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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 10 avril 2025, n° 24/03372

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, Mme Distinguin

Avocats :

Me Fertier, Me Jauze, Me Baki

TJ Créteil, hors JAF, JEX, JLD, J. expro…

30 janvier 2024

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Par acte sous seing privé du 20 mai 2015, M. [R] [V] a cédé à MM. [D] [V] et [Z] [F] les 500 actions composant le capital social de la société AS Ambulances, moyennant le prix de 240.000 euros. M. [D] [V] devait s'acquitter du prix lui incombant à hauteur de 120.000 euros par un règlement comptant de 60.000 euros et un crédit-vendeur de 60.000 euros, remboursable à raison de 24 mensualités égales.

Par ordonnance du 15 février 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a condamné MM. [D] [V] et [Z] [F] à payer à titre provisionnel à M. [R] [V] :

M. [Z] [F], la somme de 28.333,36 euros, correspondant aux mensualités non réglées de décembre 2016 à juillet 2017, outre les intérêts légaux à compter du 5 mai 2021, date de mise en demeure ;

M. [D] [V], la somme de 21.666,64 euros, correspondant aux mensualités non réglées de décembre 2016 à juillet 2017, outre les intérêts légaux à compter du 5 mai 2021, date de mise en demeure ;

chacun pour ce qui le concerne, la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.

Cette ordonnance a été signifiée le 12 juillet 2022 à M. [D] [V].

Par acte du 20 septembre 2023, M. [R] [V] a fait pratiquer à l'encontre de M. [D] [V] une saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières entre les mains de la société AS Ambulances, ce pour la somme de 21.666,64 euros. Cette saisie été dénoncée à M. [D] [V] le 26 septembre suivant.

Selon acte de commissaire de justice du 25 octobre 2023, M. [D] [V] a fait assigner M. [R] [V] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil afin de voir constater l'extinction de plein droit de la créance de ce dernier et ordonner la mainlevée de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières, subsidiairement aux fins de cantonnement à 22 actions de la saisie.

Par jugement du 30 janvier 2024, le juge de l'exécution a :

ordonné la mainlevée totale de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières de M. [D] [V] pratiquée le 20 septembre 2023 entre les mains de la société AS Ambulances,

condamné M. [R] [V] à payer à M. [D] [V] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [R] [V] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a constaté que M. [R] [V] ne versait pas aux débats le procès-verbal de signification de l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris en date du 15 février 2022, sur laquelle était fondée la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières, de sorte que, en application de l'article 503 du code de procédure civile, en l'absence de justification de la signification à partie, il a considéré la saisie comme nulle et en a ordonné mainlevée.

Par déclaration du 9 février 2024, M. [R] [V] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 27 juin 2024, M. [R] [V] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

débouter M. [D] [V] de toutes ses prétentions,

condamner M. [D] [V] à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera effectué par la Relapse JRF & Associés, représentée par Me Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 27 mars 2024, M. [D] [V] conclut à voir :

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause,

constater l'extinction de plein droit de la créance de M. [R] [V] à son égard au titre du solde du prix de cession de 250 actions de la société AS Ambulances,

ordonner la mainlevée totale de la saisie de ses droits d'associé et valeurs mobilières pratiquée le 20 septembre 2023 entre les mains de la société AS Ambulances,

débouter M. [R] [V] de l'intégralité de ses demandes,

condamner M. [R] [V] à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Subsidiairement,

ordonner le cantonnement de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières pratiquée le 20 septembre 2023 à hauteur de 11 des actions qu'il détient,

débouter M. [R] [V] de l'intégralité de ses demandes,

condamner M. [R] [V] aux entiers dépens,

lui octroyer les plus larges délais pour s'acquitter de sa dette éventuelle,

débouter M. [R] [V] de ses plus amples demandes,

le condamner aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la justification de la signification de l'ordonnance de référé du 15 février 2022

L'appelant déplore que le juge de l'exécution n'ait pas soumis à la contradiction ce moyen soulevé d'office, dès lors qu'il aurait alors produit l'acte de signification à M. [D] [V] en date du 12 juillet 2022 (sa pièce n°8).

L'intimé s'en rapporte à la sagesse de la cour sur ce moyen.

Bien que la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières litigieuse ait été levée par le juge de l'exécution pour défaut de production de l'acte de signification de l'ordonnance du 15 février 2022, l'appelant se borne à produire, en pièce n°8, la première page seulement de l'acte de signification du 12 juillet 2022 à M. [D] [V]. Cependant, celui-ci ne conteste pas, devant la cour, la signification de ce titre exécutoire en vertu duquel a été pratiquée la saisie litigieuse. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné mainlevée de la saisie pour ce motif.

Sur le cantonnement de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières

L'appelant fait valoir que :

l'intimé ne saurait contester la saisie alors qu'il dispose d'un titre exécutoire lui permettant de poursuivre l'exécution pendant 10 ans du titre exécutoire prononcé le 15 février 2022 et signifié le 12 juillet suivant ;

qu'il ne peut davantage contester devant le juge de l'exécution la recevabilité de son action ayant conduit au prononcé de l'ordonnance de référé qu'il n'a pas frappée d'appel ; que les comptes entre les parties ont été faits et débattus devant le juge des référés et que M. [D] [V] n'a pas cru devoir saisir le juge du fond, de sorte la demande de cantonnement fondée sur des calculs totalement aléatoires au moyen de chiffres de 2015 doit être rejetée ;

sa créance s'élève selon nouveau décompte au 22 mai 2024, à 21.168,15 euros, déduction faite des versements de 5836,05 euros ;

la compensation alléguée, qui n'a d'ailleurs pas été retenue par le juge des référés, doit être écartée à la suite du dégrèvement fiscal intervenu ; le courrier de l'expert-comptable du 17 février 2017 démontre que l'impôt sur les sociétés non payé s'élève à 8879 euros au 31 mars 2015, majorations comprises, et non à 28.985 euros comme allégué sans preuve par M. [D] [V] ;

que les conditions de mise en 'uvre de la garantie de passif ne sont nullement réunies, outre que seul le tribunal de commerce est compétent pour apprécier son bien fondé.

L'intimé, rappelant que le juge de l'exécution, statuant sur les difficultés relatives à une procédure d'exécution forcée, est compétent pour constater une compensation de créances, oppose à l'appelant une contre-créance d'un montant de 122.186,98 euros, composée d'un passif fiscal, d'un passif social, du solde débiteur d'un compte courant de l'appelant, de frais injustifiés, d'un passif auprès des organismes sociaux ainsi que de dettes fournisseurs.

Il ajoute que, le protocole contenant une erreur matérielle, en page 6, sur le calcul des mensualités à régler, de sorte qu'ayant réglé 17 échéances pour 46.041,61 euros, il ne restait devoir que 13.958,39 euros au mois de décembre 2016, dont il convient de déduire des règlements à l'huissier à hauteur de 2936,05 euros, ceux intervenus dans le cadre de la saisie des rémunérations, une somme de 3000 euros réglée le 24 janvier 2017 et omise par l'huissier de justice, soit une somme restant due de 6222,34 euros en principal au 30 novembre 2023 ; que, de ce fait, il est fondé, en vertu de l'article L. 212-2 du code des procédures civiles d'exécution, à solliciter un cantonnement de la saisie à hauteur de 11 actions d'une valeur de 580 euros chacune.

Cependant, aux termes de l'article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites.

En l'espèce, c'est l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 15 février 2022 qui sert de fondement à la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières litigieuse, pratiquée le 20 septembre 2023 pour recouvrement des huit mensualités des mois de décembre 2016 au mois de juillet 2017, dues en vertu du protocole de cession signé par les parties le 20 mai 2015, soit 2708,33 x 8 = 21.666,64 euros.

En premier lieu, l'intimé conteste le montant de la mensualité prévue au protocole de cession en ce qu'elle comporterait une erreur matérielle, « le solde, soit la somme de 60.000 euros » étant « stipulée payable au moyen d'un crédit vendeur de 60.000 euros remboursable sans intérêts » en « 24 mensualités égales consécutives de 2.708,33 ' » alors que 2708,33 x 24 = 64.999 euros et non pas 60.000 euros.

Mais à supposer que M. [D] [V] ait soulevé l'existence de cette erreur devant le juge des référés, ce qui ne ressort pas de l'ordonnance du 15 février 2022, il lui appartenait de faire appel de cette ordonnance, ce dont il s'est abstenu, ou de saisir le juge du fond, l'ordonnance de référé n'ayant pas autorité de la chose jugée au principal.

Il en est de même concernant le paiement, dont justifie l'intimé, fait par virement bancaire de 3000 euros le 24 janvier 2017 au profit de M. [R] [V], antérieur au prononcé de l'ordonnance le 15 février 2022.

Il en va également de même concernant la compensation alléguée par l'intimé, au titre de la garantie de passif signée entre les parties le jour même du protocole de cession, portant sur un passif fiscal et social, dont les pièces justificatives n°7 à 13, produites par M. [D] [V], permettent de constater qu'il est, dans son intégralité, antérieur à 2018 en ce qui concerne le passif fiscal, antérieur à 2016 en ce qui concerne le passif social (litige prud'homal), à 2015 en ce qui concerne le solde débiteur du compte courant et les « frais injustifiés », à 2015 en ce qui concerne les dettes à l'égard de l'Urssaf et des fournisseurs. C'est d'autant plus le cas, en ce qui concerne ce passif, d'un montant de 122.186,98 euros, que l'acte de garantie de passif signé par les parties le 20 mai 2015 comporte, en son article 9, une clause prévoyant que « tous les litiges entre les parties auxquels le présent acte pourra donner lieu et relatif à sa formation, son existence, son interprétation, son exécution, sa rupture, sa résiliation, son annulation ou sa caducité seront, de convention expresse, déférés devant le tribunal de commerce de Paris. » C'est donc devant ce juge du fond que M. [D] [V] pouvait ou peut se prévaloir de ce passif, mais non pas devant le juge de l'exécution, ce d'autant plus qu'il est antérieur à l'ordonnance de référé exécutée.

En deuxième lieu, en ce qui concerne les versements issus de la saisie des rémunérations de M. [D] [V], d'un montant de 9 x 200 = 1800 euros arrêté au 30 novembre 2023, ils figurent bien à « l'état détaillé des versement effectués par le débiteur dans le dossier », dressé par le commissaire de justice le 30 novembre 2023, et, plus encore, dans le décompte actualisé de la créance établi par ce même commissaire de justice le 22 mai 2024. En effet, celui-ci prend en compte, en crédit, les versements du débiteur à hauteur de 5836,05 euros, soit pour un montant supérieur à celui allégué par l'intimé (2936,05 + 1800 = 4736,05 euros), ce qui peut s'expliquer par le fait que les conclusions de l'intimé datent du 27 mars 2024.

Il s'ensuit que la demande de cantonnement est justifiée à hauteur de la somme totale de 21.168,15 euros, intérêts et frais y compris, arrêtée à la date du 22 mai 2024, et non pas de 6222,34 euros en principal comme réclamé par M. [D] [V].

Quant à la demande de cantonnement à 11 des actions détenues par l'intimé, outre que le texte dont celui-ci se prévaut (article L. 212-2 du code des procédures civiles d'exécution) n'est applicable qu'à la saisie des rémunérations, elle n'est pas davantage justifiée au regard de la solution ci-dessus.

Sur la demande de délai de grâce

L'intimé soutient que ni sa situation personnelle ni la faculté de trouver un cessionnaire rapidement afin de céder les actions saisies, alors que les actions de la société AS Ambulances ne sont pas aisément négociables sur un marché boursier, ne lui permettent de s'acquitter de sa dette dans le délai imparti par la saisie, ce d'autant moins qu'il s'acquitte déjà d'une saisie sur ses rémunérations à hauteur de 200 euros par mois depuis février 2023.

L'appelant rétorque que la mauvaise foi de M. [D] [V] et l'ancienneté de sa dette s'opposent à l'octroi de tout délai de grâce.

Aux termes de l'article R. 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. Toutefois, après signification du commandement ou de l'acte de saisie ou à compter de l'audience prévue par l'article R. 3252-17 du code du travail, selon le cas, il a compétence pour accorder un délai de grâce.

Cependant, l'intimé a d'ores et déjà bénéficié d'un délai de fait de 18 mois depuis octobre 2023, date de sa saisine du juge de l'exécution aux fins d'obtention d'un délai de grâce. Au surplus, il ne justifie pas, devant la cour, de sa situation personnelle de revenus et de charges. Enfin, bien qu'un procès-verbal de non conciliation ait été dressé à l'audience de conciliation devant le juge des saisies des rémunérations le 19 janvier 2023, M. [D] [V] s'acquitte envers M. [R] [V] d'une somme mensuelle de 200 euros.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige commande d'infirmer le jugement entrepris quant aux dépens et de condamner M. [D] [V] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par la Relapse JRF & Associés, représentée par Me Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité justifie de confirmer le jugement entrepris quant à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et de dire n'y avoir lieu à condamnation de ce chef à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Rejette la demande de mainlevée de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières pratiquée le 20 septembre 2023 par M. [R] [V] à l'encontre de M. [D] [V] entre les mains de la société AS Ambulances ;

Ordonne le cantonnement de cette saisie à hauteur de la somme totale de 21.168,15 euros, intérêts et frais y compris, arrêtée à la date du 22 mai 2024 ;

Rejette la demande de cantonnement à 11 actions détenues par M. [D] [V] au sein de la société AS Ambulances ;

Rejette la demande de M. [D] [V] tendant à l'octroi d'un délai de grâce ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [D] [V] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par la Relapse JRF & Associés, représentée par Me Stéphane Fertier.

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