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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. civ., 10 avril 2025, n° 24/04190

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nos Ptits Secrets (SARL)

Défendeur :

C1-189 G Tillon (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Torrecillas

Conseillers :

Mme Carlier, Mme Herment

Avocats :

Me Lasmoles, Me Seberger, Me Mounet

TJ Montpellier, du 25 juill. 2024, n° 24…

25 juillet 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 12 octobre 2019, la SCI C1-189 G Tillon a donné à bail à la SAS T2B Prestige un local commercial de 58 m² en rez-de-chaussée situé à [Localité 4], [Adresse 5] à [Localité 4], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 13 920 euros hors taxes et hors charges.

Par acte du 15 décembre 2021, la SCI C1-189 G Tillon et la SARL Nos Petits Secrets ont convenu que la seconde reprenait le bail commercial initialement consenti à compter du 12 octobre 2019 à la société T2B Prestige, avec changement de la destination des locaux devant 'Institut esthétique et centre de formation professionnel'.

Le 29 février 2024, la société C1-189 G Tillon a fait délivrer à la société Nos Ptits Secrets un commandement de payer visant la clause résolutoire, pour la somme en principal de 7 075,34 euros, correspondant aux loyers et charges restant dus.

Puis par acte du 22 avril 2024, la société C1-189 G Tillon a fait assigner en référé la société Nos Ptits Secrets devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier afin qu'il constate l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail commercial à la date du 30 mars 2024, qu'il ordonne l'expulsion de la locataire et qu'il la condamne au paiement d'une provision de 7 075, 34 euros ttc au titre des loyers et charges jusqu'à la date de résolution du bail et au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation jusqu'à libération des lieux, ainsi qu'au paiement de pénalités contractuelles de retard de paiement de loyer et d'une indemnité de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 25 juillet 2024, portant le numéro 24/30536, le président du tribunal judiciaire de Montpellier statuant en référé a :

- constaté à compter du 29 mars 2024, la résiliation du bail commercial liant les parties de plein droit par l'effet du commandement de payer en date du 29 février 2024,

- ordonné l'expulsion de la société Nos Ptits Secrets, qui devrait laisser les lieux loués libres de sa personne, de ses biens, et de tous occupants de son chef, dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance,

- di qu'à défaut, il pourrait être procédé à son expulsion avec assistance de la force publique si besoin,

- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

- condamné la société Nos Ptits Secrets à payer à la société C1-189 G Tillon les sommes provisionnelles suivantes :

* une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle égale au dernier loyer, outre charges, à compter du 29 mars 2024 et jusqu'à libération effective des lieux,

* une provision de 7 075,34 euros en deniers et quittances à valoir sur les loyers et charges dus au 30 mars 2024,

- dit n'y avoir lieu à statuer en référé sur la demande de la société C1-189 G Tillon formulée au titre de la clause pénale,

- débouté chacune des parties du surplus de ses prétentions,

- condamné la société Nos Ptits Secrets à payer à la société C1-189 G Tillon une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Nos Ptits Secrets aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 29 février 2024.

Par déclaration en date du 8 août 2024, la société Nos Ptits Secrets a relevé appel de cette ordonnance.

Le 26 août 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Nos Ptits Secrets.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 27 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société Nos Ptits Secrets demande à la cour de :

- ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 24/04190 et 24/04191,

- infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Montpellier du 25 juillet 2024 en ce qu'elle :

* a constaté, à compter du 29 mars 2024, la résiliation du bail commercial liant les parties de plein droit par l'effet du commandement de payer en date du 29 février 2024,

* a ordonné son expulsion et dit qu'il pourrait y être procédé avec assistance de la force publique si besoin,

* l'a condamnée à payer à l'intimée les sommes provisionnelles suivantes :

- une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle égale au dernier loyer, outre charges, à compter du 29 mars 2024 et ce jusqu'à libération effective des lieux,

- une provision de 7 075,34 euros en deniers et quittances à valoir sur les loyers et charges dus au 30 mars 2024,

* l'a condamnée à payer à l'intimée la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, en ce compris le commandement de payer en date du 29 février 2024.

Statuant à nouveau :

- juger n'y avoir lieu à référé,

- débouter la société C1-189 G Tillon de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société C1-189 G Tillon aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses demandes, elle expose que le 26 août 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a rendu un jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard.

Elle invoque les dispositions des articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce et indique qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que dans le cas où au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire est frappée d'appel, l'acquisition de cette clause n'a pas été constatée à cette date par une décision passée en force de chose jugée, de sorte que le bailleur ne peut plus poursuivre l'action antérieurement engagée, peu important que l'ordonnance soit exécutoire à titre provisoire. Elle ajoute que dès lors, la cour d'appel doit infirmer l'ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictées par l'article L. 622-21.

Elle en déduit qu'en l'espèce, l'ouverture de la procédure collective rend irrecevable la demande tendant à sa condamnation au paiement d'une somme d'argent et que l'ordonnance du 25 juillet 2024 n'étant pas une instance en cours au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce, elle ne peut faire l'objet d'une reprise au sens de l'article L. 622-22 du code de commerce.

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées le 27 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la société C1-189 G Tillon demande à la cour de :

- statuer ce que de droit en suite de l'appel inscrit par la société Nos Ptits Secrets à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Montpellier en date du 25 juillet 2024,

- condamner la société Nos Ptits Secrets aux entiers dépens.

Elle indique qu'est versé aux débats un jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 26 août 2024 qui constate l'état de cessation des paiements de la société Nos Ptits Secrets et désigne maître [X] [M] en qualité de mandataire liquidateur. Elle indique que la cour devra en tirer toutes conséquences de droit, dans la mesure où l'ordonnance du 25 juillet 2024 n'était pas passée en force de chose jugée avant l'ouverture du redressement judiciaire. Elle rappelle qu'en effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que la clause résolutoire n'est réputée acquise avant le jugement d'ouverture que si la décision constatant la résiliation du bail est passée en force de chose jugée avant ce jugement d'ouverture.

MOTIFS DE LA DECISION

En premier lieu, la cour observe que les affaires enregistrées sous les numéros RG 24/04190 et 24/04191 ne portent pas sur la même ordonnance rendue en référé par le président du tribunal judiciaire de Montpellier.

Dans ces conditions, et à défaut de tout autre élément de la part de la partie appelante susceptible de justifier la jonction par elle sollicitée, il n'y a lieu d'ordonner la jonction de ces instances.

Aux termes des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Selon les dispositions de l'article L. 622-21 I du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture, ne peut être poursuivie après ce jugement.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'aux termes d'un jugement en date du 26 août 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a constaté l'état de cessation des paiements, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Nos Ptits Secrets et désigné M. [W] [I] en qualité de juge commissaire, et la SELARL Bleu sud prise en la personne de maître [X] [M] en qualité de mandataire judiciaire.

A la date de ce jugement, l'ordonnance rendue le 25 juillet 2024, dont la société Nos Ptits Secrets avait interjeté appel le 8 août 2024, n'était pas passée en force de chose jugée.

L'action en résiliation du contrat de bail fondée sur le non paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture est une action en résolution d'un contrat fondé sur le défaut de paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce.

Cette action introduite par le bailleur avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.

La cour infirmera donc la décision déférée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la société Nos Ptits secrets et déclarera les demandes tendant au constat de la résiliation du bail et à l'expulsion irrecevables en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé.

Du reste, l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance ayant condamné la société Nos Ptits Secrets au paiement d'une provision et d'une indemnité provisionnelle d'occupation et de déclarer ces demandes en paiement irrecevables en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé.

Enfin, la société C1-189 G Tillon qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Dit n'y avoir lieu à ordonner la jonction des affaires enregistrées sous les numéros RG 24/04190 et 24/04191,

Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes de condamnation en paiement de l'arriéré locatif et d'une indemnité mensuelle d'occupation,

Déclare irrecevables les demandes tendant au constat de la résiliation du bail et à l'expulsion de la société Nos Ptits Secrets,

Déboute la société C1-189 G Tillon de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société C1-189 G Tillon aux dépens de première instance et d'appel.

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