CA Papeete, ch. C, 27 mars 2025, n° 24/00074
PAPEETE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Taapuna (Association Syndicale Libre)
Défendeur :
Sci Mahana (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guengard
Vice-président :
Mme Boudry
Conseiller :
Mme Szklarz
Avocats :
Me Rousseau-Wiart, Me Peytavit
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte du 27 mars 2019, M. [G] [U] et s on épouse Mme [S] [H] ont fait l'acquisition des parts sociales de la SCI Mahana [W], propriétaire d'un terrain sis à [Adresse 5], formant le lot D9, cadastré section AV n°[Cadastre 1] jouxtant le lotissement [Adresse 6].
La SCI Mahana [W] a édifié, sur ce terrain une maison d'habitation, laquelle est raccordée au réseau d'eau du lotissement [Adresse 6].
Le 7 juin 2023, l'ASL Taapuna mettait en demeure les époux [U] de signer une convention aux termes de laquelle il leur était notamment demandé de régler une indemnité de 1 200 000 Fcfp.
Face au refus des époux [U] de signer la convention en l'état, l'ASL Taapuna procédait à une coupure de l'alimentation en eau de la propriété le 17 janvier 2024.
Par requête en date du 23 janvier 2024, la SCI Mahana [W] a sollicité du juge des référés d'ordonner le rétablissement de l'alimentation en eau de la propriété coupée par l'ASL Taapuna.
Par ordonnance du 5 février 2024, le juge des référés du tribunal de première instance de Papeete a notamment :
- Rejeté la demande de nullité de la requête ;
- Mis hors de cause la SARL Sogeco ;
- Ordonné le rétablissement par I'ASL du lotissement [Adresse 6] de l'alimentation en eau de la propriété de la SCI Mahana [W] sur minute, sous astreinte de 50.000 Fcfp par jour de retard ;
- Ordonné une mission d'expertise ;
- Désigné [K] [Z], expert près la cour d'appel de Papeete, avec la mission suivante :
Convoquer les parties, éventuellement assistées de leur conseil, après avoir pris leur convenance ;
Se faire communiquer tout élément utile et notamment le titre de propriété complet de la SCI Mahana [W], les éléments comptables, PV d'assemblée générale de l'ASL Taapuna ;
Evaluer le coût pour les colotis du raccordement lors de la création du lotissement ;
Voir le prix payé par les concessionnaires rattachés à l'ASL Taapuna pour les réseaux ;
Proposer une évaluation du juste coût à la date du raccordement effectif par la SCI Mahana [W] ;
Faire toute remarque utile à l'instance ;
- Dit que l'ASL Taapuna devra faire l'avance des frais d'expertise et consigner à la régie du tribunal de première instance de Papeete la somme de 150.000 Fcfp à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert dans le délai d'un mois à compter du prononcé de la présente décision à peine de caducité de la désignation de l'expert ;
- Dit que l'expert devra déposer son rapport définitif dans les trois mois du versement de la consignation ;
- Rappelé que la présente ordonnance est exécutoire par provision ;
- Condamné l'ASL Taapuna à verser à la SCI Mahana [W] la somme de 120.000 Fcfp au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de maître Jacquet.
Par requête en date du 29 février 2024, l'ASL Taapuna prise en la personne de son syndic , la SARL Sogeco a relevé appel de l'ordonnance et demande à la cour de :
- Juger recevable l'appel interjeté par l'ASL Taapuna contre l'ordonnance de référé du 5 février 2024,
Le dire bien fondé,
En conséquence,
- Infirmer l'ordonnance de référé du 5 février 2024 en ce qu'elle a ordonné le rétablissement par l'ASL Taapuna de l'alimentation en eau de la propriété de la SCI Mahana [W] sous astreinte,
Statuant à nouveau,
- Juger n'y avoir lieu au rétablissement de l'eau de la parcelle propriété de la SCI Mahana [W],
- Infirmer l'ordonnance de référé du 5 février 2024 en ce qu'elle a confié à un expert la mission suivante :
'- Convoquer les parties, éventuellement assistées de leur conseil, après avoir pris leur convenance,
- Se faire communiquer tout élément utile et notamment les éléments comptables, PV d'AG de l'Asl Taapuna,
- Evaluer le cout pour les colotis du raccordement lors de la création du lotissement,
- Voir le prix payé par les concessionnaires rattachés à l'Asl Taapuna pour les réseaux,
- Proposer une évaluation du juste cout à la date du raccordement effectif par la SCI Mahana [W],
- Faire toute remarque utile à l'instance.'
Et en ce qu'elle a mis à la charge de l'ASL Taapuna la consignation des frais d'expertise,
Statuant à nouveau,
- Juger n'y avoir pas lieu à expertise,
A titre infiniment subsidiaire,
- Juger que la mission de l'arbitre se limitera à la mission déterminée par l'article 7 du cahier des charges de l'ASL Taapuna à savoir de déterminer la quote-part à la charge du concessionnaire relative aux charges d'entretien supportées par l'association au titre de la distribution d'eau potable,
- Juger que la SCI Mahana [W] devra faire l'avance des frais d'arbitrage et consigner la somme exigée,
A titre plus subsidaire,
- Juger que la consignation des frais d'arbitrage sera supportée pour moitié par l'ASL Taapuna et par la SCI Mahana [W],
- Condamner la SCI Mahana [W] à payer à l'ASL Taapuna la somme de 500 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles,
- Condamner la SCI Mahana [W] aux dépens, dont distraction au profit de Me Loris Peytavit.
Par conclusions en date du 17 juin 2024, la SCI Mahana [W] représentée par ses gérants M. [G] [U] et Mme [S] [H] épouse [U] demande à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance de référé du 5 février 2024 en toutes ses dispositions,
- Condamner l'Asl Taapuna à payer à la SCI Mahana [W], la somme de 250 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles,
- Condamner l'Asl Taapuna aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 février 2025.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'ASL Taapuna déclare former un appel partiel de l'ordonnance de référé en date du 5 février 2024 de sorte que ne se trouve pas contesté le chef de dispositif ayant rejeté de la demande de nullité de la requête et la mise hors de cause de la SARL Sogeco.
Sur la restauration de l'accès à l'eau sous astreinte :
Aux termes de l'article 432 du code de procédure civile de la Polynésie française, le président peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite suppose donc la violation d'une obligation préexistante, quel que soit le fondement de celle-ci.
L'illicéité du fait ou de l'action critiquée peut résulter de la méconnaissance d'une disposition légale ou réglementaire, d'une décision de justice antérieure, d'une convention, ou, quel que soit le fond du droit en cause, du procédé auquel une partie a eu recours pour régler le différend et obtenir, par violence ou voie de fait, le bénéfice de ce droit.
En ce sens, la coupure unilatérale de l'alimentation en eau d'une maison destinée à l'habitation en décidant unilatéralement de modifier la situation existante, constitue un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la SCI Mahana [W] est propriétaire d'une maison d'habitation dans laquelle vivent ses associés, les époux [U] et leur fille. Il n'est pas non plus contesté que l'Asl Taapuna a procédé au raccordement du terrain au réseau d'eau du lotissement [Adresse 6] depuis 2021 et n'a mis en demeure la SCI Mahana [W] de signer la convention type votée par l'assemblée des propriétaires du lotissement que le 7 juin 2023. Les constats d'huissier des 16 et 18 janvier 2024 établissent que l'ASL Taapuna a procédé au 'lentillage' avant de couper l'accès à l'eau en amont du compteur le 16 janvier 2024, ce qui n'est d'ailleurs par contesté par l'appelante.
Il est donc démontré que les habitants de la maison situé sur le terrain susvisé ont été privés subitement, sur la base d'une décision unilatérale de l'ASL Taapuna tenant au refus des époux [U] de régler la somme de 1 200 000 Fcfp demandée par l'association, d'un élément essentiel à la vie courante, et ce alors qu'il ressort des échanges de courriels produits que les époux [U] acceptaient par écrit de participer aux charges à la même hauteur que chaque propriétaire du lotissement Taapuna sans pour autant adhérer à l'ASL Taapuna et qu'aucun élément ne démontre que l'ASL Taapuna a sollicité, antérieurement au 7 juin 2023, la moindre somme à la SCI Mahana [W] au titre du raccordement.
C'est à juste titre que le premier juge a pu en déduire l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il lui appartenait de faire cesser en ordonnant la restauration de l'eau sous astreinte.
La décision sera confirmée à ce titre.
Sur la demande d'enjoindre la SCI Mahana [W] à signer la convention type votée par l 'assemblée générale de l'ASL Taapuna sous astreinte :
Dans le corps de ses écritures non repris au dispositif, l'ASL Taapuna sollicite pour la première fois devant la cour d'appel de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite en raison du refus opposé par la SCI Mahana [W] d'adhérer au cahier des charges et aux conditions exigées par l'ASL Taapuna alors qu'elle bénéficie du raccordement au réseau d'eau du lotissement Taapuna, et ce sans verser la moindre somme à l'appelante. Compte tenu du trouble susvisé, elle sollicite de la cour d'enjoindre la SCI Mahana [W] à signer la convention type votée par l'assemblée générale de l'ASL Taapuna sous astreinte.
La SCI Mahana [W] sans répondre spécifiquement à cette demande indique dans ses conclusions qu'elle n'a jamais donné son engagement oral de signer la convention et n'est pas soumise aux dispositions du cahier des charges du lotissement [Adresse 6]. Elle précise être d'accord pour régler sa quote-part de charges afférentes à sa consommation d'eau mais non pour signer la convention rendant, de ce fait, le cahier des charges opposable et payer la somme de 1 200 000 Fcfp.
En l'espèce, l'ASL Taapuna demande l'application de l'article 432 du code de procédure civile de la Polynésie française. Ce texte prévoit la possibilité, pour le président, en cas de trouble manifestement illicite, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent.
L'obligation de signer une convention n'est ni une mesure conservatoire ni une mesure de remise en état ce qui s'entend de revenir à un état antérieur. Une telle demande ne ressort pas de la compétence du juge des référés et la cour, saisi de l'appel de l'ordonnance de reféré n'est compétente que dans la limite de la compétence du premier juge.
Cette demande sera donc rejetée.
Sur l'expertise :
Il ressort des articles 84 et 85 du code de procédure civile de la Polynésie française que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées en référé à la demande de tout intéressé qui ne dispose pas d'éléments suffisants pour la prouver sans que cela ne vise à suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
L'ordonnance de référé du 5 février 2024 a fait droit à la demande de l'ASL Taapuna sollicitant, à titre infiniment subsidiaire, une expertise avec pour mission de fixer la quote-part incombant à la SCI Mahana [W] au titre de son utilisation de la voirie du lotissement, son raccordement et l'utilisation du réseau d'eau.
La mission donnée par le juge des référés à l'expert était la suivante :
' Convoquer les parties, éventuellement assistées de leur conseil, après avoir pris leur convenance
- Se faire communiquer tout élément utile et notamment les éléments comptables, PV d'AG de l'ASL Taapuna,
- Evaluer le cout pour les colotis du raccordement lors de la création du lotissement,
- Voir le prix payé par les concessionnaires rattachés à l'ASL Taapuna pour les réseaux,
- Proposer une évaluation du juste cout à la date du raccordement effectif par la SCI Mahana [W],
- Faire toute remarque utile à l'instance.'
L'ASL Taapuna reproche aujourd'hui au premier juge d'avoir fait droit à sa demande d'expertise au motif que l'article 7 du cahier des charges stipule qu'en cas de désaccord, l'arbitre doit être désigné pour fixer la quote-part des charges d'entretien et non le coût du raccordement, incluant le droit d'entrée, pour lequel l'assemblée générale des propriétaires a le pouvoir. Elle indique finalement qu'il n'y avait pas lieu à expertise dans la mesure où la procédure d'arbitrage prévue par le cahier des charges n'aurait pas été mise en oeuvre et, à titre subsidiaire si l'expertise est maintenue, elle sollicite un changement de mission se limitant à la fixation de la quote-part des charges d'entretien pour la SCI Mahana [W].
En tout état de cause dès lors que l'ASL , qui avait elle même sollicité cette mesure et à la charge de qui la consignation avait été fixée, n'entend plus bénéficier de cette mesure et alors que la SCI Mahana [W] ne développe aucun moyen à ce titre, il sera fait droit à la demande de l'ASL Taapuna d'infirmer l'ordonnance entreprise sur ce point et il sera dit n'y avoir lieu à expertise.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a condamné l'ASL Taapuna aux dépens, dont distraction au profit de Me Rousseau-Wiart ainsi qu' à verser à la SCI Mahana [W] la somme de 120 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles.
L'ASL Taapuna sera condamnée aux dépens d'appel dont distraction d'usage au profit de Me Rousseau-Wiart, avocat au barreau de Papeete, sur ses offres de droit et il est équitable de la condamner à payer à la SCI Mahana [W] la somme de 150 000 Fcfp sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant dans les limites de l'appel, contradictoirement et en dernier ressort :
Confirme l'ordonnance du 5 février 2024 en ce qu'elle a :
- Ordonné le rétablissement par l'Asl Taapuna de l'alimentation en eau de la propriété de la SCI Mahana [W] sur minute, sous astreinte de 50 000 Fcfp par jour de retard ;
- Condamné l'Asl Taapuna à verser à la SCI Mahana [W] la somme de 120 000 Fcfp au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Me Rousseau-Wiart ;
Infirme l'ordonnance en ce qu'elle a :
- Ordonné une mission d'expertise ;
- Désigné [K] [Z], expert près la cour d'appel de Papeete, avec la mission suivante :
Convoquer les parties, éventuellement assistées de leur conseil, après avoir pris leur convenance ;
Se faire communiquer tout élément utile et notamment le titre de propriété complet de la SCI Mahana [W], les éléments comptables, PV d'assemblée générale de l'ASL Taapuna ;
Evaluer le coût pour les colotis du raccordement lors de la création du lotissement ;
Voir le prix payé par les concessionnaires rattachés à l'ASL Taapuna pour les réseaux ;
Proposer une évaluation du juste coût à la date du raccordement effectif par la SCI Mahana [W] ;
Faire toute remarque utile à l'instance ;
- Dit que l'ASL Taapuna devra faire l'avance des frais d'expertise et consigner à la régie du tribunal de première instance de Papeete la somme de 150.000 Fcfp à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert dans le délai d'un mois à compter du prononcé de la présente décision à peine de caducité de la désignation de l'expert ;
- Dit que l'expert devra déposer son rapport définitif dans les trois mois du versement de la consignation ;
Statuant sur les chefs infirmés :
Dit n'y avoir lieu à ordonner une expertise ;
Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne l'ASL Taapuna, prise en la personne de son syndic, la SARL Sogeco à verser à la SCI Mahana [W] représentée par ses gérants M. [G] [U] et Mme [S] [H] épouse [U] la somme de 150 000 Fcfp au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Condamne l'ASL Taapuna prise en la personne de son syndic , la SARL Sogeco aux dépens dont distraction au profit de maître Rousseau-Wiart.
Prononcé à [Localité 3], le 27 mars 2025.