CA Lyon, 3e ch. A, 10 avril 2025, n° 24/00154
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aménagement Foncier Création (SARL)
Défendeur :
Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Loire Haute Loire (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dumurgier
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Boirivent, Me Nouvellet, Me Lacoste
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SARL Aménagement Foncier Création, désignée ci-après AFC, ayant pour associé majoritaire et gérant M. [Y] [G], a pour activité l'aménagement foncier, les travaux publics et l'entreprenariat général du bâtiment.
Le 21 septembre 2012, le Crédit Agricole Loire Haute Loire a accordé un crédit de trésorerie d'un montant de 1 710 000 euros à la société AFC, authentifié par acte notarié reçu le 20 décembre 2012, avec une date d'échéance fixée au 30 septembre 2013.
Par jugement du 9 janvier 2019, le tribunal de commerce de Roanne a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société AFC et désigné la SELARL [U] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 janvier 2019, le Crédit Agricole Loire Haute Loire a déclaré une créance d'un montant de 1 672 625,74 euros, outre intérêts à échoir et intérêts majorés, au passif de la société AFC.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2020, la SELARL [U], ès qualités, a informé le créancier de la contestation de sa créance par M. [G], à hauteur de 548 577 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 décembre 2020, le Crédit Agricole Loire Haute Loire a contesté le rejet partiel de sa créance et a maintenu sa demande visant à l'inscription de la créance à hauteur de 1 672 625,74 euros, outre intérêts à échoir et intérêts majorés, au passif de la société AFC.
Par ordonnance rendue le 22 juin 2022, le juge commissaire à la liquidation de la société AFC a :
- constaté qu'il existe une contestation sérieuse nécessitant une analyse de la situation dépassant son pouvoir juridictionnel,
- ordonné le sursis à statuer,
- renvoyé la société AFC à se mieux pourvoir et à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, sous peine de forclusion,
- dit que l'affaire sera rappelée devant le juge commissaire à la diligence d'une des parties si le juge du fond n'est pas saisi dans les délais prescrits ou en cas de nécessité une fois la contestation tranchée par le juge du fond.
Par acte introductif d'instance du 21 juillet 2022, la société AFC a fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire et la SELARL [U], ès qualités, devant le tribunal de commerce de Roanne.
Par jugement contradictoire du 6 décembre 2023, le tribunal de commerce de Roanne a :
- débouté le Crédit Agricole Loire Haute Loire de sa fin de non-recevoir au titre de la forclusion,
- rejeté la demande de la société AFC aux fins de voir fixer au 30 septembre 2013 l'échéance du crédit de trésorerie n°72814269460,
- rejeté la demande de prescription du même crédit de trésorerie,
- dit que la dette de la société AFC est réelle et bien fondée,
- fixé le montant de la créance du Crédit Agricole Loire Haute Loire à la somme de 1 672 625,74 euros, somme à inscrire au passif de la SARL Aménagement Foncier Création,
- débouté la SARL Aménagement Foncier Création de toutes ses demandes,
- constaté le caractère dilatoire et dispendieux de cette procédure,
- condamné la SARL Aménagement Foncier Création à payer au Crédit Agricole Loire Haute Loire la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté le défendeur du surplus de sa demande de ce chef,
- condamné le demandeur aux entiers dépens,
- liquidé les frais de greffe compris dans les dépens (article 701 du code de procédure civile) à la somme de 89,66 euros TTC (TVA=20%),
- rejeté comme inutiles et non fondés tous autres demandes, moyens et conclusions contraires des parties.
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Par déclaration reçue au greffe le 5 janvier 2024, la SARL Aménagement Foncier Création a interjeté appel de ce jugement, portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'elle a débouté le Crédit Agricole Loire Haute Loire de sa fin de non-recevoir au titre de la forclusion.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie dématérialisée le 12 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la SARL Aménagement Foncier Création demande à la cour, au visa des articles 1101, 1134, 1147 et 1315 du code civil, de l'article 2224 du code civil, et des articles 9 et 122 du code de procédure civile, de :
infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Roanne le 6 décembre 2023 sous le numéro RG 2022F00051 en ce qu'il a :
' rejeté la demande de la société AFC aux fins de voir fixer au 30 septembre 2013 l'échéance du crédit de trésorerie n°72814269460,
' rejeté la demande de prescription du même crédit de trésorerie,
' dit que la dette de la société AFC est réelle et bien fondée,
' fixé le montant de la créance du Crédit Agricole Loire Haute Loire à la somme de 1 672 625,74 euros, somme à inscrire au passif de la SARL Aménagement Foncier Création,
' débouté la SARL Aménagement Foncier Création de toutes ses demandes,
' constaté le caractère dilatoire et dispendieux de cette procédure,
' condamné la société SARL Aménagement Foncier Création à payer au Crédit Agricole Loire Haute Loire la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté le défendeur du surplus de sa demande de ce chef,
' condamné le demandeur aux entiers dépens,
' rejeté comme inutiles et non fondés tous autres demandes, moyens et conclusions contraires des parties,
Et, statuant à nouveau,
À titre principal,
juger que la date d'échéance du crédit n°72814269460 est fixée au 30 septembre 2013, en sorte que le Crédit agricole aurait dû soit agir avant le 1er octobre 2018 en vue du recouvrement du solde impayé de ce crédit, soit interrompre la prescription avant cette date,
- juger que le Crédit agricole ne justifie d'aucune action ni acte interruptif de prescription ni titre exécutoire à son encontre s'agissant du paiement du solde du crédit n°72814269460,
- déclarer irrecevable toute demande de fixation au passif de la société AFC de la somme de 1 672 625,74 euros au titre du crédit n°72814269460 par le Crédit agricole, compte tenu de la prescription de son action,
À titre subsidiaire,
- juger que le Crédit agricole ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une créance qu'elle détiendrait à son encontre pour un montant de 1 672 625,74 euros au titre du crédit n°72814269460,
- débouter en conséquence le Crédit agricole de toute demande de fixation d'une créance d'un montant de 1 672 625,74 euros au passif de la société AFC au titre du solde d'un crédit de trésorerie n°72814269460,
À titre plus que subsidiaire,
- juger que le Crédit agricole a abusivement soutenu la société en lui octroyant six lignes de crédit d'un montant de 2 500 000 euros, alors que cette dernière était en situation déficitaire,
- condamner en conséquence le Crédit Agricole à régler à la liquidation judiciaire de la société AFC la somme de 2 084 815,92 euros au titre du préjudice subi du fait de ce soutien abusif,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Roanne le 6 décembre 2023 sous le numéro RG 2022F00051 pour le surplus,
En tout état de cause,
- débouter le Crédit Agricole de sa fin de non-recevoir et, plus généralement, de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner le Crédit Agricole à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le même aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 28 juin 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire demande à la cour, au visa des articles R. 624-5 du code de commerce et 857 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
réformer le jugement du tribunal de commerce de Roanne du 6 décembre 2023 (RG 2022F00051) en ce qu'il a débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire de sa fin de non-recevoir au titre de la forclusion,
Et, par suite :
constater la forclusion des demandes de la société Aménagement Foncier Création et les déclarer irrecevables,
A défaut, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' rejeté la demande de la société AFC aux fins de voir fixer au 30 septembre 2013 l'échéance du crédit de trésorerie n°72814269460,
' rejeté la demande de prescription du même crédit de trésorerie,
' dit que la dette de la société AFC est réelle et bien fondée,
En tout état de cause,
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Roanne du 6 décembre 2023 (RG 2022F00051) en ce qu'il a :
' fixé le montant de la créance du Crédit Agricole Loire Haute Loire à la somme de 1 672 625,74 euros, somme à inscrire au passif de la SARL Aménagement Foncier Création,
' débouté la SARL Aménagement Foncier Création de toutes ses demandes,
' constaté le caractère dilatoire et dispendieux de cette procédure,
' condamné la SARL Aménagement Foncier Création à payer au Crédit Agricole Loire Haute Loire la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
débouter la société Aménagement Foncier Création de l'intégralité des demandes, fins et conclusions,
condamner la société AFC à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile relatif à la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 4 juillet 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la SELARL [U] & Associés, ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L. 622-24 et suivants du code du commerce, des articles L. 624-1 et suivants du code de commerce et de l'article L. 650-1 du code de commerce, de :
lui donner acte, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Aménagement Foncier Création, qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour quant aux mérites de l'appel et de l'appel incident.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 janvier 2025, les débats étant fixés au 6 février 2025.
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SUR CE
Sur la forclusion des demandes de la société Aménagement Foncier Création
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire, appelante incidente, se fonde sur les dispositions de l'article R.624-5 du code de commerce et de l'article 857 du code de procédure civile, pour conclure à la forclusion de l'ensemble des demandes de la société AFC, en faisant valoir que le premier texte impartit un délai d'un mois à la partie invitée par le juge commissaire à saisir le juge du fond, pour saisir la juridiction compétente, que le second texte énonce que le tribunal de commerce est saisi par la remise au greffe d'une copie de l'assignation, et, qu'en l'espèce, la société appelante lui a fait délivrer une assignation le 22 juillet 2022, qui n'a été enrôlée que le 1er septembre 2022, soit au delà du délai d'un mois imparti par l'article R.624-5 du code de commerce.
Elle considère que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il convenait de se placer à la date de l'assignation pour déterminer la date de saisine de la juridiction.
La société appelante objecte que la banque, qui a soulevé tardivement cette fin de non recevoir en première instance, n'a pas pris la peine de préciser la date à laquelle l'ordonnance du juge commissaire lui a été notifiée par le greffe du tribunal de commerce, et soutient, qu'en application des articles R.624-5 du code de commerce et 857 du code de procédure civile, la Cour de cassation considère que le tribunal est réputé saisi dès la date de l'assignation, dès lors que celle-ci a été remise au greffe, et que seule la date de l'assignation compte, et non celle de son enrôlement, qui ne dépend pas des parties mais du greffe.
Elle fait valoir, qu'en l'espèce, l'assignation du 22 juillet 2022 par laquelle elle a saisi le tribunal de commerce de Roanne a nécessairement été délivrée dans le mois suivant la notification de l'ordonnance du juge commissaire du 22 juin 2022, de sorte qu'elle n'encourt aucune forclusion.
Selon l'article R. 624-5 du code de commerce, « Lorsque le juge commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.»
L'article 857 du code de procédure civile énonce que « Le tribunal est saisi, à la diligence de l'une ou l'autre partie, par la remise au greffe d'une copie de l'assignation. »
La Cour de cassation juge qu'il résulte de l'article R. 624-5 que le tribunal est réputé saisi dès la date de la délivrance de l'assignation, dès lors que celle-ci est remise au greffe. [ Com 4 octobre 2023 n°22-14.439 publié au bulletin ].
En l'espèce, l'ordonnance rendue par le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société AFC, rendue le 22 juin 2022, qui a renvoyé la société AFC à se mieux pourvoir et à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, sous peine de forclusion, a été notifiée à la débitrice par lettre recommandée avec accusé de réception le 25 juin 2022.
La société AFC a saisi le tribunal de commerce de Roanne par assignation du 21 juillet 2022, remise au greffe le 1er septembre 2022.
Le tribunal étant réputé saisi dès le 21 juillet 2022, avant l'expiration du délai d'un mois qui a commencé à courir le 25 juin 2022, le jugement entrepris mérite confirmation en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la forclusion opposée par la banque.
Sur la prescription de créance du Crédit agricole au titre du crédit de trésorerie consenti à la société AFC
La société AFC prétend que le crédit de trésorerie litigieux étant arrivé à échéance au 30 septembre 2013, l'intégralité des sommes prêtées au titre de ce contrat est devenue exigible à cette date, et que la banque disposait d'un délai de 5 ans pour en recouvrer le montant, soit jusqu'au 30 septembre 2018, en relevant que sa déclaration de créance du 23 janvier 2019 est postérieure à cette date.
Elle affirme que le fait que la créance ait été constatée par acte notarié est sans incidence sur le délai de prescription et soutient qu'aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu avant l'expiration du délai de cinq ans, les différents commandements aux fins de saisie vente étant tous postérieurs au 30 septembre 2018 et l'inscription hypothécaire dont se prévaut la banque, qui est une simple sûreté, étant dénuée de tout effet interruptif de prescription.
Elle fait également valoir que l'ouverture d'une procédure collective n'est pas interruptive de prescription, que les virements invoqués par le Crédit agricole ne démontrent pas un paiement volontaire de sa part et que la banque ne peut pas se prévaloir d'un report de l'exigbilité de sa créance et du délai de prescription au 31 juillet 2014, alors qu'aucune modification unilatérale du contrat ne peut être admise et que le créancier n'a jamais renoncé à l'exigibilité de sa créance telle que stipulée au contrat.
Le Crédit agricole réplique, qu'à l'échéance du crédit de trésorerie fixée contractuellement au 30 septembre 2013, l'ouverture de crédit s'est transformée de plein droit en un simple compte débiteur en l'absence de remboursement des sommes dues, de sorte que l'échéance du contrat de crédit n'a pas entrainé automatiquement l'exigibilité de la créance.
Elle relève que l'appelante ne justifie pas de la dénonce de la convention de trésorerie par l'établissement bancaire et se prévaut d'encaissements à la suite de ventes de lots du programme financé par le contrat global de trésorerie, affectés au solde débiteur du compte, dont le dernier versement date du 5 avril 2017, lesquels sont interruptifs de prescription.
Elle se prévaut également de mesures d'exécution forcée diligentées à l'égard des cautions qui ont également interrompu la prescription, tout comme l'ouverture de la liquidation judiciaire de l'appelante.
Selon l'article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
La date de l'exigibilité de la créance à l'égard du débiteur principal constitue le point de départ de la prescription quinquennale.
L'acte authentique reçu le 20 décembre 2012, aux termes duquel la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire a consenti à la société Aménagement Foncier Création un contrat global de crédits de trésorerie d'un montant total de 1 710 000 euros, mentionne expressément que le prêt consenti est une ouverture de crédit en compte courant d'une durée de 12 mois à échéance finale au 30 septembre 2013, fonctionnant dans la limite du montant autorisé, et, qu'au delà de cette durée, l'ouverture de crédit se transformera de plein droit en simple compte débiteur.
Aucune clause de ce contrat ne prévoit, qu'à compter du 30 septembre 2013, la somme restant due au titre de l'ouverture de crédit deviendra immédiatement exigible, sans formalité préalable, et, au contraire, il est conventionnellement prévu, qu'à partir de cette date, l'ouverture de crédit se transforme en compte débiteur.
Ce n'est que par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 14 août 2014, que la banque a adressé à la SARL Aménagement Foncier Création, en sa qualité d'emprunteur principal, une mise en demeure de régulariser dans un délai de quinze jours à réception de celle-ci la totalité des sommes échues au 31 juillet 2014, notamment au titre du prêt du 20 décembre 2012, à concurrence de la somme de 1 677 697,40 euros.
C'est donc à compter de cette date que la créance de la banque au titre du crédit litigieux est devenue exigible, de sorte que le délai de prescription expirait au 14 août 2019.
Or le Crédit agricole justifie avoir déclaré sa créance de 1 672 625,74 euros entre les mains de Maître [U], liquidateur judiciaire de la société AFC, le 23 janvier 2019.
Selon l'article L.622-25-1 du code de commerce, la déclaration de la créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure.
A la date de l'audience devant le tribunal de commerce de Roanne saisi par la société AFC dans le cadre de la procédure de vérification des créances, lors de laquelle la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire a soutenu oralement ses conclusions aux fins de voir admettre sa créance au passif de la procédure collective, la liquidation judiciaire de la société AFC était toujours en cours et la demande de la banque n'était donc pas prescrite.
Le jugement entrepris mérite ainsi d'être confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription opposée par la société Aménagement Foncier Création.
Sur la créance du Crédit agricole
Au soutien de son appel, la société AFC prétend que la banque ne justifie pas du montant de sa créance au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective.
Elle fait valoir, qu'à l'appui de sa déclaration de créance, la banque s'est contentée de produire un tableau renseignant de manière sommaire un « solde débiteur » de 1 672 625,74 euros au titre d'un « DAV : 72814269460 », sans produire de contrat ni de décompte de créance, ce qui n'a pu que la conduire à contester cette déclaration, en l'absence de justificatif.
Elle relève que, dans le cadre de la procédure devant le juge commissaire, le Crédit agricole a produit des relevés de compte incomplets et une mise en demeure de 2014, en précisant que ce n'est que dans le cadre de la procédure au fond que la banque a daigné produire certaines pièces qui ne sont toutefois pas probantes pour justifier de l'existence de sa créance, les relevés de compte produits étant incomplets puisqu'ils s'arrêtent au 30 avril 2017, sans qu'aucune actualisation de la créance n'ait été produite depuis.
Elle estime que le juge-commissaire a considéré à juste titre qu'il existait une contestation sérieuse car il s'est trouvé dans l'impossibilité de vérifier si la créance déclarée à hauteur de 1 672 625,74 euros correspondait bien à la somme dont elle restait effectivement redevable au titre du crédit n°72814269460.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire prétend avoir déclaré une créance au titre d'un contrat global de trésorerie consenti à la société AFC sur le compte n°72814269460, destiné à financer les besoins en trésorerie de la société à hauteur de 1 710 000 euros en faisant valoir qu'elle produit le contrat de crédit reçu par acte notarié le 20 décembre 2012, qui est paraphé et signé par la société AFC et qui constitue un titre exécutoire.
Elle indique également verser aux débats les mises en demeure adressées à la débitrice les 14 août 2014 et 23 octobre 2014 et l'ensemble des relevés de compte qui justifient de sa créance.
La SELARL [U] & Associés, ès qualités, relève que la banque verse aux débats le contrat de prêt régularisé par la société AFC ainsi que l'acte authentique afférent, en soulignant que, s'agissant d'une facilité de trésorerie, celle-ci constitue vraisemblablement une autorisation de découvert qui n'entraîne pas de déblocage de fonds au profit de l'emprunteur mais lui permet de faire fonctionner le compte courant en position débitrice.
Elle ajoute que la société débitrice n'a pas contesté l'intégralité de la créance déclarée mais uniquement les intérêts, frais et commissions.
La banque a déclaré le 23 janvier 2019 une créance de 1 672 625,74 euros, montant restant dû au 9 janvier 2019, à titre privilégié, correspondant au DAV n°72814269460.
Elle justifie au moyen de sa pièce n°1 que cette créance est fondée sur un contrat global de crédits de trésorerie consenti à la société AFC par acte notarié reçu le 20 décembre 2012, d'un montant total de 1 710 000 euros, destiné à financer l'acquisition de terrains situés à [Localité 7] et la réalisation d'un lotissement de 43 lots, et ayant pour compte support le compte courant n°72814269460.
Ce contrat mentionne expressément que le prêt consenti est une ouverture de crédit en compte courant d'une durée de 12 mois à échéance finale au 30 septembre 2013, fonctionnant dans la limite du montant autorisé, et qu'au delà de la durée de 12 mois, elle se transformera de plein droit en simple compte débiteur.
Ainsi que l'a justement retenu le tribunal, cette ouverture de crédit, comparable à une autorisation de découvert, n'entraîne pas un déblocage de fonds à une date précise, mais permet au compte support du crédit de trésorerie de rester débiteur, dans la limite du plafond autorisé.
La société intimée verse également aux débats les relevés du compte n°72814269460 ouvert par la sociét AFC dans les livres du Crédit agricole, depuis le 1er janvier 2013 jusqu'au 30 avril 2017, qui permettent de vérifier l'ensemble des opérations portées au crédit et au débit de ce compte et notamment les soldes débiteurs de celui-ci durant cette période, variant entre 1 666 417,73 euros et 1 879 974,98 euros.
La banque justifie ainsi d'une créance certaine, liquide et exigible à l'égard de la société AFC s'élevant à la somme de 1 672 625,74 euros à la date du 30 avril 2017.
C'est cette même créance qu'elle a déclarée le 23 janvier 2019, sans frais ni intérêts supplémentaires, et la société appelante ne démontre pas, ni même n'allègue, qu'elle aurait diminué sa dette par des opérations portées au crédit du compte débiteur après le 30 avril 2017, la banque justifiant en revanche des sommes créditées sur le compte à compter du 1er mars 2021 ramenant sa créance à la somme de 1 651 795,74 euros à la date du 31 août 2022.
C'est donc à bon droit que le tribunal a fixé la créance de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire envers la société AFC à la somme de 1 672 625,74 euros à la date de l'ouverture de la procédure collective et le jugement critiqué sera également confirmé sur ce point.
Sur le soutien abusif du Crédit Agricole
A titre subsidiaire, la société AFC prétend que la banque a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde en lui apportant un soutien abusif, faisant valoir que le Crédit agricole lui a accordé six lignes de crédit pour un montant total de 2 500 000 euros entre le 17 août 2012 et le 29 avril 2014, dont les échéances étaient fixées entre le 30 septembre 2013 et le 30 septembre 2014, ce qui ne lui laissait qu'un délai d'un an pour rembourser 2,5 millions d'euros.
Elle considère que la société intimée aurait dû être alertée par sa situation financière lors de la communication de ses documents comptables dès lors que, depuis 2011, elle rencontrait d'importantes difficultés financières, son activité étant très largement déficitaire, ce que la banque ne pouvait ignorer.
Elle affirme que les nombreuses prorogations de ses crédits de trésorerie démontrent qu'elle était incapable de dégager une activité suffisante pour procéder à leur remboursement et ajoute que la banque ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité en soutenant que son dirigeant était un emprunteur averti, le fait que son gérant soit dirigeant de 24 sociétés distinctes ne lui donnant pas cette qualité.
Elle reproche au Crédit agricole de n'avoir pas pris la moindre précaution lors de l'ouverture des crédits de trésorerie, au préjudice de l'emprunteur qui a augmenté son endettement au-delà de ses capacités.
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au contrat litigieux, la banque est tenue de mettre en garde l'emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt inadapté à ses capacités financières au moment de la conclusion du contrat.
La qualité d'emprunteur averti s'apprécie au moment de la souscription de l'engagement litigieux et la personne morale hérite du caractère averti de son dirigeant.
Or, en l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que M. [Y] [G], gérant de la société emprunteur, était un dirigeant averti à la date du 20 décembre 2012, ayant alors ouvert cinq comptes à vue dans les livres du Crédit agricole, au profit de la société AFC, et bénéficié pour ces comptes de crédits de trésorerie, et étant par ailleurs dirigeant de vingt quatre sociétés.
La banque n'était donc tenue d'aucun devoir de mise en garde à son égard.
L'article L.650-1 du code de commerce énonce que « Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. »
Or, en l'espèce, il sera relevé, d'une part, que la présente cour a déjà jugé, au terme d'un arrêt rendu le 5 novembre 2020, que le Crédit agricole n'a pas soutenu abusivement la société AFC lors de l'octroi des quatre crédits de trésorerie qui lui ont été consentis entre le 17 juillet 2008 et le 16 janvier 2012.
D'autre part, la société appelante ne caractérise ni la fraude qui aurait été commise par la banque, ni l'immixtion caractérisée de cette dernière dans sa gestion, pas plus que la disproportion des garanties prises en contrepartie du concours bancaire accordé, qu'elle n'invoque d'ailleurs pas.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire ne peut donc pas être tenue responsable des préjudices subis par la société AFC du fait du concours consenti, faute par cette dernière de démontrer que les conditions définies par l'article L.650-1 du code de commerce sont réunies, et le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté l'appelante de sa demande de dommages-intérêts pour soutien abusif.
Sur les dépens et les frais de procédure
La société AFC qui succombe en toutes ses demandes supportera la charge des dépens de la procédure d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Il est par ailleurs équitable de mettre à sa charge une partie des frais de procédure exposés en appel par la société intimée et non compris dans les dépens.
Il sera ainsi alloué à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de sa saisine,
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 6 décembre 2023 par le tribunal de commerce de Roanne,
Y ajoutant,
Met les dépens de la procédure d'appel à la charge de la société Aménagement Foncier Création et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire,
Met à la charge de la société AFC une indemnité de procédure de 3 000 euros au profit de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Loire Haute Loire.