CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 27 mars 2025, n° 24/00463
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Optique Moro (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pachter-Wald
Vice-président :
Mme Boulogne
Conseiller :
Mme Giudicelli
Avocats :
Me Vautrin, Me Bibard
DECISION :
Mme [M] épouse [G], née le 8 janvier 1969, a été embauchée à compter du 2 juillet 2001 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par la société optique Moro (la société ou l'employeur), en qualité de cadre opticien. Au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait le poste d'opticienne - directrice de magasin.
La convention collective applicable est celle de l'optique.
Par lettre du 8 juin 2020, Mme [G] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 18 juin 2020, avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 9 juin 2020, elle a été placée en arrêt de travail de droit commun.
Le 25 juin 2020, la salariée a été licenciée pour faute grave, par lettre ainsi libellée :
'Vous exercez actuellement la fonction d'OPTICIENNE - DIRECTRICE DE MAGASIN - avec le statut de Cadre, au Coefficient 300 - votre date d'entrée dans l'entreprise est le 02 juillet 2001.
En application des dispositions de l'article L.1232-2 du Code du Travail, je vous ai convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour " faute grave " avec mise à pied à titre conservatoire, le jeudi 18 juin 2020, en mes bureaux.
Vous étiez assisté lors de l'entretien, d'une personne extérieure à l'entreprise.
Je vous ai rappelé que notre enseigne, nous impose le respect d'une charte déontologique que vous avez signée, sachant que ce point figure dans votre contrat de travail.
Nous vous avons exposé lors de l'entretien, avoir découvert des dossiers litigieux :
En date du samedi 23 mai 2020, une cliente entre dans le magasin et s'adresse à Mme [D] [H]. Cette cliente a affirmé que " Mme [G] facturait des lentilles sans les délivrer afin de diminuer le coût des lunettes et qu'elle modifiait les prix en fonction de ses remboursements". Extrêmement surprise par cette demande si assurée, nous avons souhaité savoir s' il s'agissait d'une pratique réelle et instituée en magasin.
Après une étude des dossiers de l'équipe et un audit réalise par le service éthique et qualité réseau Krys Group, en date des 27/05 et 01/06 nous avons trouvé 27 dossiers vous concernant, sur une période très courte puisque ce sont des ventes réalisées entre le 13/03/2019 et le 22/05/2020 avec près de deux mois de fermeture à cause du confinement. 14 dossiers ont été initiés par vos soins et concernant les 13 autres vous avez validé ces pratiques.
Au terme de ces recherches nous avons également constaté d'autres fraudes concernant des dossiers du 01/01/2019 au 30/04/2019 que nous pouvons vous exposer si vous le souhaitez.
Par soucis de confidentialité et dans le respect de la protection des données de santé, les dossiers clients sont nommés par le numéro de client.
Nous constatons plusieurs manquements graves :
La facturation à l'organisme de santé n'est pas en accord avec le prix réel de l'équipement, en voici 2 exemples :
- Client n°6554242 : le prix de la monture est à l'origine de 159' et sur la facture nous pouvons constater que vous avez modifié le prix en facturant cette monture 335,80'.
- Client n°6568452: le prix de la monture est à l'origine de 29 ' et sur la facture nous pouvons constatons un prix facturé de109'.
Autrement dit, vous avez demandez un remboursement à un organisme de santé sur un montant qui n'est pas le prix de vente. Vous avez envoyé une demande de prise en charge à la mutuelle du client en facturant un montant plus élevé que celui qui aurait dû être.
Ce type d'agissement est qualifié de fraude auprès d'un organisme de santé puisque vous falsifiez un document avec un montant modifié qui ne représente pas la réalité du prix de vente.
La facturation à l'organisme de santé d'un seul équipement alors qu'un autre équipement est inclus dans le prix du premier, en voici 3 exemples :
- Client n°26960902 en date du 16/05/2020, il est attesté qu'une seule monture a été vendue et facturée au prix de 196,80' alors qu'en réalité, le montant est erroné et nous avons une autre paire incluse.
- Client n° 27394509, un équipement complet, monture et verres, a été facturé. II apparait que les verres n'ont jamais été commandé. Vous avez pourtant facturé deux verres à 75' que vous avez compensé avec l'achat d'une loupe à 150'.
- Client n°6577145, vous avez demandé le remboursement d'une seule paire de lunette pour un montant de 140' alors que le prix réel était de 29'.
L'utilisation d'une partie du forfait d'un client pour payer une partie de la monture d'un autre:
- Clients n°6570004 et n°6566331. Sur ce dossier, vous avez également facturé des lentilles qui n'ont, pas été commandées. Cela met en évidence, encore une fois, l'aspect extrêmement fictif du dossier de vente qui ne s'inscrit pas dans la réalité des faits.
Vous ne pouviez ignorer que l'ensemble des documents qui sont établis dans le cadre d'une vente et qui sont envoyés aux organismes de complémentaires santé doivent être la stricte réalité d'une vente sans changement de prix, sans intégration de montures supplémentaires ou utilisation pour un autre client 'Chaque document doit attester d'une traçabilité, d'une honnêteté et d'une lisibilité en accord avec la réalité de la vente. En effet, intégrer sur une facture un montant différent est non seulement un faux mais cela est aggravé par le fait de l'utiliser auprès d'un tiers (complémentaire santé). Se servir de ce document pour obtenir un avantage financier est extrêmement grave et intolérable au sein de nos structures.
Lors de l'entretien du 18/06/2020, vous avez indiqué contester les faits.
N° CLIENT Geste Co. Date Fact. Description
27554637 04/05/2019 23/04/2019 augmentation du prix brut de chaque verre de 35' soit 70' présence d'une note dans le dossier : " 25 par verre intégré dans 1er equipt "
23950123 23/05/2019 30/04/2019 augmentation du prix brut de la monture de 157' à 192'
6546401 23/05/2019 13/03/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 195' à 245'
présence d'une note dans le dossier: " polarise inclus ds 1ere paire "
6580065 23/05/2019 19/03/2019 augmentation du prix brut de la monture de 199' à 343'
27606740 25/05/2019 04/05/2019 augmentation du prix brut de chaque verre de 99,42' à 129,42'
25491656 29/05/2019 13/04/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 75' à 90'
20034969 29/05/2019 13/04/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 75' à 90'
6570004 23/03/2019 augmentation 10' monture et 35' par verre soit 80'
6566331 23/03/2019 20/03/2019 lentilles factice facturées 168,85' ( absence de traçabilité) et augmentation du prix brut passant chaque verre de 255' à
280'
24673525 29/05/2019 05/04/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 105' à 124.50'
6572455 01/06/2019 27/04/2019 augmentation du prix brut de la monture passant de 181' à 285'
6574380 13/06/2019 13/04/2019 présence d'une note dans le dossier : " mont 1er equipt aug de 25.5 "
augmentation du prix brut de la monture passant de 159' à 189'
6577145 03/07/2020 augmentation du prix brut de la monture passant de 29' à 140'
présence d'une note dans le dossier : " inclus dans monture avec 39,50 [F] "
24237802 09/07/2019 03/07/2020 augmentation du prix brut de la monture passant de 29' à 291'
27740592 31/07/2020 augmentation du prix brut de la monture passant de 29' à 99'
6554242 01/08/2019 31/07/2019 augmentation du prix brut de la monture passant de 159' à 335.80'
2808800 08/10/2019 11/09/2019 augmentation du prix brut de la monture passant de 159' à 183'
6575383 24/12/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 160' à 220,62'
6568825 21/12/2019 10/12/2019 augmentation du prix brut de la monture passant de 127' à 148'
6561667 27/12/2019 19/12/2019 monture factice facturée pour payer 2ème équipement à 99'
6579816 19/12/2019 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 255' à 305'
6568006 22/02/2020 18/02/2020 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 30' à 90'
6562307 13/02/2020 04/02/2020 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 235' à 284.53'
6566949 22/02/2020 monture fictive pour payer 2eme 99' note : fs 99' mis en monture
28552296 19/02/2020 19/02/2020 augmentation du prix brut de chaque verre passant de 170' à 190'
26960902 16/05/2020 augmentation du prix brut de la monture de 129' à 196,80'
présence d'une note dans le dossier : " le montant de la sol inclus ds monture "
6568452 04/06/2020 22/05/2020 augmentation du prix brut de la monture passant de 29' à 109'
6565387 23/01/2019 04/12/2018 lentilles facturées 400' au lieu de 126,82'
présence d'une note dans le dossier : " cout total 870 lunettes et 126.82 lentilles " et " 2 boites livrées le 16012019 pour 126.82 "
27394509 19/03/2019 08/03/2019 Absence de traçabilité pour les verres, pas de bon de livraison.
Présence d'une note dans le dossier : " lunettes filtre eschenbach sans correction "
Nous vous rappelons que, via notre logiciel, les dossiers sont nominatifs et que nous avons une parfaite connaissance du collaborateur qui a géré la vente. En l'espèce l'ensemble de ces dossiers sont rattachés à votre personne.
Nous souhaitons avoir une image irréprochable auprès de nos clients, nous ne souhaitons absolument pas laisser penser aux potentiels acheteurs que nous faisons des arrangements de facture auprès des organismes de santé. Cela laisserait place à des dérives, du chantage à la vente et une image extrêmement néfaste au sein de notre zone de chalandise.
Vous ne pouvez ignorer les risques financiers et judiciaires pour nous en tant que structure juridique si les organismes de complémentaire santé constatent ce type de fraude.
Les associés du groupement ont voté, à l'assemblée générale, le 21 mars 2010, l'intégration d'un programme déontologique, au sein du règlement intérieur du Groupe qui est applicable à chacun de ses membres mais aussi à chacune des personnes travaillant sous l'une de ses enseignes.
La Charte Déontologique, quant à elle, intégrée au sein de ce règlement dispose dans son 6ème principe : " Conserver en toutes circonstances une attitude loyale et respectueuse envers :
Les clients, les prescripteurs, les organismes d'assurance maladie et plus généralement tout tiers en relation avec La Guilde des lunetiers, ses adhérents et ses filiales
La Guilde des Lunetiers, ses filiales et ses adhérents
Les autres points de vente de son enseigne, notamment lorsqu'ils appliquent en ses lieux et place les engagements de l'enseigne.
Vous avez, afin de connaître ces enjeux, directement signé la charte déontologique le 22/09/2013 via un avenant à votre contrat de travail. De plus, la charte déontologique est affichée en magasin afin que ce rappel soit constant et informe aussi nos clients de notre engagement dans une démarche d'honnêteté envers les tiers et nos équipes.
Vous étiez garante du respect de la charte à travers les formations que vous meniez auprès de vos équipes chaque année sur cette partie de déontologie. En effet, la certification qualité AFNOR mise en place dans nos magasins se positionne aussi dans ces aspects là et nous oblige à former nos équipes sur ce sujet. Référente de ce sujet et manager de vos équipes, vous étiez le relai auprès de vos collaborateurs. La dernière formation a été menée par [C] [U] et vous-même les 7 et 11 février 2020.
Vous ne pouviez donc pas ignorer les engagements importants de notre magasin. La politique Krys Group concernant ce type de pratique est donc très claire : aucune tolérance n'est admise.
Si l'ensemble de ces précautions ont été prises, c'est avant tout pour nous prémunir de toute faute ou manquement pouvant entraîner un préjudice aussi bien moral que financier à l'entreprise dont les conséquences seraient catastrophiques
Le nombre d'infraction mises en évidence pose clairement un problème et remet en cause à la fois la confiance mais aussi l'éthique dont vous deviez faire preuve. Le nombre important de dossiers sur une période aussi courte atteste de votre volonté délibérée de porter préjudice à l'entreprise.
En tant que directrice de magasin, vous étiez responsable de vos actes mais aussi des actes de l'équipe, d'où l'importance incontestable de l'exemplarité dont vous deviez faire preuve dans la réalisation de vos ventes.
Ainsi, la découverte de ces faits frauduleux alors que vous étiez parfaitement informé de toutes les précautions à prendre dans la gestion des dossiers, ne peut être admise et laissée sans suite.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend effet immédiatement à première présentation de la lettre recommandée sans indemnités de préavis ni de licenciement.
Nous vous rappelons que vous avez fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Nous vous signalons à cet égard qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied ne vous sera pas versé.
Vous êtes, dès votre départ de l'entreprise, déliée de toute obligation à notre endroit, tout en demeurant tenue de respecter une obligation de loyauté et de discrétion à l'égard des éléments confidentiels dont vous auriez pu avoir connaissance à l'occasion de votre travail.
Lors de la signature de votre contrat de travail, vous vous étiez engagée à respecter une clause de non concurrence. Par la présente, nous vous informons que nous vous relevons de ces obligations et vous autorisons à faire en toute liberté vos recherches d'emploi.
Nous vous adresserons par courrier recommandé séparé un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi, ainsi que les salaires et indemnités de congés payé qui vous sont dus.
A cette date, nous vous informons que vous conservez le bénéfice du régime obligatoire de couverture des frais de santé et des garanties prévoyance en vigueur au sein de l'entreprise, et cela pour une durée de 12 mois. Les garanties maintenues sont celles dont bénéficient les salariés de l'entreprise pendant une période de chômage, de telle sorte que toute évolution de ces garanties vous sera opposable.(...)'
Contestant la légitimité de son licenciement, et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens, le 21 avril 2022, qui par jugement du 22 janvier 2024, le conseil a :
dit et jugé n'y avoir lieu à prononcer la nullité du licenciement de Mme [G], les éléments dont se prévaut la requérante ne permettant pas de caractériser une situation de harcèlement moral ;
dit et jugé que le licenciement de Mme [G] reposait sur une cause réelle et sérieuse constitutive d'une faute grave ;
dit que le licenciement entrepris à l'égard de Mme [G] ne revêtait pas un caractère vexatoire ;
débouté Mme [G] de l'ensemble de ses demandes au titre des indemnités de licenciement, de préavis et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour harcèlement moral, licenciement sans cause réelle et sérieuse et intervenu dans des conditions vexatoires, et enfin de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents ;
débouté Mme [G] de sa demande au titre des heures supplémentaires pour la période 2017 à 2020 ;
débouté Mme [G] de ses demandes de remise de bulletins de salaires et documents de fin de contrat ;
dit n'y avoir lieu à remboursement d'indemnités de chômage à Pôle emploi ;
dit que Mme [G] n'apportait pas la démonstration d'un préjudice quant à l'absence de mention du coefficient 330 sur les bulletins de paie et en conséquence l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
dit que l'absence de visite d'information et de prévention périodique n'était pas imputable à la société optique Moro l'employeur et en conséquence, a débouté Mme [G] de ce chef de demande ;
jugé que l'absence d'entretiens professionnels avait porté un préjudice certain à Mme [G] ;
condamné la société optique Moro à payer à Mme [G] des dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros ;
dit que la subtilisation du fichier client par Mme [G] avait causé un préjudice à la société optique Moro ;
condamné Mme [G] à payer à la société optique Moro des dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros ;
fixé la moyenne des salaires de Mme [G] à la somme de 4 076,83 euros sur les mois de mars, avril et mai 2020 ;
dit que lesdites sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement s'agissant des créances indemnitaires et a ordonné la capitalisation des intérêts légaux après une année entière ;
dit que seules les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail relatif à l'exécution provisoire de droit recevraient application ;
débouté les parties de leur demande relative à l'article 700 du code de procédure civile ;
laissé à chaque partie la charge de leurs propres dépens ;
débouté les parties de toute autre demande.
Vu ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 avril 2024, dans lesquelles Mme [G], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de déclarer recevable son appel et ses demandes bien fondées, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a :
- jugé n'y avoir lieu à prononcer la nullité de son licenciement, les éléments dont se prévaut la requérante ne permettant pas de caractériser une situation de harcèlement moral, que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse constitutive d'une faute grave, et que le licenciement entrepris à son égard ne revêtait pas un caractère vexatoire ;
- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre des indemnités de licenciement, de préavis et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour harcèlement moral, licenciement sans cause réelle et sérieuse et intervenu dans des conditions vexatoires, de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, de de sa demande au titre des heures supplémentaires pour la période 2017 à 2020, de ses demandes de remise de bulletins de salaires et documents de fin de contrat ;
- dit n'y avoir lieu à remboursement d'indemnités de chômage à Pôle emploi, de sa demande de rectification de ses bulletins de paie et de sa demandes de dommages et intérêts en découlant ;
- l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêt pour absence de visite d'information et de prévention périodique ;
- l'a condamnée à payer à la société optique Moro des dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros pour subtilisation du fichier client ;
En conséquence, de :
juger que son licenciement du 25 juin 2020 est nul par application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, à titre principal, et sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail ;
condamner la société optique Moro à lui payer les sommes de :
- 342 690 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul à titre principal ou subsidiairement 82 268,10 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 823,10 euros brut à titre de rappel de salaire pour la mise à pied injustifiée du 9 juin au 30 juin 2020 outre 382,31 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 16 453,62 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 645,36 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 30 164,97 euros net à titre d'indemnité de licenciement ;
- 50 000 euros au titre du préjudice subi en raison d'un licenciement prononcé dans des conditions vexatoires ;
- 50 000 euros pour le préjudice subi en raison des faits de harcèlement ;
condamner la société optique Moro à lui payer les rappels de salaire suivants pour heures supplémentaires :
- 5 775,36 euros brut au titre des heures supplémentaires majorées à 25 % pour l'année 2017 outre 577,53 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 147,45 euros brut au titre des heures supplémentaires à 50 % pour l'année 2017 outre 14,74 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 4 485,12 euros brut au titre des heures supplémentaires majorées à 25 % pour l'année 2018 outre 448,51 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 196,60 euros brut au titre des heures supplémentaires à 50 % pour l'année 2018 outre 19,66 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 5 509,12 euros brut au titre des heures supplémentaires majorées à 25 % pour l'année 2019, outre 550,91 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 319,47 euros brut au titre des heures supplémentaires à 50 % pour l'année 2019 outre 31,94 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 819,20 euros brut au titre des heures supplémentaires majorées à 25 % pour l'année 2020 outre 81,92 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- 16 453,62 euros correspondant à 3 mois de salaire en raison d'un coefficient erroné indiqué sur ses bulletins de paie ;
- 16 453,62 euros pour l'absence de visite d'information et de prévention pendant plusieurs années ;
- 16 453,62 euros pour manquement à l'organisation d'un entretien professionnel tous les deux ans et tous les six ans ;
condamner la société optique Moro à rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage qu'elle lui a versé dans la limite de six mois d'indemnité de chômage;
condamner la société optique Moro à lui remettre une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire 'conformes au jugement à intervenir' sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du mois qui suit la notification du jugement à intervenir et des bulletins de salaire conformes au contrat de travail soit indiquant un coefficient de 330 depuis janvier 2002, sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du mois qui suit la notification de l'arrêt à intervenir;
condamner la société optique Moro à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
ordonner que les condamnations prononcées porteront intérêt aux taux légal à compter du dépôt de la requête devant le conseil de prud'hommes et que les intérêts échus porteront intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et ainsi ordonner la capitalisation des intérêts ;
débouter la société optique Moro de toutes ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, consécutif à la subtilisation du fichier ou au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société optique Moro au entiers dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juillet 2024, dans lesquelles la société optique Moro demande à la cour de dire et juger recevable et bien fondé en son appel incident, et y faisant droit, de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il a :
- jugé que l'absence d'entretiens professionnels avait porté un préjudice certain à Mme [G] ;
- l'a condamnée à payer à Mme [G] des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de l'absence d'entretien professionnel ;
- dit que la subtilisation du fichier client par Mme [G] lui avait causé un préjudice et condamné Mme [G] à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros ;
- débouté les parties de leur demande relative à l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé à chaque partie la charge de leurs propres dépens,
Statuant à nouveau, de :
débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes ;
condamner Mme [G] à lui payer les sommes suivantes :
- 10 000 euros en réparation du préjudice subi, en application de l'article 1240 du code civil ;
- 9 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur la classification
Mme [G] a été embauchée le 3 juillet 2001 en qualité de cadre opticien ' niveau C11, coefficient 230, statut cadre, de la convention collective de l'optique, son contrat de travail précisant qu'elle occuperait la fonction d'opticien directeur de magasin niveau D22 coefficient 330 de la convention collective applicable à compter du 1er janvier 2002.
Pour autant, les bulletins de paie de 2018, 2019 et 2020 jusqu'au licenciement, mentionnent sa qualité d'opticienne statut cadre, mais au coefficient 300 ne correspondant donc pas aux dispositions contractuelles. Le manquement de l'employeur qui a ainsi mentionné pendant plusieurs années un coefficient inférieur à celui contractuellement prévu, est caractérisé.
Mme [G] soutient que son préjudice est constitué par le fait qu'en cas de recherche d'emploi, son futur employeur peut lui demander ses fiches de paie sur lesquelles son coefficient est erroné, alors qu'elle avait attiré son attention sur ce manquement dans sa lettre du 10 juillet 2020.
Toutefois, malgré la décision des premiers juges soulignant l'absence de preuve d'un préjudice et les observations de la partie adverse en ce sens en cause d'appel, l'intéressée se contente, sans élément pertinent à l'appui, d'alléguer un préjudice hypothétique, et ce alors même qu'elle a fait l'objet d'un licenciement et a dû concrètement rechercher un emploi postérieurement à juin 2020. Par ailleurs, Mme [G] ne soutient pas avoir perçu un salaire inférieur à celui correspondant à son coefficient durant la relation de travail, et ne sollicite d'ailleurs à ce titre aucun rappel.
Il s'ensuit qu'en l'absence d'un préjudice actuel, en lien certain et direct avec le manquement retenu, l'appelante sera déboutée, par voie de confirmation, de sa demande indemnitaire.
De la même manière, faute de preuve d'un intérêt quelconque pour Mme [G], plusieurs années après la rupture du contrat de travail, et alors qu'elle a retrouvé un nouvel emploi, à réclamer sous astreinte des bulletins de paie rectifiés depuis janvier 2002, la demande sera là encore rejetée, par voie de confirmation.
2. Sur les heures supplémentaires
2.1 - Sur la prescription
Aux termes de l'article L.1471-1, alinéa 1er, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Selon l'article L.3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Sur ce,
L'employeur soulève la prescription avant le 28 décembre 2020 de la demande de le rappel de salaire formée par Mme [G].
La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. La demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires est donc soumise à la prescription triennale de l'article L.3245-1 du code du travail. Ce délai de prescription triennal court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible.
Mme [G] étant payée au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré, à savoir le dernier jour du mois au regard des bulletins de paie. Cette date constitue le terme de l'obligation de l'employeur de payer le salaire, date à laquelle la salariée est en mesure de connaître la défaillance de son cocontractant. Le manquement est alors apparent et son effet immédiat, puisqu'il fait naître le droit de créance de l'intéressée. Cette obligation à exécution successive perdure tout au long de l'exécution du contrat, chaque défaillance de l'employeur à son obligation de payer le salaire à l'échéance faisant courir un délai de prescription propre à chaque terme de créance.
Dans ces conditions, Mme [G], qui sollicite un rappel de salaire portant sur la période du 1er janvier 2017 jusqu'à la rupture, disposait d'un délai expirant le 31 janvier 2020 pour la première échéance de l'année 2017 ainsi réclamée, et le 31 décembre 2020 pour la dernière échéance de l'année 2017.
L'employeur soulevant la prescription pour la demande avant le 28 décembre 2017 reconnait que la prescription a ainsi été valablement interrompue le 28 décembre 2020, ce que ne conteste pas la salariée. Les demandes en paiement d'un rappel de salaire pour des heures supplémentaires impayées, sont dès lors prescrites pour la période antérieure au 28 décembre 2017. Toutefois, le salaire de décembre 2017 ne saurait être inclus puisqu'il a été payé le 31 du mois, date à laquelle la créance salariale est devenue exigible.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a retenu une prescription de la demande antérieurement au 28 décembre 2017, mais sera réformée en ce qu'elle a de ce fait déclaré la demande de Mme [G] irrecevable pour toute l'année 2017, en ce compris le mois de décembre 2017.
2.2 - Sur le fond
Le temps de pause s'analyse comme un arrêt du travail de courte durée sur le lieu de travail ou à proximité et, sauf dispositions plus favorables, n'ouvre pas droit à contrepartie.
Sauf assimilation expresse résultant de la convention ou l'accord collectif, de l'usage, ou du contrat de travail, la pause ne constitue pas du temps de travail effectif à condition qu'elle permette au salarié de recouvrer effectivement la maîtrise de son temps, étant souligné que la qualification de pause n'est pas exclusive de toute contrainte.
En application de l'article L.3121-2 du code du travail, les temps consacrés aux pauses sont en revanche considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L.3121-1 sont réunis et donc si le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Selon l'article L.3121-16 du code du travail, dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives. Cette pause a un caractère insécable.
Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En application de l'article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions portant sur la durée du travail et la répartition et aménagement des horaires, en ce inclus la législation relative aux heures supplémentaires.
Sur ce,
Le contrat de travail prévoit que l'horaire de travail de Mme [G] est de 39 heures par semaine : 'celui de la catégorie professionnelle à laquelle vous appartenez. Vous effectuerez 39 heures par semaine suivant les horaires en vigueur dans l'entreprise.'
Le 7 février 2002, un accord d'entreprise a été signé, prévoyant un horaire hebdomadaire de 35 heures, et l'absence de paiement des heures supplémentaires éventuellement réalisées qui seront récupérées. Mme [G] a, en suite de cet accord, été destinataire d'un courrier de la direction l'informant qu'à compter du 1er mars 2002, le temps de travail est réduit à 35 heures en moyenne sur l'année (soit un horaire mensuel de 151,67 heures) et qu'en pratique, son 'horaire hebdomadaire sera de 37,40 heures de présence dont 1h40 de temps de pause officialisée. Et vous bénéficierez de 6 jours ouvrés de repos spécifiques pour une année complète de travail, selon les modalités fixées par l'accord d'entreprise.'
La salariée fait valoir qu'elle travaillait 37h40 par semaine et était payée sur la base de 35 heures hebdomadaires, et que les heures accomplies entre la 35ème et la 36ème heure donnaient lieu à 6 jours de RTT par an.
Elle soutient qu'au-delà de la 36ème heure, pour 1h40, elle aurait dû bénéficier de pauses (10 minutes le matin et l'après midi sur 5 jours) qu'elle n'a jamais été en mesure de prendre, ce qui n'est pas contesté. L'on comprend à son raisonnement, qu'elle estime que dès lors ces 1h40 pendant lesquelles elle ne pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles, doivent s'analyser en du travail effectif devant être payé au titre des heures supplémentaires. L'employeur, qui a précisément régularisé la situation des autres salariés en payant ces temps de pause de 1h40 pendant lesquels ils avaient travaillé, ne conteste pas cette analyse.
A l'appui de sa demande de rappel de salaire qui porte ainsi sur les heures accomplies au delà de la 36ème heure, pour un total d'1h40 par semaine, Mme [G] produit en particulier :
- un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires impayées, rempli du 2 janvier 2017 au 7 mars 2020 ;
- ses bulletins de paie dont il ressort qu'elle était payée chaque mois sur une base de 151,67 euros par mois, sans paiement d'heures supplémentaires , de janvier 2018 au licenciement intervenu en juin 2020 ;
- des plannings hebdomadaires du 2 janvier 2017 à mars 2020, dans lesquels elle a indiqué de façon manuscrite l'amplitude horaire par jour, en détaillant en outre certaines fois les horaires journaliers ;
- dans ses conclusions, le détail des sommes réclamées par pallier.
La prétention de Mme [G] est ainsi étayée, et les éléments produits sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
La société Optique Moro reconnait avoir régularisé sur trois ans le versement des pauses non comptabilisées et donc non récupérées, aux salariés placés sous la direction de Mme [G], mais ne pas avoir régularisé la situation de l'intéressée, estimant lui avoir au contraire déjà réglé l'ensemble des heures dues.
A l'appui de cette allégation, l'employeur met en avant le statut de cadre dirigeant de la salariée empêchant qu'elle demande le paiement d'heures supplémentaires. Il affirme que Mme [G], qui était cadre, bénéficiait d'un intéressement sur le chiffre d'affaires, qu'elle disposait d'une totale latitude dans l'organisation de son temps de travail, que son salaire était très largement supérieur à celui prévu par la convention collective, et qu'au regard des plannings communiqués, l'autonomie de la salariée apparait très clairement puisque le nombre d'heures exécutées par semaine est aléatoire, qu'elle prend en compte des jours de récupération, et que son planning change chaque semaine 'selon son bon vouloir'.
Or, selon l'article L.3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions sur la durée du travail. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise.
Dans la mesure où la qualité de cadre dirigeant découle de la loi, elle ne requiert pas l'existence d'un accord particulier entre l'employeur et le salarié, donc pas de cadre contractuel particulier (Soc., 30 novembre 2011, pourvoi n°09-67.798, Soc.28 septembre 3033, pourvoi n°21-12.059)
La convention collective applicable définit quant à elle :
- le cadre supérieur comme étant une personne qui bénéficie d'une grande indépendance et d'une grande autonomie dans l'organisation de son emploi du temps. Ses responsabilités impliquent une fonction de direction de l'entreprise avec une large autonomie dans la prise de décisions et des obligations de résultat. Il a un large pouvoir d'organisation de l'entreprise. Ses responsabilités impliquent une dimension de représentation de l'entreprise à son plus haut niveau. Il bénéficie d'une large autonomie dans son périmètre de fonction ;
- le cadre dirigeant comme étant la personne à qui sont confiées les plus larges responsabilités sur tous les domaines de l'entreprise, avec la plus large autonomie. Il dirige l'ensemble des salariés de l'entreprise, y compris les cadres supérieurs (chef d'entreprise).
L'emploi de Mme [G] est celui d'une directrice d'un magasin qui compte sept salariés placés sous son autorité. Elle dispose d'une large autonomie de décisions, un niveau de responsabilité important, et il n'est pas contesté qu'elle bénéficie d'un des salaires les plus élevés du magasin.
Toutefois, la classification 330 est celle du cadre et n'est pas le coefficient le plus élevé de la convention collective, qui classe les cadres supérieurs ou cadres dirigeant au coefficient 380. Par ailleurs, l'employeur ne démontre pas que dans l'exercice de ses fonctions de directrice d'un magasin, la salariée bénéficiait d'une large délégation de pouvoir dans tous les secteurs, notamment la gestion de la conclusion, l'exécution et la rupture des contrat de travail, ce qu'elle conteste en soulignant qu'elle n'avait en charge que la gestion opérationnelle et technique des équipes dans le magasin. Il ne prouve pas non plus qu'elle participait à la définition de la politique de l'entreprise, ou plus généralement qu'elle participait à la direction de l'entreprise et qu'elle dépassait ainsi le simple cadre autonome éligible au forfait d'heures. Il sera relevé qu'il a d'ailleurs été envisagé par la société, dans le cadre d'un accord d'entreprise qui a finalement été refusé par les salariés, d'imposer un forfait en jours aux cadres bénéficiant de la classification 330. Il résulte de ces éléments que Mme [G] ne relevait pas de la qualification de cadre dirigeant. Elle n'est donc pas exclue de la réglementation des heures supplémentaires.
Par ailleurs, Mme [G] n'est pas soumise à un forfait.
Il appartenait donc à l'employeur de s'assurer d'un système objectif, fiable et accessible de contrôle de la durée du travail de Mme [G]. Or, la société Optique Moro, qui ne justifie d'aucun élément de contrôle de la durée du travail, ni ne produit de justificatif des horaires effectivement réalisés par Mme [G] ni même aucun calcul précis et étayé contredisant celui de la salariée, conteste en vain la valeur et la portée des documents communiqués par l'intéressée. Il ne justifie pas même qu'il est, comme il le prétend, impossible d'exécuter des actions auprès des mutuelles après 17 heures ce qui rendrait toute prestation à domicile impossible.
Il convient en conséquence, au vu du décompte produit, auquel il ne peut être fait droit intégralement compte tenu de la prescription retenue, d'allouer à Mme [G] une somme de 11 535,51 euros à titre de rappel de salaires, outre les congés payés afférents.
3. Sur le manquement à l'organisation d'un entretien professionnel tous les deux ans et tous les six ans
Sans qu'il soit besoin d'examiner le fait générateur de responsabilité, il résulte de l'examen des moyens débattus que Mme [G] n'articule dans ses conclusions aucun moyen ni aucune argumentation permettant de caractériser le préjudice découlant directement et concrètement, selon elle, de l'exécution fautive de son contrat de travail du fait de l'absence d'organisation d'un entretien professionnel dans les conditions prévues à l'article L.6315-1 du code du travail, ni dans son principe, ni dans son quantum. Elle ne vise par ailleurs dans ses conclusions aucune pièce de nature à justifier d'un tel préjudice.
Dans ces conditions, le jugement déféré est infirmé, et Mme [G] sera désormais déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.
4. Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Aux termes de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 [harcèlement moral] et L. 1153-1 à L. 1153-4 [harcèlement sexuel], le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge doit ainsi examiner tous les faits de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement invoqués par le salarié, demandeur à l'action, et déterminer, fait par fait, s'ils sont, ou non, matériellement établis par le demandeur, mais n'est pas tenu de discuter chaque élément de preuve produit par le salarié pour démontrer la réalité du fait invoqué.
Sur ce,
En l'espèce, Mme [G] présente les faits suivants :
- en juin 2019, Mme [D] [K], cogérante, s'est présentée au magasin en son absence et s'est entretenu avec ses propres salariés au sujet des heures supplémentaires, ce qui est matériellement établi, l'intéressée ajoutant que cette démarche était destinée à 'semer le doute dans l'esprit des salariés', ce qui n'est en revanche pas étayé ;
- le 16 octobre 2019, à la demande expresse de M. [B] [K], qui n'avait plus la qualité de chef d'entreprise ni de gérant, laquelle était alors dévolue à sa fille [D] [K] depuis le 31 octobre 2018, elle a été convoquée dans son bureau vers 15h pour se voir reprocher la non application des temps de pauses au personnel, sa prime contractuelle versée en 2011 et remettant en cause ses fonctions de direction du point de vente ; si la rencontre de Mme [G] avec M. [K], qui n'était pas gérant de la société à cette date du 16 octobre 2019, est matériellement établie, le reste des affirmations de l'intéressée ne l'est pas ;
- à la suite d'une nouvelle réunion le 17 octobre 2019 de tous les salariés de la boutique dont elle est responsable avec M. [B] [K] sur le problème du temps de travail, l'ensemble du personnel a vu sa situation régularisée pour les heures supplémentaires impayées, mais que l'employeur a refusé de régulariser sa propre situation ; il est matériellement établi que l'employeur a régularisé la situation des salariés de la boutique en payant les heures supplémentaires dues en janvier 2020, à l'exception de la situation de Mme [G], qui souligne notamment que Mme [J], qui avait été embauchée à 39 heures par semaine dans les mêmes conditions qu'elle avant le passage aux 35h, avait ainsi vu sa situation régularisée contrairement à elle.
La directrice de magasin affirme encore avoir reçu des informations contradictoires de Mme [D] [K] [H] qui a demandé le 3 octobre 2019 de modifier immédiatement les plannings en les portant à 36 heures par semaine, l'employeur ayant découvert qu'en réalité les 6 jours de RTT ne couvraient que l'heure supplémentaire entre 35h et 36h. Elle ne produit toutefois qu'un courriel du 17 octobre 2019 de Mme [K], dont il ressort qu'elle lui a indiqué que 'suite à la réunion de ce jour, il faut continuer à appliquer le contrat en vigueur soit 37h40", sans qu'il apparaisse contraire à des directives du début de mois, courriel qui faisait suite à un message de Mme [G] du même jour indiquant 'je souhaiterai que tu me confirmes précisément le nombre d'heures que mon équipe doit effectuer par semaine', et auquel elle a d'ailleurs ensuite simplement répondu 'C'est noté. Merci.'
Elle soutient qu'à partir de cette date, elle a dû faire valider les plannings par écrit à sa direction, mais ne justifie pas de demandes systématiques ou même seulement régulières de validation. Ce fait n'est donc pas matériellement établi.
Mme [G] indique aussi que le samedi 26 octobre 2019 et alors que le magasin accueillait une foule de clients, M. [B] [K] lui a remis en mains propres 'sans ménagement', alors qu'elle était occupée avec des clients dans le magasin, un courrier daté du 26 octobre 2019 dans lequel la société lui indique 'nous vous rappelons que vous devez appliquer l'accord d'entreprise signé le 27 février 2002 concernant le temps de travail qui prévoit un horaire de 37,40 heures de présence dont 1h40 de temps de pause, ainsi que 6 jours ouvrés de repos spécifique pour une année complète de travail pour les salariés suivants :
- Madame [U] [C],
- Mademoiselle [Y] [P],
- Madame [O] [E],
- Madame [R] [Z],
- Madame [A] [L]',
Nous vous demandons, de veiller à l'application et au bon respect de ces temps de pause, à savoir 10 minutes le matin et 10 minutes l'après-midi par jours, soit 1h40 par semaine et d'obtenir de vos collaborateurs l'approbation de la réalisation de celles-ci.
Par contre [T] [N] doit effectuer un horaire de 35 h sans temps de pause.
Par ailleurs nous vous demandons de bien vouloir faire approuver les futurs plannings par votre Direction».
Toutefois, elle justifie certes de ce courrier, qui n'est pas en soi un élément pertinent, néanmoins elle n'étaye pas ses affirmations quant au contexte de sa remise.
Mme [G] affirme encore et surtout, que son poste de directrice de magasin a été progressivement vidé de sa substance à compter de janvier 2020. A ce titre, il est matériellement établi que :
- la gérante est intervenue dans la gestion des stocks du magasin, alors qu'auparavant elle était autonome, et ainsi Mme [D] [K] lui a demandé de réduire les achats du magasin (sans toutefois que la salariée étaye ses affirmations quant à l'absence d'une telle demande auprès de l'autre directeur de magasin), et le 6 mars 2020, lui a demandé par mail de ne plus «acheter de monture sans mon accord» ;
- le 7 janvier 2020, la gérante lui a demandé de lui faire valider 15 jours avant ses absences, congés payés, RTT, récupération et autres, alors que cette gestion de l'organisation de son travail lui était auparavant dévolue ;
- le 23 avril 2020, Mme [K] lui a indiqué dans un courriel produit « concernant le magasin où vous travaillez : je vais prendre en charge la partie organisation et management du point de vente sur une partie de la semaine. J'aurais par contre besoin de vous à hauteur de 25 % afi n que vous puissiez également reprendre vos marques et assurer, en partie, vos missions. » ;
- à compter du 30 avril 2020, Mme [K] a ainsi aussi pris en charge l'élaboration des plannings de travail du magasin, ce qui ressort notamment des courriels produits des 30 avril, 5 mai et 25 mai 2020, obligeant la salariée à demander à sa direction dans un courriel du 5 mai 2020 produit, qui devait gérer les mails et les prises de rendez-vous ;
- pendant cette période, elle recevait des consignes sanitaires par les mêmes courriels que les salariés de son équipe directement envoyés à tous par la direction sans tenir compte de sa fonction de responsable de ces salariés ;
- le 30 avril 2020, elle a proposé de venir travailler au magasin, ce qui est établi par le courriel produit, la gérante ayant malgré tout choisi d'autres salariés dont l'une travaillait pourtant dans un autre magasin ;
- le 8 juin 2020, elle a résumé à la gérante la journée du samedi, photographies à l'appui, ce qui démontre suffisamment l'absence d'autonomie alléguée.
En revanche, s'agissant de la demande de Mme [K] adressée à Mme [G] dans le courriel du 23 avril 2020, de demander et faire valider ses heures supplémentaires, il ne s'agit, de manière évidente, que d'un simple rappel ('Ainsi, je vous rappelle que toutes les heures effectuées doivent être demandées et validées par l'employeur, sinon elles pourraient ne pas être payées') et non un changement de position comme le prétend l'intéressée sans élément à l'appui.
Mme [G] précise encore que l'employeur n'a pas adressé à la Caisse primaire d'assurance maladie son attestation de salaire devant lui permettre de percevoir des indemnités journalières, demandant dans un courriel de se rapprocher de son avocat. La salariée démontre avoir adressé sa demande à l'employeur le 8 juillet 2020, pendant l'exécution du préavis.
Enfin, Mme [G] fait valoir que ses conditions de travail ont affecté son état de santé, et justifie avoir été placée par son médecin traitant en arrêt de travail de droit commun à compter du 9 juin 2020, l'arrêt de travail initial mentionnant une asthénie psychologique et physique et l'arrêt de travail de prolongation du 20 juin 2020 mentionnant un syndrome dépressif réactionnel. Ces éléments médicaux sont impuissants à établir la matérialité de faits allégués qui n'ont pu être constatés par le médecin, mais justifient suffisamment la réalité d'une dégradation de l'état de santé de l'appelante.
Pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis font ainsi présumer une situation de harcèlement moral. Il revient donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.
Il ressort des échanges de courriels et de SMS produits, que le ton employé par l'employeur à l'égard de Mme [G] était courtois et respectueux, ce que confirment les témoignages concordants des salariés.
Par ailleurs, l'employeur souligne à juste titre l'existence d'un contexte dans lequel il a rencontré une difficulté d'interprétation de la législation du travail concernant le régime des heures supplémentaires à la suite du passage aux 35h, révélé fin 2019. Un accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail au sein de la société destiné à sortir d'une crise liée à cette difficulté d'interprétation, a été soumis au vote du 14 février 2020, concernant notamment le magasin qu'elle dirigeait, et n'a finalement pas été adopté, sans que cela ait d'incidence. Il n'y a eu aucun abus à ce titre.
La comparaison par Mme [G] de sa situation avec Mme [J], qui a vu sa situation relative aux heures supplémentaires régularisée, contrairement à elle, est inopérante dès lors que cette salariée monteuse vendeuse n'était pas cadre et n'était pas placée dans des conditions similaires.
Néanmoins, si la société Optique Moro démontre suffisamment la difficulté réelle d'interprétation de la législation avant 2020 qui a nécessité l'intervention d'avocats, il demeure qu'elle ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral sa décision, en janvier 2020, d'exclure Mme [G] de la régularisation dont tous les autres salariés du magasin ont pourtant profité.
En revanche, la visite de la gérante dans le magasin dirigé par Mme [G] dans le cadre de cette difficulté, a été faite à la demande des salariés, alors que la gestion des plannings était du ressort de l'intéressée qui devait veiller à ce qu'ils soient en mesure de prendre les pauses. Il est établi que la SARL Optique Moro est une entreprise familiale, ce qui explique l'intervention également de M. [K] en qualité de tiers, le but de son intervention étant de manière évidente de trouver une issue à la difficulté remontée.
En outre, l'employeur justifie suffisamment par ce contexte de difficultés sur les horaires de travail, la lettre du 7 janvier 2020 de Mme [K] demandant de lui faire valider 15 jours avant ses absences, congés payés, RTT, récupération et autres, étant souligné qu'il justifie d'une même lettre adressée à M. [X] qui est également directeur de magasin.
S'agissant de la mise à l'écart de Mme [G] à compter de 2020, il ressort très clairement des échanges de courriels produits qu'elle a débuté pendant une période particulière de crise sanitaire ayant imposé une modification des conditions de travail, à tout le moins pendant la période exceptionnelle de confinement du 17 mars au 11 mai 2020.
Si le seul fait pour Mme [S] de demander à Mme [G] de réduire les achats du magasin durant cette période particulière de crise sanitaire ne peut être interprété comme étant une intervention destinée à priver l'intéressée de ses responsabilités, alors qu'elle relève du pouvoir de direction de l'employeur qui a une vision d'ensemble sur les stocks, il n'en demeure pas moins que la société ne démontre pas par des éléments objectifs que cette intervention, dont il n'est pas avéré qu'elle aurait également visé l'autre directeur d'un magasin, était justifiée par une difficulté réelle concernant les stocks du magasin dirigé par Mme [G] à ce moment précis.
De la même manière, s'il ne peut être sérieusement contesté que la période de crise sanitaire, et en particulier celle du confinement, a nécessité un changement dans l'organisation du magasin, le travail à temps partiel des salariés de la société Optique Moro étant notamment de rigueur, il reste que l'employeur ne démontre pas que Mme [G] ne pouvait s'en occuper, et que ce changement d'organisation imposait une reprise en main par la gérante, notamment de la gestion de l'équipe placée habituellement sous l'autorité de Mme [G].
L'employeur ne démontre pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral qu'il était ainsi indispensable de priver la directrice de magasin progressivement de missions habituelles de management, allant jusqu'à la priver de l'établissement des plannings, un tel changement étant à l'évidence une manifestation de la défiance de l'employeur vis à vis de l'intéressée, dont il n'est pas prouvé qu'elle était alors justifiée. Alors que les échanges de courriels produits prouvent cette mise à l'écart progressive à compter de janvier 2020, rien au dossier ne démontre que postérieurement à mai 2020, la salariée aurait retrouvé l'ensemble de ses responsabilités, et en particulier la gestion de l'organisation et du management dans le magasin.
Il ressort certes des attestations de salariés de la boutique versées aux débats que les cogérantes de la société Optique Moro ne venaient que rarement au magasin, et que Mme [G] bénéficiait habituellement d'une liberté de gestion. Mme [W] souligne que lorsque la cogérante était en désaccord avec Mme [G], 'c'est Mme [G] qui l'emportait, elle n'avait aucun problème à tenir tête à [D]', alors que M. [I] précise que 'Pour finir, elle n'en faisait qu'à sa tête ne prenant jamais en compte mes conseils, pas plus que les demandes expresses de sa responsable Mme [K]', et M. [X] ajoute que 'Mme [G] n'a jamais pris en compte toutes ces remarques ou avis de son équipe, ni de sa direction. Elle n'en faisait qu'à sa tête et remettait en cause les décisions de sa direction'. Néanmoins, ni ces attestations, ni aucun autre élément ne démontre que tel était encore le cas en 2020.
Pour le reste, l'employeur se contente d'arguer avoir toujours eu une attitude courtoise, qu'il n'y a pas eu de harcèlement moral et que 'si un fait de harcèlement devait être constaté par la cour de céans, celui-ci serait au contraire le fait de la salariée elle-même'. Pour autant, les attestations des salariés produites ne contredisent pas utilement les éléments de la salariée retenus concernant la période de janvier à juin 2020.
Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient qu'il échoue à démontrer que tous les faits matériellement établis par Mme [G] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, alors que les faits restant caractérisent le harcèlement moral dénoncé. Le harcèlement moral est donc établi.
En conséquence, par voie d'infirmation, la cour retient que Mme [G] a été victime d'un harcèlement moral.
Au regard notamment des circonstances et de la très courte période concernée, le préjudice subi par l'intéressée du fait de ce harcèlement moral tel qu'il ressort des moyens débattus et des pièces versées aux débats, sera réparé de façon adéquate par la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 1 500 euros.
5. Sur l'absence de visite d'information et de prévention périodique pendant plusieurs années
Sans qu'il soit besoin d'examiner le fait générateur de responsabilité, il résulte de l'examen des moyens débattus que Mme [G] n'articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser le préjudice distinct de celui ci-dessus indemnisé, découlant, selon elle, de l'exécution fautive de son contrat de travail, ni dans son principe, ni dans son quantum. Dans ces conditions, le moyen de ce chef est donc rejeté.
6. Sur la rupture
6.1 - Sur la nullité du licenciement
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L'article L.1152-3 du même code ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nul.
Sur ce,
Le licenciement de Mme [G] le 25 juin 2020, qui est en lien direct avec le harcèlement moral subi à compter de janvier 2020 qui perdurait à cette date, est nul.
La salariée peut dès lors prétendre non seulement aux indemnités de rupture et à un rappel de salaire pour la période de la mise à pied conservatoire injustifiée, qui ne font l'objet d'aucune contestation spécifique à titre subsidiaire quant aux montants réclamés qui sont exactement calculés, mais également à des dommages et intérêts à raison de la nullité du licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3-1 du code du travail.
En considération de sa situation particulière, et eu égard notamment à son âge au moment de la rupture (pour être née 8 janvier 1969), à son ancienneté de près de 19 ans dans la société, à sa rémunération brut, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, étant souligné qu'elle précise avoir retrouvé un premier emploi, dont elle a fait le choix de démissionner pour prendre un autre emploi en août 2023, et de l'absence de preuve de la réalité du manque à gagner allégué sans élément à l'appui, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer la réparation adéquate de son préjudice à la somme de 34 900 euros.
6.2 - Sur les conditions vexatoires du licenciement
Il ne résulte pas des moyens débattus et des pièces versées aux débats des éléments établissant un comportement de la part de l'employeur dépassant le cadre normalement difficile d'une procédure de licenciement, inutilement humiliant et blessant pour la salariée, ou des circonstances particulières de mise en 'uvre de la procédure de licenciement de manière brutale ou vexatoire, de sorte que la preuve d'une attitude fautive à cet égard fait défaut autant que celle d'un préjudice
Aussi, considérant qu'il n'est pas démontré un abus caractérisé de procédure, la cour confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté Mme [G] de sa demande de dommages et intérêts.
7. Sur la demande reconventionnelle en réparation du préjudice subi, en application de l'article 1240 du code civil
La responsabilité civile d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde et que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.
Sur ce,
Les manquements reprochés dans la lettre de licenciement à Mme [G], qui avait signé un avenant à son contrat de travail du 24 septembre 2013 dans lequel elle s'engageait à respecter la charge déontologique du groupe Krys et le règlement intérieur pendant la durée de son contrat de travail, et qui savait ainsi devoir 'conserver en toutes circonstances une attitude loyale et respectueuse envers les clients, les prescripteurs, les organismes d'assurance maladie...', apparaissent établis au regard des moyens débattus et des pièces versées aux débats qui démontrent la réalité, à plusieurs reprises, d'une facturation à l'organisme de santé et aux organismes de complémentaire santé qui n'est pas en accord avec le prix réel de l'équipement, alors qu'il n'est pas prouvé qu'il s'agirait d'une pratique acceptée ou même tolérée par l'employeur. Toutefois, alors que Mme [G] a été licenciée pour faute grave et non pour faute lourde, l'employeur ne prouve pas qu'elle aurait eu l'intention claire et non équivoque de lui nuire lorsqu'elle a procédé de la sorte. Aucun élément produit par la société ne vient en effet caractériser une telle intention de nuire de Mme [G] concernant la faute reprochée.
La société Optique Moro se contente par ailleurs d'affirmer, sans élément probant à l'appui, que Mme [G] aurait, sur la base d'un fichier client subtilisé, démarché sa clientèle, ce qu'elle conteste. Les allégations de la société, qui fait un lien entre les attestations produites par Mme [G] et ce vol non avéré, ne sont que de simples suppositions qui ne sont pas prouvées.
La société Optique Moro sera donc déboutée de sa demande reconventionnelle, par voie d'infirmation.
8. Sur la remise des documents de fin de contrat et bulletins de salaire rectifiés sous astreinte
Il convient d'ordonner à la société Optique Moro de délivrer à Mme [G] un bulletin de salaire et une attestation destinée à France travail (anciennement Pôle emploi) conformes à la présente décision, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte, qui ne se justifie pas.
9. Sur les intérêts judiciaires et la capitalisation
Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce, rien ne justifiant de modifier ces points de départ.
Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.
10. Sur le remboursement à France travail
Conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, la société sera condamnée à rembourser à France travail les indemnités de chômage versées au salarié dans la proportion de six mois.
11. Sur les autres demandes
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société, succombant à titre principal, sera condamnée aux dépens d'appel. Néanmoins, chacune des parties succombe partiellement, et l'équité commande de dire n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme la décision déférée en ses dispositions sur la prescription de la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires de Mme [G] au titre le mois de décembre 2017, sur le harcèlement moral, en ses dispositions sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires, en ses dispositions sur la demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'absence d'entretiens professionnels, en ses dispositions sur la nullité du licenciement et les demandes subséquentes, en ses dispositions sur la demande reconventionnelle de l'employeur ;
La confirme sur le surplus en ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute Mme [G] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'absence d'entretiens professionnels ;
Dit que la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires de Mme [G] au titre du mois de décembre 2017 est recevable comme n'étant pas prescrite ;
Dit que Mme [G] a subi un harcèlement moral à compter de janvier 2020 ;
Dit que le licenciement est nul ;
Condamne la société Optique Moro à payer à Mme [G] les sommes suivantes :
- 11 535,51 euros à titre de rappel de salaires, outre 1 153,55 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
- 34 900 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,
- 3 823,10 euros de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire injustifiée, outre 382,31 euros au titre des congés payés afférents ;
- 16 453,62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 645,36 euros au titre des congés payés afférents ;
- 30 164,97 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
Ordonne à la société Optique Moro de délivrer à Mme [G] un bulletin de salaire et une attestation destinée à France travail conformes à la présente décision ;
Rejette la demande d'astreinte ;
Déboute la société Optique Moro de sa demande reconventionnelle ;
Dit que les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce ;
Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la société Optique Moro à rembourser au France travail les allocations de chômage versées à Mme [G] dans la proportion de un mois ;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Optique Moro aux dépens d'appel.