CA Lyon, 3e ch. A, 10 avril 2025, n° 23/04120
LYON
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
LVMH Swiss Manufactures (Sté), Tag Heuer (Sté)
Défendeur :
Logo (SAS), MJ Synergie (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dumurgier
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Laffly, SCP Baufume et Sourbe, Me Gonnet, SCP Jacques Aguiraud et Philippe Nouvellet, Me Scarfoguiero
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 6 septembre 1999, la société Logo et la société de droit suisse TAG Heuer ont conclu un contrat de licence portant sur la marque « TAG Heuer », qui a été renouvelé plusieurs fois. En cours d'exécution de ce contrat, la société TAG Heuer est devenue une succursale de la société anonyme de droit suisse LVMH Swiss Manufactures SA (la société LVMH).
Par courrier du 18 décembre 2015, la société TAG Heuer a notifié à la société Logo le non-renouvellement du contrat à effet du 31 décembre 2017, date de son échéance contractuelle, du fait de défaillances dans l'exécution du contrat.
Par jugement du 12 mai 2016, la société Logo, qui a été déclarée en cessation des paiements en mentionnant notamment une créance litigieuse de TAG Heuer d'un montant de 1.015.928 euros, a été placée en redressement judiciaire. La société MJ Synergie - mandataires judiciaires (la société MJ Synergie) a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Le 2 juin 2016, « TAG Heuer, succursale de LVMH Swiss Manufacture, société anonyme de droit suisse, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Neuchâtel (Suisse) » a déclaré sa créance et demandé son admission à titre chirographaire. Cette déclaration de créance a été réduite en son montant, et ainsi portée à la somme de 2.402.714,91 euros, par une déclaration modificative du 9 septembre 2016.
Le 15 novembre 2016, la procédure collective de la société Logo a été convertie en liquidation judiciaire. La société MJ synergie, désignée en qualité de liquidateur judiciaire, a informé la société TAG Heuer de la contestation de sa créance.
Le juge-commissaire ayant été saisi de cette contestation, la société LVMH est intervenue volontairement à l'instance le 15 mai 2017 et lui a demandé d' « admettre la créance déclarée par LVMH Swiss Manufactures pour un montant total de 2.402.714,91 euros à titre chirographaire ».
Par ordonnance du 30 novembre 2018, le juge-commissaire :
' a pris acte de ce que le liquidateur judiciaire ès-qualités s'en remet à justice,
' s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullité soulevées,
' a déclaré nulles les déclarations de créances des 2 juin et 22 décembre 2016, y compris la déclaration rectificative du 9 septembre 2016,
' a rejeté la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros au titre de ces déclarations de créance,
' a pris acte de l'intervention volontaire de LVMH,
' a admis au passif de Logo la créance de 1.015.928,19' à titre chirographaire de LVMH,
' a déclaré irrecevable la demande d'admission au titre de la créance d'indemnité de résiliation,
' a dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
' a ordonné la notification de l'ordonnance, sa mention sur la liste des créances et son dépôt au greffe,
' et a tiré les dépens en frais de procédure.
La société LVMH Swiss manufactures et sa succursale TAG Heuer, ainsi que la société Logo ont interjeté appel.
Par arrêt du 27 mai 2021, la cour d'appel de Lyon a :
- confirmé l'ordonnance déférée du 30 novembre 2018 en ce que le juge commissaire :
' a pris acte de l'intervention volontaire de la société LVMH Swiss Manufactures SA,
' a pris acte de ce que la SELARL MJ Synergie représentée par Me [N] [C] en qualité de mandataire judiciaire et de liquidateur judiciaire de la société Logo s'en remet à justice,
' s'est déclaré compétent pour statuer sur les exceptions de nullité soulevées relativement à la créance déclarée à hauteur de 2.402.714,91 euros,
' a déclaré nulles les déclarations de créances des 2 juin et 9 septembre 2016 (sauf sur sa mention de la déclaration de créance du « 22 décembre 2016 ») de la société LVMH Swiss Manufactures SA,
' a en conséquence rejeté la demande d'admission de la créance de 2.402.714,91 euros,
- infirmé sur le surplus, statuant à nouveau et ajoutant,
- rejeté la demande d'infirmation des sociétés LVMH Swiss Manufactures SA et TAG Heuer à propos de la créance de 1.362.441,89 euros et dit que cette créance est étrangère à la cause,
- rappelé qu'est également étrangère à la cause la déclaration de créance à hauteur de 428.936 euros concernant des royautés sollicitées par TAG Heuer au titre de la période d'observation,
- rejeté la demande formée par la société LVMH Swiss Manufactures SA en admission d'une créance de 1.015.928,19 euros dite déclarée par Logo,
- rejeté l'incident de communication de pièces soulevé par la société LVMH Swiss Manufactures SA et TAG Heuer,
- rejeté la demande de mise hors de cause formée par M. [P],
- rejeté les demandes de M. [P] en dommages-intérêts et en prononcé d'une amende civile,
- condamné la société LVMH Swiss Manufactures SA à verser à la société Logo une indemnité de procédure de 5.000 euros,
- rejeté les demandes d'indemnités de procédure formées par LVMH Swiss Manufactures SA et M. [P],
- condamné LVMH Swiss Manufactures SA aux entiers dépens.
La sociétés LVMH Swiss manufactures et sa succursale Tag Heuer ont formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 19 avril 2023 (pourvoi n° 21-20.183), la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Lyon, et renvoyé l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.
La Cour de cassation a dit qu'il appartenait au juge, d'une part, de se référer au droit suisse, droit du contrat, pour identifier le titulaire de la créance, d'autre part, de prendre en considération la ratification des déclarations de créances qui avait été expressément effectuée par la société LVMH dès sa comparution devant le juge-commissaire puis dans ses conclusions d'appel.
Par déclaration de saisine du 15 mai 2023, la société LVMH et sa succursale Tag Heuer ont saisi la cour d'appel de renvoi.
Par ordonnance du 10 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures n° RG 23/04276 et 23/04120 sous le numéro 23/04120.
Enfin, par arrêt mixte du 19 septembre 2024, la présente cour a :
- dit sans objet la demande de jonction des procédures ;
- confirmé l'ordonnance du juge-commissaire en date du 30 novembre 2018, sauf en ce qu'elle :
déclare nulle les déclarations de créances des 2 juin et 22 décembre 2016, y compris la déclaration rectificative du 9 septembre 2016,
rejette la demande d'admission pour un montant de 2.402.714,91 euros au titre de ces déclarations de créance,
admet au passif de la société Logo la créance de 1.015.928,19 euros à titre chirographaire de la société LVMH Swiss Manufactures SA,
déclare irrecevable la demande d'admission au titre de la créance d'indemnité de résiliation ;
statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,
- dit que la créance de 428.936 euros mentionnée dans la lettre du 22 décembre 2016, ainsi que la créance de 1.362.441,89 euros au titre de l'indemnité de rupture déclarée le 23 mai 2017, sont étrangères à la cause ;
- déclaré régulières et recevables la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016 ;
- constaté que la contestation, qui porte sur les sommes dues au titre des redevances facturées en application du contrat de licence, ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire et de la cour d'appel statuant sur recours ;
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
- invité la société Logo à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, à peine de forclusion ;
- renvoyé à l'audience du 21 novembre 2024 pour examen de la saisine de la juridiction compétente par la société Logo dans le délai imparti ;
- déclaré recevable l'action de la société LVMH Swiss Manufactures SA et sa succursale Tag Heuer contre M. [P], dirigeant de la société Logo ;
- rejeté l'ensemble des demandes de M. [P] ;
- réservé les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a ainsi été appelée à l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle il a été constaté qu'il n'était pas justifié de la saisine du tribunal arbitral, juridiction compétente pour statuer sur la fixation de la créance de la société suisse LVMH à l'égard de la société Logo.
Par arrêt du 28 novembre 2024, la cour a donc renvoyé l'affaire à la mise en état en invitant les parties à conclure sur la forclusion de la contestation de créance au fond et ses conséquences.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 février 2025, La société LVMH Swiss Manufactures et sa succursale TAG Heuer demandent à la cour, au visa des articles 699 et 700 du code de procédure civile et L. 622-6, L. 622-17, L. 622-24, L. 624-2, L. 641-11-1, L. 641-13 et R. 624-5 du code de commerce, de :
- In limine litis, débouter la société Logo de sa demande de sursis à statuer,
- juger que l'arrêt du 19 septembre 2024 de la cour d'appel de Lyon n'a pas dessaisi la cour d'appel de son pouvoir de statuer sur les conséquences de la forclusion tirée de l'article R. 624-5 du code de commerce et sur l'admission de la créance de LVMH Swiss Manufactures SA,
Et en conséquence,
- juger que la société Logo est forclose à saisir la juridiction arbitrale, aux fins de statuer sur la contestation des créances de LVMH Swiss Manufactures SA,
- juger en conséquence forclose la contestation de créances de la société Logo,
- admettre la créance de LVMH Swiss Manufactures au passif de Logo à titre chirographaire pour un montant de 2.402.714,91 euros,
- condamner M. [P] au paiement d'une somme de 20.000 euros au profit de LVMH Swiss Manufactures SA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [P] au paiement des entiers dépens,
- juger que les dépens pourront être directement recouvrés par la SELARL Laffly et Associés - Lexavoué Lyon, représentée par Me Romain Laffly, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 27 janvier 2025, la SAS Logo demande à la cour, au visa des articles 1er, 378, 379, 480 et 481 du code de procédure civile et L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, de :
- surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de cassation dans le cadre du pourvoi n°J2421448 formé par la société Logo à l'encontre de l'arrêt rendu le 19 septembre 2024 (RG n°23/04120),
- juger que la cour d'appel de Lyon n'a pas le pouvoir :
' de renvoyer l'affaire (n°23/04120) à la mise en état,
' d'inviter les parties à conclure sur la forclusion de la contestation de créance et ses conséquences,
' de statuer sur les conséquences d'une éventuelle forclusion tirée de l'article R. 624-5 du code de commerce, et ;
' de statuer sur l'admission ou le rejet de la créance de la société LVMH Swiss Manufactures SA du fait de l'épuisement de sa saisine,
En conséquence,
- rejeter les demandes de la société LVMH Swiss Manufactures SA et de sa succursale TAG Heuer tendant à :
' juger que la société Logo est forclose à saisir la juridiction arbitrale, aux fins de statuer sur la contestation des créances de LVMH Swiss Manufactures SA,
' juger en conséquence forclose la contestation de créances de la société Logo,
' admettre la créance de LVMH Swiss Manufactures SA au passif de Logo à titre chirographaire pour un montant de 2.402.714,91 euros,
En tout état de cause,
- débouter la société LVMH Swiss Manufactures SA et sa succursale TAG Heuer de toutes demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,
- condamner la société LVMH Swiss Manufactures SA à payer à la société Logo la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société LVMH Swiss Manufactures SA aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 27 janvier 2025, la SELARL MJ Synergie demande à la cour, de :
- juger que la SELARL MJ Synergie - Mandataires judiciaires déclare ne pas s'opposer à l'admission de la créance déclarée par la société TAG Heuer,
- juger que la SELARL MJ Synergie - Mandataires judiciaires déclare ne pas s'opposer à la position soutenue par la société Logo dans l'exercice de ses droits propres,
- juger que la SELARL MJ Synergie - Mandataires judiciaires entend demeurer totalement neutre dans le cadre de cette instance.
M. [P] n'a plus conclu depuis ses conclusions n° 4 du 13 mars 2020 avant cassation, et l'arrêt du 19 septembre 2024 a statué sur ses demandes.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 mars 2025, les débats étant fixés au 20 mars 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation
La société Logo fait valoir qu'elle a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 19 septembre 2024 qui a, notamment, jugé valables et recevables les déclarations de créances faites par la succursale TAG Heuer, et que la poursuite de la présente instance aboutirait à un arrêt qui pourrait entrer en contradiction avec l'arrêt à intervenir de la Cour de cassation.
La société LVMH et sa succursale TAG Heuer répliquent que :
- la demande de sursis à statuer est abusive et dilatoire,
- le fait de retarder encore l'issue du litige constituerait une atteinte excessive au droit pour les parties de voir leur cause entendue par le juge dans un délai raisonnable, en contradiction avec le principe d'un procès équitable,
- la société Logo tente d'échapper à la forclusion qu'elle encourt en l'absence de saisine du tribunal arbitral dans le délai imparti,
- cette demande de sursis à statuer se heurte au principe de l'absence d'effet suspensif d'exécution du pourvoi en cassation, de sorte que l'instance doit se poursuivre.
Sur ce,
Selon l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Et il résulte de l'article L. 111-11 du code de procédures civiles d'exécution, que le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée.
En l'espèce, la société Logo a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 19 septembre 2024 de la présente cour, lequel, se conformant à la doctrine de l'arrêt de cassation du 19 avril 2023, a notamment déclaré régulières et recevables la déclaration de créance du 2 juin 2016 et la déclaration rectificative du 9 septembre 2016. Cet arrêt du 19 septembre 2024 a également invité la société Logo à saisir la juridiction compétente pour statuer sur la contestation de créance et renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 21 novembre 2024 afin de vérifier la saisine du tribunal arbitral par la société Logo dans le délai d'un mois imparti.
Au vu de ces éléments, le pourvoi n'étant pas suspensif en la matière, il n'apparaît pas de bonne administration de la justice d'attendre l'issue de celui-ci. La demande de sursis à statuer sera donc rejetée.
Sur le dessaisissement de la cour d'appel
La société Logo fait valoir que :
- dans son arrêt du 19 septembre 2024, la cour d'appel n'a pas sursis à statuer pour rester saisie de l'instance ; cet arrêt, qui n'est pas un arrêt avant dire droit, a donc mis fin à l'instance ;
- la cour d'appel étant ainsi dessaisie du litige par épuisement de sa saisine, elle ne pouvait pas renvoyer les parties à la mise en état, les inviter à conclure sur la forclusion de la contestation de créance et ses conséquences, statuer sur les conséquences d'une éventuelle forclusion, et enfin statuer sur l'admission ou le rejet de la créance contestée.
La société LVMH et sa succursale TAG Heuer répliquent que :
- dans son arrêt du 19 septembre 2024, la cour d'appel ne s'est pas déclarée incompétente mais s'est bornée à constater qu'elle était dépourvue du pouvoir juridictionnel de trancher la contestation, en renvoyant à une audience ultérieure ; ce faisant, la cour d'appel ne s'est nullement dessaisie de son pouvoir de statuer sur l'admission de la créance ;
- non seulement la cour ne s'est pas dessaisie, mais il relève de sa compétence exclusive de statuer sur l'admission de la créance ;
- le sursis à statuer n'est pas une condition de la compétence résiduelle et exclusive du juge-commissaire, et à sa suite de la cour d'appel, de statuer sur l'admission ou le rejet de la créance objet de la contestation ; il est donc indifférent que, dans l'arrêt du 19 septembre 2024, la cour d'appel n'ait pas sursis à statuer ; en renvoyant à une audience ultérieure, la cour d'appel a fait une stricte application de l'article R. 624-5 du code de commerce.
Sur ce,
Selon l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, applicable au litige, 'en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission'.
Et selon l'article R.624-5, alinéa 1er, du même code, 'Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.'
En l'espèce, par son arrêt du 19 septembre 2024, la présente cour a dit que la contestation ne relevait pas du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire et de la cour d'appel statuant sur recours. Puis elle a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, a invité la société Logo à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois, et a renvoyé l'affaire à l'audience du 21 novembre 2024 pour examen de la saisine de la juridiction compétente dans le délai imparti.
Ce faisant, la cour ne s'est pas déclarée incompétente mais a constaté l'existence d'une contestation sérieuse excédant son pouvoir juridictionnel et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure afin de vérifier la saisine de la juridiction compétente, de sorte qu'elle n'a pas vidé sa saisine qui porte sur l'admission ou le rejet de la créance.
De plus, l'article R. 624-5 précité ne fait pas obligation au juge de surseoir à statuer lorsqu'il invite l'une des parties à saisir la juridiction compétente pour statuer sur la contestation.
Si la jurisprudence ancienne exigeait que le juge-commissaire qui renvoyait les parties à saisir la juridiction compétente sursoie à statuer dans l'attente de la saisine ou de la décision de cette juridiction, la Cour de cassation a mis fin à cette exigence dans ses arrêts les plus récents.
En effet, il a d'abord été jugé que le défaut de prononcé du sursis à statuer sur l'admission des créances n'a pas pour effet de conférer au tribunal jugeant au fond le pouvoir de statuer sur la régularité de la déclaration de créance ni sur la demande d'admission, le juge-commissaire ayant une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées (Com., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-26.501, 17-15.883, publié).
Puis il a été précisé que le juge-commissaire qui, en application de ce texte, constate l'existence d'une contestation sérieuse, renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite l'une d'elles à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l'admettant ou en la rejetant (Com., 11 mars 2020, pourvoi n° 18-23.586, publié).
Dès lors que le juge-commissaire 'reste compétent', il n'est pas dessaisi et le sursis à statuer est ainsi implicite. Le juge-commissaire doit encore statuer sur l'admission ou le rejet de la créance, ce qui relève de sa compétence exclusive.
C'est ce qu'a jugé plus expressément la Cour de cassation dans son arrêt du 19 mai 2021, rendu au visa des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, le premier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 et le second dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 30 juin 2014. La Cour de cassation énonce qu'il résulte de ces textes que le juge-commissaire qui s'estime incompétent pour trancher une contestation reste compétent, une fois la contestation tranchée par le juge compétent ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l'admettant ou en la rejetant. En cas de forclusion, l'admission ou le rejet de la créance déclarée dépend du point de savoir quelle partie avait intérêt à saisir le juge compétent, seule cette partie devant, dans le cadre de la procédure de vérification et d'admission des créances, supporter les conséquences de l'absence de saisine de ce juge (Com., 19 mai 2021, pourvoi n° 19-25.053).
Cette solution a encore été récemment affirmée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 2024 aux termes duquel celle-ci rappelle, au visa de l'article R. 624-5 du code de commerce, que le juge-commissaire qui, en application de ce texte, se déclare incompétent, renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite l'une d'elles à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l'admettant ou en la rejetant (Com., 11 décembre 2024, pourvoi n° 23-16.532, publié).
En conséquence, la présente cour n'avait pas l'obligation de prononcer un sursis à statuer dans son arrêt du 19 septembre 2024 et n'est aucunement dessaisie du litige, comme le soutient à tort la société Logo.
La cour d'appel n'étant pas dessaisie, elle est tenue de vérifier la saisine de la juridiction arbitrale par la partie désignée, de statuer sur l'éventuelle forclusion de la contestation de créance, et enfin de statuer sur l'admission ou le rejet de la créance.
Sur la forclusion et l'admission des créances
La société LVMH et sa succursale TAG Heuer font valoir que :
- la société Logo, auteur de la contestation de créances au fond, n'a pas saisi le tribunal arbitral, de sorte qu'elle se trouve privée de la faculté de contester la créance de la société LVMH ;
- la forclusion de la contestation de créances ne peut que conduire à l'admission de la créance de 2.402.714,91 euros déclarée par la société LVMH au passif de la société Logo, par déclaration de créances du 2 juin 2016 et déclaration rectificative du 9 septembre 2016, jugées recevables aux termes de l'arrêt du 19 septembre 2024.
La société Logo ne forme aucun moyen au titre de la forclusion et de l'admission des créances.
Sur ce,
L'article R.624-5, alinéa 1er, du code de commerce, énonce que 'Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.'
En l'espèce, l'arrêt du 19 septembre 2024 ayant invité la société Logo à saisir la juridiction compétente pour statuer sur sa contestation de créance a été notifié aux parties le même jour et la société LVMH justifie l'avoir également signifié aux autres parties par actes de commissaire de justice des 17 et 28 octobre 2024.
La société Logo ne soutient pas, et a fortiori ne justifie pas, avoir saisi la juridiction compétente pour statuer sur sa contestation de créance, dans le délai d'un mois suivant la notification, qui lui était imparti.
En conséquence, il convient de constater la forclusion de la contestation de la créance de la société LVMH.
La créance a été déclarée à titre chirographaire le 2 juin 2016, pour la somme totale de 2.480.949,78 euros, au titre de redevances de licence et de factures. Ce montant a été ramené à la somme de 2.402.714,91 euros, par déclaration modificative et rectificative du 9 septembre 2016 (pièce 5 de LVMH).
Dès lors, il convient d'admettre au passif de la liquidation de la société Logo, la créance de la société LVMH pour la somme de 2.402.714,91 euros, à titre chirographaire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Logo, qui succombe à l'instance, sera déboutée de sa demande formée à ce titre. Quant à la société LVMH, qui forme sa demande contre M. [P], il convient en équité de rejeter cette demande.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par la société Logo ;
Constate la forclusion de la contestation de créance, en l'absence de saisine de la juridiction compétente dans le délai imparti ;
Admet au passif de la liquidation judiciaire de la société Logo, la créance de la société LVMH Swiss Manufactures SA, pour la somme de 2.402.714,91 euros, à titre chirographaire ;
Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.