CA Colmar, 4e ch. A, 25 mars 2025, n° 22/03754
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mise Au Green (SAS)
Défendeur :
Mise au Green (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dorsch
Conseillers :
M. Pallieres, M. Le Quinquis
Avoué :
Me Seille
Avocats :
Me Bozzi, Me Grisey, Me Hallel, Me Beysang
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat à durée indéterminée du 5 octobre 2009, la société Transhumance a engagé Monsieur [T] [E] en qualité d'aide magasinier.
Le personnel de cette société a été reprise par la société Mise Au Green.
La convention collective nationale applicable est celle des maisons à succursales de vente au détail d'habillement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mars 2021, la société Mise Au Green a convoqué Monsieur [T] [E] à un entretien préalable éventuel à une mesure éventuelle de licenciement, avec notification d'une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 avril 2021, la société Mise Au Green lui a notifié son licenciement pour faute grave, à savoir pour dénonciation, de mauvaise foi, de faits de harcèlement moral reprochés à Monsieur [O] [Z].
Par requête du 22 juillet 2021, Monsieur [T] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Schiltigheim, section commerce, d'une demande de contestation de son licenciement, et aux fins d'indemnisations subséquentes, outre d'indemnisation pour préjudice moral distinct, d'indemnisation pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, de rappels de salaire au titre du maintien pendant les arrêts travail, de rappel de salaires pour heures supplémentaires, d'indemnisation pour travail dissimulé et pour résistance abusive.
Par jugement du 19 septembre 2022 le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement était régulier,
- débouté Monsieur [T] [E] de l'ensemble de ses demandes,
- dit que l'équité ne commandait pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Monsieur [T] [E] aux dépens.
Par déclaration du 5 octobre 2022, Monsieur [T] [E] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.
Par ordonnance du 21 février 2023, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent ratione matériae pour statuer sur la recevabilité des demandes considérées par une des parties comme nouvelles à hauteur d'appel, a rejeté la demande de condamnation de l'employeur à produire des décomptes complets d'heures supplémentaires pour les mois de mai 2017 à novembre 2020, rejeté la demande de condamnation de l'employeur à produire le compte rendu de l'enquête interne des 25 et 26 janvier 2021.
Par écritures transmises par voie électronique le 3 janvier 2025, Monsieur [T] [E] sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, et que la cour, statuant à nouveau, :
- fixe le salaire mensuel moyen la somme de 3 159,70 euros,
- dise et juge que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,
- annule la mise à pied à titre conservatoire,
- condamne la société Mise Au Green à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la demande, subsidiairement, à compter de la notification du 'jugement à intervenir' :
* 9 512,29 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
* 6 319 41 brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 631, 94 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
* 617,15 euros à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés,
* 58 555,25 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement,
* 33 176,89 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,
* 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,
* 25 676,76 euros à titre de rappel pour heures supplémentaires,
* 2 567,68 euros au titre des congés payés afférents,
* 18 958,22 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- dise et juge que les dommages-intérêts sont net,
- condamne la société Mise Au Green à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, y compris les droits de recouvrement prévu aux articles 10 à 12 du décret du 12 décembre 1996 modifié.
Par écritures transmises par voie électronique le 14 janvier 2025, la société Mise Au Green sollicite la confirmation du jugement toutes ses dispositions, sauf le rejet de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et que la cour, statuant à nouveau, :
- condamne Monsieur [T] [E] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, outre la somme de 4 000 euros pour la procédure d'appel, et les dépens.
Elle demande, en outre, que la cour déclare irrecevables les demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, les demandes de réserve de droits de calculer un rappel pour heures supplémentaires après production de décomptes par la partie adverse, à ce que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur à l'audience de conciliation.
Par écritures du 17 janvier 2025, Monsieur [T] [E] sollicite que les écritures adverses du 13 janvier 2025, et les pièces numéro 77 et 78 soient écartées des débats, pour production tardive.
Par écritures du 20 janvier 2025, la société Mise Au Green sollicite le rejet de ces dernières demandes.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 21 janvier 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Sur les écritures de la société Mise Au Green du 14 janvier 2025 et de ses pièces n°77 et 78
Au visa de l'article 15 du code de procédure civile, et, de façon implicite et non équivoque de l'article 16 du même code, Monsieur [T] [E] sollicite que les écritures de la société Mise Au Green du 14 janvier 2025 et les pièces précitées soient écartées des débats.
Par ordonnance du 13 décembre 2024, le conseiller de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture de l'instruction et fait droit à la demande de modification du calendrier de procédure de Monsieur [T] [E] du 8 novembre 2024 afin de lui permettre de répliquer à des écritures de la société Mise Au Green du même jour.
Compte tenu des délais impartis, Monsieur [T] [E] ne saurait se plaindre d'une violation du principe du contradictoire, alors que ses écritures du 3 janvier 2025 comportent de nouveaux faits et moyens, et qu'il a produit 2 nouvelles pièces.
Ainsi, il ne saurait être reproché à l'intimée d'avoir conclu le 14 janvier 2025, soit 6 jours avant la date de plaidoirie fixée, alors qu'au regard de ce dernier délai, Monsieur [T] [E] a été en mesure de prendre connaissance des dernières écritures de la société Mise Au Green et des pièces n°77 et 78 de cette dernière.
Dès lors, la cour rejettera la demande d'écart, formulée par Monsieur [T] [E].
Sur la recevabilité des demandes de Monsieur [T] [E] de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires pour heures supplémentaires, et les congés payés afférents, et relatives aux intérêts moratoires des créances
Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Selon l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Monsieur [T] [E] avait sollicité, devant le conseil de prud'hommes, des dommages et intérêts pour rupture abusive, et invoqué des faits de harcèlement moral, en précisant que le licenciement est nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, n'est pas nouvelle, et donc recevable.
Si une demande, de réserve de ses droits à chiffrer un rappel de salaires pour heures supplémentaires, ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile, le salarié a, dès la requête, invoqué une absence de paiement intégral des heures supplémentaires, et chiffré, au dispositif de ses écritures, une demande d'indemnité pour travail dissimulé.
Or, la demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires est le complément nécessaire à une demande d'indemnité pour travail dissimulé, de telle sorte que la demande chiffrée, pour la première fois, à hauteur d'appel, ne constitue pas une demande nouvelle, et est donc recevable, de même que les congés payés afférents qui en sont l'accessoire.
Enfin, les condamnations au paiement de sommes d'argent portent intérêts au taux légal de plein droit, à des dates déterminées par le code civil et le code du travail, en fonction de la nature de la créance, de telle sorte que les demandes sur le cours des intérêts moratoires ne sont pas nouvelles.
Sur le rappel de salaire au titre du maintien de salaire pendant un arrêt de travail et sur les dommages et intérêts pour résistance abusive
Bien qu'ayant interjeté appel de ces 2 chefs du jugement, Monsieur [T] [E] ne forme aucune prétention, à ces titres, à hauteur d'appel, de telle sorte que la cour ne peut que confirmer le jugement en ses rejets.
Sur les heures supplémentaires
En application de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Cass. Soc. 21 octobre 2020 pourvoi n°19-15.453).
En l'espèce, le salarié produit, :
- des décomptes couvrant la période des mois de janvier 2017, mai 2017 à début juin 2017, août et septembre 2017, octobre 2017, novembre 2017,
- un décompte couvrant la période de mai 2017 à mars 2020, faisant état, par mois, du nombre d'heures supplémentaires majorées à 25 %, à 50 %, des sommes perçues, et d'un nombre total d'heures supplémentaires impayées sollicité de 503, 75 heures au taux majoré de 50 %,
- un décompte actualisé, sur le même tableau, mais avec un solde de 821, 66 heures majorées à 50 %.
Ces éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
L'employeur produit :
- en ses pièces n°67 des décomptes mensuels d'heures de travail signés par le salarié, et les bulletins de paie correspondants, concernant les mois de décembre 2017 et janvier 2018, avril 2019, mai 2019, juin 2019, septembre 2019, octobre 2019, novembre 2019, et décembre 2019,
- en ses pièces n°68, des décomptes mensuels d'heures de travail concernant la période de mars à mai 2020 inclus, et au mois de novembre 2020, non signés par le salarié,
- en ses pièces n°75 des décomptes signés par le salarié, pour les mois de septembre, octobre 2018, et novembre 2017,
Il fait valoir que la demande de rappel de salaire est prescrite pour la période antérieure au 21 juillet 2018.
Toutefois, la cour relève que ce moyen, tenant à la prescription de l'action, ne fait pas l'objet d'une prétention de fin de non recevoir au dispositif des écritures de l'employeur, de telle sorte qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est pas saisie de cette fin de non recevoir (Cass. soc. 2 février 2022 n°20-14.782).
Il soutient, par ailleurs, que Monsieur [T] [E] invoque que les heures supplémentaires faisaient l'objet de paiement sous forme de primes exceptionnelles, ce qu'il conteste alors que la prime exceptionnelle serait, en réalité, une prime d'intéressement, ou une prime de 13ème mois.
Il s'oppose à la demande de production de tous les décomptes, signés par le salarié, au motif qu'il a déjà produit, aux débats, l'intégralité des décomptes d'heures supplémentaires en sa possession, et soutient que le salarié est défaillant dans l'administration de la preuve.
Ce faisant, l'employeur met la charge de l'administration de la preuve uniquement sur le salarié, en violation de l'article L 3171-4 du code du travail, et ne justifie pas du respect de son obligation légale de vérification et de contrôle de la durée de travail du salarié, en se contentant d'une production partielle de décomptes.
La cour relève que :
- Monsieur [T] [E] a déduit de la contre valeur des heures supplémentaires, qu'il prétend avoir réalisées, non payées, le montant des primes exceptionnelles versées par l'employeur, alors que l'employeur prétend que ces primes n'avaient pas vocation à rémunérer des heures supplémentaires,
- après avoir établi un premier décompte, Monsieur [T] [E] a modifié à la hausse sa demande, au visa d'un second décompte qui ne peut se justifier au regard des pièces produites en cours d'instance par l'employeur, ni par l'évolution des moyens des parties.
Il en résulte qu'il est établi que le salarié a effectué des heures supplémentaires non payées, pour la période de mai 2017 à mars 2020, que la cour évalue à la somme de 15 000 euros, outre 1 500 euros au titre des congés payés afférents, de telle sorte que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié des demandes à ce titre.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Selon l'article L 8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
2°/ soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
En l'espèce, il n'est pas établi que l'employeur ait intentionnellement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, de telle sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnité à ce titre.
Sur le harcèlement moral
Selon l'article L 1554-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Monsieur [T] [E] invoque comme faits :
- un management autoritaire, dénigrant, insultant, menaçant de Monsieur [O] [A],
- une mise à l'écart et un isolement en ce qu'il a travaillé, seul, dans l'entrepôt de l'entreprise, dénommé 'Almet', avec des conditions de travail déplorables,
- une obligation d'effectuer de nombreuses heures supplémentaires,
- la détérioration de son état de santé.
Sur la matérialité des faits
La matérialité de faits de management autoritaire, dénigrant, insultant, menaçant de Monsieur [O] [A], dont Monsieur [T] [E] aurait été victime, n'est pas établie.
Les attestations de témoin, produites par Monsieur [T] [E], concernent des faits au préjudice de Monsieur [D] [P], et de Monsieur [X] [N], et d'autres pièces, de Monsieur [K] [G].
Le seul élément, concernant Monsieur [T] [E], est rapporté par la seconde attestation de témoin de Monsieur [X] [N], selon laquelle Monsieur [O] [Z] obligeait sans cesse Monsieur [T] [E] à faire des heures supplémentaires et faisait de 'fausses promesses de changement de poste pour Monsieur [T] [E]' ; [T] [E] s'est rendu à plusieurs reprises au domicile des patrons pour y effectuer des tâches ménagères et [T] [E] se trouvait au dépôt Almet, tout seul, pour effectuer différentes missions.
La force probante de cette attestation ne saurait être retenue, en l'absence de faits circonstanciés et précis, alors que, par ailleurs, Monsieur [N] ne fait, pour partie, que rapporter des propos d'autres personnes, n'ayant pu être témoin de travaux réalisés par Monsieur [T] [E] au domicile 'des patrons'.
Lors de son entretien du 7 décembre 2020, avec la directrice des ressources humaines, Monsieur [T] [E] ne fait état d'aucun fait de harcèlement le concernant, à l'exception d'un chantage de Monsieur [Z] : 'si on me vire je sais quoi faire avec qui'.
Ce dernier fait n'est pas matériellement établi.
Monsieur [T] [E] reproche à Monsieur [Z] que ce dernier lui a promis un poste de responsable qu'il n'a finalement pas eu, alors que Monsieur [Z] n'est pas l'employeur et n'a pas le pouvoir d'attribuer les postes.
Une mise à l'écart et un isolement en ce qu'il a travaillé, seul, dans l'entreprise de l'entrepôt, dénommé 'Almet', avec des conditions de travail déplorables, n'est également pas établie, alors qu'outre l'absence de fait de harcèlement, à l'exception d'un chantage, invoqué à son préjudice, par Monsieur [T] [E], lors de son entretien avec la directrice des ressources humaines, Monsieur [I] [R] précise, dans son attestation de témoin, que c'est Monsieur [P] qui a été mis à l'écart et qui devait travailler, seul, dans l'entrepôt manquant d'hygiène et de sécurité.
Par ailleurs, l'employeur précise que l'entrepôt en cause se trouve sur le site du siège social de l'entreprise, de telle sorte que, comme il le reconnaît de façon implicite et non équivoque, Monsieur [E] pouvait, lorsqu'il remplaçait Monsieur [P], se rendre dans les locaux de la société, notamment, pour utiliser les toilettes.
S'agissant des heures supplémentaires, la matérialité d'un fait, selon lequel Monsieur [Z] obligeait Monsieur [T] [E] à réaliser de nombreuses heures supplémentaires, lors des ventes privées ou des braderies, notamment, par des menaces de licenciement, n'est pas établie.
En l'absence de fait matériellement établi, les faits de harcèlement moral sont inexistants.
Monsieur [T] [E] ne démontre aucun lien de causalité entre son arrêt maladie, qui lui a été prescrit à compter du 8 février 2021, et un manquement de l'employeur à l'une quelconque de ses obligations.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnisation pour harcèlement moral.
Sur le licenciement pour faute grave
Selon l'article L 1132-3-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions (Cass. soc. 4 novembre 2020 n°18-15.569).
La lettre de licenciement est motivée par les propos tenus par le salarié, lors de son audition du 16 décembre 2020 par la responsable des ressources humaines, mettant en cause Monsieur [O] [Z] dans le cadre d'une dénonciation de faits de harcèlement moral par Monsieur [G] [K], membre élu titulaire du Cse, et des propos, tenus par le salarié, lors de la réalisation d'une enquête, par la directrice des ressources humaines, le directeur général et une salariée membre du Cse, sur les faits reprochés à Monsieur [Z].
L'employeur reproche au salarié de ne pas avoir apporté, comme trois autres collègues, de commencement de preuve afin de prouver ses accusations à l'égard de Monsieur [Z], et d'avoir dénoncé des faits qu'il savait alors faux.
Toutefois, il résulte du courriel du 3 février 2021 de la directrice des ressources humaines, Madame [U] [W], que si l'enquête, en cause, n'a pas déterminé que les faits reprochés étaient assimilables à des faits de harcèlement moral, au sens de l'article L 1152-1 du code du travail, il a été considéré que Monsieur [Z] avait commis des erreurs de management, de posture et de communication, ce que ce dernier avait reconnu lors de son entretien préalable, et qu'il a donc été décidé de sanctionner disciplinairement Monsieur [Z].
Il produit, dans les pièces de l'employeur, la lettre, du 3 février 2021, de notification à Monsieur [O] [Z] d'un avertissement pour dérives managériales et très grande maladresse de communication.
La société Mise Au Green ne rapporte pas la preuve que Monsieur [T] [E] ait fait état de faits susceptibles de recevoir la qualification de harcèlement moral, alors qu'il aurait su, lors de ses auditions, le caractère faux des faits dénoncés.
Il en résulte que le licenciement est frappé de nullité, de telle sorte que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de nullité du licenciement, et des demandes d'indemnisations subséquentes à cette nullité.
Sur le salaire mensuel moyen brut de référence
Monsieur [T] [E] fait état d'un salaire mensuel moyen de référence de 3 159,70 euros, en prenant en compte la moyenne des 12 derniers mois précédents l'arrêt travail, soit février 2020 à janvier 2021 inclus.
La société Mise Au Green fait état d'un salaire mensuel moyen de référence de 3 048,24 euros, en prenant en compte la moyenne des 12 mois précédents le licenciement, et en reconstituant le salaire, pendant l'arrêt maladie, tenant compte du salaire brut, et non du brut social.
Le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie (Cass. soc. 23 mai 2017 n°15-22.223).
En conséquence, la cour retiendra un salaire mensuel brut moyen de 3 159,70 euros, étant précisé que Monsieur [T] [E] n'a pas tenu compte, dans cette moyenne du prorata en heures supplémentaires impayées, pour le mois de mars 2020.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis, et de congés payés sur préavis
Le salarié devait bénéficier d'une durée de préavis de 2 mois, de telle sorte qu'infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 6 319, 40 euros brut, outre la somme de 631,94 euros brut au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité légale de licenciement
Au regard de l'ancienneté du salarié, devant tenir compte de la période de préavis (soit au total de 11 ans et 8 mois), infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à Monsieur [T] [E] la somme suivante : 7 899, 25 + 702, 16 = 8 601, 41 euros net.
Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul
Monsieur [T] [E] fait état qu'il a été licencié alors qu'il avait 49 ans, et qu'à ce jour, il n'a toujours pas retrouvé d'emploi, qu'il se trouve dans l'incapacité physique et psychique de postuler à un autre emploi, au regard du licenciement brutal dont il a fait l'objet, et des faits de harcèlement moral qu'il a subis.
Toutefois, il résulte des motifs supra que les faits de harcèlement moral sont inexistants.
Monsieur [T] [E] produit une attestation de France travail, du 2 janvier 2025, justifiant des périodes d'indemnisation.
Au regard de l'article L 1235-3-1 du code du travail, de l'ancienneté du salarié à la date du licenciement, du salaire mensuel moyen de référence précitée, et du préjudice subi, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 35 000 euros net.
Sur l'annulation de la mise à pied à titre conservatoire
Le licenciement étant nul, la décision de mise à pied à titre conservatoire l'est également, de telle sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande de solde d'indemnité de congés payés
Monsieur [T] [E] soutient qu'il a perçu une indemnité compensatrice de congés payés, dans le cadre du solde de tout compte, de 3 270,99 euros, alors qu'il aurait dû percevoir la somme de 3 888,14 euros, correspondant à 26,66 jours de congés payés acquis et non pris.
Le bulletin de paie du mois de janvier 2021, avant arrêt maladie, fait état de 9 jours de solde de l'année N-1 et 16, 65 jours acquis pour l'année N.
Après prise de 5 jours de congés payés, du 1er au 5 février 2021 inclus, il lui restait donc 4 jours et 16,65 jours.
Le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.
Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L 3141-3 et L 3141-9 du code du travail (Cass. soc. 13 septembre 2023 n°n°22-17.340, 22-17.341 et 22-17.342).
En conséquence, Monsieur [T] [E] a acquis des congés payés pendant son arrêt de travail pour maladie non professionnelle, de telle sorte que son solde était, au total, de 26,66 jours, comme invoqué par le salarié.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 617,15 euros brut.
Sur l'indemnité pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité
Selon l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Monsieur [T] [E] a formé une demande d'indemnisation pour harcèlement moral, et une demande d'indemnisation pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement.
Il résulte des motifs supra que les faits de harcèlement moral, au préjudice de Monsieur [T] [E], sont inexistants.
S'agissant de la prévention, l'employeur rapporte la preuve, par l'enquête diligentée à la suite des faits dénoncés contre Monsieur [Z], qu'il a pris, rapidement, les mesures adaptées, en diligentant une enquête.
Dès lors que des représentants du personnel participaient à l'enquête, l'employeur n'avait aucune obligation de faire appel à un intervenant extérieur.
Monsieur [T] [E] fait état, par ailleurs, état du non respect des règles sanitaires et sécuritaires au sein de l'entrepôt Almet.
N'étant pas le salarié affecté régulièrement dans cet entrepôt, Monsieur [T] [E] ne justifie d'aucun préjudice, alors que l'entrepôt disposait d'un système d'alarme, qui pouvait être utilisé par le salarié exerçant seul (page 30 des écritures du salarié), et que l'entrepôt était situé sur le même site que le siège social de l'entreprise, qui disposait, ce qui n'est pas contesté, de tout le nécessaire sanitaire.
Enfin, Monsieur [T] [E] fait état d'une absence de suivi médical de l'état de santé, depuis la dernière visite médicale du 25 avril 2016.
En application de l'article R 4624-16 du code du travail, la visite médicale est obligatoire tous les 5 ans. Ce temps est réduit à 3 ans pour le suivi médical des travailleurs handicapés, les travailleurs titulaires d'une pension d'invalidité, et les travailleurs de nuit ou 4 ans avec visite intermédiaire pour le suivi médical des postes à risques.
Monsieur [T] [E] ne justifie pas d'être dans un des cas prévus pour une visite obligatoire tous les 3 ans.
Le délai de 5 ans n'était pas expiré à la date du licenciement de Monsieur [T] [E], de telle sorte que l'employeur n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité, à ce titre.
Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande d'indemnisation à ce titre.
Sur les demandes annexes
L'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, et le solde de congés payés, porteront intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2021, date de constitution d'avocat par la société Mise Au Green, la date de remise de la convocation à l'employeur n'étant pas précisée sur l'accusé de réception signé.
Le rappel de salaires pour heures supplémentaires et les congés payés afférents porteront intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2022, date de notification de la demande, à ces titres.
Les dommages et intérêts pour licenciement nul porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt.
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens mais confirmé sur les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant, pour l'essentiel, la société Mise Au Green sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance.
La cour d'appel n'ayant à statuer que sur les dépens d'appel, le surplus de la demande de Monsieur [T] [E], relative aux dépens, sera rejeté.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Mise au Green sera condamnée à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 4 000 euros, pour les frais exposés à hauteur d'appel, et sa demande, à ce titre, sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement du 19 septembre 2022 du conseil de prud'hommes de Schiltigheim SAUF en :
- ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande de rappel de salaires pour manquement au maintien de salaire durant les arrêts de travail,
- ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande d'indemnisation pour travail dissimulé,
- ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande d'indemnisation pour harcèlement moral,
- ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande d'indemnisation pour manquement à l'obligation de sécurité,
- ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DEBOUTE Monsieur [T] [E] de sa demande d'écart des débats des écritures, de la société Mise Au Green, du 14 janvier 2025 et des pièces, de cette dernière, n°77 et 78 ;
DECLARE recevables les demandes de Monsieur [T] [E] de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires pour heures supplémentaires et les congés payés afférents, et relatives aux intérêts moratoires des créances ;
DIT que le licenciement de Monsieur [T] [E] est nul ;
DIT que la mesure de mise à pied à titre conservatoire est nulle ;
FIXE à la somme de 3 159,70 euros brut (trois mille cent cinquante neuf euros et soixante dix centimes) le salaire mensuel moyen de référence ;
CONDAMNE la société Mise Au Green à payer à Monsieur [T] [E] les sommes suivantes :
- 15 000 euros brut (quinze mille euros) à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires,
- 1 500 euros brut (mille cinq cents euros) au titre des congés payés afférents ;
- 35 000 euros net (trente cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- 8 601, 41 euros net (huit mille six cent un euros et quarante et un centimes) à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 6 319, 40 euros brut (six mille trois cent dix neuf euros et quarante centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 631, 94 euros brut (six cent trente et un euros et quatre vingt quatorze centimes) au titre des congés payés sur préavis ;
- 617, 15 euros brut (six cent dix sept euros et quinze centimes) à titre de solde d'indemnité compensatrice de congés payés ;
DIT que l'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, et le solde de congés payés, portent intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2021 ;
DIT que le rappel de salaires pour heures supplémentaires et les congés payés afférents portent intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2022 ;
DIT que les dommages et intérêts pour licenciement nul portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
CONDAMNE la société Mise Au Green à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés à hauteur d'appel ;
DEBOUTE la société Mise Au Green de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés à hauteur d'appel ;
CONDAMNE la société Mise Au Green aux dépens d'appel et de première instance ;
DEBOUTE Monsieur [T] [E] du surplus de sa demande relative aux dépens.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 25 mars 2025, signé par Madame Christine DORSCH, Président de chambre, et Madame Lucille WOLFF, Greffier.