CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2025, n° 22/15376
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dcma (SA)
Défendeur :
Laserjet SRL (Sté), Energreen SRL (Sté), Energreen France (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Leguevaques, Me Sintes, Me Havet, Weil et Associés
FAITS ET PROCÉDURE
La SA DCMA Distribution a pour activité principale l'importation, la distribution et l'entretien de matériels agricoles et d'accessoires en gros et au détail.
Le groupe Energreen est constitué :
- des sociétés de droit italien Laserjet et Energreen Italie qui sont spécialisées dans la fabrication de matériels agricoles et de voirie ;
- de la SARL Energreen France qui, créée le 10 novembre 2014, commercialise en France des machines agricoles (ci-après, ensemble, " les sociétés du groupe Energreen ").
En novembre 2003, la SA DCMA Distribution s'est rapprochée du groupe Energreen qui lui a d'abord prêté des machines à des fins de démonstration sur le marché français puis lui a confié :
- à compter de 2007, la distribution en France de ses machines hydrostatiques automotrices (ci-après, "les IFL") ;
- dès le 14 octobre 2011, la commercialisation sur tout le territoire français de ses machines radiocommandées (ou " Robogreen "). Cet accord était résilié par la société Energreen Italie par courrier du 8 juin 2012 prenant effet le 1er janvier 2013, les autres produits n'étant pas concernés. La SA DCMA Distribution étant néanmoins autorisée par courrier du 31 juillet 2014 à vendre des produits de cette gamme du 1er août 2014 au 31 décembre 2014 dans le quart sud-ouest de la France. Puis, par acte du 31 octobre 2014, la SA DCMA Distribution a été autorisée par la société Energreen Italie à distribuer les machines radiocommandées dans cette zone à compter du 2 janvier 2015 jusqu'à la date de création de la SARL Energreen France.
De 2008 à 2016, la SA DCMA Distribution a obtenu les homologations permettant la distribution en France des matériels fournis par le groupe Energreen. Dans le cadre de leurs relations, les partenaires ont envisagé de s'associer dans une société française. Les négociations ayant échoué, le groupe Energreen a créé seul la SARL Energreen France.
Par courrier du 31 janvier 2014, la société Energreen Italie, qui motivait sa décision par sa volonté de modifier les modalités de distribution de ses produits en France, a rompu les relations commerciales en accordant à la SA DCMA Distribution un préavis expirant le 31 mars 2015 mais qu'elle acceptait de prolonger jusqu'au 31 décembre 2015 par courrier du 11 septembre 2015.
Par courrier du 25 mai 2017, la SARL Energreen France a notifié à la SA DCMA Distribution la rupture définitive de leurs accords avec un préavis de sept mois expirant le 31 décembre 2017. Les relations se poursuivaient cependant jusqu'au 31 décembre 2018, la première continuant à approvisionner la seconde en pièces détachées nécessaires à l'entretien et à la réparation des machines antérieurement vendues.
C'est dans ces circonstances que la SA DCMA Distribution a, par acte d'huissier signifié les 22 et 27 novembre 2019, assigné les sociétés du groupe Energreen devant le tribunal de commerce de Toulouse en réparation des préjudices causés, à titre principal, par la cessation de la société créée de fait entre avec la société Energreen et, à titre subsidiaire, par la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que par les inexécutions contractuelles imputables aux sociétés Energreen Italie et Energreen France. Les délais augmentés imposés par l'article 643 du code de procédure civile n'ayant pas été respectés, la SA DCMA Distribution a, après avoir itéré la même irrégularité en délivrant un deuxième acte introductif d'instance le 30 janvier 2020, signifié une troisième assignation le 7 avril 2020.
Par jugement du 16 novembre 2020, le tribunal de commerce de Toulouse a déclaré les demandes de la SA DCMA Distribution irrecevables pour défaut de pouvoir juridictionnel. Aussi, par acte d'huissier signifié le 8 février 2021, cette dernière a saisi des mêmes demandes le tribunal de commerce de Bordeaux qui, par jugement du 11 avril 2022, a rejeté l'intégralité de ses prétentions et l'a condamnée à payer aux sociétés du groupe Energreen la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 31 mai 2022, la SA DCMA Distribution a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Bordeaux. Puis, alors qu'elle s'était désistée de cette instance par conclusions notifiées par la voie électronique le 23 août 2022, le dessaisissement de la cour étant constaté par ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 septembre 2022, elle a interjeté un nouvel appel devant la cour d'appel de Paris par déclaration reçue au greffe le 24 août 2022.
Par ordonnance du 7 mars 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'appel opposée par les sociétés du groupe Energreen.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 27 janvier 2025 par la voie électronique, la SA DCMA Distribution demande à la Cour, au visa des articles L 442-6 I 5° du code de commerce, 1147, 1149 et 1150 anciens du code civil et 1240, 1832, 1871-1 et 1844-1 du code civil, de :
- sur la prescription, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il ne dit pas l'action relative à la rupture brutale ou à la société créée de fait prescrite ;
-à titre principal, sur la rupture brutale des relations commerciales :
o réformer le jugement en ce qu'il déboute la SA DCMA Distribution de sa demande d'indemnisation en ne reconnaissant pas la brutalité de la rupture, et statuant à nouveau, reconnaitre la rupture intervenue le 29 mai 2017 comme brutale sans préavis effectif et suffisant, préavis qui ne pouvait être inférieur à 12 mois et ouvrant droit à indemnisation;
o condamner in solidum les sociétés du groupe Energreen au paiement de la somme de 817 587 euros et à défaut de 663.228,90 euros au titre l'indemnisation de la rupture brutal des relations commerciales établies ;
- à titre subsidiaire, sur la société créée de fait :
o réformer le jugement en ce qu'il déboute la SA DCMA Distribution de sa demande d'indemnisation en ne reconnaissant pas la perte fautive de la société créée de fait, et statuant à nouveau, reconnaitre la faute ouvrant droit à indemnisation ;
o condamner in solidum les sociétés du groupe Energreen au paiement de la somme de 1 837 781 euros au titre de la perte de valeur patrimoniale de la société créée de fait entre elles et la SA DCMA Distribution ;
- en tout état de cause, réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SA DCMA Distribution au paiement de la somme de 1.500 euros aux sociétés du groupe Energreen et statuant à nouveau, condamner in solidum les sociétés du groupe Energreen solidairement au paiement de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'instance.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 février 2025, les sociétés du groupe Energreen demandent à la Cour, au visa des articles L 110-4, L 442-6 (ancien) et L 442-1 du code de commerce, 9, 643 et 700 du code de procédure civile et 1353, 2224, 2241 et 2243 du code civil :
- sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies entre les sociétés Laserjet et Energreen Italie d'une part et la SA DCMA Distribution d'autre part :
o à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et juge' la demande de la SA DCMA Distribution relative à la rupture brutale des relations commerciales dirigée contre les sociétés Laserjet et Energreen Italie recevable et, statuant à nouveau, juger que l'action en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales dirigée contre les sociétés Laserjet et Energreen Italie est prescrite ;
o en conséquence, rejeter sans examen au fond, l'intégralité des demandes de la SA DCMA Distribution de ce chef ;
- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à considérer la demande relative à la rupture brutale des relations commerciales dirigée contre les sociétés Laserjet et Energreen Italie recevable, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la rupture de la relation commerciale n'était pas brutale et débouté la SA DCMA Distribution de l'ensemble de ses demandes de ce chef ;
- sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies entre la SARL Energreen France et la SA DCMA Distribution, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la rupture des relations commerciales n'était pas brutale et a débouté la SA DCMA Distribution de ses demandes à ce titre ;
- sur la prétendue société créée de fait :
o à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et juge' la demande de la SA DCMA Distribution relative à la reconnaissance de l'existence d'une société créée de fait recevable, et, statuant à nouveau, de dire et juger que l'action en reconnaissance de l'existence d'une société créée de fait est prescrite et, en conséquence, de rejeter sans examen au fond, l'intégralité des demandes, de la SA DCMA Distribution de ce chef ;
o à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à considérer la demande en reconnaissance de l'existence d'une société créée de fait recevable, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il n'existait pas de société créée de fait entre la société Energreen Italie et la SA DCMA Distribution et a débouté cette dernière de ses demandes à ce titre ;
- en tout état de cause :
o débouter la SA DCMA Distribution de toutes ses demandes ;
o condamner la SA DCMA Distribution à verser 5 000 euros à chacune des du groupe Energreen sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamner la SA DCMA Distribution aux entiers dépens de premier instance et d'appel.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la Cour rappelle que :
- la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;
- en application de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel, qui doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation, comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinant les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Ainsi, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
Aussi, si l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et détermine ainsi le périmètre de l'effet dévolutif de l'appel (en ce sens, 2ème Civ., 30 janvier 2020, n° 18-22.528), seules les dernières conclusions fixent l'objet du litige au sens de l'article 4 du code de procédure civile (en ce sens, 2ème Civ., 26 mai 2011, n° 10-18.304, et 1ère Civ., 14 décembre 2004, n° 02-14.937). Dès lors, chaque partie est libre de limiter sa critique à certains des chefs visés dans son appel principal ou incident et la Cour est alors tenue de confirmer ceux qui sont abandonnés mais dont elle demeure saisie par le jeu de l'effet dévolutif.
Or, la SA DCMA Distribution ne forme dans le dispositif de ses dernières écritures aucune demande au titre des inexécutions contractuelles qu'elle opposait devant le tribunal de commerce, ses demandes indemnitaires étant désormais exclusivement fondées sur la dissolution d'une société créée de fait et sur l'article L 442-6 I 5° du code de commerce. Ces prétentions sont ainsi définitivement abandonnées et le jugement ne peut qu'être confirmé en ses dispositions les rejetant.
1°) Sur la prescription des demandes de la SA DCMA Distribution
Moyens des parties
Au soutien de leur fin de non-recevoir, les sociétés du groupe Energreen exposent, au visa de l'article 2224 du code civil, que les demandes de la SA DCMA Distribution au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sont prescrites à l'égard des sociétés Laserjet et Energreen Italie qui ont respectivement cessé tout échange avec elle les 8 juin 2012 et 31 janvier 2014. Elles opposent la même fin de non-recevoir aux demandes relatives à la société créée de fait au motif que cette dernière, dont elles contestent la constitution, a nécessairement été dissoute le 10 novembre 2014, date d'immatriculation de la SARL Energreen France. Elles soutiennent que les assignations des 27 novembre 2019 et 30 janvier 2020, non enrôlées et de ce fait caduques, n'ont pu interrompre la prescription et que l'effet interruptif attaché à celle du 7 avril 2020 est non-avenu à raison de l'irrecevabilité des prétentions de la SA DCMA Distribution prononcée par jugement du 11 novembre 2020. Elles en déduisent que le seul acte interruptif de prescription est l'assignation du 8 février 2021.
En réponse, la SA DCMA Distribution expose au visa des articles 2224 du code civil et L 110-4 du code de commerce que ses demandes ne sont pas prescrites au motif que :
- la dissociation opérée entre les personnes morales par les sociétés du groupe Energreen ne reflète pas la continuité et l'indistinction du flux d'affaires, qui justifie la solidarité des condamnations sollicitées, et que ni le courrier du 8 juin 2012, qui n'est ni daté ni signé et qui ne vise pas la société Laserjet, ni celui du 31 janvier 2014, qui n'a été suivi d'aucune rupture, ne peuvent faire courir un délai de prescription, celle-ci n'ayant pu débuter que le 29 mai 2017, date de la cessation effective des relations ;
- la prescription a, conformément aux articles 2241 et 2242 du code civil, été interrompue par l'assignation délivrée le 7 avril 2020 devant le tribunal de commerce de Toulouse, malgré son incompétence, à compter de sa transmission par l'huissier de justice au sens de l'article 647-1 du code de procédure civile applicable en vertu de l'article 9 du règlement CE 1393/2007 du 13 novembre 2007 ;
- l'assignation du 7 avril 2020 a été signifiée pendant la période d'urgence sanitaire en application des dispositions des ordonnances n° 2020-306 du 25 mars 2020 et n° 2020-560 du 13 mai 2020.
Réponse de la Cour
En application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
En vertu de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Et, conformément aux articles 2241 à 2243 du code civil, la demande en justice, même en référé et même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion jusqu'à l'extinction de l'instance. L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.
En fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance, effective ou présumée au regard des circonstances de fait et de droit, des faits permettant l'exercice du droit, l'article 2224 du code civil le rattache au jour de la connaissance, déterminée concrètement, des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire. Le point de départ du délai de prescription varie ainsi selon l'objet et la nature des demandes auxquelles il s'applique.
S'agissant d'une action en responsabilité civile le point de départ de l'action est la date à laquelle, la faute étant identifiée, le dommage en lien causal avec celle-ci s'est manifesté (en ce sens, précisant une jurisprudence ancienne : Ch. Mixte, 19 juillet 2024, n° 22-18.729 : "le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur"). Le dommage doit alors être certain en son principe mais le préjudice en résultant n'a pas à être chiffrable et identifié en toute ses composantes pour que coure le délai de prescription (en ce sens, Com. 9 mai 2007, n° 06-10.185).
L'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales, qui est une action en responsabilité délictuelle en droit interne, a vocation à sanctionner non la rupture elle-même mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évaluant à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures. Aussi, le fait générateur de responsabilité est soit la notification d'un préavis insuffisant, si elle existe, soit la matérialisation concrète de la rupture dans la modification substantielle ou le tarissement du flux d'affaires, l'insuffisance du préavis et le préjudice qui en découle étant connus dès cet instant. Les éléments permettant à la victime d'agir étant alors réunis, c'est à cette date que commence à courir le délai de prescription quinquennale (en ce sens, Com., 8 juillet 2020, n° 18-24.441).
La SA DCMA Distribution fonde exclusivement son action sur la rupture des relations globalement nouées avec les sociétés du groupe Energreen notifiée par courrier du 25 mai 2017, sans égard pour les résiliations intervenues les 8 juin 2012 et 31 janvier 2014. Aussi, il importe peu, au stade de la recevabilité de l'action et de l'appréciation de sa prescription, que les relations se soient structurées autour d'un partenariat unique impliquant indistinctement les sociétés du groupe Energreen ou au contraire de collaborations indépendantes qui se seraient succédé dans le temps, ces éléments relevant de l'examen au fond des conditions du succès de la prétention de la SA DCMA Distribution tenant au caractère établi, et actuel au jour de la notification de la rupture, des relations commerciales et de l'imputabilité matérielle et juridique de la cessation du partenariat.
Aussi, même en ne retenant comme acte interruptif que la dernière assignation du 8 février 2021, la prescription n'était pas acquise. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
La seconde demande de la SA DCMA Distribution porte sur la réparation du préjudice causé par la dissolution fautive d'une société créée de fait. Le point de départ du délai de prescription est ainsi la date de cette dissolution, les éléments permettant à la victime d'agir étant tous connus dès cet instant.
La SA DCMA Distribution, quoique ses écritures soient sur ce point peu claires, fonde son action indemnitaire sur une rupture concomitante à celles des relations commerciales, soit en mai 2017. Et, l'impossibilité d'une société créée de fait entre les parties à compter du 10 novembre 2014 touche non à la recevabilité de l'action mais, se rapportant à l'existence même de cette dernière, aux conditions de succès de l'action au fond.
A nouveau, l'action, peu important sa date effective d'introduction, n'est pas prescrite et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par les sociétés du groupe Energreen à ce titre.
2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SA DCMA Distribution explique que les relations commerciales étaient continues depuis 14 ans, malgré les modifications intervenues, et significatives et stables depuis 10 ans à raison de la croissance constante du chiffre d'affaires qui représentait près de 70 % de son chiffre d'affaires total entre 2011 et 2016, données dont elle déduit son état de dépendance économique et le caractère établi des relations commerciales. Soulignant l'exclusivité dont elle a toujours bénéficié, l'importance des investissements qu'elle a réalisés pour permettre la pénétration du marché français par les produits des sociétés du groupe Energreen, l'absence d'impact du contrat du 30 octobre 2014 sur le flux d'affaires et l'impossibilité de trouver des produits de substitution aux ILF, elle estime qu'elle avait droit à un préavis de 12 à 14 mois et non de 7 mois. Elle ajoute que le préavis accordé n'a pas été respecté puisque la part du chiffre d'affaires généré par la relation dans son chiffre d'affaires total a chuté de plus de 30 %. Elle calcule son préjudice sur la base de sa marge brute appliquée à son chiffre d'affaires moyen des années 2014 à 2016 sur 10 mois (663 228,90 euros) ou sur celui des années 2015 et 2016 sur 12 mois (817 587 euros).
En réponse, les sociétés du groupe Energre en expliquent qu'elles sont des entités autonomes dotées d'une personnalité morale propre et qu'elles ont entretenu des relations distinctes qui se sont succédé dans le temps avec la SA DCMA Distribution. Elles ajoutent que, en l'absence de preuve d'une apparence trompeuse de confusion ou d'immixtion fautive des sociétés du groupe dans les relations entretenues par chacune d'elle, ni leur appartenance à un groupe ni l'existence d'intérêts économiques communs ne fondent leur condamnation solidaire.
Subsidiairement, elles exposent que les relations commerciales ont débuté avec la société Laserjet lors de la première vente d'ILF le 27 juin 2007 et se sont poursuivies avec la société Energreen Italie jusqu'au 31 décembre 2015, date de la rupture notifiée le 31 janvier 2014, puis, à compter de 2015, avec la SARL Energreen France. Elles déduisent de cette succession l'absence de caractère établi des relations entre les sociétés Laserjet et Energreen Italie et la SA DCMA Distribution qui ont été régulièrement modifiées, les références vendues et le territoire accordé ayant été progressivement réduits. Elles estiment par ailleurs suffisants les préavis de 6 mois et 24 mois respectivement octroyés par les sociétés Laserjet et Energreen Italie en raison de la durée des relations et de l'absence de difficulté de reconversion rencontrée par la SA DCMA Distribution qui a poursuivi les relations avec la SARL Energreen France. Elles contestent le calcul du quantum de l'indemnisation réclamée par cette dernière en soulignant l'inadéquation de la période de référence et l'impossibilité de globaliser sa marge perdue. Elles ajoutent que la relation entretenue avec la SARL Energreen France était précaire, les conditions de distribution ayant été modifiées et les références et le territoire réduits, et de courte durée (2 ans et 6 mois pour les machines Robogreen et 1 an et 6 mois pour les machines ILF), ce dont elles déduisent l'adéquation du préavis de 7 mois et 2 jours accordé. Opposant l'absence d'exclusivité accordée à la SA DCMA Distribution par la SARL Energreen France, elles contestent tout état de dépendance économique de la SA DCMA Distribution qui ne pouvait avoir de croyance légitime en la pérennité du partenariat depuis l'échec des négociations sur la constitution d'une filiale commune et la création de la SARL Energreen France. Elles précisent en outre que la SARL Energreen France a exécuté le préavis aux conditions antérieures et critiquent dans les mêmes termes que ceux développés pour les sociétés Laserjet et Energreen Italie le calcul de son indemnisation par la SA DCMA Distribution.
Réponse de la cour
En vertu de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale "et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Si les partenaires n'ont formalisé leurs accords que le 31 octobre 2014, leurs relations ont débuté antérieurement sans être encadrées par un contrat écrit. A cet égard, il ressort des factures et documents de transports produits que, nouées à l'issue d'un rapprochement initié en novembre 2003 et concrétisées par l'envoi de machines ILF de présentation dès juin 2004 (pièces 3 à 6 des intimées), elles ont effectivement commencé le 27 juin 2007, date du premier paiement d'une machine (pièces 6 et 7 des intimées, les factures antérieures, dont celle du 31 mars 2005 ne concernant que des pièces détachées ou des frais divers). Si cette dernière comporte en entête, à l'instar des documents de transports de 2004 à 2006, les dénominations Laserjet et Energreen, tant le numéro d'immatriculation mentionné que la rapide présentation de l'entité éditrice de la facture confirment qu'elle a été émise par la société Laserjet, l'usage du signe Energreen étant fait tant à titre de nom commercial que de référence à son groupe d'appartenance. Elle est l'unique auteure des facturations jusqu'au 27 juin 2007 (pièces 6 et 7 des intimées). Ainsi que le précisent expressément les attestations de la société Laserjet des 6 juin 2007 et 3 décembre 2008 destinées à permettre à la SA DCMA Distribution de déposer des demandes d'homologation pour la distribution en France de ses machines, cette dernière bénéficiait d'une exclusivité nationale pour les ILF (pièces 6 et 15 de l'appelante).
Parallèlement, la société Energreen Italie a confié à la SA DCMA Distribution la distribution des produits de sa gamme radiocommandée dès le 10 octobre 2011 (pièce 12 des intimées). Par courrier du 8 juin 2012, que la SA DCMA Distribution reconnaît avoir reçu dans sa lettre en réponse du 26 janvier 2013 (pièces 13 et 48 des intimées), la société Energreen Italie a mis un terme à cette relation à compter du 1er janvier 2013 en excluant expressément les autres produits et en précisant qu'elle continuerait à assurer la fourniture des pièces de rechange et de l'assistance technique pendant toute la période de garantie des machines vendues avant cette date. Cependant, la SA DCMA Distribution étant autorisée, par courrier du 31 juillet 2014 (pièce 14 des intimées) à vendre des produits de cette gamme du 1er août 2014 au 31 décembre 2014 dans le quart sud-ouest de la France à titre non-exclusif, la société Energreen Italie lui annonçant que, à compter du 1er janvier 2015, la relation commerciale se poursuivrait avec la SARL Energreen France avec qui un nouvel accord devait être conclu. Mais, par acte du 31 octobre 2014, la SA DCMA Distribution a été autorisée par la société Energreen Italie à distribuer les machines radiocommandées dans cette zone à compter du 2 janvier 2015 jusqu'à la date " d'ouverture " de la SARL Energreen France immatriculée le 10 novembre 2014, les parties s'engageant alors à formaliser un nouveau contrat avec cette structure (pièce 15 des intimées).
Les attestations du commissaire aux comptes externe (revisore legale) des sociétés du groupe Energreen (pièces 17, 19 et 20 des intimées) confirment que la société Laserjet a vendu des machines ILF à la SA DCMA Distribution de 2007 à 2012, la facturation en 2013 étant résiduelle (6 515 euros) et portant à l'évidence sur des pièces détachées, tandis que la société Energreen Italie lui a fourni des engins (ILF et gamme radiocommandée) de 2011 à 2015, la facturation de l'année 2016 pour un montant de 12 122 euros n'étant à son tour pas significative et correspondant également au prix de pièces détachées.
Si ces éléments de facturation permettent de différencier les relations entretenues par la SA DCMA Distribution d'une part avec la société Laserjet et d'autre part avec la société Energreen Italie, le courrier du 31 janvier 2014 (pièce 8 des intimées), par lequel la société Energreen Italie, désireuse de modifier les modalités de distribution de ses produits en France, a rompu les relations commerciales, portent indistinctement sur l'ensemble des produits, alors que les ventes d'ILF, qui ont également étaient assurées par la société Energreen Italie dès 2011 (pièce 19 des intimées), se sont poursuivies après la cessation des relations avec la société Laserjet en 2012. Ainsi, nettement distinguées pour la gamme radiocommandée, les relations étaient confondues concernant les ILF qui étaient facturées et fournies par la société Laserjet ou la société Energreen Italie en 2011 et 2012. En outre, en rompant l'intégralité des relations commerciales, la société Energreen Italie a clairement exprimé sa maîtrise en droit et en fait de ces dernières (au sens de Com., 22 juin 2022, n° 21-14.230) et son intention de reprendre à son compte le partenariat initialement noué avec la société Laserjet et poursuivi aux mêmes conditions. Aussi, si la société Laserjet a cessé toute relation effective avec la SA DCMA Distribution en 2012, constat qui exclut qu'elle puisse se voir imputer la rupture des relations commerciales de 2017, l'ancienneté du partenariat avec la société Energreen Italie remonte à l'année 2005.
Cependant, cette dernière a notifié le 31 janvier 2014 la cessation de ces relations avec un préavis expirant le 31 mars 2015 mais prorogé jusqu'au 31 décembre 2015 par courrier du 11 septembre 2015 (pièces 8 à 10 des intimées). Or, à compter du 1er janvier 2016, la SA DCMA Distribution ne prouve l'existence d'aucune vente, autre que celle constatée dans les factures du 28 juin 2016 qui porte sur des pièces détachées (pièce 12 de l'appelante), conclue avec la société Energreen Italie, ce que confirme l'attestation du commissaire aux comptes externe des sociétés du groupe Energreen (leurs pièces 17 et 19). La rupture annoncée était ainsi consommée à l'issue du préavis accordé.
Si l'année 2015 marque un chevauchement des relations entre la SA DCMA Distribution et la société Energreen Italie d'une part et la SARL Energreen France d'autre part, cette dernière est son unique fournisseur de machines à compter du 1er janvier 2016, ce que démontrent la facturation produite et l'avenant signé le 16 décembre 2016 (pièces 12 et 21 de l'appelante) ainsi que les attestations du commissaire aux comptes externe des sociétés du groupe Evergreen (leurs pièces 17 et 18).
Par ailleurs, les parties ont, dès la fin de l'année 2013, engagé des négociations portant sur la création d'une filiale commune française dédiée à la distribution des produits Energreen en France et destinée à se substituer, pour tous les produits, à la SA DCMA Distribution, des contreparties, qu'elle jugeait insuffisantes, étant d'ailleurs prévues pour compenser la perte du droit de les commercialiser (pièces 21 et 22 des intimées). Et, tandis que la lettre du 31 janvier 2014 motivait la rupture des relations entre la société Energreen Italie et la SA DCMA Distribution par la volonté de la première de changer son système de distribution (pièce 8 des intimées), le courrier du 31 juillet 2014 et l'accord du 31 octobre 2014 (pièces 14 et 15 des intimées) précisent explicitement que les relations cesseraient à compter de la création de la SARL Energreen France (ou de son " ouverture ", soit la date à laquelle elle deviendrait effectivement opérationnelle) et que la SA DCMA Distribution devrait conclure avec cette dernière un nouvel accord pour poursuivre les relations commerciales. Aussi, les négociations relatives à la constitution d'une filiale commune ayant échoué, la SA DCMA Distribution a connaissance depuis l'été 2014 de la volonté de son partenaire de lui substituer sa société française en 2015 ou 2016.
Ces éléments révèlent que les relations avec la société Energreen Italie ont été effectivement rompues le 31 décembre 2015 et que celles nouées avec la SARL Energreen France étaient non seulement distinctes, rien ne prouvant son intention de s'inscrire dans la continuité des relations précédentes, mais affectées d'une certaine précarité à raison de sa vocation, connue de la SA DCMA Distribution. La rupture notifiée le 31 janvier 2014 avec un préavis total de deux ans n'est pas en débat, l'appelante concentrant ses demandes sur la cessation portée à sa connaissance par courrier du 25 mai 2017.
Aussi, ni la société Laserjet, qui a cessé toute relation avec la SA DCMA Distribution en 2012, ni la société Energreen Italie, qui a définitivement rompu son partenariat le 31 décembre 2015, ne peuvent se voir imputer la rupture notifiée le 25 mai 2017 sous sa seule dénomination par la SARL Energreen France, qui a entretenu avec la SA DCMA Distribution des relations commerciales distinctes des précédentes à compter du 12 mars 2015. Au jour de la notification de leur rupture le 25 mai 2017, leur durée était de deux ans et six mois, évaluation retenue par la SARL Energreen France quoique la première facture date du 12 mars 2015 (pièce 18 des intimées).
Ces relations indépendantes des précédentes ont permis de générer un chiffre d'affaires de 2 369 692 euros en 2016 (pièce 4 de l'appelante). La SA DCMA Distribution ne prouve pas avoir bénéficié dans ce cadre de l'exclusivité que lui avait antérieurement consentie la société Laserjet.
Si les relations étaient vouées à cesser lors de la constitution de la SARL Energreen France, élément propre à les rendre intrinsèquement précaires, les retards accumulés avant qu'elle ne devienne véritablement opérationnelle et le non-respect des annonces faites par le groupe Energreen en 2014 pouvaient légitimement susciter, dans l'esprit de la SA DCMA Distribution à qui aucune date certaine de fin de la collaboration n'était communiquée avant le 25 mai 2017, une croyance légitime dans la possibilité d'une prolongation du partenariat. Aussi, au regard de leur durée, de leur stabilité et de leur caractère significatif, les relations nouées avec la SARL Energreen France étaient établies.
- Sur la détermination du préavis suffisant
L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Ainsi qu'il a été dit, la relation a duré deux ans et six mois au jour de la notification de sa rupture. La SA DCMA Distribution réalisait, grâce à elle, 61 % de son chiffre d'affaires en 2016, ce dont elle déduit son état de dépendance économique.
Celui-ci, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SA DCMA Distribution qui ne jouissait d'aucune exclusivité prouvée et ne démontre pas que les produits de la SARL Energreen France, ou des autres sociétés du groupe Energreen, n'étaient pas substituables en dépit de leur spécificité et de leur technicité (notamment au regard des produits Hymach et BM Tractors vendus par des concurrents : pièces 25 et 26 des intimées). Et, l'appelante démontre avoir réalisé des investissements pour assurer la distribution des engins de son partenaire entre 2007 et 2014 (dépenses d'homologation) mais pas durant la relation nouée avec la SARL Energreen France, la dernière homologation obtenue remontant au 18 janvier 2016. Aussi, l'absence de diversification de sa clientèle par la SA DCMA Distribution, quoique factuellement réelle, n'est pas la conséquence nécessaire des relations nouées avec cette dernière et n'est pas justifiable au regard de l'annonce ancienne de la volonté du groupe Energreen de rependre à son compte la distribution de ses produits. Sa dépendance économique ne justifie pas de ce fait un allongement de la durée du préavis.
Au regard de ces éléments, le préavis de sept mois accordé par la SARL Energreen France était suffisant, cette dernière ayant en outre exécuté ses obligations au titre des ventes de pièces détachées et de l'assistance technique en 2018 et 2019.
Sans pour autant former une demande distincte à ce titre, la SA DCMA Distribution invoque également le préjudice causé par l'ineffectivité du préavis accordé qu'elle déduit exclusivement de la part du chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de sa relation dans son chiffre d'affaires global, critère relatif impropre à la démonstration d'un non-respect du préavis qui ne peut découler que d'une diminution des ventes imputables à la SARL Energreen France et non causées par des contraintes extérieures insurmontables. Or, la SA DCMA Distribution ne prétend pas que la SARL Energreen France ait refusé une commande quelconque pendant l'exécution du préavis.
Aussi, ce moyen est infondé.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté la demande de la SA DCMA Distribution au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
3°) Sur la société créée de fait
Moyens des parties
Au visa de l'article 1832 du code civil, la SA DCMA Distribution expose subsidiairement qu'elle a créé de fait une société avec les sociétés du groupe Energreen en:
- apportant, outre sa notoriété et son image ainsi que son réseau de clients, son savoir-faire et sa connaissance du marché français et des exigences des clients ainsi qu'en supportant les frais des homologations du matériel entre 2008 et 2016 ;
- participant aux pertes si les engins modifiés n'étaient pas vendus et en engageant sa responsabilité devant l'Etat français dans le cadre de ses demandes d'homologation et en qualité de mandataire du groupe Energreen dans sa mission d'adaptation des produits aux normes françaises ;
- exprimant, comme la société Energreen Italie, sa volonté de s'associer pour la réalisation d'un projet commun (participation de concert à des salons, présentation des sociétés sur des documents commerciaux uniques, adaptation des produits et demandes d'homologation, négociation sur une contractualisation de la situation de fait).
Elle explique que la dissolution de cette société créée de fait lui cause un préjudice consistant en la disparition de sa valeur patrimoniale (1 837 781 euros).
En réponse, les sociétés du groupe Energreen exposent que les relations nouées avec la SA DCMA Distribution, qui ne précise pas avec quelle entité elle aurait créé de fait une société et qui était un contractant parmi d'autres, étaient des relations classiques entre un fournisseur et son distributeur qui ont été encadrées le 31 octobre 2014 par un accord de distribution exclusive. Elles ajoutent qu'une éventuelle société créée de fait n'aurait pas perduré au-delà de l'immatriculation de la SARL Energreen France le 10 novembre 2014, son objet social coïncidant largement avec celui de la SA DCMA Distribution. Elles contestent tout affectio societatis et la réalité des apports en industrie allégués par cette dernière ainsi qu'une volonté de participer aux résultats et aux pertes.
Réponse de la Cour
Conformément à l'article 1832 du code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes.
Non définie par l'article 1873 du code civil qui la soumet au régime des sociétés en participation, la société créée de fait est un groupement informel non doté de la personnalité juridique qui permet d'appréhender la situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées en fait comme des associés, sans avoir exprimé la volonté de former une société. Sa caractérisation suppose que soient remplies les conditions de fond propres au contrat de société que sont la réalisation d'apports (en nature, en industrie ou en numéraire), la participation aux bénéfices ou aux économies et la contribution aux pertes ainsi que l'affectio societatis, entendu comme la volonté tacite ou explicite mais certaine et non univoque de tous les associés de collaborer égalitairement à la réalisation de l''uvre commune, ces éléments devant être établis séparément sans pouvoir être déduits les uns des autres (en ce sens, Com., 23 juin 2004, n° 01-14.275). Et, conformément aux articles 9 du code de procédure civile et 1871 et 1873 du code civil, la charge de la preuve de l'existence d'une société créée de fait incombe à celui qui s'en prévaut, soit à la SA DCMA Distribution, et peut être administrée par tous moyens.
Enfin, en vertu des articles 1873 et 1872-2 du code civil, la société créée de fait étant par hypothèse à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les associés, pourvu que cette notification soit de bonne foi et non faite à contretemps.
Par-delà le flou entretenu par la SA DCMA Distribution sur l'identité des associés réunis dans la société créée de fait dont l'existence est alléguée ainsi que sur la date et les conditions de sa constitution, elle ne prouve aucun des éléments constitutifs du contrat de société ainsi que l'a justement jugé le tribunal de commerce.
En effet, l'ensemble des pièces produites, déjà examinées, révèle que les relations nouées entre la SA DCMA Distribution et les sociétés du groupe Energreen s'articulaient autour de classiques accords de distribution, la première revendant sur un territoire déterminé les produits fabriqués et fournis par les secondes. Dans ce cadre, la pénétration du marché français par les engins des sociétés du groupe Energreen n'est que l'objet et l'effet de la distribution et ne traduit pas, à l'instar de l'obtention des homologations qui étaient la condition nécessaire de leur commercialisation en France et dont le coût était également supporté par les sociétés du groupe Energreen (leur pièce 46), l'existence d'un apport en industrie ou en numéraire. Il en est de même de "la notoriété et de l'image" de la SA DCMA Distribution, dont la renommée n'est en réalité pas prouvée, et de son " réseau de clients en France", que rien n'étaye, ce constat valant pour "son savoir-faire depuis de nombreuses années", "sa connaissance du marché français" et "ses conseils concernant l'amélioration des produits", ces différents éléments incarnant quoi qu'il en soit les prérequis de toute distribution efficace.
En outre, pas plus que le paiement d'une prestation n'implique une participation à des bénéfices communs, l'éventuel échec commercial des produits distribués ne traduit une contribution aux pertes au sens du droit des sociétés : il est la concrétisation du risque inhérent à toute activité commerciale.
Enfin, si les parties ont un temps envisagé la création d'une filiale commune, l'immatriculation de la SARL Energreen France le 10 novembre 2014 signait inéluctablement l'échec de ce projet puisque son objet social était celui qu'aurait eu cette coentreprise. De ce fait, rien ne prouve l'existence d'un affectio societatis quelconque, qui ne découle ni de la participation de concert à des salons ni de la présentation des produits sous les signes distinctifs des parties qui répondent aux exigences usuelles de la distribution.
Surabondamment, la Cour constate que la SA DCMA Distribution, qui érige la dissolution en faute alors que celle d'une société créée de fait est par principe libre, ne démontre pas en quoi la notification qu'elle dénonce aurait été faite à contretemps ou de mauvaise foi au sens de l'article 1872-2 du code civil.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SA DCMA Distribution au titre de la dissolution d'une société créée de fait.
4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant, la SA DCMA Distribution, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés du groupe Energreen la somme de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SA DCMA Distribution au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SA DCMA Distribution à payer à la société Laserjet, à la société Energreen Italie et à la SARL Energreen France la somme de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA DCMA Distribution à supporter les entiers dépens d'appel.