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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 2 avril 2025, n° 23/12813

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

First of All (Sté)

Défendeur :

Goldman Sachs International (Sté), Goldman Sachs Bank Europe SE (Sté), Trimast Holding (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Vice-président :

M. Braud

Conseiller :

Mme Sappey-Guesdon

TJ Paris, 9e ch. sect. 3, du 20 avr. 202…

20 avril 2023

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte en date du 24 octobre 2008, un contrat de prêt de vingt millions d'euros a été conclu entre la société Proximania alors présidée par M. [B] [I], en qualité d'emprunteur, la société Goldman Sachs International, en qualité d'arrangeur du crédit et la société Goldman Sachs Bank (Europe) PLC, en qualité de prêteur originel, d'agent du crédit et d'agent des sûretés aux fins de financer une acquisition externe de sociétés du groupe Payzone.

La société Goldman Sachs Bank (Europe) PLC a financé la totalité du prêt qu'elle a consenti à Proximania auprès d'un fonds d'investissement dénommé Fortelus Special Situations Master Fund Limited, par la conclusion le même jour d'un accord de participation.

M. [I] indique que le 24 octobre 2008, un nantissement de premier rang a été consenti par l'actionnaire de la société Proximania, la société First Of All (venant aux droits de la société Zeda Venture Capital suivant une transmission universelle de patrimoine en date du 24 décembre 2010), au profit de la société Goldman Sachs Bank (Europe) PLC, pour un montant de 32 060 000 euros.

Les sociétés Goldman Sachs International et Goldman Sachs Bank indiquent que M. [I] est le dirigeant et seul associé de la société First of All.

Le 15 janvier 2009, la société Goldman Sachs Bank (Europe) PLC a cédé sa créance sur Proximania à la société Trimast Holding SARL, société du Groupe Fortelus. Cette cession a ensuite été signifiée à la société Proximania par acte d'huissier de justice en date du 19 mai 2019.

Le 19 août 2009, la société Trimast Holding a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt et réclamé son exigibilité immédiate pour un montant total de 21.338.602,62 euros. Elle reprochait plusieurs incidents de paiement à la société Proximania, le premier en date du 27 avril 2009, correspondant au défaut de paiement des intérêts du trimestre précédent.

Par acte du 4 septembre 2009, les sociétés Proximania et Trimast Holding ont conclu un protocole d'accord transactionnel, à la suite duquel elles ont convenu d'une renégociation des termes du contrat de prêt, par acte du 16 septembre 2009.

Le contrat de prêt et l'accord transactionnel n'ont pas été honorés par la société Proximania, qui a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 10 novembre 2011.

Au mois de juillet 2010, M. [I] a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, en relation avec sa gestion de la société Proximania et de ses filiales. Il a ainsi été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris le 19 janvier 2023, pour des chefs de faux, usage de faux, falsification de documents administratifs et usages de tels documents, escroquerie, abus de biens sociaux, abus de confiance, et présentation de faux bilans.

Par un jugement rendu le 15 février 2016, le tribunal de commerce de Paris a déclaré la faillite personnelle de M. [I] pour une durée de 15 ans.

Par exploit d'huissier en date du 22 février 2022, Monsieur [I] a assigné les sociétés Goldman Sachs International et Goldman Sachs Europe SE London Branch, ainsi que la société Trimast Holding SARL, devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de les faire condamner à lui verser 70 millions d'euros de dommages et intérêts fondés sur un dol relatif à l'octroi du prêt. Il soutient essentiellement ne pas avoir eu connaissance du financement apporté par le fond Fortelus.

Par conclusions d'intervention volontaire signifiées le 22 décembre 2022, la société First Of All, représentée par M. [I], est intervenue à la procédure aux fins d'obtenir la nullité du nantissement d'une part, et la condamnation solidaire des intimés au paiement de dommages et intérêts au titre des préjudices subis, d'autre part.

Par conclusions du 25 janvier 2023, les intimés ont soulevé un incident fondé sur la prescription de l'action introduite par M. [I] et la société First Of All.

Par ordonnance du 20 avril 2023, le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré les demandes de Monsieur [I] irrecevables car prescrites ;

déclaré les demandes de la société First of All irrecevables car prescrites ;

condamné in solidum Monsieur [I] et la société First of All aux entiers dépens de l'instance, dont recouvrement direct au profit de Maître Erwan Poisson, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

condamné Monsieur [I] et la société First of All à verser chacun, à chacune des sociétés Goldman Sachs International, Goldman Sachs Bank Europe SE et Trimast Holding, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration notifiées au greffe de la cour le 17 juillet 2023, M. [I] et la société First of All ont interjeté appel de cette ordonnance à l'encontre des sociétés Goldman Sachs International, Goldman Sachs Bank Europe et Trimast Holding.

Dans ses premières conclusions en date du 23 mars 2024, la société Goldman Sachs Bank Europe a indiqué interjeter appel incident.

Par conclusions remises par voie électronique le 8 octobre 2024, M. [I] et la société First of All demande à la cour, au visa du Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, du Règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, du Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, du Misrepresentation Act de 1967, du Limitation Act de 1980, des articles L653-1 et suivants du Code de commerce, des articles 31 et 32 du Code de procédure civile, des articles 1116 (ancien), 1304 (ancien), 2221 et 2224 du Code civil, des articles 1358, 1383 et 1383-2 du Code civil, de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, de :

déclarer Monsieur [B] [I] et la société FIRST OF ALL recevables et bien fondés en leur appel

infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

-« Déclar(é) les demandes de Monsieur [I] irrecevables car prescrites ;

- Déclar(é) les demandes de la société First of All irrecevables car prescrites ;

- Condamn(é) in solidum Monsieur [I] et la société First of All aux entiers dépens de l'instance, dont recouvrement direct au profit de Maître Erwan Poisson, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

- Condamné M. [I] et la société First of All à verser chacun, à chacune des sociétés Goldman Sachs International, Goldman Sachs Bank Europe SE et Trimast Holding, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».

Statuant à nouveau,

1) Sur les demandes formées par Monsieur [B] [I]

À titre principal,

Juger que le droit français est applicable à l'action introduite par Monsieur [B] [I] par actes des 22 et 25 février 2022.

En conséquence,

Juger que Monsieur [B] [I] a qualité et intérêt à agir.

Déclarer les demandes formées par Monsieur [B] [I] à l'encontre des sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL, GOLDMAN SACHS BANK (EUROPE) SE et TRIMAST HOLDING SARL non prescrites et recevables.

À titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour vient à considérer que le droit anglais est applicable au présent litige

Déclarer les demandes formées par Monsieur [B] [I] à l'encontre des sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL, GOLDMAN SACHS BANK (EUROPE) SE et TRIMAST HOLDING SARL non prescrites et recevables au regard du droit anglais.

2) Sur les demandes formées par la société First of All

Juger que la déclaration d'appel et les conclusions d'appel signifiées par la société FIRST OF ALL sont valables dès lors que Monsieur [B] [I] a le pouvoir de représenter en justice la société FIRST OF ALL.

Juger que les conclusions d'intervention volontaire signifiées par la société FIRST OF ALL sont valables et recevables.

Juger que la société FIRST OF ALL dispose d'un intérêt à agir à l'encontre des sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL et TRIMAST HOLDING SARL.

Juger que les sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL et TRIMAST HOLDING SARL ont intérêt à défendre s'agissant des demandes formées par la société FIRST OF ALL.

Déclarer que les demandes formées par la société FIRST OF ALL à l'encontre des sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL, GOLDMAN SACHS BANK (EUROPE) SE et TRIMAST HOLDING SARL non prescrites et recevables.

3) En tout état de cause, sur les demandes formées par M. [B] [I] et la société First of All

Débouter les sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL, GOLDMAN SACHS EUROPE SE et TRIMAST HOLDING de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions formées tant à l'encontre de Monsieur [B] [I] qu'à l'encontre de la société FIRST OF ALL, à l'exception de la demande de mise hors de cause formée par GOLDMAN SACHS EUROPE SE au titre de son appel incident.

Condamner in solidum les sociétés GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL, GOLDMAN SACHS BANK (EUROPE) SE et TRIMAST HOLDING SARL à payer respectivement à Monsieur [B] [I] et à la société FIRST OF ALL la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Par conclusions remises par voie électronique le 24 octobre 2024, les sociétés Goldman Sachs International et Goldman Sachs Bank Europe demandent à la cour, au visa du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, du le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, des articles 31 et suivants, 117 et 122 du Code de procédure civile, du Misrepresentation Act de 1967, du Limitation Act de 1980, de l'article 2224 du Code civil, de l'article L. 653-2 du Code de commerce, de l'ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 20 avril 2023 (n° 22/02925), de :

S'agissant de la mise hors de cause de Goldman Sachs Bank Europe SE :

A titre principal :

Réparer l'omission de statuer affectant l'ordonnance entreprise et la rectifier en donnant acte à Monsieur [I] de son désistement d'instance à l'égard de Goldman Sachs Bank Europe SE, donnant acte à Goldman Sachs Bank Europe SE de son acceptation du désistement, constatant l'extinction de l'instance à l'égard de Goldman Sachs Bank Europe et en mettant Goldman Sachs Bank Europe SE hors de la cause ;

A subsidiaire et à titre d'appel incident

Infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle n'a pas mis hors de cause Goldman Sachs Bank Europe SE ; Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Donner acte à Monsieur [I] de son désistement d'instance à l'égard de Goldman Sachs Bank Europe SE ;

Donner acte à Goldman Sachs Bank Europe SE de son acceptation du désistement de Monsieur [I] ;

Constater l'extinction de l'instance à l'égard de Goldman Sachs Bank Europe SE ;

Mettre hors de cause Goldman Sachs Bank Europe SE.

S'agissant des demandes formées par Monsieur [I] à titre personnel :

A titre principal

Juger mal fondé l'appel interjeté par Monsieur [I] à l'encontre de l'ordonnance entreprise et l'en débouter ;

Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré l'action de Monsieur [I] irrecevable car prescrite ;

A titre subsidiaire, si la Cour devait infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle déclare Monsieur [I] prescrit au regard du droit anglais

Juger les demandes de Monsieur [I] irrecevables car prescrites au regard du droit français

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour devait infirmer l'ordonnance entreprise et considérait que l'action de Monsieur [I] n'était pas prescrite

Juger les demandes de Monsieur [I] formées à l'encontre de Goldman Sachs International et Goldman Sachs Bank Europe SE irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.

S'agissant des demandes formées par la société First of All :

A titre principal :

Juger nulles pour vice de fond la déclaration d'appel et les conclusions d'appel signifiées par la société First of All ;

A titre subsidiaire, si la Cour s'estimait valablement saisie d'un appel à l'encontre des dispositions de l'ordonnance entreprise relatives à First of All :

Juger mal fondé l'appel interjeté par First of All à l'encontre de l'ordonnance entreprise et l'en débouter ;

Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré l'action de First of All irrecevable car prescrite ;

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour devait infirmer l'ordonnance entreprise et considérait que l'action de First of All n'était pas prescrite :

Juger nulles pour vice de fond les conclusions d'intervention volontaire signifiées par la société First of All ;

Juger les demandes de First of All formées à l'encontre de Goldman Sachs International irrecevables pour défaut d'intérêt à défendre ;

Juger les demandes de First of All formées à l'encontre de Goldman Sachs International irrecevables pour défaut d'intérêt à agir.

En tout état de cause

- Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné Monsieur [I] et First of All à régler chacun la somme de 2.000 euros à GSI et Goldman Sachs Bank Europe SE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamner Monsieur [I] et First of All au paiement de la somme de 70.000 euros à GSI et Goldman Sachs Bank Europe SE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés par ces dernières dans le cadre de leur défense à hauteur d'appel ;

Condamner Monsieur [I] et First of All aux entiers dépens de l'instance dont recouvrement direct au profit de Maître Edmond Fromantin en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions remises par voie électronique le 25 mars 2024, la société Trimast Holding SARL demande à la cour, au visa des articles 1144 et 2224 du Code civil, des articles 1108, 1109 et 1116 anciens du Code civil, des articles 6, 9, 31, 32-1, 117 et 122 du Code de procédure civile, des articles L 622-20, L 641-4 et L 653-2 du Code de commerce, de l'article 38 du décret n°91-1266 en date du 19 décembre 1991 relative à la demande d'aide juridictionnelle, de :

A titre principal,

Déclarer prescrite l'action de Monsieur [I],

En conséquence,

Confirmer l'ordonnance du 20 avril 2023 du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris,

A titre subsidiaire,

Constater que Monsieur [I] n'est pas une partie au contrat de Prêt,

Constater que seule la victime d'un dol peut agir en nullité,

En conséquence,

Déclarer l'action de Monsieur [I] irrecevable pour défaut de qualité à agir,

A titre très subsidiaire,

Constater que Monsieur [I] ne démontre avoir subi aucun préjudice distinct de celui de la société,

En conséquence,

Déclarer l'action de Monsieur [I] de plus fort irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,

En tout état de cause,

Condamner Monsieur [I] à régler à Trimast une somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Le condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 octobre 2024.

Moyens des parties

Demandes liminaires diverses

Sur le droit applicable à la prescription

M. [I] et la société First Of All font valoir au visa des articles 3 § 1, 10 et 19 du Règlement Rome I que le droit français est applicable au litige, et non le droit anglais tel quel le prévoient les termes du contrat.

Ils soutiennent en effet que selon les textes visés, l'existence et la validité d'un contrat est soumis à la loi qu'ont choisie les parties, à moins qu'il résulte des circonstances que cela ne serait pas raisonnable, auquel cas la partie peut se référer au droit du pays dans lequel elle a sa résidence habituelle, c'est-à-dire où se trouve son établissement principal. Or, l'action introduite par M. [I] porte sur une demande de nullité pour vice du consentement, de sorte qu'elle concerne la validité du contrat de prêt litigieux. Au moment de la conclusion de ce contrat, M. [I] indique que sa résidence habituelle se trouvait en [6]. En outre, il fait valoir, d'une part, que la société emprunteuse est de droit français, et, d'autre part, que le nantissement est soumis à ce même droit, ce qui permet d'y rattacher le contrat de prêt. Enfin, il indique que la société emprunteuse dont il était le gérant est une partie faible à ce contrat, eu égard au nantissement accordé sur les filiales du groupe et les actions du gérant, ainsi qu'à ses conditions (terme de 18 mois, taux d'intérêt de 14%). Dès lors, M. [I] et la société First Of All soutiennent que le contrat de prêt est soumis aux dispositions du droit français, et non au droit anglais.

La société Goldman Sachs International fait valoir au visa de l'article 2221 du Code civil et des dispositions du Règlement Rome I que le droit applicable au litige est le droit anglais.

En effet, elle fait valoir que la prescription d'une action en justice relève de la loi applicable au fond et qu'il s'agit en l'espèce du droit anglais, auquel est soumis le contrat. Elle soutient que la validité du contrat ainsi que les conséquences de sa nullité telles que les actions indemnitaires et leur prescription, relèvent du droit applicable à celui-ci. Or, l'action introduite par M. [I] repose sur une demande de nullité et une demande indemnitaire, formée en conséquence de celle-ci. Puisqu'elle concerne la validité du contrat et ses conséquences, elle est régie par la loi du contrat, donc le droit anglais, choisi par les parties.

En outre, elle fait valoir que M. [I] n'est pas fondé à invoquer les dispositions de l'article 10 § 2 du Règlement Rome I, en application desquelles une demande fondée sur le défaut de consentement serait soumise à la loi de l'Etat où réside habituellement le demandeur. Elle soutient que ce texte ne s'applique qu'aux hypothèses de défaut de consentement et non de vices du consentement. La demande de M. [I] fondée sur le dol ne relève donc pas du champ de ces dispositions.

Sur la mise hors de cause de la société Goldman Sachs Bank Europe

La société Goldman Sachs Bank Europe au titre de son appel incident fait valoir, au visa des articles 394, 787 et 462 du code de procédure civile, que la cour devra réparer une omission de statuer du juge de la mise en état relative à sa mise hors de cause dans le présent litige. En effet, elle soutient qu'elle a été assignée à tort par M. [I] comme venant au droit de la société Goldman Sachs Bank PLC, prêteur originel au titre du contrat de prêt litigieux. M. [I] a d'ailleurs rectifié cette erreur dans ses conclusions notifiées le 26 octobre 2022, de sorte qu'il ne formulait aucune demande à son égard, et qu'elle sollicitait du juge de la mise en état que son désistement soit pris en compte. Or, le juge de la mise en état a omis de statuer sur ce point.

Elle fait valoir que le dispositif des conclusions des appelants entretient sur ce point une confusion, en ce qu'elles disent maintenir leurs demandes à l'encontre des sociétés Goldman Sachs International et Bank Europe et acquiescer à la demande de mise hors de cause de cette dernière.

M. [I] et la société First Of All sollicitent le rejet des prétentions des intimés, à l'exception de celle tenant à voir la société Goldman Sachs Bank Europe mise hors de cause dans le présent litige. Ils ne développent toutefois aucune argumentation sur ce point.

Moyens concernant M. [I]

Sur la prescription des demandes de M. [I]

En considération du droit français

M. [I] fait valoir au visa des articles 1358, 1383, 1383-2 et 2224 du Code civil, de l'article 6 § 1de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, que l'action qu'il a introduite n'est pas prescrite.

Il soutient que le point de départ du délai de prescription correspond au jour où le titulaire de l'action a eu connaissance ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui, dans l'hypothèse d'une erreur ou d'un dol, correspond au jour où le vice est découvert et non simplement soupçonné. Il soutient également que la découverte du vice est un fait juridique, dont la preuve peut donc être apportée par tout moyen et notamment par un aveu. Enfin, il souligne le fait qu'une demande d'aide juridictionnelle régulièrement introduite interrompt le délai de prescription et permet à un nouveau délai de courir, à compter de son admission. Or, M. [I] fait valoir qu'il a fait l'objet d'un dol de la part de la société Goldman Sachs Bank Europe, dans la mesure où elle lui aurait dissimulé la totale prise en charge financière du prêt par le fonds d'investissement du groupe Fortelus. Il n'aurait découvert l'existence de cette prise en charge que le 15 octobre 2018.

Entre la conclusion du prêt le 27 août 2008 et le mois de janvier 2015, date à laquelle se déroulait devant le tribunal judiciaire de Nanterre une procédure opposant les sociétés Trimast Holding et [X] (mandatée par le groupe Goldman Sachs en 2008 pour réaliser un audit de la société Proximania), M. [I] soutient avoir entièrement ignoré l'intervention du groupe Fortelus. En effet, les échanges de courriels de l'année 2008 relatifs à la conclusion du contrat de prêt et à l'audit de la société, fournis par les intimés, ne montrent aucun lien direct entre M. [I] et le Groupe Fortelus. En effet, lorsque M. [I] intervient personnellement, M. [V] (représentant d'une filiale du groupe Fortelus) n'est pas cité et se trouve uniquement en copie et lorsque le groupe Fortelus participe, ces échanges mettent en lien d'autres membres de la société Proximania que M. [I]. Dès lors, rien ne montre que M. [I] avait personnellement pris part à ces échanges et aurait pu découvrir à cette occasion la participation du fonds d'investissement. Il reconnait avoir eu connaissance de l'existence de M. [V], mais non du fait que lui ou sa société était impliqué dans le financement du prêt octroyé par la société Goldman Sachs Bank. En outre, M. [I] fait valoir que l'article 23 du contrat de prêt, stipulant que des accords de participation pouvaient être conclus sans l'accord de l'emprunteur et à tout moment à compter de la signature du contrat, ne permettait pas à un tiers de se substituer à la société Goldman Sachs Bank Europe. Enfin, il fait valoir que l'analyse des comptes de la société Proximania sur la période d'octroi du prêt montre que les fonds émanaient de la banque, alors qu'il est désormais établi qu'il n'en était rien.

Entre le mois de janvier 2015 et le 15 octobre 2018, date du jugement rendu par le tribunal de Paris dans un litige opposant la société Trimast Holding et la société de commissaires aux comptes Boissière Expertise Audit, M. [I] soutient avoir eu des soupçons quant à la participation d'un fonds d'investissement dans le financement du prêt. Il fait valoir que plusieurs éléments démontrent ces soupçons. Tout d'abord, à l'occasion de la procédure opposant les sociétés Trimast Holding et [X], il dit avoir appris que M. [V] avait reçu le rapport d'audit concernant la société Proximania. Ensuite, il soutient que sa demande d'éléments, concernant la cession de créance de janvier 2009, adressée à la société Trimast Holding dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Proximania, est un indice de ses seuls soupçons. En effet, sa requête en fait directement mention, et fait référence à une société « Sephir Holding SARL », une « filiale à 100% de Fortelus », désignée par M. [I] comme le prêteur réel, alors que cette société n'était pas concernée par l'opération litigieuse. De plus, il indique avoir adressée une plainte au Parquet national financier en 2017, à propos du fait qu'il soupçonnait Goldman Sachs de n'avoir été qu'un prête nom, la société Trimast Holding lui semblant alors être le réel prêteur.

M. [I] fait valoir que c'est uniquement à compter du jugement rendu le 15 octobre 2018 par le tribunal judiciaire de Paris qu'il a découvert avec certitude la réalité du financement du prêt, et pouvait donc agir sur le fondement du dol. En effet, le jugement énonce, eu égard à une note en délibérée et à ses pièces jointes fournie par la société Trimast Holding, que « les réponses apportées par la Trimast Holding ['] ont fait apparaître que les opérations ['] ne sont qu'un montage ; qu'en réalité Goldman Sachs Bank, prêteur apparent, ne l'a jamais été et que c'est Trimast Holding qui a, le 24 octobre 2008, versé à la banque la somme empruntée de 20 millions d'euros ». Il énonce également que « Trimast Holding justifie d'un paiement de 20 millions d'euros fait le 24 octobre 2008 à Goldman Sachs ['] ce faisant, elle dévoile que ce paiement a été concomitant à la date du prêt et est obligée de reconnaître qu'elle a dû en réalité assume seule son financement et se substituer à Goldman Sachs ». M. [I] ajoute que cette analyse a été confirmée par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 24 juin 2021. M. [I] soutient donc avoir découvert le montage occulte à la lecture de ce jugement, de sorte que le délai de prescription commençait à courir le 15 octobre 2018 et expirait le 15 octobre 2023. Puisqu'il avait introduit son action par actes des 22 et 25 janvier 2022 et que la société First of All était intervenue à l'instance le 20 décembre 2022, celles-ci n'étaient pas prescrites.

En tout état de cause, il fait valoir qu'il a formé une demande d'aide juridictionnelle le 11 novembre 2019. Celle-ci était régulière, en ce qu'elle mentionnait sans ambiguïté l'identité du requérant, des parties intimées et la nature de la procédure, et avait été accueillie le 10 juin 2020. Dès lors, le délai de prescription avait été interrompu le 11 novembre 2019 et un nouveau délai avait commencé à courir le 10 juin 2020.

La société Goldman Sachs International fait valoir, au visa de l'article 2224 du Code civil et de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, que les demandes de M. [I] sont également prescrites en application du droit français. Elle soutient que M. [I] avait eu connaissance de l'intervention du groupe Fortelus dès le début des négociations le 27 août 2008, et au plus tard lors de la conclusion du contrat le 24 octobre 2008, de sorte que le délai de prescription quinquennal applicable à son action était déjà écoulé le 22 février 2022. La société Goldman Sachs International soutient également que la demande d'aide juridictionnelle de M. [I] n'avait pas eu l'effet suspensif dont il se prévaut, car celle-ci ne présentait pas l'objet de la demande en justice de manière suffisamment précise. En effet, elle était décrite comme une « demande en réparation de préjudice », alors que M. [I] souhaitait obtenir la nullité du contrat de prêt. Enfin, la société conteste la légitimité de cette demande, les éléments versés au débat laissant supposer une fraude de M. [S] sur son patrimoine et ses revenus.

En outre, elle fait valoir que l'action de M. [I] est prescrite, qu'elle soit considérée comme fondée sur un vice du consentement et ainsi sanctionné par une nullité relative, ou sur une fraude résultant de la violation des dispositions de l'article L.511-5 du CMF, sanctionnée par une nullité absolue, car ces deux types de nullité sont soumis au même délai, aussi bien en droit anglais qu'en droit français.

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 2224, 1109 ancien, 1116 et 1144 du Code civil et de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, que l'action introduite par M. [I] est prescrite.

En premier lieu, elle soutient que la demande d'aide juridictionnelle formée par M. [I] n'a pas interrompu le délai de prescription. Elle indique que M. [I] avait déjà fait valoir de telles demandes pour contourner l'application des règles de droit, notamment dans des litiges l'opposant à une ancienne filiale de la société Trimast, demandes dont il avait été débouté. De plus, elle soutient que sa demande du 11 novembre 2019 avait été introduite après l'expiration du délai de prescription quinquennal de l'action en nullité. Selon la société Trimast Holding, M. [I] avait eu connaissance de l'implication du Groupe Fortelus au moins dès la conclusion du contrat de prêt, le 24 octobre 2008. Enfin, elle soutient qu'il s'agit d'une demande abusive, compte tenu du patrimoine de M. [I]. Elle fait notamment valoir que si celui-ci déclare ne toucher aucun revenu, un magazine enquêtant sur la société Proximania aurait révélé l'existence et l'importance de son patrimoine immobilier, que M. [I] avait fourni des déclarations de revenus contradictoires dans une autre instance, qu'il n'avait pas réalisé de telles demandes dans les autres instances dans lesquelles il était attrait'

En second lieu, elle soutient qu'aucun report du point de départ de la prescription ne peut être établi. En effet, elle fait valoir que M. [I] ne nie pas avoir eu connaissance du courriel en date du 27 août 2008, dans lequel le groupe Goldman Sachs l'informait de la possibilité de faire financer le prêt par un fonds d'investissement, courriel sur lequel se fonde le juge de la mise en état pour établir la connaissance qu'avait M. [I] de l'implication du groupe Fortelus. Elle soutient également que M. [D] [V], représentant de Fortelus, avait participé depuis septembre 2008 aux négociations, aux échanges concernant les sûretés, ainsi qu'au protocole d'accord du 4 septembre 2009 qu'il avait lui-même signé. De plus, elle souligne le fait que l'adresse mail utilisée par M. [V] mentionnait le nom Fortelus, de sorte que M. [I] ne pouvait ignorer son lien avec le groupe. Enfin, elle soutient que M. [I] avait nécessairement eu connaissances des échanges de courriels entre la société Proximania et le fonds d'investissement, ainsi que de la remise du rapport de la société [X] au groupe Fortelus, car des représentants de la société Proximania y avaient participé ou en avaient accusé réception. En tout état de cause, elle fait valoir que M. [I] a déposé une plainte en 2017, dans laquelle il reconnait avoir découvert dès 2015 le fait que le groupe Goldman Sachs n'était pas l'émetteur des fonds prêtés, de sorte que son action en nullité était prescrite, au plus tard, depuis le 31 décembre 2020.

En considération du droit anglais

M. [I] fait valoir, au visa des disposition du Misreprensation Act de 1967 et du Limitation Act de 1980, que si la cour venait à considérer que le contrat est soumis au droit anglais, ses demandes ne seraient pas non plus prescrites.

Il fait valoir que l'équivalent du dol français est la « fraudulent misrepresentation », soumis au délai de prescription de 6 ans. En principe, ce délai commence à courir à compter de la « cause d'action », la signature du contrat. Par exception, en cas de dissimulation, il commence à courir à partir du jour où celle-ci a été découverte par le demandeur. La notion de dissimulation suppose d'établir un fait permettant au demandeur d'exercer son action, la dissimulation de ce fait par le défendeur au moyen d'un acte positif ou d'une rétention d'information et l'intention du défendeur de procéder à la dissimulation. Enfin, il indique que la preuve des diligences raisonnables permettant cette découverte incombe au demandeur. Or, M. [I] fait valoir, comme développé supra, qu'il n'a eu connaissance des informations nécessaires à son action qu'à partir du 15 octobre 2018, celles-ci lui ayant été cachées avant cette date. Dès lors, le délai de prescription n'était pas écoulé à la date de sa demande en justice.

La société Goldman Sachs International fait valoir au visa des dispositions du Misrepresentation Act de 1967 et du Limitation Act de 1980, que l'action de M. [I] est prescrite.

Elle fait valoir que son action en nullité fondée sur le dol s'analyse en droit anglais comme une action en nullité et son action en responsabilité, comme une action indemnitaire. Ces deux types d'actions sont soumis à un délai de prescription de 6 ans, dont le point de départ correspond, en cas de dissimulation intentionnelle invoquée par une partie, au jour où elle aurait dû avoir connaissance des faits fondant son action, en faisant preuve de diligences raisonnables.

Or, elle soutient que M. [I] avait eu connaissance des faits qu'il considère comme déterminants de son dol dès le 27 août 2008, de sorte que son action introduite en 2002 est prescrite. En outre, elle soutient que le prêteur a toujours été la société Goldman Sachs Bank PLC, de sorte qu'il ne peut y avoir aucune tromperie sur l'identité du prêteur, et que le contrat prévoyait expressément que le prêteur pouvait conclure un accord de participation à tout moment, sans l'accord de l'emprunteur.

Concernant la connaissance que M. [I] avait de l'implication du fonds d'investissement, elle soutient que celle-ci remonte à l'année 2008. Elle fait valoir sur ce point plusieurs éléments. Il s'agit notamment d'échanges de mails antérieurs à la conclusion du prêt (le 1er remontant au 27 août 2008), qui concernaient les sociétés Proximania, Goldman Sachs et le groupe Fortelus. M. [I] et M. [U] y étaient intégrés en copie lorsqu'ils n'en étaient pas les destinataires. Il s'agit également de la remise du rapport d'audit concernant la société Proximania, envoyé au représentant de la société Goldman Sachs et à M. [U], de plusieurs réunions téléphoniques mettant en lien les différentes parties, d'une demande d'information formulée par M. [I] à la banque concernant le groupe Fortelus eu égard à son implication dans l'opération' La société Goldman Sachs International soutient que la lecture de ces éléments donnée par M. [I] témoigne de sa mauvaise foi.

En tout état de cause, elle soutient que M. [I] avait nécessairement pris connaissance des termes du contrat de prêt lors de sa signature, de sorte qu'il savait depuis le 24 octobre 2008 qu'un accord de participation pouvait être conclu, et qu'ainsi, la prescription de l'action fondée sur le dol en raison de cet élément commençait à courir le 24 octobre 2008.

Enfin, elle soutient que M. [I] reconnait lui-même dans sa plainte avoir découvert en 2015 l'intervention du fonds d'investissement, de sorte que le départ de la prescription de son action ne peut pas remonter plus tard que cette date et conduit en toute hypothèse à l'irrecevabilité de celle-ci.

La société Trimast Holding fait sienne les conclusions de la société Goldman Sachs sur ce point.

Sur la qualité et l'intérêt à agir de M. [I]

M. [I] fait valoir, au visa des articles 561 et 562 du code de procédure civile que la cour d'appel n'est pas saisie de ces prétentions. Il soutient en effet que le juge de la mise en état n'a pas statué sur ces prétentions, de sorte qu'elles n'ont pas pu être déférées à la cour d'appel.

Toutefois, si la cour venait à se saisir de ces questions, il fait valoir, au visa des articles 31 du code de procédure civile, 1179 et 1180 du Code civil, trouvant à s'appliquer même si la cour retenait que le contrat est soumis au droit anglais, que M. [I] a intérêt et qualité à agir dans l'instance qu'il a introduite. En effet, il s'agit d'une action en nullité fondée sur le dol affectant le consentement de la société Proximania, mais également sur les dispositions de l'article L. 511-5 du CMF, qui pose une nullité absolue. Dès lors, toute personne ayant un intérêt peut agir sur ce fondement, ce qui correspond à son cas, dans la mesure où il soutient avoir subi divers préjudices du fait de la conclusion du contrat de prêt. Il fait notamment valoir que le jugement prononçant son état de faillite personnelle (pour une durée de quinze ans) prend en considération sa conclusion, et que le pacte commissaire conclu en 2009 a entraîné la liquidation judiciaire de la Proximania, le privant de revenus et des gains susceptibles d'être perçus au titre de ses actions dans la société.

La société Goldman Sachs International fait valoir au visa du Misrepresentation Act de 1967, des articles 1137, 1131, 1181, 1199 du Code civil et 31 du code de procédure civile que M. [I] n'a ni qualité à demander la nullité du contrat de prêt, ni qualité et intérêt pour formuler des demandes indemnitaires découlant de cette demande de nullité.

Elle indique à titre liminaire que la cour est bien saisie de cette question en raison de l'effet dévolutif de l'appel, les fins de non-recevoir ayant été intégrées à l'objet du litige en raison du fait qu'elles aient été discutées devant le le juge de la mise en état.

Concernant la qualité à agir en nullité du contrat de prêt de M. [I], la société Goldman Sachs International fait valoir que le droit anglais est applicable, car il s'agit d'une question substantielle, soumise de ce fait à la loi applicable au fond du droit. Or, l'action de M. [I] s'analyse en droit anglais en une action fondée sur une « misrepresentation », pouvant être invoquée uniquement par les parties au contrat. La société fait valoir que la solution serait la même en application du droit français, eu égard au principe de l'effet relatif des contrats et du fait que les vices du consentement ne peuvent être invoqués que par la partie lésée. Le contrat de prêt ayant été conclu par la société Proximania et l'action ayant été introduite par M. [I] dans son intérêt personnel, il ne dispose pas de la qualité à agir en nullité du contrat de prêt.

Concernant les demandes indemnitaires formulées par M. [I], la société Goldman Sachs International fait valoir que celles-ci sont irrecevables, dans la mesure où il s'agit des conséquences de la demande de nullité pour laquelle il n'avait pas qualité à agir. Elle soutient que ces demandes sont également soumises au droit applicable au contrat, en l'espèce le droit anglais, et que le Règlement Rome I n'était pas applicable au litige comme indiqué supra, excluant le droit français. Mais eu égard au droit anglais comme au droit français, M. [I] n'avait pas qualité pour former ces demandes. Elles sont en effet réservées à la partie lésée, alors que M. [I] n'est que tiers au contrat de prêt. La banque fait également valoir qu'elles doivent être déclarées irrecevables en raison du fait M. [I] n'avait pas intérêt à agir. D'une part, elle indique que le droit de la procédure, en l'espèce le droit français, est applicable à la question de l'intérêt à agir, en raison de son caractère procédural. D'autre part, sur le défaut d'intérêt à agir, elle soutient tout d'abord que l'action de M. [I] n'était pas légitime, celui-ci ayant manqué de sincérité vis-à-vis des autres parties concernant l'état financier de la société Proximania. Elle soutient ensuite qu'il n'a pas d'intérêt direct et personnel à cette action, dans la mesure où il demande la réparation de préjudices ne se distinguant pas de ceux de la société Proximania. Ses demandes de compensation d'une « perte des gains d'acquisition des actions gratuites » et d'une « perte des gains liés aux bons de souscriptions de parts de créateur d'entreprise » s'apparentant en réalité à une perte de valeur des titres de la société.

En tout état de cause, elle fait valoir que certaines demandes d'indemnisation sont incompatibles entre elles, comme celles visant à réparer un « préjudice lié à la perte de rémunération pour l'avenir » et « la perte de chance de pouvoir exercer un mandat social » concernant la même période, ou visant à compenser la perte de gains liés aux BSPCE et à leur souscription. Elle soutient également que la demande de M. [I], visant à obtenir l'indemnisation du préjudice causé par un manquement au contrat dont il n'est pas parti ne peut pas prospérer, l'action étant ouverte au tiers en cas d'inexécution d'une partie et non en cas de nullité.

Enfin, la banque indique qu'il n'aurait pas non plus intérêt à agir sur le fondement de la nullité absolue, le droit anglais ne reconnaissant pas cette distinction et aucune violation de l'article L.511-5 du CMF n'étant constatée.

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 122, 31 du code de procédure civile, L641-1 et L622-20 du code de commerce, que la demande de nullité de M. [I] est irrecevable, faute pour lui de bénéficier de la qualité à agir. Elle soutient que l'action en nullité est ouverte à la seule partie lésée par le vice et que s'il s'agit d'une société placée en liquidation judiciaire, il revient au liquidateur de l'exercer. Or, elle soutient que M. [I] a agi en son nom personnel et non en tant que représentant de la société Proximania et qu'en tout état de cause, cette dernière avait été placée en liquidation judiciaire le 10 novembre 2011, de sorte que seule la SARL EMJ prise en la personne de Me [N], pouvait agir en nullité.

Elle fait également valoir, au visa des articles 6 et 9 du code de procédure civile, que les demandes de réparation de M. [I] sont irrecevables, faute pour lui de démontrer l'existence d'un préjudice lui étant personnel, distinct de celui de sa société. En effet, elle soutient que M. [I] demande une indemnité visant à compenser la perte de valeur de titres, ce qui correspond à des préjudices propres à la société, non à M. [I]. Elle soutient également qu'il demande une compensation pour la perte de rémunération à venir, alors qu'elles sont tous dues à la liquidation de la société Proximania, elle-même provoquée par les propres fautes de M. [I], comme en témoigne sa mise en cause dans une information judiciaire. En outre, elle souligne le fait que certaines de ses demandes sont contradictoires, M. [I] sollicitant deux fois la réparation d'un même préjudice concernant la perte de chance d'exercer un mandat social et la perte de gains à venir, ainsi que la compensation de la perte des gains liés aux BSPCE, qu'il avait lui-même vendus.

Moyens concernant la société First of All

Sur la validité des conclusions et de la déclaration d'appel de la société First Of All

M. [I] et la société First Of All font valoir au visa de l'article 117 du code de procédure civile, et des articles 38 à 58 du Règlement Bruxelles I, que la déclaration et les conclusions d'appel de la société First Of All ne sont pas entachées d'un vice, dans la mesure où M. [I] avait la capacité et le pouvoir nécessaires à la représentation de la société.

Ils soutiennent en effet que la mesure de faillite personnelle qui frappe M. [I] est une sanction rattachée à la matière pénale au sens de la Cour européenne des droits de l'Homme, ce qui implique qu'elle a un effet territorial. Cette sanction ayant été prononcée en France, son application est limitée au territoire français. En outre, il résulte du Règlement Bruxelles I dans ses dispositions applicables au litige que les mesures de faillite et assimilées ne sont pas concernées par la procédure d'exequatur, celles-ci sont susceptibles de faire l'objet d'une exécution dans les pays tiers, à condition d'y avoir été déclarées exécutoires après l'introduction d'une demande sur requête. Or, M. [I] est le gérant de la société First Of All, société de droit luxembourgeois gérée depuis la Suisse, où celui-ci réside. M. [I] dispose donc de la capacité et du pouvoir de la représenter en justice et d'introduire une action en son nom. La mesure de faillite personnelle prononcée par les juridictions françaises à son encontre n'ayant fait l'objet d'aucune reconnaissance à l'étranger, son effet est limité au territoire français. Elle ne peut donc pas avoir d'incidence sur la gestion de la société First of All, ayant lieu dans un autre Etat.

La société Goldman Sachs International fait valoir, au visa des articles 117 du code de procédure civile, L 653-2 du code de commerce, que la déclaration d'appel et les conclusions d'appel réalisées par M. [I] au nom de la société First of All sont nulles, en raison de son état de faillite personnelle. S'agissant d'une question de procédure, la banque indique qu'elle est soumise au droit français. Elle soutient que M. [I] a été placé en situation de faillite personne pour quinze ans, par un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 15 février 2016, ce qui emporte à son égard une interdiction de gérer toute entreprise, peu important sa nationalité, en France. En conséquence, M. [I] ne dispose pas de la qualité requise pour représenter la société First of All devant les juridictions françaises, quand bien même il s'agit d'une entreprise luxembourgeoise. Sa déclaration et ses conclusions d'appel sont donc entachées d'un vice de fond entraînant leur nullité.

La société Trimast Holding fait valoir que la déclaration et les conclusions d'appel sont nulles, sur les mêmes fondements et suivant la même argumentation que ceux développés par la société Goldman Sachs International.

Sur la prescription des demandes formées par la société First Of All

M. [I] et la société First Of All font valoir, au visa des articles 2221 et 2224 du Code civil que les demandes de la société First Of All n'étaient pas prescrites. En effet, ils font valoir que le le juge de la mise en état a justement retenu que la situation de M. [I]

était transposable à la société First of All en raison des liens les unissant. M. [I] était en effet le gérant de la société Zeda Venture Capital qui a accordé un nantissement à la banque Goldman Sachs, et qui est devenue la société First Of All par l'effet d'une transmission universelle de patrimoine. Dès lors, il fait valoir que ses seuls soupçons ne suffisaient pas à faire courir le délai de prescription de l'action de la société, délai qui trouve, comme à son égard, son point de départ dans le jugement rendu le 15 octobre 2018. Ainsi, ils soutiennent que les demandes de la société n'étaient pas prescrites au jour de son intervention dans l'instance.

La société Goldman Sachs International fait valoir, au visa des articles 2221 et 2224 du Code civil et de l'article 3 § 1 du Règlement Rome I, que l'action en nullité du nantissement de la société First of All est prescrite. Elle soutient qu'en application de ces dispositions, le droit applicable au contrat de nantissement est le droit français, de sorte que l'action en nullité était soumise à la prescription quinquennale. Or le point de départ du délai de prescription de cette action est le même que celui des actions de M. [I], ces parties ne distinguant pas leurs actions et se fondant sur les mêmes faits pour établir un vice du consentement. Tout comme l'action de M. [I], l'action de la société First of All est donc prescrite.

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 122 du code de procédure civile, 1144 et 2224 du Code civil, que l'action introduite par la société First Of All est prescrite. Elle soutient que comme démontré supra, M. [I] avait eu connaissance de l'intervention du groupe Fortelus dès 2008, ce qui valait également pour la société Zeda Venture, aux droits de laquelle vient la société First Of All.

Sur la qualité de défendeur des sociétés Goldman Sachs International et Trimast Holding contre la société First of All

La société First Of All fait valoir, au visa des articles 31et 32 du code de procédure civile, que les sociétés Goldman Sachs International et Trimast Holding ont un intérêt à défendre.

Concernant la société Goldman Sachs International, elle soutient d'une part que le nantissement accordé par la société Zeda fait partie du contrat de prêt auquel la société Goldman Sachs International est partie en qualité d'arrangeur, puisqu'il figure dans ses annexes. D'autre part, ils soutiennent que l'ensemble des courriels échangés entre la société Proximania et les sociétés du groupe Goldman Sachs sont signés par Goldman Sachs International.

Concernant la société Trimast Holding, la société First Of All soutient être recevable à agir à son encontre sur le fondement de la responsabilité délictuelle, en raison du fait qu'elle lui aurait dissimulé sa qualité de prêteur réel. En outre, elle fait valoir que celle-ci n'était pas titulaire du passeport bancaire européen, de sorte qu'elle ne pouvait pas valablement prêter des fonds.

La société Goldman Sachs International fait valoir, au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, qu'elle n'a pas d'intérêt à défendre concernant la demande de nullité du nantissement formée par la société First of All, de sorte que l'intervention volontaire de celle-ci doit être déclarée irrecevable. En effet, elle soutient que le nantissement consenti par la société Zeda l'était au bénéfice de la société Goldman Sachs Bank PLC, prêteur originel, société liquidée en 2021 et n'ayant plus d'existence juridique. La société Goldman Sachs International n'est donc pas partie au contrat de nantissement et n'en bénéfice nullement. En outre, elle fait valoir que les demandes indemnitaires découlant de la demande de nullité du nantissement ne peuvent pas être formée à son égard. En effet, les préjudices dont la réparation est sollicitée correspondent à la valeur des actions nanties, aux conséquences du manquement à l'accord transactionnel du 4 septembre 2009, à celles de la mise en 'uvre d'une garantie à première demande par la Société Générale et à la perte de trésorerie causées par ces préjudices. Or, la société GSI indique n'avoir aucun lien avec l'ensemble de ces demandes, n'étant partie à aucun des contrats concernés. Enfin, elle fait valoir que la seule mention du contrat de nantissement dans le contrat de prêt n'entraîne aucune confusion entre eux, susceptible de la rendre partie au contrat de nantissement. En conséquence, elle soutient n'avoir aucun intérêt à défendre contre la société First of All.

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, qu'elle n'a pas d'intérêt à défendre et que l'action de la société First of All à son égard doit être déclarée irrecevable. Elle soutient en effet qu'elle n'est pas partie aux engagements litigieux et qu'elle n'a pas participé à leur conclusion.

Sur l'intérêt à agir de la société First Of All à l'encontre de la société Goldman Sachs International

La société First Of All fait valoir qu'elle dispose d'un intérêt légitime à agir à l'encontre de la société Goldman Sachs International. En effet, il n'est pas démontré que M. [I] aurait fait preuve d'une mauvaise foi susceptible de rendre les demandes de la société qu'il dirige illégitimes. En tout état de cause, la seule mauvaise foi du dirigeant ne suffit pas à déclarer son action et celle de sa société irrecevables, puisque cette dernière vient aux droits de la société qui a accordé le nantissement lié au contrat de prêt litigieux, en raison du fait que celui-ci a été obtenu grâce à cette sûreté. La conclusion du contrat de prêt ayant causé un préjudice à la société Zeda, aux droits de laquelle vient la société First of All, elle dispose d'un intérêt à agir par la voie de l'intervention volontaire.

La société Goldman Sachs International fait valoir, au visa des articles 117 et 31 du code de procédure civile, que les conclusions d'intervention volontaire de la société First of All sont nulles en raison de l'interdiction de gérer frappant M. [I] et que si la cour ne retenait pas leur nullité, elle devrait les déclarer irrecevables.

Elle indique en premier lieu que ces fins de non-recevoir ont été dévolues à la cour par l'effet de l'appel, puisqu'elles avaient été soulevées devant le le juge de la mise en état et que s'agissant d'une question de procédure, elle est soumise au droit français.

Elle fait ensuite valoir que ces conclusions sont irrecevables, la société First of All étant dépourvue d'intérêt à agir. D'une part, elle soutient que la légitimité de l'action de la société First of All est contestable, puisque contrôlée par M. [I], dont la sincérité de l'action est elle-même discutée. La société GSI souligne sur ce point le fait que le nantissement n'a jamais été mis en 'uvre, que les parties y ont expressément renoncé et qu'aucune mise en demeure n'ait été adressée par la société First of All. D'autre part, elle soutient que la société First of All ne justifie d'aucun intérêt personnel et direct à agir. Cette dernière sollicite en effet la réparation d'un préjudice résultant de la perte de valeur des titres de la société Proximania, détenus par la société Zeda. Or, ce préjudice n'est pas distinct de celui de la société Proximania, de sorte qu'il n'est ni personnel ni direct concernant la société First of All.

Sur la qualité à agir de la société First Of All à l'encontre de la société Trimast Holding

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 122 et 31 du code de procédure civile ainsi que des articles L622-20 et L641-4 du code de commerce, que la société First Of All n'a pas de qualité à agir à son encontre. Elle soutient que l'action en nullité pour un vice de fond n'appartient qu'à la partie lésée et que dans l'hypothèse où il s'agit d'une société placée en liquidation judiciaire, seul le liquidateur judiciaire dispose de la qualité nécessaire à l'exercice de cette action. Aussi, la société First Of All n'étant qu'actionnaire de la société Proximania, elle ne disposait pas de la qualité nécessaire pour agir en nullité du contrat de prêt et ne pouvait agir en son nom propre, faute de démontrer l'existence d'un préjudice distinct. Elle fait également valoir que la société First Of All ne démontre pas en quoi elle vient au nom de la société Zeda Venture, et pourrait ainsi disposer de la qualité à agir.

La société First Of All ne conclue pas spécifiquement sur ce point.

Sur l'intérêt à agir de la société First Of All à l'encontre de la société Trimast Holding

La société Trimast Holding fait valoir, au visa des articles 6, 9, 31 et 32 du code de procédure civile, que la société First Of All n'a pas d'intérêt à agir, faute d'avoir pu démontrer l'existence du préjudice qu'elle invoque, celui-ci n'étant, par ailleurs, pas distinct de celui subi par la société Proximania. Elle fait également valoir que la société First of All ne démontre ni en quoi le préjudice résultant de la perte de valeur des actions est pour elle un préjudice direct, ni en quoi elle aurait subi un préjudice au titre du nantissement, qui n'a jamais été mis en 'uvre et auquel la société Goldman Sachs a renoncé. Elle fait enfin valoir que seul le liquidateur de la société Proximania disposait de la qualité à agir pour le préjudice subi par cette société.

La société First Of All ne conclue pas spécifiquement sur ce point.

MOTIFS

Au moyen de l'assignation délivrée le 22 février 2022, M. [B] [I] - faisant valoir le préjudice personnel qu'il aurait subi en sa qualité de président salarié de la société Proximania et d'attributaire d'actions gratuites ou à prix préférentiel qui se distinguerait de celui subi par la société elle-même - poursuit, premièrement, la nullité du contrat de prêt du 24 octobre 2008 pour dol, lequel serait constitué par le montage ayant conduit à la dissimulation, de la société Trimast Holding en qualité de prêteur réel au profit de la société Goldman Sachs Bank Plc, deuxièmement, l'indemnisation de ses préjudices distincts et personnels par voie de conséquence de la nullité du prêt, savoir sa perte de rémunération pour l'avenir, ses pertes liées aux gains d'acquisition des actions de la société Proximania et sa perte de chance de ne pouvoir exercer un mandat social, le tout à hauteur d'une somme totale de 72 445 097,60 euros.

La société First of All, représentée par M. [I], est quant à elle intervenue volontairement pour poursuivre la nullité du nantissement qu'elle avait consenti en garantie du prêt par conclusions du 22 décembre 2022.

Sur la recevabilité de l'appel de la société First of All

La société First of All a interjeté appel par une déclaration en date du 17 juillet 2023 et conclu le 23 décembre 2023, M. [I] revendiquant sa représentation en sa qualité de gérant de cette société civile de droit luxembourgeois comme cela résulte de l'extrait du registre du commerce du 8 novembre 2023.

Or, ainsi que le fait valoir la société Goldman Sachs International, il est constant que M. [I] a fait l'objet d'un jugement du tribunal de commerce de Paris du 15 février 2016 qui a prononcé sa faillite personnelle pour une durée de quinze années, l'appel qu'il avait interjeté ayant été déclaré irrecevable par arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2017, pour défaut de mise en cause du mandataire judiciaire.

Il résulte de l'article L653-2 du code de commerce que M. [I] ne peut diriger, gérer ou administrer et, partant, représenter une personne morale, de sorte que la déclaration d'appel et les conclusions sont frappées d'une irrégularité de fond, tenant à la capacité de M. [I] à représenter la société First of All et qu'il y a lieu, en conséquence, de déclarer nulle la déclaration d'appel en tant qu'elle est intentée par la société First of All représentée par M. [I] par application des articles 56, 117 et 901 du code de procédure civile.

Les considérations de M. [I] sur la circonstance qu'il ne lui serait pas interdit de représenter la société au Luxembourg sont indifférentes dès lors que le point litigieux porte sur sa capacité à représenter la société civile First of All, en France, devant cette cour.

Sur le sort de la société Goldman Sachs Bank Europe SE

M. [I] a assigné la 'société Goldman Sachs Bank Europe SE, London branch (anciennement Goldman Sachs Bank Europe Plc) mais, après que la société Goldman Sachs Bank Europe SE a fait valoir au cours de la première instance qu'elle ne venait pas aux droits de la banque prêteuse Goldman Sachs bank (Europe) Plc, M. [I] a conclu, dans ses écritures du 26 octobre 2022 qu'il 'ne formulait plus aucune demande à l'encontre de la société Goldman Sachs Bank Europe SE qu'il reconnaît être hors de la cause', ce qui a été expressément accepté par les conclusions de cette société du 1er décembre 2022.

La constatation de ce désistement a été sollicitée du juge de la mise en état et le désistement étant effectivement parfait par application des articles 394 et suivants du code de procédure civile, il y a donc lieu d'ajouter à l'ordonnance entreprise en constatant le désistement d'instance et d'action de M. [I], qui a reconnu ne pouvoir avoir aucun droit à faire valoir contre elle, à l'encontre de la société Goldman Sachs Bank Europe SE.

Il doit être observé qu'il résulte de ce qui précède la conséquence que, y compris dans l'hypothèse d'une infirmation de l'ordonnance entreprise, le tribunal ne serait plus saisi que d'une demande de nullité du contrat de prêt du 24 octobre 2008 hors la présence non seulement de l'emprunteur - la société Proximania - mais également de celle du prêteur originaire, la société Goldman Sachs Bank (Europe) Plc alors qu'il ressort de l'assignation que M. [I] ne poursuit une action indemnitaire à l'égard des parties subsistantes au litige - soit la société Goldman Sachs International qui avait la qualité d'arrangeur de crédit et la société Trimast Holding au motif que cette dernière se serait dissimulée derrière le prêteur original déclaré, la société Goldman Sachs Bank Europe SE - que par voie de conséquence de la nullité du contrat de prêt.

Toutefois, en tant qu'il recherche leur responsabilité en fondant également ses demandes, en lien avec la nullité du contrat de prêt, sur l'article 1240 du code civil (en réalité, compte tenu de la date des faits reprochés 1382 puisque le premier n'est applicable qu'aux faits survenus à compter du 1er octobre 2016), il y a lieu d'examiner leur recevabilité et notamment les fins de non recevoir tirées de la prescription qui lui sont opposées.

Sur la prescription des demandes

Le contrat de prêt litigieux du 24 octobre 2008 dont la nullité est poursuivie aux termes de l'assignation - au regard de laquelle la prescription de l'action doit être appréciée - comporte une clause le soumettant à la loi anglaise, valable selon l'article 3 § 1 du Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit Rome I.

Comme le font valoir à juste titre les sociétés Goldman Sachs International et Trimast Holding et comme l'a retenu à bon droit le juge de la mise en état, par application des articles 2221 du code civil (qui dispose que 'la prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte') et de l'article 10 § 1 du dit Règlement( qui stipule que 'l'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du présent règlement si le contrat ou la disposition étaient valables'), la loi applicable à la prescription est la loi anglaise, tant en ce qui concerne la demande de nullité du contrat elle-même que ses conséquences indemnitaires.

En effet, dès lors que ce n'est pas l'existence du consentement lui-même de la société emprunteuse Proximania qui est en cause mais sa validité comme affecté d'un vice, l'article 10§2 n'a pas vocation à s'appliquer, contrairement à ce que soutient M. [I]. Ce dernier ne se fonde désormais plus sur le Règlement du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, en contradiction toutefois, doit-il être observé, avec les mentions de l'assignation sur la responsabilité civile délictuelle de droit français.

Il résulte de l'analyse de la loi anglaise, constituée du misrepresentation act de 1967 sur les fausses déclarations faites à une personne lors de la conclusion d'un contrat et du Limitation act de 1980 - sur l'applicabilité desquelles les parties s'accordent - que la prescription de six années court, en principe, de la date du contrat mais peut être différée, en cas de fraude ou de dissimulation, à la date à laquelle celui qui agit ' a découvert ou aurait pu découvrir avec une diligence raisonnable' les faits lui permettant d'intenter l'action comme le fait valoir M. [I] lui-même, lequel ajoute qu'il ressort d'un arrêt de la High court de Londres du 3 novembre 2023 'Loreley/Crédit Suisse' que c'est au demandeur de prouver que le point de départ, par principe fixé à la date du contrat, a été reculé au motif qu'il était dans l'impossibilité de découvrir lesdits faits au terme de diligences raisonnablement exigible de lui.

Il ne peut qu'être constaté que le contrat de prêt lui-même ne désigne en qualité de prêteur, par renvoi à la partie 2 de l'annexe I, que la société Goldman Sachs Bank Plc et qu'il ressort d'un procès verbal du 15 juillet 2013, établi par la police nationale sur commission rogatoire des juges d'instruction (informant notamment sur des faits d'abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie en bande organisée et de faux...) que l'examen de la comptabilité de la société Proximania et spécialement de ses comptes ouverts dans les livres de la Société Générale montre que les sommes objet du prêt ont bien été réglées par un virement provenant de la banque Goldman Sachs, laquelle expose quant à elle que, conformément aux dispositions expresses du contrat, elle a signé le même jour un accord de sous-participation avec Fortelus par le biais de la société Trimast Holding, sise au Luxembourg, avant de lui céder sa créance issue du prêt le 15 mai 2009.

En conséquence et à suivre, comme l'appréciation du bien fondé de la prescription le commande, les explications de M. [I] figurant dans l'assignation, il y a lieu de rechercher la date à laquelle il était en mesure de découvrir que le groupe Fortelus était intervenu dans le financement du prêt qui a été accordé à la société Proximania et l'avait réellement financé, selon ce qu'il avance.

A cet égard, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a relevé :

- que dès un courriel du 27 août 2008, [R] [C], de la société Goldman Sachs avertit M. [I] de ce qu'il comptait venir à un rendez-vous relatif au prêt envisagé 'avec un hedge fund dont je vous ai parlé',

- que les nombreux échanges de courriels postérieurs, y compris émanant de mandataire de la société Proximania ou de M. [I] lui-même, mettent en copie en qualité de destinataire M. [D] [U] du groupe Fortelus,

- qu'ainsi, M. [I] est notamment en copie d'un courriel du 3 octobre 2008 qui énonce ' de plus [B] [I] accepte la présence d'un de vos partenaires, souscripteur potentiel à l'opération',

- qu'il en résulte également la participation tripartite de représentants des sociétés Goldman Sachs, Proximania mais aussi Fortelus à des réunions préparatoires à l'élaboration du prêt aux fins de financement des acquisitions Payzone (le 23 septembre 2008), et de conférences téléphoniques entre ces protagonistes aux mois de septembre et octobre 2008,

- qu'en particulier, il ne peut que ressortir clairement d'un courriel de M. [U] du groupe Fortelus du 6 octobre 2008 à 19h00 adressé à la société Goldman Sachs avec M. [I] en copie, l'implication majeure du groupe dans le financement dès lors qu'il y analyse la qualité des sûretés offertes par les sociétés filiales de Proximania (LCOM, Insert, Kertel et aussi Payzone),

- que les sociétés Goldman Sachs ont mandaté la société [X], expert-comptable et commissaire aux comptes aux fins d'évaluer les données financières de la société Proximania et de ses filiales mais que la société [X] rendait également compte de l'accomplissement de cette mission au représentant du groupe Fortelus,

- qu'il y a lieu de rappeler que dès le 15 janvier 2019, la créance issue du prêt à l'encontre de la société Proximania a été cédée à la société Trimast Holding, ce qui a été notifié à la société Proximania dès le 19 janvier suivant,

- que le protocole d'accord à la suite de la défaillance de la société Proximania daté du 4 septembre 2009 mentionne les obligations des parties et singulièrement celles du groupe Proximania et de ses filiales envers la société Trimast Holding sans même citer la cession de créance,

- que dans un courrier en date du 26 janvier 2017 adressé au parquet national financier à propos de la liquidation judiciaire de la société Proximania, M. [I] énonce clairement que 'le fait découvert courant 2015, que la société Trimast Holding semble avoir été dès l'origine le prêteur initial de la société Proximania est de nature à établir que la banque Goldman Sachs est intervenue au contrat de prêt du 24 octobre 2008 comme prête nom' et soutient désormais que ce simple soupçon n'a été levé qu'à la lecture d'un jugement du 15 octobre 2018.

Or, dans le cadre d'une négociation tripartite sur le financement à hauteur de la somme de 20 millions de dollars d'une acquisition externe, comportant des garanties accordées au prêteur, M. [B] [I] en sa qualité de dirigeant d'une société cotée et d'homme rompu aux affaires qui plus est assisté de conseils tant sur le plan juridique que financier n'a pu ignorer, dès le moment de la négociation du prêt et non seulement à compter de l'année 2015, la part déterminante prise par la société Trimast Holding qui s'est au demeurant révélée à lui, de manière explicite, dès le mois de janvier 2009, le tribunal de commerce de Paris ayant au demeurant motivé son jugement du 15 octobre 2018 dans une affaire opposant la société Trimast au commissaire aux comptes de la société Kertel, filiale de Proximania, en énonçant notamment que 'les débats ont montré que cette décision de consentir le prêt a été prise dans la précipitation et l'urgence compte-tenu de l'assèchement des liquidité du marché de la dette par la crise, du retrait de Goldman Sachs et du besoin pressant de financement de Proximania qui avait dès le 2 octobre 2008 acquis Payzone ; qu'elle a été prise en parfaite connaissance de cause des importants risques encourus ainsi qu'en témoigne les conditions du prêt consenti, pour une durée de 18 mois avec une forte marge de risque, à un taux de 15 à 16 % l'an variable selon l'évolution du ratio dette nette totale/Ebitda de l'emprunteur, en espérant s'en couvrir par les très fortes garanties exigées tenant au nantissement des titres des filiales de Proximania et du groupe Payzone'.

Il résulte de ce qui précède que M. [I] ne démontre pas, au sens du droit anglais appliqué, que moyennant une diligence raisonnable, il n'aurait pu découvrir dès les négociations finales du prêt ou à tout le moins au début de l'année 2009 lors de la notification de sa cession puis lors de la négociation du protocole d'accord du 4 septembre 2009 avec la société Trimast holding, le rôle qu'il impute à faute à cette dernière et à l'arrangeur du crédit la société Goldman Sachs Bank Plc.

Il doit être ajouté que c'est à juste titre que la société Trimast Holding fait valoir qu'à appliquer le droit français, soit les articles 2224 et 1304 ancien alinéa 2 du code civil (et non 1144, le contrat étant antérieur au 1er octobre 2016) l'action est prescrite compte tenu de la connaissance par M. [I] du vice qu'il dénonce à tout le moins depuis le mois de septembre 2009, sa demande d'aide juridictionnelle du 11 novembre 2019 - à la prendre en compte même sans considérer les protestations de la société Trimast Holding sur son caractère frauduleux étant indifférentes, le délai étant alors d'ores et déjà écoulé.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme prescrites toutes les demandes de M. [B] [I].

Il y a lieu de condamner M. [B] [I] aux entiers dépens ainsi qu'à payer, à la société Goldman Sachs Bank Plc et à la société Trimast Holding, à chacune, la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commandant de ne pas prononcer d'autre condamnation de ce chef.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE nulle la déclaration d'appel formée par la société First of All le 17 juillet 2023 ;

AJOUTE à l'ordonnance entreprise en déclarant parfait le désistement d'instance et d'action de M. [B] [I] à l'égard de Goldman Sachs Bank Europe SE et disant, en conséquence, le tribunal dessaisi de ces demandes ;

CONFIRME l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme prescrites toutes les demandes de M. [B] [I] ainsi que du chef des frais irrépétibles et des dépens ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [B] [I] à payer à la société Goldman Sachs Bank Plc et à la société Trimast Holding, à chacune, la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une autre condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [B] [I] aux dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Edmond Fromantin, comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.

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