CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 10 avril 2025, n° 24/02147
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lacmheo (SAS)
Défendeur :
Du Moulin Grouteau (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Girousse
Avocats :
Me Watrin, Me Guyonnet, Me Reeves
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 25 mai 2001, la SCI du Moulin Grouteau a donné à bail à la société Betray, aux droits de laquelle se trouve la société Lacmheo, des locaux commerciaux dépendant d'un ensemble immobilier situé à [Localité 9] (91), [Adresse 5] édifié sur un terrain cadastré section AM n° [Cadastre 1], à destination de « grande surface spécialisée de bricolage » exploités exclusivement sous l'enseigne Bricomarché.
Par avenant du 20 juin 2011, le bail a été renouvelé pour une nouvelle durée de 9 années à effet du 17 avril 2011 moyennant un loyer fixé par l'effet de la révision à 173.918,04 euros et pour le surplus, aux clauses, conditions et charges du bail expiré.
Par jugement rendu le 23 juin 2021 par le tribunal judiciaire d'Évry, confirmé par arrêt du 21 décembre 2023, la société Lacmheo a été condamnée à payer à la SCI du Moulin Grouteau la somme de 70.589 euros HT au titre de la taxe sur les bureaux, locaux commerciaux, locaux de stockage et surfaces de stationnement pour les années 2014 à 2019 ainsi que celle de 7.219,89 euros HT au titre de la taxe sur les bureaux, locaux commerciaux, locaux de stockage et surfaces de stationnement au titre du premier semestre 2020, 24 mois de délais de paiement ayant été accordés.
Parallèlement, par acte d'huissier de justice du 6 avril 2022, la société Lacmheo a assigné devant le tribunal judiciaire d'Évry, la SCI du Moulin Grouteau, aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 36.031,92 euros à titre de répétition de loyers indûment perçus de janvier 2005 à juin 2020 outre une somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par conclusions d'incident signifiées le 22 juillet 2022, la SCI du Moulin Grouteau a saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.
Par ordonnance du 30 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Évry-Courcouronnes a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action de la société Lachmeo ;
- condamné la société Lachmeo à payer à la SCI du Moulin Grouteau la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Lachmeo aux entiers dépens.
Par déclaration du 8 janvier 2024, la société Lacmheo a interjeté appel total de cette ordonnance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juillet 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Dans ses dernières conclusions déposées le 26 mars 2024, la société Lacmheo, appelante, demande à la Cour de :
- recevoir la société Lacmheo en ses conclusions d'appel et de l'y déclarer bien fondée ;
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise rendue le 30 novembre 2023 par le juge de la mise en état de 8ème chambre du tribunal judiciaire d'Evry, sous le numéro de RG 22/02014.
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- déclarer que l'action entreprise par la société Lacmheo est une action personnelle mobilière dont la prescription quinquennale relève de l'application de l'article 2224 du code civil ;
- déclarer qu'au jour de l'introduction de son action par la société Lacmheo, cette prescription n'était pas acquise ;
- ordonner la reprise de l'instance devant la 8ème chambre du tribunal judiciaire d'Evry.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans venait à considérer que l'action de la société Lacmheo relève de la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce,
- déclarer que cette prescription est suspendue pendant toute la durée du contrat de renouvellement du bail commercial du 20 juin 2011 qui se poursuit encore à ce jour ;
- ordonner la reprise de l'instance devant la 8ème chambre du tribunal judiciaire d'Evry.
En tout état de cause,
- condamner la SCI du Moulin Grouteau à verser à la société Lacmheo la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI du Moulin Grouteau aux entiers dépens, en ceux compris les éventuels frais d'exécution.
Dans dernières conclusions déposées le 19 avril 2024, la SCI du Moulin Grouteau, intimée, demande à la Cour de :
- déclarer la concluante recevable et bien fondée en ses demandes ;
- confirmer l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Evry du 30 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;
En conséquence et par l'effet dévolutif de l'appel, statuant à nouveau :
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action initiée par la société Lacmheo à l'encontre de la SCI du Moulin Grouteau par assignation signifiée par exploit du 6 avril 2022 ;
- débouter la société Lacmheo en toutes ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la SCI du Moulin Grouteau ;
- condamner la société Lacmheo à payer à la SCI du Moulin Grouteau la somme de 5.000 ' au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile engagés par elle pour faire valoir et préserver ses droits dans le cadre de la présente procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile dont distraction faite au profit de la SCP AFG, Avocat au Barreau de Paris.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Il résulte de l'article L. 145-60 du code de commerce que toutes les actions exercées en vertu du chapitre de ce code relatif au statut du bail commercial se prescrivent par deux ans. Les autres actions concernant un bail commercial mais ne portant pas sur l'application du statut relèvent des dispositions de droit commun de l'article 2224 du code civil selon lesquelles les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer.
Tant dans le contrat de bail du 25 mai 2001 que dans l'avenant de renouvellement du 20 juin 2011, le bien immobilier loué par la SCI du Moulin Grouteau à la société Betray, aux droits de laquelle se trouve la société Lacmheo, est désigné comme étant un local commercial d'une surface SHON d'environ 3.501 m2 dépendant d'un ensemble immobilier sis à [Adresse 5] cadastré section AM N° [Cadastre 1]. Selon l'avenant du 20 juin 2011 le montant du loyer a été fixé « par le jeu de la révision » c'est-à-dire par l'effet de l'indexation prévue dans la clause d'échelle mobile du bail.
Dans l'assignation du 6 avril 2022 initiant la présente procédure, la société Lacmheo fait valoir que la parcelle AM [Cadastre 1] a fait l'objet de deux divisions successives ayant donné lieu aux parcelles AM [Cadastre 3] et AM [Cadastre 4], cette dernière ayant été divisée en AM [Cadastre 6] et AM [Cadastre 7], qu'à l'occasion d'une contestation du permis de construire obtenu par elle le 23 novembre 2018, elle a découvert que la parcelle AM[Cadastre 6] a été cédée à la Compagnie Foncière Seine et Rhône et que la parcelle AM [Cadastre 7] a été cédée à la société [Adresse 10]. Elle reproche notamment à sa bailleresse d'avoir continué à lui louer la parcelle AM [Cadastre 6] vendue à un tiers depuis 2005 et sollicite la restitution des loyers afférents à la surface de cette parcelle dont elle n'avait plus la jouissance outre des dommages et intérêts.
Cette action ne concerne pas l'application du statut des loyers commerciaux, elle vise à obtenir une restitution d'une partie du loyer versé au motif que la surface des locaux délivrés par la bailleresse aurait été réduite depuis le bail initial renouvelé aux mêmes clause et conditions moyennant un loyer révisé, que cette modification de la chose louée justifierait une diminution du prix du bail et la restitution du trop-perçu. Elle relève donc de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil précité.
Dès lors qu'il n'apparaît pas que la bailleresse ait informé la société Lacmheo de la cession en 2005 des parcelles litigieuses ni que cette dernière en ait été informée avant le mémoire qui lui a été délivré par les propriétaires de ces parcelles le 5 juillet 2019 dans le cadre de la procédure de contestation de son permis de construire obtenu en 2018 concernant les parcelles AM [Cadastre 3],[Cadastre 6] et [Cadastre 7], c'est à la date de ce mémoire que se situé le point de départ de la prescription de cinq ans. Il en résulte que l'assignation délivrée le 6 avril 2022 l'a été avant l'expiration de ce délai le 5 juillet 2024. Il convient donc d'infirmer l'ordonnance déférée qui a déclaré l'action irrecevable comme prescrite en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles et de déclarer l'action recevable.
Il en résulte que l'instance devra être reprise devant le tribunal judiciaire d'Evry.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir déclarer, lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
La SCI du Moulin Grouteau qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel relatifs à la procédure d'incident pour fin de non-recevoir tirée de la prescription ainsi qu'à payer à la société Lacmheo une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa demande fondée sur ce texte.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 30 novembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'Evry (RG 22/2014)
Statuant à nouveau,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SCI du Moulin Grouteau,
Déclare l'action de la société Lacmeho recevable comme non prescrite,
Condamne la SCI du Moulin Grouteau à payer à la société Lacmeho la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SCI du Moulin Grouteau de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la SCI du Moulin Grouteau aux dépens de première instance et d'appel relatifs à la procédure d'incident.