CA Versailles, ch. soc. 4-2, 10 avril 2025, n° 22/03032
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. A
Défendeur :
Lemaire Tricotel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bolteau-Serre
Président :
Mme Prache
Conseiller :
Mme Chabal
Avocats :
Me Bibard, Me Arena, Me Berbier, Me Fehlbaum
EXPOSE DU LITIGE
La société par actions simplifiée Lemaire Tricotel, dont le siège social est situé [Adresse 1] à [Localité 4], dans le département du Val d'Oise, est spécialisée dans le secteur d'activité de la fabrication, l'achat, la vente, l'installation et la maintenance de portails automatisés. Elle emploie plus de 10 salariés. Elle est dirigée par M. [Z] [D].
La convention collective applicable est celle des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 du 8 octobre 1962.
M. [A] [X], né le 7 septembre 1969, a été engagé par la société Lemaire selon contrat de travail à durée indéterminée du 14 juin 1996 à effet au 3 juin 1996 en qualité de chef poseur.
Il est devenu aide conducteur de travaux à compter du 1er novembre 2002 puis conducteur de travaux.
Le 3 février 2014, la société Lemaire Tricotel a déposé plainte au commissariat de police d'[Localité 7] contre M. [X] et M. [J] [I], conducteur de travaux adjoint, pour vol dans son entrepôt depuis septembre 2013.
Par courrier en date du 7 février 2014, la société Lemaire Tricotel a convoqué M. [X] à un entretien préalable qui s'est déroulé le 14 février 2014, avec mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier en date du 20 février 2014, la société Lemaire Tricotel a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
« Monsieur,
Par courrier remis en main propre le 7 février 2014, je vous ai convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 14 février suivant et au cours duquel vous avez été assisté de M. [R] [O], chef poseur de clôtures et membre du comité d'entreprise. Par la présente, je vous notifie votre licenciement, pour les motifs rappelés ci-après et qui ont été évoqués au cours de l'entretien précité.
Vous avez été embauché au sein de la société Lemaire Tricotel le 3 juin 1996 et vous y exerciez en dernier lieu les fonctions conducteur de travaux.
- sur les éléments barreaudés qui ont été indûment et sans autorisation emportés par M. [I] à son domicile
En tout début d'année 2014, à l'occasion de l'inventaire, le chef magasinier, M. [C] [S], m'a informé qu'un rack d'éléments barreaudés neufs et revenant du chantier de [Localité 6] n°1305003 avait disparu de notre dépôt d'[Localité 7] entre le 30 décembre 2013 après son départ vers 18h et le 2 janvier 2014 au matin à la reprise. Il s'avère que le 30 décembre au soir M. [I] était seul dans l'entreprise, en dehors de moi-même.
M. [I] a reconnu avoir emporté ces panneaux et les destiner à la clôture de son habitation.
Vous avez déclaré être au courant de ces faits et les autoriser. Le montant global de ces panneaux, en coût d'approvisionnement tel qu'il apparaît au devis auquel vous aviez accès, est de 10 750 euros H.T.
Pour votre défense , vous avez accusé M. [P] [F], responsable technico-commercial au sein de la société, d'avoir lui-même proposé ces panneaux à un de nos sous-traitants pour une somme dérisoire. M. [F] a contesté la présentation des faits que vous avez adoptée. En tout état de cause, quand bien même M. [F] aurait agi ainsi, le comportement et les éventuels manquements d'autres salariés ne peuvent en aucun cas justifier vos propres fautes.
Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que seule la direction de l'entreprise (et non M. [F], ni vous-même) est habilitée à autoriser des sorties de stock (que ce soit au profit de salariés ou de sous-traitants), la direction fixant systématiquement un prix de vente en fonction de la valeur des marchandises concernées. S'agissant de clôtures en bon état, d'un modèle commandé à plusieurs reprises par le même client qui aujourd'hui nous demande de les reposer sur un autre chantier, et compte tenu de la valeur importante desdits panneaux, il ne fait nul doute que la direction de l'entreprise n'aurait autorisé aucun salarié à se les approprier gratuitement.
En permettant à M. [I] de s'approprier gratuitement des biens appartenant à l'entreprise, sans requérir de la direction une autorisation préalable, vous avez gravement manqué à vos obligations.
- sur les relations que vous avez développées avec les sous-traitants
Par ailleurs, au titre de vos fonctions, vous étiez chargé de la planification et du contrôle des chantiers de la société, et vous étiez assisté de M. [J] [I], adjoint-conducteur de travaux.
Dans le cadre de l'organisation des chantiers, M. [I] et vous étiez amenés à sous-traiter une partie des travaux, le choix des sous-traitants vous revenant. Vous avez notamment régulièrement travaillé avec la société [V] Clôture, représentée par M. [K] [V].
A la fin du mois de décembre 2013, M. [V] a contacté par téléphone M. [P] [F], Responsable technico-commercial au sein de la société Lemaire et lui révélait que, pour obtenir qu'un chantier de la société Lemaire lui soit sous-traité, M. [I] et vous exigiez que vous soit remise en espèce une somme correspondant à 10% du devis du chantier.
M. [F] m'a rapporté les faits quelques jours plus tard.
Par la suite, M. [V] m'a contacté afin que nous nous rencontrions pour évoquer la situation. Une réunion a ainsi été organisée le 11 janvier 2014. Etait également présent à cette réunion M. [N] [T] [E], sous-traitant pour la pose de clôture.
Lors de cette réunion, MM. [V] et [T] [E] m'ont confirmé les pratiques susmentionnées, M. [T] [E] ayant précisé qu'il avait refusé de se soumettre aux conditions que vous aviez fixées, si bien qu'il avait de plus en plus de mal à obtenir des contrats de sous-traitance depuis 1 an avec notre société.
M. [V] a expliqué que, depuis novembre 2009, le prix des factures de sous-traitance adressées à la société Lemaire Tricotel était supérieur à la valeur du chantier, vous et M. [I] l'ayant incité à procéder ainsi afin que la différence de montant soit utilisée pour vous verser les sommes en espèces exigées.
M. [V] a précisé que, en septembre 2013, étant dans l'impossibilité de régler à vous et à M. [I] les sommes que vous demandiez, vous lui aviez proposé des chantiers fictifs, l'objectif étant donc d'obtenir que la société Lemaire Tricotel lui verse des sommes indues, qui elles-mêmes serviraient à vous rémunérer, vous et M. [I].
Interrogé sur le chantier n°1305051 ' [Localité 8] Parc des Expositions ' vous n'avez pas été en mesure de justifier la facture de la société [V] pour un montant de 3 700 euros alors que la société [V] n'a passé qu'une journée sur ce chantier, journée habituellement facturée entre 700 et 800 euros. Vous avez reconnu avoir fait intervenir une de nos équipes de pose pour réaliser la plus grande partie du chantier. Autrement dit, alors que la société [V] n'est quasiment pas intervenue sur ce chantier, vous l'avez autorisée à facturer à la société Lemaire un montant équivalent à près de 5 jours de travail. Ceci confirme que vous avez mis en place un système de surfacturation et de chantiers fictifs, ainsi qu'expliqué dans les deux paragraphes précédents.
- sur les autres sorties de stocks
J'ai également été informé que vous et M. [I] vendiez, à titre personnel, des produits de clôture sortis sans autorisation des stocks de la société.
A ce titre, j'ai relevé une sortie de stock initiée par vos soins ' BS1401001- pour le chantier n°1304161. Or, après vérification, il s'avère que les produits en question ne sont pas prévus au devis correspondant et n'ont pas été installés sur ce chantier.
Lors de l'entretien du 14 février dernier, lorsque je vous ai interrogé sur cette sortie de stock, vous n'avez apporté aucune explication : vous vous êtes levé et avez mis fin de vous-même à l'entretien.
Ces actes sont particulièrement graves : profitant des responsabilités que vous occupez au sein de la société Lemaire Tricotel, vous n'avez pas hésité à user de man'uvres frauduleuses pour obtenir d'un sous-traitant qu'il vous verse des sommes indues, ce au détriment de la société, les sommes que vous avez obtenues de la société [V] ayant, de fait, été payées par la société Lemaire, dont l'image a sérieusement pâti de vos agissements.
Compte tenu de votre qualité d'associé de la société Lemaire Tricotel, dont vous détenez partie du capital, vos agissements s'apprécient d'autant plus gravement.
La gravité de votre comportement rend aujourd'hui impossible votre maintien au sein de la société. En conséquence, je suis contraint de vous notifier votre licenciement sans préavis, ni indemnité. »
Par requête reçue au greffe le 6 novembre 2014, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil. Dans le dernier état il formait les demandes suivantes :
- déclarer M. [X] recevable et bien fondé en l'ensemble de ses demandes,
- requalifier le licenciement dont il a fait l'objet pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la SAS Lemaire Tricotel au paiement d'une somme représentant deux ans de salaires (salaire moyen : 4 575 euros) : 109 850 euros,
- indemnité de préavis : 12 675 euros,
- congés payés y afférents : 1 267,50 euros,
- rappel de salaires pendant la mise à pied conservatoire : 2 880,75 euros,
- congés payés y afférents : 288,07 euros,
- indemnité de licenciement : 20 978 euros,
- condamnation pour licenciement brutal et vexatoire : 10 000 euros,
- annuler le forfait jour de M. [X] et condamner l'entreprise Lemaire Tricotel à verser les sommes suivantes :
. heures supplémentaires : 133 814,48 euros,
. congés payés y afférents : 13 381, 45 euros,
. au titre du repos compensateur : 133 814,48 euros,
. indemnité pour travail dissimulé : 25 350 euros,
. article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros.
La société Lemaire Tricotel a, quant à elle, formé les demandes suivantes :
- article 700 du code de procédure civile : 4 500 euros,
- recevoir la société Lemaire Tricotel en ses demandes, fins, conclusions,
- juger le licenciement de M. [X] justifié,
En conséquence,
- débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,
- juger que M. [X] n'a pas réalisé d'heures supplémentaires,
En conséquence,
- débouter M. [X] de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires et d'indemnité de travail dissimulé,
- dépens.
L'affaire, radiée le 9 octobre 2015, a fait l'objet d'une demande de réinscription le 18 novembre 2015.
Le 15 décembre 2015, le conseil de prud'hommes a prononcé un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction pénale saisie par la plainte déposée par la société Lemaire Tricotel.
Le 14 mars 2017, une radiation a été prononcée pour défaut de diligence des parties.
Par arrêt rendu le 4 février 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a confirmé l'ordonnance de non-lieu partiel rendue le 25 juin 2020 par le juge d'instruction de Pontoise concernant les faits d'escroquerie commis par M. [X] et M. [I].
Une demande de réinscription de l'affaire au rôle du conseil de prud'hommes a été formée par M. [X] le 26 mars 2021.
Par procès-verbal du 14 décembre 2021 le conseil de prud'hommes d'Argenteuil s'est mis en partage de voix et a renvoyé les parties devant la formation de départage du 3 juin 2022.
Par jugement rendu le 5 août 2022, la section encadrement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil en sa formation de départage a :
- dit éteinte du fait de la péremption l'instance engagée par M. [X] contre la société Lemaire Tricotel par requête reçue le 6 novembre 2014,
Et en conséquence,
- rejeté l'intégralité des demandes présentées par les parties.
M. [X] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 octobre 2022.
Au terme de ses dernières conclusions (n°3) adressées par voie électronique le 15 décembre 2024, M. [X] demande à la cour de :
- déclarer M. [X] recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté à tort la péremption d'instance initiée par l'appelant, et a refusé partant de statuer sur les demandes de l'appelant,
Par conséquent, statuant à nouveau,
- requalifier le licenciement dont il a fait l'objet pour faute grave, en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamner la SAS Lemaire-Tricotel au paiement d'une somme de 109 850 euros, soit deux ans de salaires (salaire moyen : 4 575 euros),
- condamner en outre la SAS Lemaire Tricotel au paiement des sommes suivantes :
. 12 675 euros à titre d'indemnité de préavis outre 1 267,50 euros au titre des congés payés y afférents,
. 2 880,75 euros à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire outre 288,07 euros au titre des congés payés y afférents,
. 20 978 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 10 000 euros pour licenciement brutal et vexatoire,
- annuler le forfait jour de M. [X] et condamner l'entreprise Lemaire Tricotel à verser les sommes suivantes :
. 133 814,48 euros à titre d'heures supplémentaires outre 13 381,45 (euros) au titre des congés payés y afférents,
. mémoire au titre de repos compensateur,
. 25 350 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- la condamner encore à lui régler une somme de 5 500 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au terme de ses dernières conclusions (n°3) adressées par voie électronique le 6 janvier 2025, la société Lemaire Tricotel demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 5 août 2022 en ce qu'il a :
. dit éteinte du fait de la péremption l'instance engagée par M. [X] contre la société Lemaire Tricotel par requête reçue le 6 novembre 2014,
. rejeté l'intégralité des demandes des parties,
A titre subsidiaire,
- recevoir la société Lemaire Tricotel en ses demandes, fins et conclusions,
- débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [X] à payer à la société Lemaire Tricotel la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
A titre infiniment subsidiaire,
- condamner M. [X] à rembourser à la société Lemaire Tricotel la somme de 8 002,72 euros au titre des jours RTT indus,
- ordonner la compensation entre cette condamnation et celle en paiement de rappel d'heures supplémentaires, le cas échéant,
En tout état de cause,
- condamner M. [X] aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance rendue le 8 janvier 2025, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au vendredi 24 janvier 2025.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la péremption d'instance
La société Lemaire Tricotel soutient que la péremption de l'instance, qui court selon elle à compter de la radiation prononcée le 14 mars 2017 en présence de M. [X], est acquise au 14 mars 2019 dès lors que ce dernier n'a réalisé aucune des trois diligences mises à sa charge dans les deux ans de cette décision et ne justifie pas que l'intégralité des diligences prescrites par le conseil de prud'hommes était impossible à réaliser.
Elle soutient que la décision de sursis à statuer rendue le 15 décembre 2015, qui était relative à la plainte simple qu'elle avait déposée auprès du procureur de la République, n'a suspendu l'instance que jusqu'au 20 avril 2016, date à laquelle elle la plainte été classée sans suite, et non jusqu'à la décision de la chambre de l'instruction rendue sur la plainte avec constitution de partie civile qu'elle a déposée le 8 mars 2017 ; que le 14 mars 2017 le conseil de prud'hommes n'a pas prononcé un sursis à statuer mais une radiation en mettant des diligences à la charge du demandeur, lequel avait rédigé pour cette date des conclusions au fond.
Elle demande la confirmation de la décision du conseil de prud'hommes qui a retenu la péremption de l'instance.
M. [X] réplique que le sursis à statuer prononcé le 15 décembre 2015 n'a pas été pris en compte par le conseil de prud'hommes alors que cette décision a interrompu l'instance jusqu'à la survenance de la décision pénale définitive, laquelle a été rendue par la chambre de l'instruction le 4 février 2021.
Il soutient que la radiation prononcée le 14 mars 2017 importe peu dès lors qu'il ne pouvait accomplir de diligences de nature à accélérer le déroulement de l'instance. Il estime qu'en application de l'article R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la réforme opérée par le décret n°2016-660 du 20 mai 2016, le délai de péremption ne court pas à compter du prononcé de la radiation mais de la date à laquelle les parties ont eu connaissance effective des diligences mises à leur charge. Il soutient que l'ordonnance de radiation est inique en ce qu'elle a été prononcée du fait que l'employeur avait saisi le juge d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile et qu'elle a soumis le rétablissement de l'affaire à la production du jugement correctionnel, lequel devait être rendu dans un délai à durée indéterminée, de sorte qu'elle le contraignait à une obligation impossible et avait les effets d'un sursis à statuer.
L'article 385 du code de procédure civile dispose que 'L'instance s'éteint à titre principal par l'effet de la péremption, du désistement d'instance ou de la caducité de la citation.
Dans ces cas, la constatation de l'extinction de l'instance et du dessaissement de la juridiction ne met pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs.'
En application de l'article R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction applicable aux actions engagées, comme en l'espèce, avant le 1er août 2016, 'En matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.'
L'article 386 du code de procédure civile dispose que 'L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.'
La péremption a donc pour objet de sanctionner le défaut de diligence des parties en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire.
Il résulte de la combinaison des articles R. 1452-8 du code du travail et 386 du code de procédure civile qu'en matière prud'homale, pour les actions engagées avant le 1er août 2016, l'instance est éteinte dès lors que les diligences mises à la charge des parties par la juridiction n'ont pas été accomplies pendant un délai de deux ans.
Le délai de péremption ne court qu'à compter de la date à laquelle les parties ont eu une connaissance effective des diligences mises à leur charge. Lorsque la décision de radiation mettant des diligences à la charge d'une partie a été prononcée à une audience publique à laquelle les parties étaient présentes, il s'en déduit que ces dernières ont eu connaissance de la décision de radiation dès son prononcé, de sorte que le point de départ du délai de péremption doit être fixé à cette date et non à celle de la notification de la décision de radiation (Cass. 2ème, 14 novembre 2024, n°22-23.185).
L'instance est éteinte si les parties n'ont pas accompli toutes les diligences mises à leur charge, sauf à établir que la diligence non accomplie était impossible à exécuter.
Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 392 du code de procédure civile 'L'interruption de l'instance emporte celle du délai de péremption.
Ce délai continue à courir en cas de suspension de l'instance sauf si celle-ci n'a eu lieu que pour un temps ou jusqu'à la survenance d'un événement déterminé ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l'expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement.'
En l'espèce, M. [X] a engagé une instance prud'homale par acte reçu au greffe le 6 novembre 2014.
Une première radiation a été prononcée le 9 octobre 2015 pour défaut de diligence des parties (pièce 11 de la société).
A la suite d'une demande de réinscription au rôle, les parties ont été convoquées à l'audience du 15 décembre 2015.
M. [X] a sollicité un sursis à statuer dès lors qu'une plainte avait été déposée par la société Lemaire Tricotel. La société était d'accord pour le sursis à statuer.
Un sursis à statuer a été prononcé le 15 décembre 2015 'dans l'attente de la décision de la juridiction pénale actuellement saisie', en disant 'qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer au conseil de prud'hommes la copie de la décision pénale pour que l'affaire soit réinscrite au rôle.' (pièce 50 du salarié).
Cette décision a interrompu l'instance et le délai de péremption.
Lorsque cette décision a été rendue, la société Lemaire Tricotel avait déposé deux plaintes simples :
- le 3 février 2014 au commissariat de police d'[Localité 7] à l'encontre de M. [X] et de M. [I] pour vol (pièce 22 du salarié). Le même jour, M. [K] [V], sous-traitant de la société, avait également déposé plainte pour extorsion à l'encontre de M. [X] et de M. [I] (pièce 19 du salarié),
- le 14 juin 2014 auprès du procureur de la République de Pontoise ainsi qu'il ressort de l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles le 4 février 2021 (pièce 50 du salarié), cette plainte n'étant pas produite.
Il ressort de cet arrêt et de la décision de classement sans suite datée du 20 avril 2016 (pièce 12 de la société) que ces deux plaintes ont fait l'objet d'un classement sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée s'agissant des faits d'abus de confiance reprochés à M. [X] et d'un rappel à la loi pour le vol imputé à M. [I] (procédure 16111/19).
Ainsi, la cause du sursis à statuer a disparu le 20 avril 2016, date de la décision du procureur de la République sur les plaintes déposées par la société Lemaire Tricotel.
L'interruption de l'instance et du délai de péremption a également cessé à cette date. Un nouveau délai de péremption de deux ans courait jusqu'au 20 avril 2018.
Par avis du 9 décembre 2016, le conseil de prud'hommes a rappelé les parties à l'audience du 14 mars 2017 (pièce 12.2 de la société).
Le 5 mars 2017, M. [X] a demandé au procureur de la République où en étaient les plaintes déposées le 3 février 2014 par la société et M. [V]. Il lui a été répondu le 8 mars 2017 que l'affaire est toujours en cours d'enquête sous le numéro 14233/106 (pièce 47 du salarié).
A l'audience du 14 mars 2017, à laquelle M. [X] était présent, le conseil de prud'hommes a constaté le défaut de diligence des parties et a ordonné la radiation de l'affaire et son retrait du rang des affaires en cours en disant que l'affaire ne pourra être rétablie au rôle que sur justification des diligences accomplies 'à savoir la production du jugement du tribunal correctionnel, ainsi que le justificatif de la communication des pièces et conclusions entre les parties, et le dépôt des conclusions et du bordereau de pièces au conseil par la partie demanderesse lors de la demande de remise au rôle'.
Le sursis à statuer n'ayant plus effet, le délai de péremption court donc à compter du 14 mars 2017, date à laquelle M. [X] a été informé des diligences qu'il devait accomplir et, à défaut de l'accomplissement des diligences mises à la charge des parties par la juridiction, la péremption est acquise au 14 mars 2019.
Le 14 mars 2017, après le prononcé de la radiation, le conseil de M. [X] s'est adressé au procureur de la République en lui écrivant notamment que :
'Mon client a fait l'objet d'un licenciement qui a été motivé par des faits de nature disciplinaire et également constitutifs de délits pour lesquels l'employeur a déposé plainte le 3 février 2014.
Cette plainte est actuellement toujours en cours d'enquête selon vos services et enregistrée sous le numéro 14133/106.
Consécutivement à son congédiement, mon client, qui conteste vigoureusement les faits qui lui sont reprochés, a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil territorialement compétent.
Après avoir fait l'objet d'un sursis à statuer, l'affaire a, à l'audience de ce 14 mars 2017, fait l'objet d'une radiation administrative et il nous est imparti aujourd'hui de justifier de l'issue de l'enquête pénale.'. Il sollicitait le classement sans suite de la plainte de son employeur et déposait plainte à l'encontre de ce dernier et des personnes dont le témoignage s'avérerait frauduleux (pièce 48 du salarié).
Ce courrier n'évoque en aucun cas la plainte avec constitution de partie civile pour vol et abus de confiance déposée le 8 mars 2017 par la société Lemaire Tricotel devant le doyen des juges d'instruction de Pontoise à l'encontre de M. [X] et M. [I], dont M. [X] ne semblait pas alors informé, pas plus que le conseil de prud'hommes, étant relevé que la société n'était pas comparante à l'audience du 14 mars 2017. Cette plainte n'est pas produite mais ressort de l'arrêt susvisé rendu le 4 février 2021 par la chambre de l'instruction.
En conséquence, la radiation du 14 mars 2017 n'a pu mettre à la charge des parties que :
- la production du jugement du tribunal correctionnel rendu sur la plainte simple de l'employeur,
- le justificatif de la communication des pièces et conclusions entre les parties,
- le dépôt des conclusions et du bordereau de pièces au conseil par la partie demanderesse (soit M. [X]) lors de la demande de remise au rôle.
Les décisions pénales rendues sur la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Lemaire Tricotel sont dès lors sans effet sur la péremption, à savoir l'ordonnance de non-lieu partiel rendue le 25 juin 2020 par le juge d'instruction de Pontoise au profit de MM. [X] et [I] s'agissant des faits de man'uvres frauduleuses, avec renvoi de M. [I] devant le tribunal correctionnel pour vol d'un rack de panneaux barreaudés et l'arrêt de confirmation rendu le 4 février 2021 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles (pièce 49 du salarié).
Par ailleurs, il ressort du jugement dont appel que lors de l'audience du 14 mars 2017, le salarié a annoncé de nouvelles conclusions, présentées comme en cours de finalisation le 13 mars 2017, que l'employeur a alors demandé le renvoi et que le salarié s'est associé à cette demande, tout en produisant le 14 mars 2017 à 13h30 pour l'audience de 14h des conclusions et un bordereau de pièces annoncées comme celles qui seront versées au débat.
Cependant le jugement relève que M. [X] n'a pas justifié dans le délai de 2 ans suivant le 14 mars 2017 de la communication de ses pièces et conclusions à l'employeur, alors que cette exigence pouvait être satisfaite si cette communication avait été réalisée, et qu'il n'est justifié que d'une communication le 25 mars 2021.
M. [X] ne justifie pas avoir accompli toutes les diligences qui étaient requises par le conseil de prud'hommes avant le 14 mars 2019, de sorte que la péremption de l'instance est acquise à cette date.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a dit éteinte du fait de la péremption l'instance engagée par M. [X] à l'encontre de la société Lemaire Tricotel et qu'elle a rejeté les demandes formées au fond par le salarié.
Sur les demandes accessoires
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de M. [X], par ajout à la décision de première instance qui n'a pas statué sur les dépens.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 août 2022 par la formation de départage du conseil de prud'hommes d'Argenteuil,
Y ajoutant,
Condamne M. [A] [X] aux dépens de première instance et d'appel,
Déboute la société Lemaire Tricotel et M. [A] [X] de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Victoria Le Flem, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.