrat d'Europisol est fondée sur la violation de la clause de non-concurrence.

Ces prétentions ne sauraient donc prospérer devant la juridiction sociale, en l'état de la nullité de ladite clause.

Par ailleurs, dans le corps de ses conclusions, l'EIRL A. [J] vise les articles 1103 (selon lequel ' les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits') et 1104 du Code civil ainsi que les manquements du salarié à ses obligations contractuelles.

Sont produits à ce sujet un échange de courriels dans lesquels le salarié promet de ne conserver que les contrats de sa famille et M. [J] accepte en échange son installation comme courtier d'assurances.

Si ces promesses sont concomitantes à la relation salariale, elles en sont à l'évidence déconnectées, [X] [O] étant en préparation de son activité, projet pour lequel il avait demandé une rupture conventionnelle, et M. [J] ne répondant qu'en sa qualité de responsable de son agence d'assurance dans la perspective de la création d'une agence [O].

En outre, alors que la relation de travail a pris fin le 30 avril 2020, les griefs faits à l'appelant et à la société CB Assurance correspondent à des faits postérieurs à la relation de travail.

Par conséquent, les reproches faits à M. [O] correspondent à des promesses non tenues dans le cadre de la future activité commerciale de M. [O], sans lien avec ses obligations découlant du contrat de travail, et à des faits liés à son activité professionnelle postérieure audit contrat.

Alors que le jugement de première instance n'a pas été critiqué dans le cadre de l'appel principal et de l'appel incident en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formulées au titre de l'action en responsabilité et concurrence déloyale et manquement à l'obligation de loyauté et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce, il convient de renvoyer également les parties devant la juridiction consulaire au sujet de ces demandes d'indemnisation de préjudices sans lien avec le contrat de travail.

Sur les commissions impayées :

M. [O] affirme n'avoir pas été réglé de l'intégralité des commissions qui lui étaient dues et réclame la somme de 10'477 ' à ce titre, pour la période comprise entre le quatrième trimestre 2017 et le premier trimestre 2020, outre les congés payés y afférents. Il sollicite également la somme de 2 000 ' à parfaire, au titre des commissions du deuxième trimestre 2020 ainsi que les congés payés y afférents, n'ayant pas renoncé dans le solde de tout compte à ses commissionnements.

Il indique ne pas s'opposer, si son adversaire en formule la demande, à une expertise à ce sujet.

M. [J], représentant l'EIRL A. [J], souligne le caractère opportuniste de la demande, le salarié n'ayant jamais réclamé pendant l'exécution de son contrat de travail, ni après sa rupture, le paiement de commissions, ni formulé aucune réserve relative au solde de tout compte, qu'il ne peut désormais contester.

Il considère que son adversaire ne rapporte pas la preuve du montant réclamé, que les affaires commissionnées ne pouvaient être que celles conclues dans le respect des règles et acquittées par le client, et liste les dossiers apportés par le salarié ayant fait l'objet d'une reprise de commissions avec pénalités ou de constat d'anomalies les empêchant de donner lieu à commissions.

L'article VIII du contrat de travail stipule un salaire annuel brut de base ainsi qu'une commission d'apport calculée sur les affaires nouvelles apportées personnellement à l'agence et versée trimestriellement après encaissement des primes auxquelles elle se rapporte.

Il renvoie à une annexe 1 intitulée 'tableau interne et confidentiel à l'attention de [X] [O] - tableau de commissionnements « Assurances 2019 »' listant le montant des commissions dues en fonction des produits et les conditions d'éligibilité notamment.

Par ailleurs, dans le reçu pour solde de tout compte, signé le 30 avril 2020 par M. [O], figure une somme 'versée au titre de l'exécution du contrat de travail' et correspondant au salaire mensuel à payer, à l'indemnité compensatrice de congés payés, à l'indemnité conventionnelle de rupture, sans mention relative aux commissions.

La recevabilité des demandes n'est donc pas valablement contestée.

Si l'appelant fonde sa demande sur ses bulletins de salaire et sur un tableau récapitulatif des commissions qui lui ont été payées et des commissions qui ont été déclarées par courriels à M. [J], non contestées par lui, force est de constater qu'il appartient à l'employeur de justifier du paiement du salaire dans son intégralité.

L'EIRL A. [J] verse aux débats plusieurs échanges de courriels avec la compagnie d'assurance dont il résulte d'une part des résiliations de contrats notamment pour non-paiement, d'autre part des souscriptions de contrats non conformes aux règles d'octroi ayant donné lieu à reprises de commissions ou au non-versement desdites commissions.

En outre, la question des commissions a été évoquée entre les parties à l'occasion de la rupture conventionnelle ( cf les messages échangés en avril 2020).

Enfin, l'article VIII du contrat de travail stipule qu' à compter de la date de cessation du contrat de travail , 'le salarié ne pourra prétendre à aucune commission sur les affaires qu'il aurait apportées à l'agence pendant la période où il faisait partie du personnel'.

Cette stipulation s'oppose à la réclamation du salarié au titre du deuxième trimestre 2020, alors qu'aucun élément objectif n'est produit sur des affaires apportées en avril 2020 par l'intéressé, lequel - au vu des mentions figurant sur son bulletin de salaire d'avril 2020- était en congés payés du 7 au 30 avril inclus.

Les pièces produites ne permettent pas de vérifier qu'un rappel de commissions est dû au salarié.

Le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

M. [O] affirme qu'au-delà des impayés de commissions, son employeur a dissimulé des éléments de salaire par le paiement d'une indemnité de rupture conventionnelle et en le maintenant dans un lien de subordination après la rupture du contrat par des tâches en lien direct avec ses anciennes attributions, sans contrepartie. Il réclame 18'450 ' à ce titre.

L'intimé conteste tout travail effectué postérieurement à la rupture du contrat et considère l'argumentation adverse fantaisiste. Il critique les courriels invoqués qui émanent de membres de la famille [O], relatifs à des contrats qui ont été frauduleusement transférés à la société CB Assurance et relève, pour les autres pièces produites, qu'elles concernent l'entraide convenue par les deux entités dans le cadre d'une coopération commerciale. Il conclut au rejet de la demande.

Selon l'article L.8221-5 du code du travail ' est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'

L'article L.8223-1 du code du travail dispose qu' 'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.'

Par ailleurs, une relation de travail salariée se caractérise par trois critères cumulatifs, à savoir une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique, critère décisif.

Le lien de subordination est lui-même caractérisé par l'exécution d'un contrat sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Les différents échanges produits, exempts d' instructions, de directives ou de reproches tels que ceux pouvant être faits dans le cadre d'un quelconque pouvoir de direction, d'organisation ou de sanction d'un employeur, montrent, en dehors de tout lien de subordination, des échanges sur un pied d' égalité entre deux entités commerciales.

Par conséquent, dans la mesure où aucun rappel de commissions n'est dû, où la relation de travail salariée n'a pas perduré et où aucun élément n'est versé sur le caractère intentionnel d'une dissimulation, la demande doit être rejetée.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

M. [O] demande réparation de l'exécution déloyale de son contrat de travail, fondée sur l'application d'une clause de non-concurrence inopposable et délibérément rédigée de façon fallacieuse, sur le non- paiement de commissions, sur des arrangements décomplexés l' ayant privé de l'indemnité légale de rupture et de cinq jours de rémunération puisque le contrat devait se terminer le 5 mai 2020. Il réclame la somme de 10'000 ' à ce titre.

L'intimé conclut au rejet de la demande.

La demande d'indemnisation de l'espèce suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

M. [O], qui ne démontrait aucun préjudice lié à l'application de la clause de non-concurrence, a été débouté de sa demande de paiement de commissions.

En outre, il ne démontre pas que l'indemnité de rupture conventionnelle, dans le cadre de la convention homologuée le 27 avril 2020 et intervenue à sa demande, ait été calculée de façon désavantageuse pour lui et en violation des règles applicables.

Par ailleurs, si, dans un courriel relatif à la rupture conventionnelle et à ses modalités, l'employeur prévoyait une fin de contrat au 5 mai 2020, force est de constater que la rupture a été effective le 30 avril 2020, comme en attestent les documents sociaux de rupture qui n'ont pas été contestés dans leur teneur par l'intéressé, et en l'absence de tout élément objectif témoignant d'une poursuite de l'activité salariée après cette date.

À défaut au surplus de rapporter la preuve d'un préjudice en lien avec l'exécution du contrat de travail, la demande d'indemnisation doit être rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

Les parties, qui succombent tour à tour, doivent être tenues aux dépens de première instance et d'appel, chacune pour moitié.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties pour la procédure de première instance, ni pour celle d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement dans les limites de l'appel, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions ayant dit recevables les demandes formulées contre M. [O] en sa qualité d'ancien salarié, rejeté la demande de rappel de salaires et les demandes au titre des frais irrépétibles, lesquelles sont confirmées,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONSTATE la nullité de la clause de non-concurrence,

REJETTE les demandes présentées sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence et de l'application de la clause pénale,

RENVOIE les parties à se pourvoir devant le tribunal de commerce de Créteil relativement aux demandes relatives à la tentative de détournement de clientèle et de transfert d'un contrat, à la désorganisation de l'entreprise, au préjudice de notoriété et d'image et au préjudice moral,

REJETTE les autres demandes des parties,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [X] [O] et l'EIRL A. [J] aux dépens de première instance et d'appel, chacun pour moitié.

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