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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 15 avril 2025, n° 22/01002

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

JPF Consulting (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Brocas, Me Francois, SELARL LX Grenoble-Chambery, SELARL Semir Gharbi

T. com. Annecy, du 20 avr. 2022

20 avril 2022

Faits et procédure

Un mandat a été signé le 15 octobre 2013, entre la société JPF Consulting, ayant pour activité le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, et M. [X] [S], représentant des sociétés [S] et [M], afin de rechercher un acquéreur pour ces deux sociétés, exerçant une activité de carrosserie industrielle, avec un prix de cession souhaité de 5 millions d'euros.

Ce mandat exclusif était conclu pour une durée d'un an, reconductible tacitement par périodes annuelles, sauf dénonciation moyennant un préavis de trois mois. Il prévoyait le paiement au mandataire d'une commission correspondant à 2% HT du montant de la transaction.

Faisant suite à un protocole de cession des titres de la société [S] à la société Palfinger France daté du 13 juin 2018, un acte du 28 septembre 2018 a réitéré l'acquisition de 100% du capital des sociétés [S] et de la SCI Alcar, société ayant pour objet social notamment la propriété et la location du bien immobilier où s'exerce l'activité de la société [S].

Après avoir vainement sollicité une rémunération suite à cette vente, la société JPF Consulting, se prévalant notamment de la violation de la clause d'exclusivité stipulée à son mandat, a, suivant exploit en date du 29 janvier 2020, fait assigner M. [S] et la société [S] devant le tribunal de commerce d'Annecy afin d'obtenir le paiement d'une somme équivalent à 2% du montant de la transaction.

Par jugement du 20 avril 2022, le tribunal de commerce d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- dit qu'il était compétent pour statuer sur le présent litige ;

- dit que le mandat litigieux était valide ;

- débouté la société JPF Consulting de toutes ses demandes ;

- condamné la société JPF Consulting à payer à M. [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société JPF Consulting à payer à la société [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [S] et la société [S] de toutes leurs plus amples demandes.

Au visa principalement des motifs suivants :

le cession d'actions d'une société détenues par un actionnaire majoritaire ayant pour objet la prise de contrôle d'une société constitue un acte de commerce, de sorte que le litige relève bien de la juridiction commerciale ;

le fait qu'un des éléments de l'actif de la société [S] soit constitué des parts sociales d'une SCI ne peut conduire à soumettre le mandat aux dispositions de la loi Hoguet ;

aucun démarchage ne se trouve caractérisé, et l'absence de bordereau de rétractation ne peut être une cause de nullité ;

une rémunération n'est due que « sur résultat », c'est-à-dire par suite de l'activité du mandataire ou bien dans le cas où l'acquéreur est une « cible présentée » mais à la condition que cette cible ait traité avec le mandataire;

la preuve n'est pas rapportée que la société Palfinger ait été présentée dans le cadre de la mission confiée ;

s'il n'est pas contesté que la cession des sociétés [S] et [M] a été opérée sans l'accord express de la société JPF Consulting, le contrat ne prévoit aucune clause pénale de ce chef.

Par déclaration au greffe du 10 juin 2022, la société JPF Consulting a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- débouté la société JPF Consulting de toutes ses demandes ;

- condamné la société JPF Consulting à payer à M. [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société JPF Consulting à payer à la société [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de ses dernières écritures du 23 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société JPF Consulting sollicite l'infirmation des chefs critiqués de la décision, la confirmation pour le surplus et demande à la cour de :

- Condamner M. [S] à lui verser une somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner M. [S] à lui verser la somme 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le même aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société JPF Consulting fait notamment valoir que :

elle s'est désistée de son appel contre la société [S];

elle a reçu un mandat exclusif, portant sur la vente de l'intégralité des actions des sociétés [S] et [M] ;

elle a présenté à M. [S], représentant légal des deux sociétés [S] et [M], plusieurs potentiels acquéreurs, sans percevoir la moindre rémunération pour le travail fourni ;

la vente globale conclue au profit de la société Palfinger France a été réalisée sans son accord express, en violation de la clause d'exclusivité stipulée au mandat ;

elle a subi un préjudice financier conséquent puisqu'elle a travaillé pendant des années à perte et a été privée de la rémunération qu'elle devait percevoir, à hauteur de 2% du prix de cession;

elle est fondée à obtenir la réparation de son préjudice sur un fondement contractuel et, à titre subsidiaire, sur un fondement délictuel, à l'encontre de M. [S].

Par dernières écritures du 3 octobre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [S] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société JPF Consulting de toutes ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée à lui payer 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que le mandat litigieux était valide et en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes « contraires ou plus amples » ;

Statuant à nouveau,

- Le mettre hors de cause, personne physique, dans la mesure où aucune demande n'était formulée contre lui si ce n'est au titre de l'article 700 et des dépens dans le dispositif de l'assignation et notamment dans la mesure où il n'est pas le signataire de l'instrumentum ;

- Dire et juger que le mandat est irrégulier et nul en application du code civil, des dispositions protectrices du code de la consommation s'agissant des ventes hors établissement et en application de la Loi Hoguet ;

- Dire et juger que le mandat est irrégulier et nul, faute d'objet et faute de mandataire porteur de parts sociales ;

- En toute hypothèse, dire et juger que la société JPF Consulting n'est pas intervenue dans les ventes intervenues en 2018 et 2019 ;

- Débouter la société JPF Consulting de toute demande en relation avec ces ventes ;

- Juger qu'il n'a commis aucune faute quasi délictuelle ;

- Dire et juger que la demande nouvelle d'indemnisation à hauteur de 20.000 euros en avril 2021, passée à 75.000 euros, est prescrite et en toute hypothèse infondée ;

- Condamner la société JPF Consulting à lui payer :

- 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel,

les entiers dépens de l'instance d'appel.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] fait notamment valoir que :

n'étant pas partie au contrat de mandat, il doit être mis hors de cause ;

le mandat est entaché de nullité pour défaut d'objet dans les termes de l'ancien article 1108 du code civil ancien, puisqu'une société ne peut pas céder ses propres titres ;

le mandat aurait dû être régularisé par l'ensemble des porteurs de titres ou, pour le moins, par un mandataire commun ;

le mandat est également entaché de nullité en application des dispositions de l'article L. 121-21 du code de la consommation, s'agissant d'un contrat conclu hors établisement par une personne physique, ne comportant pas les mentions requises;

la loi Hoguet est applicable en cas de vente de parts sociales d'une société lorsque l'actif social comprend un ou plusieurs biens immobiliers et que tel est le cas des sociétés [S], [M] et Alcar qui sont propriétaires des locaux dans lesquels elles exercent leur activité ;

la société JPF Consulting n'est pas intervenue pour ces ventes, et les acquéreurs ne sont pas des « cibles présentées ou substituées par elle, de sorte qu'elle n'a aucun droit à rémunération ;

aucune clause pénale ne se trouve stipulée au mandat en cas de non-respect de l'exclusivité.

Dans ses dernières écritures du 21 octobre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [S] demande quant à elle à la cour de :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Annecy ;

- Condamner la société JPF Consulting à payer à la société [S] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société JPF Consulting aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société [S] fait notamment valoir que la société JPF Consulting n'a réalisé aucune prestation ni n'a participé aux discussions qui ont abouti à l'acquisition par la société Palfinger France de ses titres.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 23 septembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 11 février 2025.

Motifs de la décision

Il convient d'observer, à titre liminaire, qu'après avoir dirigé son action en paiement contre la seule société [S] aux termes de son assignation, puis, dans ses dernières écritures en première instance, à titre principal, à l'encontre de 'la société [S] ou qui mieux le devra', la société JPF Consulting réclame désormais en cause d'appel au seul [X] [S], personne physique, une somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts. Ces hésitations et revirements illustrent les difficultés rencontrées par la requérante pour identifier précisément l'identité de son contractant.

A titre principal, l'appelante fait reposer sa demande indemnitaire sur la violation, par M. [S], de la clause d'exclusivité stipulée au mandat du15 octobre 2013, et entend ainsi engager la responsabilité contractuelle de l'intéressé sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil.

Force est cependant de constater que le contrat litigieux a été expressément conclu par M. [S], non pas en tant que personne physique, mais en tant que 'représentant' des sociétés [S] et [M], en qualité de 'PDG' (en fait Président) de ces deux personnes morales. Ce que confirme du reste l'apposition du cachet de la société [S] à côté de sa signature, en bas du document, sous la désignation suivante : 'cachet du mandant'. Et la société JPF Consulting ne produit aucun élément qui serait susceptible de remettre en cause ces constatations.

Or, en vertu du principe de l'effet relatif des conventions édicté à l'article 1165 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, 'les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes'. De sorte que la société JPF Consulting ne peut de toute évidence réclamer à M. [S], en tant que personne physique, le paiement d'une quelconque somme en exécution d'un contrat à laquelle il n'est pas partie.

En admettant même que le contrat de mandat du 15 octobre 2013 ait été conclu par M. [X] [S] en tant que personne physique, une telle convention apparaît manifestement entachée de nullité, puisqu'elle est dépourvue d'objet, au sens de l'article 1108 ancien du code civil, qui subordonne la validité d'un contrat à la présence d'un 'objet certain qui forme la matière de l'engagement', l'article 1129 ancien imposant quant à lui que 'l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce'.

En l'espèce, le mandat de vente porte sur les deux sociétés [S] et [M], définies comme étant des 'affaires en cession', comme s'il s'agissait de fonds de commerce, alors que seuls les titres de ces deux sociétés, et non les sociétés en elles-mêmes, peuvent faire l'objet d'une cession. Du reste, si le mandat devait se rapporter aux actions de ces sociétés, M. [S] n'aurait pu donner mandat de vente à la société JPF Consulting, dans une telle hypothèse, que pour les seules actions qu'il détenait au sein de ces deux structures, à savoir 67, 05 % des parts de la société [S], qui elle-même détenait 64, 8% de la société [M]. Et s'il avait dû porter sur l'ensemble des titres, le mandat aurait dû, pour être valable, être signé par l'ensemble des porteurs de titres ou par un mandataire commun, étant observé que l'appelante n'allègue ni a fortiori ne démontre que M. [X] [S] aurait eu une telle qualité.

Il est de jurisprudence constante qu'un mandat trop imprécis, dépourvu d'un objet certain au sens des articles 1108 et 1129 anciens du code civil, est entaché de nullité (voir sur ce point notamment: Cour de cassation, Civ 1ère, 19 décembre 2013, n°12-46.459).

Il convient de relever, en outre, que même si l'on considère qu'il a été conclu par les sociétés [S] et [M] représentées par M. [S], le contrat conclu le 15 octobre 2013 est également nul pour défaut d'objet, dès lors qu'une société ne peut vendre ses propres titres.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a dit que le contrat litigieux était valide.

Compte tenu de cette nullité, la demande en paiement qui est formée par la société JPF Consulting ne peut prospérer à l'encontre de M. [S] sur un fondement contractuel.

S'agissant du fondement délictuel, qui est invoqué à titre subsidiaire, il ne peut qu'être constaté que l'appelante ne développe aucune argumentation dans ses écritures qui serait susceptible de démontrer que M. [S] aurait commis une faute détachable de ses fonctions, ce qui suppose de caractériser, selon une jurisprudence constante, une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales d'un dirigeant de société.

Du reste, la cour relève que l'appelante, qui se présente comme étant un professionnel de 'la levée de fonds et de la transmission d'entreprises', et qui ne conteste pas être la rédactrice du mandat litigieux, ne peut se prévaloir de ses propres carences, qui apparaissent en l'espèce manifestes.

Le jugement entrepris ne pourra donc qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société JPF Consulting.

En tant que partie perdante, l'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. [S] et à la société [S] la somme de 2.000 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais que les intimés ont exposés en cause d'appel. La demande formée de ce chef par la société JPF Consulting sera par contre rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal de commerce d'Annecy en ce qu'il a dit que le mandat litigieux est valide,

Statuant de nouveau de ce chef,

Dit que le mandat du 15 octobre 2013 est nul pour défaut d'objet,

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société JPF Consulting aux dépens exposés en cause d'appel,

Condamne la société JPF Consulting à payer à M. [X] [S] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société JPF Consulting à payer à la société [S] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande formée de ce chef par la société JPF Consulting.

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