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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2025, n° 22/11074

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Goff - Bréhalaise De Transports (SASU)

Défendeur :

Dujardin (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Hatet-Sauval, Me Verdier, Me Collet Masnicka, Me Meynard, Me Corgas

T. com. Rennes, du 29 mars 2022, n° 2021…

29 mars 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Dujardin, spécialisée dans la fabrication de meubles de bureau et de magasin, a fait appel aux services de la société Le Goff Brehalaise de transports (ci-après la société Le Goff), pour assurer le transport de ses meubles et des déchets créés dans le cadre de son activité.

Par lettre du 10 février 2020, la société Le Goff a reproché à la société Dujardin d'avoir rompu leurs relations commerciales, sans préavis, depuis le 1er septembre 2019, d'une part, et d'avoir recruté son ancien salarié M. [H], démissionnaire de son entreprise depuis le 10 juin 2019, d'autre part. Elle a sollicité réparation de ses préjudices.

Dans sa réponse du 20 février 2020, la société Dujardin a soutenu que la relation commerciale avait cessé exclusivement en raison de la piètre qualité des prestations de la société Le Goff et de ses manquements, précisant qu'en conséquence, elle avait repris en interne les prestations de transport en septembre 2019 avec ses deux camions. Elle a contesté tout débauchage de M. [H] et indiqué que les préjudices allégués étaient sans fondement.

Le 16 avril 2021, la société Le Goff a fait assigner la société Dujardin devant le tribunal de commerce de Rennes pour l'entendre déclarer responsable de la rupture brutale de leurs relations commerciales et obtenir diverses indemnités en réparation de ses préjudices.

Par jugement du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Rennes a :

- jugé que la relation commerciale est établie entre la société Le Goff et la société Dujardin depuis au moins 9 ans,

- jugé que la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés n'a pas été brutale,

- débouté la société Le Goff de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Le Goff à payer à la société Dujardin 5.000 ' dans le cadre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Le Goff aux entiers dépens de l'instance,

- dit que l'exécution provisoire est de droit,

- débouté la société Dujardin du surplus de ses demandes.

La société Le Goff a relevé appel du jugement par déclaration au greffe de la cour du 9 juin 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 21 décembre 2022, la société Le Goff demande à la Cour, au visa de l'article L. 442-6-1 5° (ancien) du code de commerce ainsi que des articles 699 et 700 du code de procédure civile :

1) d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé que la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés n'a pas été brutale,

- débouté la société Le Goff de toutes ses demandes, fins et conclusions tendant à la condamnation de la société Dujardin à lui payer 50.000 ' en réparation de son préjudice financier, outre les intérêts au taux légal à compter du courrier du 10 février 2020, 17.572 ' en réparation de ses préjudices annexes, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 février 2020 et 20.000 ' au titre du débauchage fautif de M. [H],

- condamné la société Le Goff à payer à la société Dujardin 5.000 ' dans le cadre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Le Goff aux entiers dépens de l'instance,

- et plus généralement de tous chefs portant grief à la société Le Goff,

2) statuant à nouveau, de :

- juger que la société Dujardin a rompu brutalement les relations commerciales établies entre elle et la société Le Goff,

- juger que la société Dujardin engage en conséquence sa responsabilité délictuelle,

- condamner la société Dujardin à payer à la société Le Goff, en réparation de son préjudice financier :

à titre principal, la somme de 50.000 ', outre les intérêts au taux légal à compter du courrier du 10 février 2010, date de la première mise en demeure,

à titre subsidiaire, la somme de 39.568,96 ', augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 février 2020, date de la première mise en demeure,

- condamner la société Dujardin à payer à la société Le Goff la somme de 17.572 ' en réparation de ses préjudices annexes, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 février 2020,

- condamner la société Dujardin à payer à la société Le Goff la somme de 20.000 ' au titre du débauchage fautif de M. [H],

- condamner la société Dujardin à payer à la société Le Goff 5.000 ' au titre du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance,

- condamner la société Dujardin aux entiers dépens de première instance,

3) débouter la société Dujardin de l'ensemble de ses demandes et la condamner :

- aux entiers dépens de l'appel,

- à payer à la société Le Goff la somme de 5.500 ' au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 20 mars 2023, la société Dujardin demande à la Cour, au visa de l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce :

1) d'infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la relation commerciale était établie et n'a pas retenu la faute de la société Le Goff,

2) statuant à nouveau, de :

- dire que la relation commerciale n'est pas établie au sens de l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce,

- subsidiairement, dire que la société Le Goff a commis une faute grave justifiant la rupture sans préavis,

- à titre infiniment subsidiaire, dire que la société Le Goff ne peut prétendre à un préavis de 6 mois, que les préjudices invoqués ne sont pas justifiés et les rejeter,

3) pour le surplus, de confirmer le jugement :

- dire et juger que la rupture des relations commerciales n'a pas été brutale, que la relation entre les sociétés Dujardin et Le Goff n'est pas une relation commerciale établie et, en conséquence, que l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce ne s'applique pas,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Le Goff,

4) condamner la société Le Goff aux entiers dépens et à lui payer la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 12 février 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

*

* *

MOTIVATION

La rupture de la relation commerciale étant postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, le litige doit être tranché au regard de l'article L 442-1 II du code de commerce qui dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois."

- Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Moyens et prétentions des parties

La société Le Goff, tout en soutenant qu'une relation commerciale établie avec la société Dujardin existait depuis le début des années 2000, demande la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que cette relation durait depuis au moins 9 ans à compter de 2011.

Elle expose que cette relation était stable, faisant valoir que :

- du 1er septembre 2017 au 30 septembre 2019, elle a facturé 702 voyages à la société Dujardin, soit quasiment 1 voyage par jour pendant 2 ans,

- les manquements prétendus dont se plaint la société Dujardin ne concernent qu'une courte période des relations commerciales et sont indépendantes du transporteur (panne de moteur, pneu qui éclate, bouchons sur l'autoroute, météo, travaux ...),

- sur les 702 voyages recensés, la société Dujardin ne s'est plainte qu'à 18 reprises,

- il n'y a pas eu une baisse constante de son chiffre d'affaires avec la société Dujardin, cette dernière lui ayant confié en 2017 plus de prestations que les années précédentes et la baisse de ce chiffre en 2019 résultant de la rupture des relations commerciales par la société Dujardin au cours de cette année-là,

- aucune baisse de chiffre d'affaires ne laissait prédire une rupture des relations commerciales.

La société Dujardin répond que la société Le Goff ne pouvait compter sur la pérennité de leur relation car :

- un premier litige est intervenu en 2012, année au cours de laquelle elle a confié ses transports à la société Soletrans, la société Le Goff n'assurant que 3 livraisons,

- en 2013, les transports par la société Le Goff n'ont repris que le 31 juillet, à raison de 37 pour cette période,

- les relations entre les parties se sont à nouveau dégradées en 2017, la négligence et les défaillances de la société Le Goff persistant jusqu'en 2019,

- se plaignant de difficultés avec sa cliente la société Eole du fait d'un non-respect des horaires par la société Le Goff, elle a proposé des solutions à cette dernière,

- la société Le Goff les a refusées et lui a écrit, le 6 février 2019, qu'elle arrêterait leur collaboration à la fin du mois de février 2019,

- après discussions, leurs relations commerciales ont repris, cette reprise étant conditionnée au bon suivi de nouvelles conditions,

- les engagements de la société Le Goff n'ont pas été tenus,

- le chiffre d'affaires réalisé a décru chaque année, passant de 225.557,81 ' en 2017 à 163.421,81 ' en 2018 et à 77.339,83 ' en 2019.

La société Dujardin en déduit que leur relation n'était pas stable ni pérenne. Elle ajoute que les retards de la société Le Goff étaient nombreux et récurrents, ce qui n'était pas niée, et qu'elle ne pouvait se satisfaire de l'instabilité de son transporteur.

Réponse de la Cour

La relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat et n'est soumise à aucun formalisme, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires. Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale")

Au cas présent, les parties s'accordent sur le fait que les relations commerciales ont duré au moins 9 ans, ce qui implique un début en 2010/2011.

La société Le Goff ne conteste pas l'existence en 2012 d'un premier litige avec la société Dujardin, laquelle précise lui avoir retiré des transports pour les confier à la société Soletrans et ne les lui avoir à nouveau confiés que fin juillet 2013. Cependant, depuis cette date et jusqu'en septembre 2019, la société Dujardin a confié des prestations de transport à la société Le Goff de façon continue et substantielle, en dépit des retards et/ou dysfonctionnements qu'elle lui reprochait dans des courriels au cours des années 2017 et 2018.

Par courriel du 6 février 2019 à 9h39, la société Le Goff a écrit à la société Dujardin qu'elle mettrait fin à leur collaboration à la fin du mois de février. Cependant, par courriel du même jour à 17 h 20, la société Dujardin a proposé une nouvelle organisation des transports pour voir respecter les horaires de rendez-vous avec sa cliente Eole, notamment en choisissant de revenir à vide, le fait de servir d'autres clients empêchant de respecter le service dû à Eole. Dans un courriel du 6 février 2019 à 18 h 30, la société Le Goff a détaillé des mises à jour sur les conditions de transport. Après cette date, les relations commerciales se sont poursuivies entre les parties.

Il se déduit de l'ensemble qu'à partir de la fin du mois de juillet 2013, la relation commerciale entre les parties a présenté un caractère suivi, stable et habituel, et que la société Le Goff pouvait dans ces circonstances légitimement s'attendre à la continuation du courant d'affaires avec son partenaire commercial.

- Sur la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie

Moyens et prétentions des parties

La société Dujardin soutient qu'elle était en droit de rompre la relation commerciale sans préavis en raison du manquement de la société Le Goff à l'une de ses obligations essentielles, à savoir l'obligation de respecter les horaires convenus avec les clients et notamment avec la société Eole. Elle se réfère à des courriels envoyés en 2017 et 2018 portant pour la plupart sur des retards de livraisons et pour certains sur des problèmes techniques concernant le camion de livraison ainsi qu'à trois derniers courriels des 13 février 2019, 19 février 2019 et 4 juillet 2019.

Elle souligne que le 1er juillet 2019, la société Le Goff l'a informée qu'elle augmentait ses tarifs, revenant ainsi de façon unilatérale sur les conditions de paiement antérieures.

En réponse aux arguments de la société Le Goff, la société Dujardin invoque le caractère récurrent des retards, alors que la ponctualité est un élément essentiel dans le secteur du transport. Elle allègue qu'en 2017, seulement sur 4 mois, la société Le Goff accusait 37,78 % de retards, que la situation ne s'est pas améliorée postérieurement et que cette situation ne pouvait perdurer alors qu'elle risquait de perdre sa cliente la société Eole.

La société Le Goff objecte que l'essentiel des retards qui lui sont imputés sont souvent indépendants du transporteur. Elle rappelle que sur les 702 voyages effectués entre le 1er septembre 2011 et le 30 septembre 2019, la société Dujardin ne s'est plainte que 18 fois, ce qui correspond à une insatisfaction seulement sur 2,5 % des voyages. Elle en déduit que les quelques retards invoqués ne constituent pas une faute grave.

Elle ajoute qu'en février 2019, les parties se sont entendues sur une nouvelle organisation concernant la société Eole que les retards invoqués par la société Dujardin d'octobre 2018 à janvier 2019 ont été résolus par cette nouvelle organisation et que suite à sa mise en place elle n'a accusé qu'un seul retard le 18 février 2019 pour une cause indépendante de sa volonté, l'une de ses remorques s'étant embourbée dans la cour d'un client.

En l'absence de tout préavis écrit, la société Le Goff conclut à la rupture brutale des relations commerciales.

Réponse de la Cour

L'une des deux causes légales d'exonération prévue à l'article L. 442-1 II du code de commerce est l'inexécution par l'autre partie de ses obligations. La rupture peut dans cette hypothèse intervenir de manière immédiate, mais à la condition que le manquement reproché au partenaire évincé soit d'une certaine gravité, cette circonstance, de jurisprudence constante, étant entendue strictement. Si tel n'est pas le cas, la qualification de rupture brutale ne peut être écartée.

Le préavis, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414). Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Au cas présent, la société Dujardin a certes reproché à la société Le Goff les 23 juin 2017 et 29 novembre 2017 des problèmes de stationnement de ses camions au mauvais endroit sur le quai de déchargement ainsi que les 5 janvier 2018 et 12 février 2018 des dysfonctionnements du hayon de ses véhicules. Cependant, ces difficultés ne constituent pas des fautes suffisamment graves pour rompre les relations commerciales sans préavis.

Si par courriel du 28 août 2018, la société Dujardin a informé la société Le Goff qu'elle allait perdre son client Eole en raison d'une note très mauvaise concernant les livraisons et d'un client intransigeant sur le sujet et de son courriel du 31 janvier 2019 évoque par ailleurs un travail non conforme, il demeure que le 6 février 2019, les parties se sont accordées sur une nouvelle organisation des transports afin de satisfaire la société Eole.

Par la suite, la société Le Goff a poursuivi ses transports. Elle n'a accusé qu'un retard, le 18 février 2019, l'une de ses remorques étant embourbée dans la cour d'un client. Une difficulté ponctuelle s'est par ailleurs présentée pour un chargement chez la société Eole le 4 juillet 2019.

En cet état, la société Dujardin ne démontre pas de fautes suffisamment graves de la part de la société Le Goff l'autorisant, suite à sa décision de réinternaliser en septembre 2019 les prestations de transports, à rompre la relation commerciale à cette date sans lui avoir préalablement notifié la rupture par écrit en lui octroyant un préavis lui permettant de se réorganiser.

En conséquence, la responsabilité de la société Dujardin est engagée pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Le jugement attaqué est infirmé.

- Sur la réparation du préjudice subi

Moyens et prétentions des parties

La société Le Goff prétend qu'un préavis de 6 mois aurait dû lui être accordé, compte tenu de la durée des relations commerciales, de la part de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Dujardin et de ses investissements spécifiques pour répondre aux besoins de la société Dujardin, à savoir la location d'un tracteur DY 718 AS ainsi que l'acquisition de 2 tautliners (carrosserie de véhicule poids lourd disposant d'une bâche coulissante).

Elle fait valoir que sa perte de marge brute pour l'année 2019 a été évaluée à 50.000 ' son cabinet d'expertise-comptable missionné à cet effet (pièce n°5) et, à titre subsidiaire que cette perte calculée sur la moyenne annuelle de son chiffre d'affaires sur les 3 dernières années s'élève à 39.568,96 '.

Pour ses investissements spécifiques, elle demande :

- la somme de 9.630 ' correspondant au coût de la location du véhicule tracteur auprès de la société Dujardin pendant 6 mois,

- la somme de 7.942 ' correspondant aux "6 mois de mensualités des deux tautliners".

La société Dujardin estime que le délai de préavis ne saurait excéder un mois. Elle expose en ce sens que la société Le Goff réalisait avec elle moins de 2% de son chiffre d'affaires global et que ce chiffre d'affaires était en baisse continue. Elle ajoute que la société Le Goff avait reçu de nombreux avertissements avant la cessation de la relation commerciale.

Sur les préjudices invoqués, la société Dujardin conteste le sérieux du rapport produit, en précisant que le taux de marge retenu de 50 % n'est pas justifié alors qu'il oscille entre 19,1 et 33,5 % en matière de transports et que le chiffre d'affaires de 100.000 ' retenu pour 6 mois de 2019 ne correspond pas à la moyenne calculée sur les trois années précédentes, soit 88.388 '.

Par ailleurs, la société Dujardin considère que la demande au titre des investissements est mal fondée d'une part, parce que le tracteur et les tautliners ne sont pas réservés spécifiquement à ses transports,

et d'autre part, car il s'agit de charges normales de la société Le Goff qu'elle a rentabilisées dans les tarifs de transport facturés à la société Dujardin.

Réponse de la Cour

Les critères pertinents pour apprécier la durée du préavis éludé sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion.

Le préjudice de gain manqué résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté ! et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n°21-16.940).

Au titre de la perte subie, les demandes du partenaire délaissé peuvent porter sur les investissements dédiés a' la relation commerciale que la brutalité de la rupture a empêché d'amortir et qui ne sont pas aisément reconvertibles. Il peut également s'agir des coûts afférents aux licenciements que la brutalité de la rupture a rendu inévitables. La preuve du lien direct entre la rupture brutale et le préjudice invoqué doit être rapportée (Com., 23 janvier 2007 °04-16.779 et 04-17.951).

Au cas présent, au regard de la durée de la relation commerciale établie, soit de fin juillet 2013 à septembre 2019, du chiffre d'affaires réalisé par la société Le Goff avec la société Dujardin, soit moins de 2 %, et du temps nécessaire pour permettre à la société Le Goff de trouver d'autres donneurs d'ordre, la Cour retient, en premier lieu, que c'est un préavis de 4 mois qui aurait dû être donné.

Le rapport établi par le cabinet In Extenso, expert-comptable de la société Le Goff, évalue le préjudice résultant de la brutalité de la rupture sur la base d'une perte de chiffre d'affaires en 2019 de 100.000 ' et déduit différentes charges (carburant, salaires du chauffeur et frais de déplacement, entretien du véhicule, péages) pour aboutir à la somme de 50.445 '.

Cette proposition d'évaluation ne peut être reprise telle quelle, le préjudice devant être fixé sur la base du flux d'affaires annuel moyen réalisé entre les partenaires pendant les trois dernières années de 2016 à 2018, soit 176.777 ', ce qui donne 14.731 ' par mois. Il convient, par ailleurs, d'appliquer un taux de marge sur coûts variables ramené à 30 % eu égard aux arguments et pièces soumis au débat contradictoire.

La Cour retient en conséquence, en deuxième lieu, que le préjudice doit être fixé comme suit : 14.731 ' x 30 % x 4 soit 17.677,20 '. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la date de prononcé du jugement, soit le 29 mars 2022.

La société Le Goff ne démontre pas que ses investissements étaient dédiés exclusivement à la satisfaction des besoins de la société Dujardin, étant rappelé que la société Le Goff réalisait avec elle moins de 2 % de son chiffre d'affaires global.

Il s'en suit, en troisième lieu, que la demande d'indemnisation de ce chef doit être rejetée.

- Sur la demande de dommages-intérêts formée au titre du débauchage d'un salarié

Moyens et prétentions des parties

La société Le Goff expose que :

- M. [H], employé par elle depuis le 6 juin 2018 en contrat à durée limitée et depuis le 31 janvier 2019 en contrat à durée indéterminée, assurait des missions de transport pour la société Dujardin,

- il a démissionné le 10 juin 2019,

- La société Dujardin, qui a décidé de manière quasi concomitante de mettre fin aux relations commerciales entretenues avec elle, a dans le même temps embauché M. [H] qui a repris ses mêmes fonctions directement pour elle.

La société Le Goff en déduit que la société Dujardin a eu une attitude manifestement et particulièrement déloyale.

La société Dujardin répond qu'elle n'a commis aucune faute. Elle indique que M. [H] qui a démissionné n'était tenu par aucune clause de non-concurrence, qu'elle recherchait un chauffeur depuis plusieurs semaines, que la candidature de M. [H] l'a interessée et que c'est en toute légalité qu'elle l'a embauché.

Réponse de la Cour

Le tribunal a omis de statuer sur cette demande. Cependant, l'effet dévolutif de l'appel (article 561 du code de procédure civile) permet à la Cour de réparer l'omission.

L'action en responsabilité extracontractuelle pour concurrence déloyale suppose la réunion de trois éléments, soit une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, un dommage et un lien de causalité entre le dommage et le comportement reproché. Pour que le débauchage soit constitutif de concurrence déloyale, il convient de caractériser non seulement une démarche active initiée par le nouvel employeur pour motiver le salarié à rompre son contrat mais également un effet de désorganisation en résultant pour l'employeur primitif. L'embauche d'un ancien salarié d'une entreprise concurrente n'est pas, en elle-même, fautive et ne constituent pas, en soi, des man'uvres déloyales la simple constatation de l'embauche par un concurrent de salariés démissionnaires.

Au cas présent, force est de constater que la société Le Goff, à qui la charge de la preuve de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention incombe, ne démontre aucune faute de la société Dujardin, ni aucune man'uvre déloyale de la part de cette dernière, à l'occasion de l'embauche de son ancien salarié.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 20.000 ' pour débauchage fautif.

- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Le Goff aux dépens de première instance et à verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Dujardin qui reste débitrice à l'égard de la société Le Goff supportera les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il sera alloué la somme globale de 7.000 ' à la société Le Goff pour ses frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, la demande formée par la société Dujardin à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Et statuant à nouveau :

Dit que la société Dujardin a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Le Goff Brehalaise de transports,

Condamne la société Dujardin à payer à la société Le Goff Brehalaise de transports la somme de 17.677,20 ', avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2022, en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie,

Déboute la société Le Goff de sa demande en paiement de la somme de 20.000 ' pour débauchage fautif ;

Condamne la société Dujardin à payer à la société Le Goff Brehalaise de transports la somme de 7.000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en appel.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Dujardin aux dépens de première instance et d'appel.

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