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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 10 avril 2025, n° 23/04310

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Shelyak Instruments (SARL)

Défendeur :

Shelyak Instruments (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Descheemaker, Me Mihajlovic, Me Delsart

T. com. Grenoble, du 24 nov. 2023, n° 20…

24 novembre 2023

Faits et procédure

La Sarl Shelyak Instruments, créée en août 2006 et gérée par M. [D], a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de gammes de spectroscopes dédiés à l'astronomie.

La Sarl [O] [S] Conseil, créée en décembre 2009 et gérée par M. [S], a une activité de conseil en développement commercial, de formation et d'agent pour la commercialisation de produits et de services en France comme à l'international.

Par contrat du 20 juin 2016, la société Shelyak Instruments a engagé M. [S] en qualité de salarié pour une durée de 6 mois à compter du 1er juillet 2016. Ce contrat a été renouvelé pour une durée de 6 mois à compter du 31 décembre 2016 puis une nouvelle période de 6 mois à compter du 1er juillet 2017.

Le 24 juin 2016, un contrat de prestation de service a été conclu entre la société Shelyak Instruments et la société [O] [S] Conseil pour une durée de 6 mois ayant pour objet de faire des propositions écrites sur l'architecture du site web, sur l'architecture d'un nouveau site pour 2017, sur la présentation de la gamme Sheyak, sur l'établissement d'un nouveau réseau de distribution reprenant les distributeurs historiques et identifiant les partenariats à mettre en place, et de sélectionner et organiser les présences aux salons.

Le 2 janvier 2017, la société Shelyak Instruments et la société [O] [S] Conseil ont conclu un second contrat de prestation de services pour une durée de 6 mois portant sur la finalisation de la remise en forme du site Shelyak, sur la fourniture d'un support complet aux distributeurs internationaux anciens et nouveaux comprenant la traduction de la plaquette en anglais et la présentation de la gamme sur Power Point, sur la définition d'un outil de fidélisation, sur la persuasion de plusieurs distributeurs importants de représenter la marque Shelyak en Russie, Inde et Chine et sur l'identification des clients potentiels pour les produits pour experts moyennant une rémunération forfaitaire de 22.000 euros Ht.

Le 2 janvier 2018, un contrat d'agent commercial a été conclu entre la société Shelyak Instruments et la société [O] [S] Conseil pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction.

Par courrier du 15 février 2022, la société [O] [S] Conseil par l'intermédiaire de son conseil indiquait à la société Shelyak Instruments qu'elle rencontrait des difficultés pour exercer son mandat constituées par le non-respect de la répartition clients institutionnels / clients particuliers, associations et distributeurs, l'arrêt brutal de commercialisation de produits, la non communication de la liste exhaustive des produits et des prix, la volonté de réinternaliser la fonction commerciale et la dégradations des relations entre les parties. Elle la mettait en demeure de cesser de traiter directement avec la clientèle institutionnelle existante et à venir, de répondre aux demandes de commande du Whoppshel qu'elle a faites, de lui transmettre toute information et référence des produits, notamment les produits Uvex et Whoppshel, de cesser toute entrave à l'accès au logiciel de devis et commande, de cesser de priver l'agent commercial de sa clientèle et de respecter son obligation de loyauté, le tout dans un délai de 15 jours.

Par lettre recommandée du 10 mars 2022, le conseil de la société [O] [S] Conseil a pris acte de la résiliation du contrat d'agent commercial du 2 janvier 2018 aux torts de la société Shelyak Instruments et pour des faits qui lui sont imputables et a sollicité l'octroi d'une indemnité compensatrice.

Par acte du 6 octobre 2022, la société [O] [S] Conseil a assigné la société Shelyak Instruments devant le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de paiement de l'indemnité compensatrice, de commissions, d'une indemnité pour rupture déloyale.

Par jugement du 24 novembre 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- retenu la page intitulée 'Par ces motifs' de la note en délibéré de la société Shelyak Instruments,

- jugé que la résiliation du contrat d'agent commercial a été effectuée à l'initiative de la société [O] [S] Conseil, sans faute de la part de la société Shelyak Instruments et sans comportement déloyal de sa part,

- débouté la société [O] [S] Conseil de toutes ses demandes,

- débouté la société Shelyak Instruments de sa demande au titre du préjudice financier et moral,

- condamné la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [O] [S] Conseil aux entiers dépens après les avoir liquidés.

Par déclaration du 20 décembre 2023, la société [O] [S] Conseil a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 janvier 2025.

Prétentions et moyens de la société [O] [S] Conseil

Dans ses conclusions remises le 18 juillet 2024, elle demande à la cour de :

- déclarer la société [O] [S] Conseil recevable et bien-fondée en son appel,

- réformer le jugement rendu le 24 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Grenoble des chefs critiqués, en ce qu'il a :

* jugé que la résiliation du contrat d'agent commercial a été effectuée à l'initiative de la société [O] [S] Conseil, sans faute de la part de la société Shelyak Instruments , et sans comportement déloyal de sa part,

* débouté la société [O] [S] Conseil de toutes ses demandes,

* débouté la société [O] [S] Conseil de sa demande au titre du préjudice financier moral,

* condamné la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société [O] [S] Conseil aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

- prononcer la rupture du contrat d'agent commercial pour des circonstances imputables au mandant, pour faute et comportement déloyal de sa part,

- condamner la société Shelyak Instruments à payer à la société [O] [S] Conseil :

- 81.422 euros au titre de l'indemnité compensatrice de l'article L.134-13 du code de commerce,

- 30.743 euros au titre des commissions dues sur les affaires en cours (article 6.3 du contrat),

- 32.766,72 euros au titre de l'indemnité pour cessation du contrat à durée déterminée,

- 6.892 euros au titre des commissions pour les commandes détournées,

- 20.000 euros au titre du préjudice subi pour la rupture déloyale,

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Grenoble en ce qu'il a :

* débouté la société [O] [S] Conseil de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments une indemnité arbitrée à la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Et, statuant à nouveau,

- condamner la société Shelyak Instruments à payer à la société [O] [S] Conseil la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure de première instance,

- condamner la société Shelyak Instruments à payer à la société [O] [S] Conseil la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la procédure en appel,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 24 novembre 2023 en ce qu'il a débouté la société Shelyak Instruments de sa demande au titre du préjudice financier et moral,

- débouter la société Shelyak Instruments de toutes ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des entiers dépens.

Sur la faute du mandant résultant du non-respect de la répartition des clients, elle fait valoir que :

- alors que le contrat prévoyait expressément une répartition de clientèle, la société [O] [S] Conseil se voyant attribuer la clientèle des professionnels à l'exception des distributeurs, la société Shelyak Instruments a modifié unilatéralement les éléments du contrat en traitant directement avec des clients professionnels,

- cet accord de répartition résulte des discussions précontractuelles, notamment du mail du 20 septembre 2017 dont M. [D] a confirmé les termes ultérieurement par mail du 12 mars 2021,

- l'annexe 2 du contrat vise les clients pour lesquels le mandant conserve la gestion directe ce qui signifie a contrario que la société [O] [S] Conseil avait l'exclusivité des autres clients,

- si le contrat autorisait la société Shelyak Instruments à désigner d'autres agents sur le territoire pour les mêmes produits, il ne l'autorisait pas à traiter directement avec les clients attribués à la société [O] [S] Conseil,

- la société Shelyak Instruments n'apporte aucun justificatif des liens qui l'auraient unie avec un client professionnel avant 2016, à l'exception de l'IMMCCE Observatoire de [Localité 5], et c'est grâce à l'implication de la société [O] [S] Conseil que la clientèle professionnelle s'est développée,

- la société Shelyak Instruments a finalisé directement en mars 2021 une commande de l'IMMCCE Observatoire de [Localité 5] alors que la société [O] [S] Conseil avait déjà envoyé plusieurs devis préparatoires, elle a fait de même avec le Tartu Observatory alors que la société [O] [S] Conseil avait travaillé trois années sur ce dossier, des commandes ont aussi été passées directement avec le Carl Fuhlrott Gymnasium, le CNRS STCD, le client South Sevier High Scool,

- la société [O] [S] Conseil n'a jamais été d'accord pour que la société Shelyak Instruments traite directement avec les clients professionnels.

Sur l'arrêt brutal de commercialisation des produits, elle relève que la société Shelyak Instruments ne l'a pas régulièrement informée de l'arrêt de commercialisation du Whoppshel, ne l'a pas informée officiellement de la reprise de la commercialisation et s'est autorisée à faire des devis directement à un client professionnel et à des distributeurs sans aviser son agent commercial et sans l'autoriser à en faire de même.

Elle souligne aussi que la société Shelyak Instruments a manqué à son obligation de loyauté en engageant un salarié et en lui donnant pour instruction de prendre directement attache avec les clients jusqu'alors traitées par l'agent commercial, qu'elle a ainsi détourné la clientèle démarchée par l'agent commercial sans que cela puisse être justifié par une carence de l'agent.

Sur la dégradation des relations entre les parties, elle fait observer que malgré son implication intense et ses qualités professionnelles, la société Shelyak Instruments l'a dénigrée dans sa fonction, qu'elle n'a pas eu accès au logiciel à partir du 13 janvier 2021 et n'a eu connaissance d'une prétendue panne que le 21 janvier.

Enfin, elle soutient que la résiliation a été régulièrement prononcée après mise en demeure et alors que le délai de mise en demeure était largement expiré.

Sur les indemnités, elle fait observer que :

- l'indemnité compensatrice ne saurait être inférieure à deux années de commission, soit à la somme de 81.422 euros,

- en prenant en considération l'éventualité que certaines des commandes ne soient pas finalisées, les commissions dues sur les affaires en cours peuvent être évaluées à 30.743 euros en tenant compte d'un accompagnement partiel et d'un taux de réussite de 66%,

- les commissions sur les commandes passées par des professionnels détournées de l'agent commercial sont de 6.892 euros,

- elle a droit à une indemnité pour rupture anticipée du contrat, le contrat ayant été rompue le 10 mars 2022 alors qu'il se terminait fin décembre 2022, et celle-ci peut être évaluée à la somme de 32.766,72 euros,

- elle a aussi droit à une indemnité pour rupture déloyale, étant précisé qu'elle s'est consacrée de manière exclusive à la société [O] [S] Conseil depuis janvier 2019

Elle s'oppose à toute demande d'indemnisation formée par la société Shelyak Instruments au motif que la société [O] [S] Conseil ne saurait être déclarée responsable de l'incapacité de M. [D] de gérer correctement son entreprise et qu'en outre la société Shelyak Instruments ne justifie pas de la prétendue perte de chiffre d'affaires, ni de son lien de causalité avec la rupture du contrat d'agent commercial.

Prétentions et moyens de la société Shelyak Instruments

Dans ses conclusions remises le 18 septembre 2024, elle demande à la cour de:

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 24 novembre 2023 en ce qu'il a :

* jugé que la résiliation du contrat d'agent commercial a été effectué à l'initiative de la société [O] [S] Conseil, sans faute de la part de la société Shelyak Instruments et sans comportement déloyal de sa part,

* débouté la société [O] [S] Conseil de toutes ses demandes,

* condamné la société [O] [S] Conseil aux entiers dépens,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en ce qu'il a :

* débouté la société Shelyak Instruments de sa demande au titre du préjudice financier et moral,

* condamné la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- condamner la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 30.000 euros au titre de son préjudice financier et moral causé par la rupture brutale du contrat d'agent commercial,

- condamner la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 6.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance

En cause d'appel,

- condamner la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens de l'instance.

Sur l'étendue du contrat d'agent commercial et la question de la répartition de clientèle, elle fait observer que :

- le contrat du 8 janvier 2018 ne contient aucune clause d'exclusivité ou de répartition de clientèle, elle précise que la société [O] [S] Conseil est l'agent commercial non exclusif de la société Shelyak Instruments sur le territoire et que le mandant peut désigner d'autres agents sur le territoire, il ne contient pas l'engagement de la société Shelyak Instruments de ne pas démarcher certains clients,

- le mail du 20 septembre 2017 est antérieur à la signature du contrat et la proposition de répartition n'a pas été reprise dans le contrat, en tout état de cause il n'évoque pas une exclusivité, la société Shelyak Instruments voulant être libre de traiter directement avec les clients qu'elle connaissait depuis longtemps ou pour des raisons relationnelles,

- dans l'exécution du contrat, s'il existait une répartition pratique, il n'y avait pas d'exclusivité, la société [O] [S] Conseil a ainsi traité des clients particuliers ( M. [Y] et M. [T]) et la société Shelyak Instruments qui avait notamment des relations anciennes avec l'IMCCE Observatoire de [Localité 5] a traité de commandes d'institutionnels sans que cela soit discuté par la société [O] [S] Conseil, elle n'a toutefois jamais récupéré et traité de client que la société [O] [S] Conseil aurait prospecté,

- s'agissant du client [Localité 6] Observatory, elle a expressément demandé à la société [O] [S] Conseil de s'en occuper mais celle-ci a refusé de le prendre, concernant la South Siever High School, elle n'a pas traité ce client,

- la société [O] [S] Conseil qui ne faisait pas de prospection traitait en fait les clients professionnels qui faisaient des demandes de devis sur le site de la société Shelyak Instruments sans toutefois bénéficier d'une exclusivité.

Sur le prétendu arrêt brutal de commercialisation des produits, elle fait valoir que :

- le produit Whoppshel ne figurait pas dans l'annexe 1 et la société [O] [S] Conseil ne peut se prévaloir de l'article 3 du contrat stipulant que dans le cas où le mandant cesserait de commercialiser un produit, elle doit en aviser l'agent avec un préavis d'au moins 4 semaines,

- elle a informé son agent de son souhait non pas d'arrêter mais de suspendre la commercialisation du Whoppshel dans l'attente de résoudre les difficultés liées à la fabrication de ce produit, il ne s'agissait donc pas d'un arrêt de la commercialisation, la société [O] [S] Conseil a continué à renseigner les clients sur ce produit et était parfaitement au courant de la reprise de la commercialisation puisque figurant en copie des mails, que les devis envoyés aux distributeurs l'ont été à la demande expresse et insistante des distributeurs,

- elle était bien fondée à suspendre la commercialisation de ce produit et se trouvait en droit de refuser la validation d'une commande ainsi que prévu au contrat.

Sur l'internalisation de la fonction commerciale, elle fait remarquer que :

- la fonction d'un agent commercial est de prospecter de nouveaux clients pour le compte de son mandant, en conséquence il ne peut être reproché à la société Shelyak Instruments de ne pas confier à son agent commercial des commandes ou des clients à gérer,

- elle est totalement libre d'embaucher du personnel selon ses objectifs de développement, étant précisé que l'embauche d'un nouveau salarié n'avait pas vocation à remplacer la société [O] [S] Conseil et encore moins de détourner la clientèle gérée par son agent, le nouveau salarié couvrait la clientèle des particuliers et des distributeurs,

- au demeurant, le montant des commissions versées à la société [O] [S] Conseil a toujours été stable voire en progression.

Sur la dégradation des relations entre les parties, elle relève que :

- elle était bien fondée à solliciter des détails et des compléments d'information à son agent alors qu'aux termes de l'article 4-1 du contrat, l'agent doit rendre compte de manière hebdomadaire de ses missions, les mails adressés par la société [O] [S] Conseil ne faisant état que des commandes et devis,

- la société [O] [S] Conseil ne s'est jamais vu interdire l'accès au logiciel de devis et commandes, en fait la société Shelyak Instruments a connu suite à l'installation de la fibre un problème technique qui rendait impossible la connexion à distance,

- aucun salarié de la société Shelyak Instruments ne s'est montré méprisant envers la société [O] [S] Conseil,

- les parties avaient des divergences sur la stratégie de développement de l'entreprise sans que cela remette en cause les relations contractuelles, la société Shelyak Instruments n'a jamais voulu se séparer de son agent commercial.

Subsidiairement sur le préjudice, elle fait valoir que :

- au regard du fait que la société [O] [S] Conseil n'a pas apporté de nouveaux clients à son mandant, l'indemnité de rupture ne saurait être supérieure à 2.000 euros,

- sur les commissions au titre des commandes en cours, l'agent commercial ne verse aucun élément justifiant la liste des commandes en cours au 10 mars 2022, les montants réclamés ne sont pas justifiés, elle a été réglée de sa facture de commissions pour le mois de mars 2022,

- sur les commissions au titre des commandes détournées, aucune exclusivité n'était prévue, l'agent commercial ne peut réclamer des commissions sur des commandes pour lesquelles il n'est pas intervenu selon les termes du contrat,

- sur l'indemnité pour rupture anticipée, à l'issue de la première année, du fait de la reconduction tacite, le contrat est devenu à durée indéterminé, en outre c'est la société [O] [S] Conseil qui est à l'initiative de la rupture,

- sur l'indemnité pour rupture déloyale, c'est la société [O] [S] Conseil qui s'est précipitée pour rompre les relations contractuelles et la perte de clientèle est déjà indemnisée par l'indemnité compensatrice.

Sur son appel incident, elle souligne que :

- la société [O] [S] Conseil n'a pas respecté le délai de préavis contractuel de trois mois,

- elle a dû gérer du jour au lendemain les commandes et clients traités par la société [O] [S] Conseil et n'a pu absorber cette surcharge, elle a perdu du chiffre d'affaires à hauteur de 16.311,04 euros par mois, au regard d'une marge de 50%, sa perte est de 25.000 euros, elle a subi en outre un préjudice moral.

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

I - Sur la rupture du contrat d'agent commercial

En application des articles L.134-12 et L.134-13 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi sauf si :

- la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial,

- si la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée,

- selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

En l'espèce, ainsi qu'il en résulte de son courrier du 10 mars 2022, la société [O] [S] Conseil a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial. Pour prétendre à une indemnité de rupture, il lui appartient donc de justifier que la cessation résulte de circonstances imputables au mandant.

1/ Sur le non-respect de la répartition clients institutionnels / clients particuliers

L'article 3-1 du contrat d'agent commercial stipule que l'agent s'engage à intervenir au nom et pour le compte du mandat sur le territoire en tant qu'agent commercial non exclusif du mandat et que ce mandat étant non exclusif, le mandant pourra, pendant toute la durée du contrat, désigner d'autres agents sur le territoire pour les mêmes produits ou prestations et clients.

Le client est défini comme tout professionnel, acheteur actuel ou potentiel de produits et/ou prestations situé sur le territoire passant ou susceptible de passer une commande de produits et/ou prestations depuis le territoire, à l'exception des distributeurs du mandant listés en annexe 2 et/ou des clients consommateurs ou non professionnels.

Aux termes de l'article 6-2, l'agent aura droit à une commission, au titre du contrat, uniquement pour les ventes faites par le mandant sur le territoire auprès des clients pour lesquels l'agent a eu une action déterminante et en conséquence, aucune commission ne sera due à l'agent dans le cas où la commande à l'origine de la vente aurait été reçue par le mandant directement, sans que cette commande découle de l'intervention de l'agent et qu'il en assure la gestion directe. Aucune commission ne sera due à l'agent dans le cas où la commande à l'origine de la vente aurait été reçue par un agent commercial tiers. Aucune commission ne sera due à l'agent dans le cas où la commande à l'origine de la vente correspondrait à une vente conclue entre le mandant et un distributeur désigné par le mandant sur tout ou partie du territoire.

Il en résulte que la société [O] [S] Conseil ne bénéficiait d'aucune exclusivité sur son territoire dès lors que d'autres agents commerciaux pouvaient intervenir sur celui-ci. Il est en outre expressément prévu que le mandant peut recevoir directement la commande du client sans intervention de l'agent, aucune commission n'étant due dans ce cas.

Dès lors, contrairement à ce que soutient la société [O] [S] Conseil, le contrat ne prévoyait pas une répartition stricte de la clientèle empêchant le mandant d'intervenir directement auprès de ses clients.

Si dans un mail du 20 septembre 2017, M. [D] écrivait à M. [S] à propos du mandat d'agent commercial devant être adopté que l'agent prendra en charge la prospection et la relation commerciale auprès des clients institutionnels, c'est-à-dire des clients n'étant ni des particuliers, ni des association, ni des distributeurs, le mandant prenant en charge la clientèle particulière et que si un client institutionnel vient spontanément vers la société Shelyak Instruments, l'agent commercial le prend en charge et profite de la commission, ces propositions n'ont pas été reprises dans le contrat d'agent commercial qui prévoit expressément l'absence de commission lorsque le mandant a reçu directement la commande du client sans intervention de l'agent.

De même, le fait que l'annexe 2 soit intitulée 'Liste des clients réservés au mandant - Distributeurs agréés de produits du mandant sur le territoire' n'est pas de nature à établir l'exclusivité de l'agent commercial sur les autres clients en présence de stipulations contraires du contrat.

En outre, il ressort que dans la pratique, aucune répartition stricte n'était observée alors que la société [O] [S] Conseil a pris en charge des clients particuliers tels [M] [Y], [A] [U] et [H] [T] ainsi que cela ressort des mails des 4 juin 2020, 27 mai 2020 et 15 avril 2021.

S'agissant du client institutionnel IMMCCE Observatoire de [Localité 5], il n'est pas contesté que celui-ci passait des commandes à la société Shelyak Instruments bien avant l'arrivée de M. [O] [S] ensuite d'un projet Fripon qui nécessitait régulièrement de nouvelles commandes. Si ce client a pu s'adresser à la société [O] [S] Conseil pour passer des commandes en 2018 et fin 2021, rien n'empêchait la société Shelyak Instruments de traiter directement ce client historique lorsque celui-ci s'est adressé à elle, qu'il en a été ainsi pour la commande facturée le 23 mars 2021 alors que la société [O] [S] Conseil ne justifie pas de son intervention s'agissant de cette commande.

S'agissant du [Localité 6] Observatory en Estonie, si la société [O] [S] Conseil soutient qu'elle a été évincée du projet, il résulte d'un mail du 27 octobre 2021 que [B] [D], dirigeant de la société Shelyak Instruments, a informé de façon précise [O] [S], n'ayant pu être présent pour des raisons personnelles, de la teneur de la réunion s'étant déroulée le jour même avec la chef de projet du [Localité 6] Observatory en indiquant qu'il avait fait part des problèmes d'approvisionnement et de leur surcharge de travail et de la possibilité de travailler sur ce projet à partir de début 2022. Par mail du 6 décembre 2021, [B] [D] a demandé à la société [O] [S] Conseil si elle pouvait s'occuper de l'appel d'offre Estonie après avoir vu ensemble le discours à tenir. Des lors, contrairement à ce qui est soutenu, la société Shelyak Instruments a bien donné des informations à son agent commercial.

La cour relève qu'étant à l'initiative de la cessation du contrat le 10 mars 2022, la société [O] [S] Conseil n'a donc pu poursuivre sur ce projet.

Concernant le client South Sevier Hight School, celui-ci a bien été géré par la société [O] [S] Conseil, l'accompagnement proposé par M. [R] de la société Shelyak Instruments ne concernant qu'un échec de paiement.

Enfin, s'agissant des commandes passées directement auprès de la société Shelyak Instruments par le CNRS STCD, la société Shelyak Instruments était libre de les gérer dès lors que la société [O] [S] Conseil ne justifie pas

de son intervention, le contrat liant les parties prévoyant une absence d'exclusivité et ne privant pas la société Shelyak Instruments de traiter directement ses clients en l'absence d'intervention de la société [O] [S] Conseil.

La société [O] [S] Conseil ne peut donc se prévaloir d'un non-respect de la répartition clients institutionnels / clients particuliers pour considérer que la cessation du contrat d'agent commercial est imputable au mandant ou que celui-ci a eu un comportement déloyal à son égard alors même que le montant de ses commissions étaient en progession.

2/ Sur l'arrêt brutal de commercialisation des produits

La société [O] [S] Conseil se prévaut des dispositions de l'article 3 du contrat d'agent commercial stipulant: ' Il est expressément convenu que la liste des produits pourra être complétée par le mandant en fonction des nouveaux produits ou/et des nouvelles gammes de produits destinés à être commercialisés par le mandant sur le territoire sans que cela ait pour effet de porter atteinte au présent contrat ou d'en modifier les termes sauf accord exprès entre les parties. Dans ce cas, le mandant en informera l'agent par écrit avec un préavis de 15 jours.

Par ailleurs, dans le cas où le mandant cesserait de commercialiser certains produits ou une ou plusieurs gammes de produits dans le territoire, il en informera l'agent avec un préavis raisonnable de 4 semaines minimum et l'agent cessera d'en assurer la promotion au titre du contrat sans que cette suppression puisse ouvrir droit à une quelconque indemnité.'.

Selon la société [O] [S] Conseil, la société Shelyak Instruments a annoncé en juillet 2021 qu'elle suspendait temporairement la commercialisation du produit Whoppshel.

Dans un mail adressé le 25 janvier 2022 à ses collaborateurs et à [O] [S], [B] [D] a rappelé les difficultés ayant conduit à stopper la fabrication du Whoppshel consistant en des difficultés d'approvisionnement sur un des bancs d'optique Thorlabs et sur les lunettes Taka FSQ-106, en l'augmentation des prix, en des problème de qualité sur l'objectif Samyang, en la lourde charge de travail s'agissant du montage et du réglage et en l'absence de retour sur les résultats obtenus au moyen de cet instrument. Il a fait part de ses hésitations quant à la poursuite de la fabrication et de la commercialisation ou l'arrêt définitif de ce projet et a invité ses collaborateurs à faire part de leur avis.

Les personnes interrogées ont conclu au maintien du Whoppshel dans le catalogue et à la vente.

Il en résulte qu'il n'y a pas eu d'arrêt brutal de la commercialisation du Whoppshel alors même que la société [O] [S] Conseil était parfaitement informée des difficultés liées à la fabrication de ce produit puisqu'elle en a d'ailleurs avisé ses clients suivant mails des 19 octobre 2021 et 25 janvier 2022, et alors même qu'il n'y avait pas d'arrêt définitif de ce produit, la société [O] [S] Conseil parlant d'ailleurs d'arrêt temporaire dans son mail du 26 janvier 2022.

La société [O] [S] Conseil a d'ailleurs continué à informer ces clients en leur indiquant une fourchette de prix.

La commercialisation de ce produit a au demeurant été reprise à la suite des échanges évoqués précédemment.

Par ailleurs, la société Shelyak Instruments soulignant la complexité à fabriquer plusieurs Whoppshel pouvait ne pas faire droit aux commandes proposées. En effet, aux termes de l'article 5 du contrat, il est convenu entre les parties que le mandant est libre de refuser une ou plusieurs commandes de produits sans avoir à fournir de justifications.

En conséquence, les difficultés entourant la commercialisation du Whoppshel ne constituent pas des circonstances imputables au mandant de nature à justifier la rupture du contrat d'agence commerciale.

3/ Sur l'internalisation de la fonction commerciale

La société [O] [S] Conseil reproche à la société Shelyak Instruments l'embauche d'un salarié technico-commercial en la personne de M. [R].

Si la société [O] [S] Conseil allègue que l'obligation de loyauté impose au mandat de ne pas solliciter la clientèle par lui-même ou ses salariés et doit faire respecter l'exclusivité par les autres agents commerciaux ou par son réseau, la cour relève qu'en l'espèce, le contrat prévoit expressément l'absence d'exclusivité.

En outre, la fiche du poste de technico commercial transmise à l'agence de recrutement prévoit que celui-ci est en charge uniquement de la clientèle de particuliers et de distributeurs.

Elle n'empiète donc pas sur la sphère habituellement traitée par la société [O] [S] Conseil, chargée spécialement de développer la clientèle d'institutionnels.

Il ressort enfin des échanges de mails (18 janvier 2022) que M. [R] renvoyait à la société [O] [S] Conseil les éléments concernant sa clientèle.

Le recrutement de M. [R] ne constitue donc pas une faute contractuelle, ni un comportement déloyal dont peut se prévaloir la société [O] [S] Conseil.

4/ Sur la dégradation des relations entre les parties

Aux termes de l'article 4-1 du contrat, l'agent commercial doit rendre compte au mandant de manière hebdomadaire de ses missions en faisant notamment le point sur les résultats obtenus, sur les actions de promotion des produits et/ou prestations réalisées et/ou envisagées; il doit tenir également le mandant régulièrement informé de l'état du marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence sur le territoire.

Dès lors, le fait que la société Shelyak Instruments demande dans un mail du 14 avril 2021 à la société [O] [S] Conseil de regarder les commandes dans le détail et d'examiner celles qui sont le fruit explicite du travail de l'agent commercial et celles qui seraient arrivées même sans son intervention ne peut être considéré comme un dénigrement. Cette demande vise simplement à faire le point sur les résultats obtenus même si elle est présentée de façon maladroite.

La société [O] [S] Conseil allègue aussi qu'elle a été privée de façon mesquine de l'accès au logiciel à compter du 13 janvier 2022. Néanmoins, [B] [D] lui a répondu le 19 janvier 2022 qu'il n'arrivait pas à faire fonctionner le VPN et continuait à chercher l'origine de la panne. Cette situation est confirmée par un mail du 20 janvier 2022 de M. [R] qui indique qu'il n'a pas accès comme tout le monde au système.

En conséquence, cette panne informatique ne peut constituer un comportement fautif de la société Shelyak Instruments à l'égard de la société [O] [S] Conseil.

Enfin, la cour observe que c'est [O] [S] qui emploie un ton particulièrement sec dans ses mails adressés à [N] [R] nouvellement entré dans l'entreprise: ' J'avais une toute autre idée de l'excellence opérationnelle. ' , ' Quel est l'historique en évitant STP les 'il me semble' et les 'bon' ou 'mauvais souvenirs'' '.

En conséquence, la société [O] [S] Conseil ne caractérise pas une dégradation des relations imputables à la société Shelyak Instruments.

Dès lors, faute pour la société [O] [S] Conseil de démontrer que la cessation du contrat est justifiée par des circonstances imputables au mandant, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société [O] [S] Conseil au titre de l'indemnité compensatrice, au titre de l'indemnité pour cessation du contrat et au titre de l'indemnité pour rupture déloyale.

II - Sur les demande en paiement de commissions

La société [O] [S] Conseil réclame une somme au titre des commissions dues sur les affaires en cours. Elle ne produit toutefois aucun élément au soutien de ces demandes. Elle ne précise pas quelles sont les affaires concernées, ni ne justifie des ordres des clients.

S'agissant des commissions réclamées sur des commandes passées par les professionnels détournés de l'agent commercial, il est rappelé que la société [O] [S] Conseil ne peut réclamer des commissions que sur les commandes découlant de son intervention, étant noté qu'elle ne détient aucune exclusivité.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société [O] [S] Conseil de ses demandes au titre des commissions.

III - Sur la demande de la société Shelyak Instruments au titre de la rupture brutale du contrat

La cour relève que la société [O] [S] Conseil a adressé un premier courrier le 15 février 2022 avant de prendre acte de la résiliation du contrat le 10 mars 2022.

Par ailleurs, le seul graphique élaboré par la société Shelyak Instruments sur les commandes des institutionnels entre mars 2021 et janvier 2023 est insuffisant à caractériser le préjudice financier du mandant.

La note de M. [D], dirigeant de la société Shelyak Instruments, n'est pas de nature à établir le préjudice moral.

En conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a débouté la société Shelyak Instruments de ses demandes de dommages et intérêts.

IV - Sur les mesures accessoires

Il n'y a pas lieu d'infirmer la somme allouée au titre des frais irrépétibles en 1ère instance.

La société [O] [S] Conseil qui succombe sera condamnée aux entiers dépens d'appel et à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 24 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Grenoble en toutes ses dispositions soumises à la cour.

Ajoutant,

Condamne la société [O] [S] Conseil aux dépens d'appel.

Condamne la société [O] [S] Conseil à payer à la société Shelyak Instruments la somme de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Déboute la société [O] [S] Conseil de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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