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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 8, 10 avril 2025, n° 23/03150

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

M L

Défendeur :

Transports Reunis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Montagne

Président :

Mme Frenoy

Conseiller :

Mme Moisan

Avocats :

Me Dedieu, Me Bellet

Cons. prud'h. Meaux, du 27 avr. 2023, n°…

27 avril 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 avril 2007, M. [L] [M] a été engagé par la société GM Participations, filiale de la société Transports Réunis, en qualité d'agent d'encadrement, cadre, groupe 6, coefficient 145, selon la classification de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, étant précisé que le lieu de travail était fixé à [Localité 5], [Adresse 6], correspondant au site d'une autre filiale, la société [A] [H] et qu'une délégation de pouvoirs lui a été consentie par le chef d'entreprise à l'effet de veiller au respect des dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles notamment s'agissant des règles d'hygiène, de sécurité et de gestion du personnel.

M. [M] a acquis et détenu des parts sociales du capital de la société GM Participations entre mai 2007 et 2011, puis de la société [A] [H] à compter de 2011.

A la suite de la dissolution de la société GM Participations en juin 2011, à effet au 1er janvier 2011, son contrat de travail a été repris par la société Transports Réunis.

Le salaire de référence s'élevait à 6 021,01 euros.

Par lettre datée du 23 juin 2021, remise en mains propres, l'employeur lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre datée du 29 juin 2021, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 juillet suivant, puis par lettre du 16 juillet 2021, son licenciement pour faute lourde lui a notifié.

Le 23 juillet 2021, la société Transports Réunis a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux afin d'obtenir la condamnation de M. [M] à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le 28 juillet 2021, M. [M] a saisi la même juridiction aux fins de faire juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de son ancien employeur au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement mis à disposition le 27 avril 2023, les premiers juges, après avoir joint les deux procédures, ont jugé le licenciement justifié par une faute lourde, ont débouté tant M. [M] que la société Transports Réunis de toutes leurs demandes, ont dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et ont laissé les dépens à la charge de M. [M].

Le 11 mai 2023, M. [M] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 13 janvier 2025, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, juger recevables en cause d'appel les demandes au titre des frais de mutuelle et de rappel de salaire sur mise à pied ainsi que le moyen au titre du délai excessif entre la mise à pied et la convocation à l'entretien préalable, et que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 73 452,12 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 23 772,50 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 18 363,09 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 836,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 7 428,91 euros au titre du rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire,

* 742,89 euros au titre des congés payés afférents,

- à titre subsidiaire, juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 23 772,50 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 18 363,09 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 836,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 7 428,91 euros au titre du rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire,

* 742,89 euros au titre des congés payés afférents,

- en tout état de cause, débouter la société de toutes ses demandes, confirmer le jugement en ce qu'il la déboute de ses diverses demandes indemnitaires et de remise de documents, condamner celle-ci à lui verser :

* 36 726,06 euros au titre du licenciement brutal et vexatoire,

* 24 484,04 euros au titre du préjudice de carrière et violation de l'obligation d'employabilité,

* 30 000 euros à titre de rappel de salaire sur les périodes de juillet 2018 à juillet 2021,

* 15 702,52 euros au titre des congés payés non pris et non payés sur la période de juillet 2018 à juillet 2021,

* 7 157,94 euros au titre des notes de frais

* 4 020 euros à titre de dommages et intérêts pour frais de mutuelle,

à lui communiquer l'ensemble de ses données personnelles, sous astreinte quotidienne de 150 euros à compter de l'arrêt à intervenir, ainsi qu'à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 23 janvier 2025, la société Transports Réunis demande à la cour de :

- in limine litis, juger irrecevables les demandes nouvelles formées en cause d'appel au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif de 'la mise à pied conservatoire non suivie immédiatement de l'engagement de la procédure de licenciement', des dommages et intérêts pour frais de mutuelle et de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire et congés payés afférents, et débouter M. [M] de ces demandes,

- au fond, confirmer le jugement en ses déboutés de l'ensemble des demandes de ce dernier, l'infirmer en ses déboutés de ses propres demandes, statuant à nouveau, juger que le licenciement pour faute lourde est bien fondé, condamner M. [M] à lui verser les sommes de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, lui faire sommation de lui communiquer les bilans 2017 à 2020 de la société MMC TP ainsi que ses factures clients sur ladite période et à défaut, en tirer les conséquences utiles et débouter ce dernier de toutes ses demandes.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 janvier 2025.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIVATION

Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel

La société soutient que les trois demandes nouvellement formées en cause d'appel par M. [M] sont irrecevables.

Le salarié conclut à la recevabilité du moyen et des deux nouvelles demandes formées en cause d'appel.

En application de l'article 563 du code de procédure civile, les parties peuvent notamment

invoquer en appel des moyens nouveaux pour justifier les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge.

Par ailleurs, si les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, elles peuvent cependant, en application de l'article 566 du même code, ajouter aux prétentions soumises au premier juge des demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire et en application de l'article 565 du même code, les prétentions tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement est différent ne sont pas nouvelles.

M. [M] ayant saisi le premier juge d'une demande tendant à faire juger que la rupture du contrat de travail est injustifiée avec toutes conséquences indemnitaires de droit, il s'ensuit que :

- d'une part, celui-ci est fondé à invoquer à hauteur d'appel un nouveau moyen au titre du délai excessif entre la notification de la mise à pied à titre conservatoire et la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement au soutien de sa prétention tendant à faire juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- d'autre part, ses demandes de rappel de salaire et congés payés incidents pour la période de mise à pied à titre conservatoire et de dommages et intérêts pour frais de mutuelle sont recevables dans la mesure où elles tendent à l'indemnisation des conséquences de la rupture injustifiée et sont l'accessoire et la conséquence de la demande d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société sera déboutée de sa demande aux fins d'irrecevabilité de ces demandes.

Sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement pour faute lourde notifié à M. [M], signée par M. [J] [I], président de la société Transports Réunis, d'une longueur de huit pages, fait en substance grief au salarié d'un comportement visant à mettre en difficulté la société [A] [H], dont il est actionnaire, par l'accomplissement de nombreux faits fautifs avec une intention de nuire à l'entreprise, à savoir :

- avoir utilisé les moyens matériels et humains de l'entreprise à des fins personnelles,

- avoir présenté des notes de frais frauduleuses,

- avoir abusé de ses fonctions de recrutement à des fins personnelles,

- avoir créé une société concurrente depuis 2017,

s'analysant 'en un abus de capacités et fonctions dans un but uniquement personnel', afin de développer l'activité de la société MMC TP, créée le 1er octobre 2017 à son domicile, ayant la même activité que la société [A] [H], dont sa compagne est dirigeante et son fils actionnaire majoritaire.

Le salarié conclut au caractère dénué de cause réelle et sérieuse du licenciement en faisant valoir que :

- la mise à pied à titre conservatoire dont il a fait l'objet n'a pas été suivie immédiatement de l'engagement de la procédure de licenciement ;

- les griefs ne sont pas fondés au regard notamment des pratiques habituelles de prêt de matériel en vigueur dans la société, connues des dirigeants et il n'avait aucun lien avec la société MMC TP.

La société conclut au bien-fondé du licenciement pour faute lourde en faisant valoir que :

- le délai de six jours entre la notification de la mise à pied à titre conservatoire et la convocation à l'entretien préalable a été rendu nécessaire par des investigations à mener avant d'envisager l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre du salarié,

- les griefs sont fondés et révèlent une intention de nuire à l'entreprise de la part du salarié qui a distrait du matériel et du personnel pour en faire bénéficier la société MMC TP dont il se présentait comme le représentant devant des tiers.

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La faute lourde se distingue de la faute grave par le critère supplémentaire tiré de l'intention de nuire du salarié vis-à-vis de son employeur. Il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.

En dehors du cas de poursuites pénales, la mise à pied garde son caractère conservatoire même si l'engagement des poursuites n'est pas concomitant si l'employeur justifie de la nécessité de mener une enquête dans l'intérêt du salarié.

En l'espèce, il ressort des explications de la société, justifiées par les pièces qu'elle verse aux débats, que :

- dans le cadre de l'établissement comptable annuel des comptes clos au 31 décembre 2020 de la société [A] [H], les constats d'une perte d'exploitation de 378 120 euros et d'une chute du chiffre d'affaires de près de 50 % ont amené à la réalisation d'un audit effectué les 3 et 9 juin 2021 par le Cabinet LGPN et associés, commissaire aux comptes ; celui-ci a mis en évidence des anomalies comptables importantes mettant en cause des agissements de M. [M], qui, dans le cadre de ses fonctions contractuelles, dirigeait les services commerciaux, entretenait les relations commerciales avec les clients et prospects et encadrait et gérait le personnel de la société [A] [H], ce qui l'a conduite à envisager des investigations sur le site, passant en particulier par une analyse des documents et matériels informatiques détenus par M. [M], et rendant nécessaire son éloignement du lieu de travail afin de réaliser celles-ci ;

- à la suite de la remise en mains propres d'une décision de mise à pied à titre conservatoire à celui-ci le 23 juin 2021, l'employeur a fait procéder à une analyse de la messagerie en ligne et de l'ordinateur portable professionnels de l'intéressé, ainsi qu'il ressort de deux rapports produits aux débats en pièces n° 76 et 77, établis par M. [W] [C], informaticien de la société [A] [H] comportant une analyse de la messagerie en ligne attribuée à M. [M] et de son ordinateur portable, sur son activité professionnelle ;

- par lettre en date du 29 juin 2021, l'employeur a notifié une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement à M. [M].

Il résulte de ces constatations que le délai de six jours entre la notification de la mise à pied, qualifiée de conservatoire, et la lettre de convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement était, dans l'intérêt même du salarié, un délai indispensable, compte tenu de la nécessité, pour l'employeur, de mener à bien les investigations sur un possible détournement des moyens et matériels de la société [A] [H] et de se déterminer sur la nécessité d'engager une procédure de licenciement pour faute lourde, de sorte que le moyen n'est pas fondé.

Au soutien de la faute lourde fondant le licenciement de M. [M], la société produit en particulier aux débats, outre les deux rapports d'analyse de la messagerie et de l'ordinateur professionnel de celui-ci sus-mentionnés, des échanges de courriels et de lettres professionnels, des notes de frais, des factures, des contrats de services et de travail, de la documentation professionnelle, des états d'inventaire, des attestations de salariés, une enquête interne menée auprès des salariés de la société datée du 6 juillet 2021, des photographies, des extraits de Kbis de sociétés, ainsi qu'un rapport établi par Me [X] [F], huissier de justice mentionnant notamment, à propos du bureau affecté au salarié, photographies à l'appui, 'dans ce bureau, je ne constate quasiment aucun document concernant les sociétés [A] [H] et Transports Réunis des années 2018 à 2021", et à propos du visionnage d'une vidéo réalisée via l'application WhatsApp datée du 23 juin 2021 à 11h11 d'une durée de 45 secondes, que M. [M] a emporté de nombreux dossiers après l'annonce de sa mise à pied à titre conservatoire par M. [K].

L'examen de ces pièces permet d'établir les faits suivants imputables à M. [M] :

- la livraison et le dépôt chez M. [V] [N], salarié de la société [A] [H], durant ses congés, à l'initiative de M. [M], les 28 avril, 3 et 7 mai 2021, de plusieurs engins volumineux de chantier, à l'aide d'un porte-engin de cette société, conduit par M. [G], chauffeur de celle-ci, durant dix jours, sans justification et sans facturation ;

- l'assurance aux frais de la société [A] [H] et la réparation par M. [U], chef d'atelier au sein de cette société, donc aux frais de celle-ci, d'un 'compacteur Hammm HD 12VV', n'appartenant pas à la société [A] [H], mais acquis par la société MMC TP, créée en 2017, présidée par la compagne de M. [M] et dont son fils détient 90 % du capital social, ayant son siège au domicile de l'intéressé et ayant le même objet social que celui de la société [A] [H] ;

- l'utilisation d'un porte-engin de la société [A] [H], conduit par M. [G], déjà mentionné, le 14 avril 2021, afin de transporter quatre machines (une plaque vibrante Mikasa, une pilonneuse Bomag, une plaque vibrante rouge Mikasa et une plaque vibrante hydraulique NPK) acquises par l'entremise de M. [M] par la société MMC TP lors d'une vente aux enchères Ritchie Bros dans l'Eure, et leur stockage dans les locaux de la société [A] [H] dans l'attente de réparations demandées à M. [U], chef d'atelier, jusqu'à leur découverte par l'employeur le 23 juin 2021 ;

- des facturations à la société [A] [H] pour plus de 3 000 euros HT avec mise en paiement le 23 mars 2021de la réparation d'une machine KIBOTA U15, propriété de la société MMC TP, demandée en novembre 2020 et effectuée par M. [U], chef d'atelier, et l'assurance entre juin 2020 et juin 2021 aux frais de la société [A] [H] de cette machine, sans justification ;

- la remise de notes de frais injustifiées de restaurants, d'achats alimentaires et de carburant, en dehors des horaires de travail notamment le week-end, en ayant indiqué lors de l'audit du commissaire aux comptes 'il (M. [M]) mettait des noms derrière, certaines fois aléatoirement' ;

- le recrutement de son fils, M. [S] [M], pour travailler en intérim via la société Manpower pour la société [A] [H] en qualité de manoeuvre, avec un taux horaire injustifié de 31,82 euros durant l'année 2020, alors que M. [U] n'est rémunéré qu'à un taux de 21,88 euros par heure et que son fils, né en 1998, étudiant en école d'architecture, par ailleurs, associé majoritaire de la société MMC TP, ne disposait pas des compétences et de l'expérience pour ce poste, ainsi qu'en atteste M. [V] [N] ;

- la création de la société MMC TP le 1er octobre 2017 à son domicile ayant la même activité que la société [A] [H], dont sa compagne, Mme [Z] [P], exerçant une activité dans le domaine de la danse, est présidente et son fils, alors étudiant, était actionnaire majoritaire, sans information de l'employeur, en violation de l'obligation de loyauté contractuelle, en entretenant une confusion des patrimoines de la société [A] [H] et de la société MMC TP à l'égard de tiers, tel M. [E] [R], auprès duquel il a acheté le compacteur 'Hamm HD 12VV' sus-mentionné au prix de 6 000 euros, se présentant comme ' représentant de la société MMC TP', qu'il a fait enlever à l'aide d'un porte-engin appartenant à la société [A] [H] puis a fait assurer et réparer par cette même société.

Si M. [M] soutient que 'le prêt de matériel constituait une pratique habituelle au sein de la société', pour autant il n'apporte aucune justification légitime à de tels prêts pour les machines et engins concernés, propriétés de la société [A] [H], à des salariés et d'information à sa hiérarchie sur ces faits.

Les quelques exemples qu'il cite de prêts de matériels et de services de livraison à M. [I] et M. [K], mandataires sociaux de la société Transports Réunis et non salariés, alors que la société justifie de leur caractère encadré et limité, ne permettent pas de retenir l'existence d'un usage de telles pratiques au bénéfice de salariés de la société.

Celui-ci ne produit pas plus d'explications justificatives aux différents faits établis par les éléments versés aux débats.

En particulier, le certificat de cession d'un véhicule signé le 23 janvier 2018 par M. [I] à Mme [P], que le salarié met en exergue censé démontrer la connaissance par l'employeur de la société MMC TP, ne mentionne en aucun cas cette société, la cession ayant été faite à Mme [P], personne physique sans qu'apparaisse à aucun endroit la société MMC TP.

L'argumentation au titre d'un licenciement économique déguisé n'est pas pertinente au regard des fautes établies et imputables au salarié.

Au regard des constatations qui précèdent, les agissements de M. [M] illustrant un manquement répété à l'obligation de loyauté à l'égard de l'employeur revêtent une importance telle que son maintien dans l'entreprise s'avérait impossible, sans toutefois que ne soit démontrée une intention de nuire à l'employeur de sa part.

Le licenciement n'est par conséquent pas fondé sur une faute lourde mais sur une faute grave.

Le salarié sera débouté de ses demandes d'indemnités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, y compris les demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, qui était justifiée, et de congés payés afférents.

Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement

Le salarié soutient que son licenciement est survenu de façon brutale et vexatoire du jour au lendemain par une mise à pied conservatoire notifiée le 23 juin 2021, alors qu'il avait quatorze ans d'ancienneté et aucun passif disciplinaire, et dans des conditions humiliantes, ayant été filmé par M. [K], son état de santé s'étant consécutivement détérioré et ayant été placé en arrêt de travail entre le 24 juin et le 24 juillet 2021. Il réclame une indemnité afin de réparer son préjudice.

La société conclut au débouté de cette demande en relevant qu'au vu de la gravité des faits découverts et les tentatives du salarié de couvrir ses fautes en demandant par exemple à son assistante de supprimer l'assurance sur l'une de ses machines, elle n'a pas eu d'autre choix que de lui notifier cette mise à pied conservatoire, que celui-ci s'est alors mis à vider son bureau et prendre des dossiers, tout en laissant ses affaires personnelles malgré les demandes de M. [K], qui a eu comme réflexe de le filmer afin de le stopper dans ses agissements, en vain cependant.

Il ressort du procès-verbal établi par l'huissier de justice le 21 juillet 2021 après le visionnage de la vidéo prise par M. [K] le 23 juin 2021 qu'à l'annonce de sa mise à pied à titre conservatoire, M. [M] a vidé son bureau de nombreux dossiers volumineux et matériels en indiquant qu'ils lui appartenaient, tout en laissant des affaires personnelles telles que des photos de famille. La société n'a donc pas pu effectuer les vérifications des allégations de celui-ci quant à la propriété des nombreux dossiers qu'il a emportés.

Au regard de la régularité de la procédure de licenciement jugé fondé sur une faute grave, le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le préjudice de carrière et la violation de l'obligation d'employabilité

Le salarié fait valoir qu'il n'a jamais bénéficié d'entretien professionnel, ni d'accompagnement, d'une évolution professionnelle, d'une augmentation de rémunération ou d'une formation professionnelle, à l'exception d'une seule, pendant toute l'exécution du contrat de travail et réclame des dommages et intérêts au titre d'un préjudice de carrière et d'employabilité.

La société soutient qu'en réalité, M. [M] était le dirigeant de la société [A] [H] et n'avait pas le statut d'un salarié, qu'en application de la délégation de pouvoirs consentie, il était précisément en charge du suivi de l'obligation de formation, qu'il a mélangé son patrimoine avec celui de la société en se faisant rembourser des notes de frais le dimanche, en faisant réparer et assurer ses machines par la société et en prêtant des machines aux salariés et doit être débouté de cette demande.

Le licenciement disciplinaire notifié par la société Transports Réunis en application de son pouvoir de direction et de sanction démontre que M. [M] était soumis à la subordination juridique de cette société et confirme donc qu'il en était bien salarié, de sorte que les développements de la société sur son statut de dirigeant sont inopérants.

En outre, le contrat de travail ne contient aucune stipulation sur un statut de cadre dirigeant.

Alors que sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant, en vertu de l'article L. 3111-2 du code du travail, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement et que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise et doivent être analysés au regard des fonctions réellement occupées par le salarié, force est de constater que la démonstration d'un tel statut du salarié n'est pas faite par la société.

Toutefois, M. [M] n'établit pas, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, le préjudice que lui aurait causé le manquement qu'il dénonce, à défaut de produire une quelconque pièce à ce titre.

Il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le rappel de salaire

Le salarié forme une demande à hauteur de 30 000 euros au titre d'un rappel de salaire sur la période de juillet 2018 à juillet 2021 en soutenant avoir effectué des missions le week-end sur 24 heures d'affilée jusqu'en 2018, des astreintes tous les soirs, toutes les nuits, tous les lundis et tous les dimanches pour l'alarme, pour le renvoi de téléphone, pour le gardiennage, les dépannages de nuit ou la préparation des véhicules le week-end, et qu'il travaillait au-delà de 169 heures mensuelles sans indemnisation, relevant qu'un ancien salarié de la société durant vingt ans le qualifie de 'très bon directeur'.

La société réplique que d'une part, la demande est prescrite en application de l'article L. 3245-1 du code du travail et que d'autre part, le salarié étant cadre dirigeant, celui-ci ne peut valablement réclamer aucune somme de ce chef.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Si la demande de rappel de salaire pour la période comprise entre 2018 et 2021 n'est pas prescrite en application de l'article L. 3245-1 du code du travail prévoyant que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail et que, comme vu plus haut, le statut de cadre dirigeant ne saurait être appliqué à M. [M], force est cependant de constater que celui-ci invoque de manière très vague ne pas avoir été indemnisé de tout le travail effectué, sans ne serait-ce que produire un décompte des heures estimées travaillées et non rémunérées.

En l'absence de production d'éléments suffisamment précis sur les heures de travail non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, afin de permettre à la société de fournir ses propres éléments, il convient de débouter le salarié de sa demande de ce chef et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur les congés payés non pris et non rémunérés

Le salarié demande le paiement d'une somme au titre de congés payés sur salaire non pris et non rémunérés depuis son embauche.

La société conclut au débouté de cette demande qu'elle estime infondée.

Il ne peut qu'être constaté qu'au soutien de ses allégations relatives à des congés payés non pris, le salarié ne produit aucune pièce, ni aucun élément.

Le bulletin de paie de juillet 2021 mentionne une indemnité compensatrice de congés payés de 6 473,76 euros au titre du solde de congés payés de 23 jours (mentionné sur le bulletin de paie de juin 2021) ainsi qu'une indemnité compensatrice de congés payés restant au 16 juillet 2021 de 1 591,91 euros représentant 6 jours.

Il s'ensuit que le salarié a été rempli de ses droits au titre de l'indemnité compenstrice de congés payés.

Il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le remboursement de notes de frais

Le salarié sollicite le remboursement de ses notes de frais à hauteur de 7 157,94 euros qu'il indique avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle.

La société conclut au débouté de cette demande qu'elle estime en partie prescrite et infondée.

Il a été retenu le caractère frauduleux des notes de frais en cause se rapportant essentiellement à des frais de bouche, de carburant et d'achat de matériaux pour des chantiers.

Si la demande n'est pas prescrite, celle-ci n'est cependant fondée sur aucune démonstration du caractère professionnel de l'engagement de tels frais par M. [M] et alors que ceux-ci fondent pour partie la faute grave, objet du licenciement intervenu.

Il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les frais de mutuelle

Le salarié sollicite des dommages et intérêts au titre de frais de mutuelle qu'il a engagés à la suite de la rupture dans la mesure où la société n'a pas maintenu sa mutuelle à la suite de son licenciement pour faute lourde.

La société conclut au débouté de cette demande qu'elle estime infondée au regard du licenciement pour faute lourde.

L'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale dispose :

'Les salariés garantis collectivement, dans les conditions prévues à l'article L. 911-1, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage, selon les conditions suivantes :

1° Le maintien des garanties est applicable à compter de la date de cessation du contrat de travail et pendant une durée égale à la période d'indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail ou, le cas échéant, des derniers contrats de travail lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur. Cette durée est appréciée en mois, le cas échéant arrondie au nombre supérieur, sans pouvoir excéder douze mois ;

2° Le bénéfice du maintien des garanties est subordonné à la condition que les droits à remboursements complémentaires aient été ouverts chez le dernier employeur ;

3° Les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise ;

4° Le maintien des garanties ne peut conduire l'ancien salarié à percevoir des indemnités d'un montant supérieur à celui des allocations chômage qu'il aurait perçues au titre de la même période ;

5° L'ancien salarié justifie auprès de son organisme assureur, à l'ouverture et au cours de la période de maintien des garanties, des conditions prévues au présent article ;

6° L'employeur signale le maintien de ces garanties dans le certificat de travail et informe l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail mentionnée au premier alinéa.

Le présent article est applicable dans les mêmes conditions aux ayants droit du salarié qui bénéficient effectivement des garanties mentionnées au premier alinéa à la date de la cessation du contrat de travail'.

Du fait de son licenciement pour faute lourde, le salarié a été privé de son droit à la portabilité de sa mutuelle et de la prévoyance à titre gratuit.

Celui-ci justifie de l'engagement de frais d'adhésion à une mutuelle à hauteur de 1 949,16 euros pour lui, son épouse et ses deux enfants, qui en bénéficiaient jusqu'alors, pour la première année suivant le licenciement.

Dans ces conditions, et du fait de la requalification du licenciement, il convient de faire droit à la demande du salarié à hauteur de cette somme.

Sur la demande de communication des données personnelles

Le salarié demande la remise de l'ensemble de ses données personnelles, sous astreinte.

La société s'oppose à cette demande.

Force est de constater l'imprécision de la demande, qui ne vise aucune pièce précise.

Il convient de débouter le salarié de cette demande et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société

Relevant que M. [M] a été dès son embauche associé à la direction du groupe, en étant actionnaire, la société fait valoir que ses agissements déloyaux lui ont causé un préjudice financier important dès lors que son chiffre d'affaires a drastiquement chuté et qu'elle a enregistré des pertes de 311 364 euros pour la première fois depuis son appartenance au groupe, que cette baisse est liée aux manoeuvres de l'intéressé qui s'est notamment consacré à l'activité de sa société, ajoutant que 'ces agissements sont certainement à rapprocher avec le fait que depuis 2019, M. [M] espérait racheter la société [H]', 'plus la valeur baisse, plus il sera aisé de procéder à son rachat', que celui-ci a eu très peu d'activité pour le compte de la société depuis 2018 et n'a rien laissé sur celle-ci comme en témoignent les dossiers laissés vides dans son bureau, sur son ordinateur portable et sur sa messagerie professionnelle. Elle demande sa condamnation à lui payer 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les graves préjudices causés.

Indiquant n'avoir aucun lien juridique avec la société MMC TP, le salarié conclut au débouté de cette demande en faisant valoir que la société n'apporte pas la preuve des prétendus préjudices qu'il aurait causés.

En présence d'une demande de dommages et intérêts en réparation des faits de déloyauté invoqués par l'employeur, il appartient à la cour de rechercher si ces faits sont constitutifs d'une faute lourde susceptible d'entraîner la responsabilité pécuniaire du salarié.

L'employeur échouant à établir une faute lourde du salarié comme il résulte des développements qui précèdent, cette demande doit être rejetée.

Sur la demande de communication de pièces formée par la société

La demande de communication des bilans et factures clients de la société MMC TP sera rejetée, M. [M] n'étant pas le représentant légal de cette société.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Au vu de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il statue sur les dépens de première instance et les frais irrépétibles.

Chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés à hauteur d'appel.

Il ne sera pas fait application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DEBOUTE la société Transports Réunis de ses demandes aux fins de faire juger l'irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel,

INFIRME le jugement en ce qu'il juge le licenciement justifié par une faute lourde,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

DIT que le licenciement est fondé sur une faute grave mais pas sur une faute lourde,

CONDAMNE la société Transports Réunis à payer à M. [L] [M] la somme de 1 949,16 euros à titre de dommages et intérêts pour frais de mutuelle,

DEBOUTE M. [L] [M] de ses demandes au titre du rappel de salaire pendant la période de mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents,

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes.

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