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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 15 avril 2025, n° 23/00127

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ligne Directe Production (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

M. Norguet, Mme Moulayes

Avocats :

Me Carles, Me Sorel, Me Soulier

T. com. Toulouse, du 5 déc. 2022, n° 202…

5 décembre 2022

Faits et procédure :

La Sarl [E] a une activité d'agent commercial dans le secteur des produits alimentaires, ses co-gérants sont [F] [E] et sa fille, [P] [E]. Elle emploie sept salariés.

[O] [L] a crée la Sas Ligne Directe Production pour réaliser du négoce de gros, demi-gros, import-export de fruits et légumes et de produits de paille.

Le 2 avril 2012, la Sas Ligne Directe Production, [O] [L] et [U] [C] ont créé la Sarl Sofresh ayant pour objet le négoce d'oignons, d'échalotes, d'ails, de tous produits agricoles et condiments, leur production, transformation et commercialisation.

[O] [L] a été désigné gérant de la Sarl Sofresh.

La même année, la Sarl [E] s'est vue confier verbalement une mission d'agent commercial portant sur l'ensemble des produits commercialisés par la Sarl Sofresh, notamment la prospection commerciale et le référencement des produits auprès de supermarchés et hypermarchés, moyennant une commission de 5% sur le chiffre d'affaires réalisé.

Le 26 janvier 2015, [O] [L] et [U] [C] ont vendu leurs parts dans la Sarl Sofresh à la Sas Ligne Directe Production.

A l'automne 2017, un taux complémentaire de 2% a été prévu pour la rémunération de la Sarl [E], en plus du taux initial de 5%, pour la réalisation de prestations spécifiques comme des animations commerciales.

Une modification de la structure de la Sarl Sofresh a été votée le 22 décembre 2017 aux fins d'intégration de la société dans le groupe « Maître Prunille ». Ainsi, la société est devenue une Sas dont les nouveaux associés étaient la société civile Mppm, ayant pour dirigeant la Sas Maître Prunille, propriétaire de 830 actions, et la Sas Ligne Directe Production, désormais dirigée par la société civile Mppm, propriétaire de 1 170 actions.

Aux termes de cet acte, la société civile Mppm a été désignée en qualité de présidente de la Sas Sofresh et [O] [L] en est devenu le Directeur général.

Par lettre recommandée en date du 11 octobre 2019, la Sarl [E] s'est plaint à la Sas Sofresh de la dégradation de leurs relations commerciales depuis l'intégration de cette dernière dans le groupe Maître Prunille et lui a reproché de ne plus lui donner les moyens d'accomplir son mandat d'agent commercial dans des conditions normales.

Par courrier retour du 22 octobre 2019, la Sas Sofresh a contesté toutes les difficultés avancées par son agent commercial.

Puis, par lettre recommandée du 20 janvier 2020, la Sas Sofresh, avançant réaliser seule les prestations commerciales pour lesquelles la Sarl [E] percevait ses 2% de commission additionnelle, a notifié à son agent commercial la scission des taux de commission pour différencier les 5% prévus pour les actions de vente et les 2% prévus pour les animations commerciales. Elle a exigé de son agent la justification des actions au titre desquelles la commission additionnelle lui était réclamée.

Par lettre recommandée et courriel en réponse du 23 mars 2020, réitérés le 26 mai 2020, la Sarl [E] a protesté contre cette modification unilatérale des conditions contractuelles et a, à nouveau, reproché à sa mandante de ne plus lui donner les moyens d'accomplir son mandat dans des conditions satisfaisantes du fait d'un défaut de communication et d'information de la politique commerciale et promotionnelle, de la cessation de l'accompagnement terrain et d'un défaut de transmission des éléments permettant le suivi client. La Sarl [E] a mis la Sas Sofresh en demeure de lui régler la somme de 4 126,86 euros de commissions restant dues ainsi que de rétablir le taux de commission global de 7% et de remédier aux dysfonctionnements constatés.

Par courriers recommandés du 27 mai et du 2 juin 2020, la Sas Sofresh a reproché à la Sarl [E] le comportement déloyal de l'une de ses salariées à son égard et la perte au profit de la concurrence d'un certain nombre de magasins, annonçant qu'à défaut de transparence de la mandataire dans ses réponses, elle résilierait le contrat d'agent commercial à ses torts sans indemnités, ni préavis.

Par courrier recommandé du 17 juin 2020, la Sarl [E] a notifié à la Sas Sofresh la résiliation de son contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la mandante et l'a mise en demeure de lui payer les sommes suivantes :

8 493,12 euros TTC au titre du solde de ses commissions restant dues,

16 056 euros au titre de l'indemnité de préavis,

et 128 448 euros au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du contrat.

Par courrier du 29 juin 2020, la Sas Sofresh a pris acte de la rupture du contrat d'agent commercial mais a indiqué qu'elle la considérait imputable aux torts exclusifs de l'agent de sorte qu'elle n'était redevable ni d'une indemnité de rupture, ni d'une indemnité de préavis.

Par décision de l'associé unique en date du 26 avril 2021, une dissolution sans liquidation de la Sas Sofresh avec transmission universelle de patrimoine au profit de la Sas Ligne Directe Production est intervenue.

Par acte d'huissiers délivrés le 16 et 17 juin 2021, la Sarl [E] a assigné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, en condamnation au paiement des indemnités et solde de commissions réclamés du fait de la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la mandante.

Par jugement du 5 décembre 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :

joint les instances enrôlées sous les n°2021300460, et 2021300461 et a rendu un seul et même jugement,

s'est déclaré compétent,

débouté la Sarl [E] de sa demande en paiement par la Sas Ligne Directe Production venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial,

condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh au paiement à la Sarl [E] de la somme de 128 448 euros au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020,

condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh au paiement à la Sarl [E] de la somme de 16 056 euros au titre de l'indemnité de préavis du contrat d'agent commercial augmenté des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020,

condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, au paiement de la somme de 1 200 euros à la Sarl [E] au titre de l'article 700 du code procédure civile,

condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 11 janvier 2023, la Sas Ligne Directe Production a relevé appel du jugement du tribunal de commerce aux fins de le voir réformé en intégralité, à l'exception des chefs de dispositif par lesquels le tribunal a joint les instances enrôlées sous les n°2021300460, et 2021300461 et a rendu un seul et même jugement, s'est déclaré compétent et a débouté la Sarl [E] de sa demande en paiement par la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial.

Par voie de conclusions, la Sarl [E] a formé appel incident du chef de dispositif l'ayant déboutée de sa demande en paiement par la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial.

La clôture est intervenue le 6 janvier 2025. L'affaire a été fixée à l'audience du 28 janvier 2025.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions n°2 devant la cour d'appel de Toulouse notifiées le 8 décembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, demande, au visa des articles L134-1 et suivants du code de commerce :

la confirmation du jugement du tribunal de commerce du 5 décembre 2022 en ce qu'il a débouté la Sarl [E] de sa demande en paiement par la Sa Ligne Directe Production de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial,

son infirmation en ce qu'il a :

- condamné la Sas Ligne Directe Production au paiement de la Sarl [E] de la somme de 128 448 euros au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial,

- condamné la Sas Ligne Directe Production au paiement à la Sarl [E] de la somme de 16 056 euros au titre de l'indemnité de préavis du contrat d'agent commercial,

ce faisant, qu'il soit reconnu que la Sas Ligne Directe Production n'a commis aucun manquement grave pouvant justifier une rupture du contrat d'agent commercial à ses torts exclusifs et que la cessation du contrat d'agent commercial résulte de l'initiative de la Sarl [E] privative de toute indemnité,

en tout état de cause, la condamnation de la Sarl [E] à verser à la Sas Ligne Directe Production la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamnation de la Sarl [E] aux entiers dépens de l'instance.

Vu les conclusions d'intimé N°2 notifiées le 30 décembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sarl [E] demande, au visa des articles 562 et 954 du code de procédure civile, L134-1 et suivants du code de commerce :

la confirmation, en l'absence de prétention contraire de la Sas Ligne Directe Production, et en tout état de cause, du jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh au paiement à [E] de la somme de 128 448 euros au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020,

- condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh au paiement à la Sarl [E] de la somme de 16 056 euros au titre de l'indemnité de préavis du contrat d'agent commercial augmenté des intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020,

- condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh au paiement de la somme de 1 200 euros à la Sarl [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sas Ligne Directe Production venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh aux entiers dépens de l'instance,

la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sarl [E] de sa demande en paiement par la Sas Ligne Directe Production venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial,

la condamnation de la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh par l'effet d'une transmission universelle de patrimoine, à payer à la Sarl [E] la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial, outre intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2020,

le rejet de l'ensemble des demandes de la Sas Ligne Directe Production,

la condamnation de la Sas Ligne Directe Production à payer à la Sarl [E] la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

la condamnation de la Sas Ligne Directe Production au paiement des entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Gilles Sorel, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

MOTIFS

Sur l'étendue de la saisine de la cour

La Sarl [E] affirme que le dispositif des conclusions de l'appelante n'énonce sous la formulation « dire et juger » que de simples moyens relatifs aux circonstances entourant la cessation du contrat d'agent commercial mais n'élève aucune prétention visant à voir les demandes de l'intimée rejetées. Dès lors, la Sarl [E] soutient que la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris, faute de prétentions émises par l'appelante.

La Sas Ligne Directe Production réplique en indiquant que sa demande d'infirmation partielle du jugement est bien suivie de formulation de prétentions et, en l'espèce, la reconnaissance de ce qu'elle n'a commis aucun manquement grave justifiant une rupture du contrat d'agent commercial à ses torts exclusifs ainsi que la reconnaissance de ce que la cessation dudit contrat résulte de l'initiative de l'agent commercial et le prive de toute indemnité.

Il est de jurisprudence constante qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées. La cour d'appel ne peut que confirmer la décision de première instance quand la partie se limite à conclure à l'infirmation sans développer des moyens à l'appui de cette demande.

Il a été reconnu qu'il revient à la cour d'appel de rechercher si les « dire et juger » formulés dans le dispositifs des conclusions des parties constituent de réelles prétentions ou énoncent de simples moyens.

En l'espèce, l'analyse du dispositif des dernières conclusions de la Sas Ligne Directe Production permet à la cour de constater qu'il lui est demandé, une fois infirmés les chefs de dispositif du jugement de première instance ayant condamné l'appelante au paiement des indemnités de rupture et de préavis, d'écarter toute faute pouvant lui être imputée dans la rupture du contrat d'agent commercial en cause et partant, de reconnaître que la rupture est intervenue à l'initiative du seul agent, de sorte que ce dernier ne peut revendiquer aucune indemnité à ce titre.

Dès lors, et contrairement à ce que soutient la Sarl [E], la cour est bien saisie par l'appelante de réelles prétentions. La Sarl [E] est déboutée de sa demande de confirmation simple du jugement frappé d'appel.

Sur la rupture du contrat d'agent commercial de la Sarl [E]

Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder. Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Les relations entre un agent commercial et son mandant sont régies par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce, dans leur version applicable au contrat en cause.

Selon l'article L134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Cependant, en application des dispositions de l'article L134-13 du code de commerce, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants : ['] 2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant [...].

L'article L.134-4 du code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l' agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

La modification unilatérale par le mandant d'un élément essentiel du contrat comme l'absence d'instructions données à l' agent l'empêchant d'exécuter son mandat sont des circonstances rendant la rupture imputable au mandant.

En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que le contrat d'agent commercial conclu entre elles était uniquement verbal ainsi que sur le fait que sa rupture est intervenue à l'initiative de l'agent, la Sarl [E].

Cependant, la Sarl [E] soutient que cette rupture résulte de circonstances imputables à sa mandante et qu'elle n'est donc pas privée des indemnités de rupture et de préavis, tandis que la Sas Ligne Directe Production, qui conteste toute faute, soutient que la Sarl [E] étant seule à l'initiative de la rupture, ne peut prétendre à aucune indemnité.

Il revient à l'agent commercial, qui en excipe, de rapporter la preuve de ce que la rupture, bien qu'intervenue à son initiative, est imputable aux manquements de son mandant.

- sur la réduction unilatérale du taux de commission

La Sarl [E] soutient la faute de sa mandante en ce qu'elle lui a signifié le 20 janvier 2020, par courrier recommandé, qu'elle scindait désormais le paiement des commissions de 7% entre le taux de 5% et le taux de 2% en exigeant des justificatifs quant à la réalisation des prestations d'animation rémunérées par le taux de commission additionnel de 2%, la Sas Sofresh avançant assurer elle-même ces prestations.

La Sas Ligne Directe Production maintient que la commission de l'agent n'a toujours été que de 5% sur le chiffre d'affaires réalisé. Si une commission additionnelle de 2% a bien été convenue entre les parties, en septembre 2017, l'appelante affirme qu'elle n'avait pour objectif que de rémunérer des prestations complémentaires réalisées par la Sarl [E], dont l'animation commerciale, et que le versement de la commission additionnelle intervenait sur justification de la bonne réalisation des prestations en question. Dès lors, elle conteste toute modification unilatérale des conditions de rémunération de son agent.

En l'absence de contrat écrit entre les parties, il revient à la cour de déterminer le taux de commission sur lequel les parties s'étaient entendues durant l'exécution du mandat ainsi que les modalités de versement des commissions correspondantes.

Les deux parties produisent conjointement les 128 factures émises par la Sarl [E] entre le 30 mai 2012 et le 30 juin 2020.

L'analyse de ces documents permet à la cour d'établir qu'à compter du mois de septembre 2017, comme le soutient justement la Sas Ligne Directe Production et à l'exception de l'unique facture N°1185 du 30 novembre 2017, la Sarl [E] ne facturait pas un taux global de commission de 7% mais bien deux taux distincts, un taux principal de 5% appliqués sur les ventes de produits, les factures distinguant suivant les magasins concernés, et un taux de 2% appliqués sur la dernière ligne de chaque facture et correspondant systématiquement aux mots « prestation » ou « prestation animation ».

Cependant, cette analyse doit être rapportée à la lecture du courrier recommandé adressé par la Sas Sofresh le 20 janvier 2020, en ce qu'il indique : « ['] vous percevez ['] depuis octobre 2017, 2% supplémentaires afin de réaliser la prestation d'animation merchandising. Or, comme nous vous l'avons indiqué, c'est bien Sofresh qui réalise 100% de la prestation commerciale pour laquelle vous percevez ces 2% de rémunération. Dorénavant, nous scinderons donc le paiement des 5% et des 2% de prestations commerciales additionnelles pour lesquelles vous voudrez bien nous adresser mensuellement tous les justificatifs associés. ».

Cette formulation permet à la cour de comprendre qu'avant l'envoi de ce courrier du 20 janvier 2020, alors même que la Sas Sofresh revendique avoir assumé elle-même les prestations commerciales pourtant facturées par son agent, ce qui devait nécessairement l'amener à en refuser le paiement faute d'objet, la Sas Sofresh a réglé de manière continue pendant plus de deux ans les sommes dues au titre de la commission additionnelle de 2% sur simple présentation de ses factures par la Sarl [E]. Cela confirme les dires de la Sarl [E] selon lesquels la Sas Sofresh ne lui a jamais, avant le 20 janvier 2020, demandé de justifier des actions réalisées au titre des lignes « prestation » ou « prestation animation » avant de lui en régler le montant.

Il est au surplus constaté que la Sas Sofresh refuse d'acquitter depuis cette date les soldes de factures de commission de la Sarl [E] correspondant à la commission additionnelle de 2% en avançant l'absence de justification des prestations d'animation.

En modifiant unilatéralement les conditions de rémunération de ses activités au 20 janvier 2020, sans lui laisser de délai de réflexion et sans négocier la modification avec lui, puis en refusant de manière continue de lui régler le solde des commissions dues depuis cette date, la Sas Sofresh a manqué à son devoir de loyauté envers son agent commercial.

- sur la mise à disposition par la mandante des moyens pour l'agent d'exécuter

son mandat

La Sarl [E] affirme qu'à compter de l'année 2019, et notamment du rachat de la Sas Sofresh par le groupe Maître Prunille, les relations avec sa mandante se sont dégradées et leur communication est devenue difficile. Elle soutient que la Sas Sofresh ne lui a plus fourni les moyens d'exercer ses missions auprès de sa clientèle en ne la tenant plus informée des opérations commerciales et promotionnelles, en ne réalisant plus d'accompagnement sur le terrain auprès des clients historiques ou en s'y rendant avec d'autres commerciaux et en ne transmettant plus les informations nécessaires au suivi des clients. La Sarl [E] produit pour en justifier ses courriers et courriels d'interrogation de sa mandante auxquels il n'a pas été apporté de réponse et souligne qu'il n'a été organisé aucune réunion entre l'agent et sa mandante entre le 19 avril 2017 et le 19 avril 2019.

La Sas Sofresh souligne que la Sarl [E] ne rapporte aucune preuve des difficultés avancées autrement que par des courriers émanant de sa main. Elle conteste que la Sas Sofresh ait eu l'obligation d'accompagner son agent commercial sur le terrain, qu'il y ait une rupture des communications entre les deux sociétés ou que le groupe Maître Prunille ait cherché à évincer les agents commerciaux externes. Elle produit les chiffres d'affaires de ses différents agents commerciaux sur les années 2018 et 2019 pour démontrer que leur activité n'a pas été impactée par son intégration dans ledit groupe, et s'agissant de la Sarl [E], que les manquements avancés par l'agent ne se sont pas traduits par une baisse de son chiffre d'affaires.

En application des dispositions de l'article R134-2 du code de commerce, le mandant met à la disposition de l'agent commercial toute documentation utile sur les produits ou services qui font l'objet du contrat d'agence.

Or, les pièces produites par l'intimée, qui ne peut caractériser autrement que par la production de ses propres mails la répétition de ses demandes d'information auprès de sa mandante et l'absence de réponse de cette dernière, attestent bien de ce qu'à compter de l'année 2018 et particulièrement dans le courant de l'année 2019, la Sarl [E] n'a pas obtenu les éléments nécessaires à son activité d'agent commercial intervenant principalement en grandes surfaces, à savoir les informations sur la politique commerciale et les événements promotionnels ainsi que les tarifs des produits. L'agent commercial a fait remonter à sa mandante à au moins deux reprises qu'il ne savait plus à qui il devait s'adresser au sein de la nouvelle structure pour obtenir ces informations.

La Sas Sofresh ne produit en réplique que deux mails de réponse très lapidaires, insuffisants pour matérialiser une réponse systématique, conforme à ses obligations légales et contractuelles, aux demandes de son agent commercial sur les éléments nécessaires à l'exercice de son activité, afin de lui permettre d'exercer son mandat dans des conditions normales, favorables à leur intérêt mutuel.

La cour constate donc que la Sas Sofresh, aux droits de laquelle vient désormais la Sas Ligne Directe production, a manqué à son devoir de loyauté et d'information envers son agent commercial en ne lui donnant pas les moyens d'exercer son activité dans des conditions satisfaisantes alors qu'elle en avait l'obligation.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour relève que si la Sarl [E] est à l'initiative de la rupture de son contrat d'agent commerciale, cette rupture est justifiée par des circonstances imputables à sa mandante portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel.

Le jugement de première instance sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes indemnitaires et le solde des factures dues

La Sarl [E] sollicite l'allocation de la somme de 128 448 euros (24x5 352 euros de commission mensuelle moyenne) au titre de l'indemnité de rupture ainsi que la somme de 16 056 euros (3x5 352 euros) d'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à 3 mois de commissions mensuelles, la relation avec la Sas Sofresh ayant duré 8 ans.

La Sas Sofresh n'oppose aucun argument quant au montant des indemnités sollicitées, se limitant à contester en être redevable.

L'indemnité de rupture vient compenser le préjudice subi par l'agent commercial du fait de la perte des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier et de l'absence d'amortissement des frais et dépenses engagés dans le cadre de celui-ci. Si elle est généralement fixée à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat, elle reste souverainement appréciée par les juridictions du fond.

La cour constate que la Sarl [E] a bien notifié à sa mandante, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat d'agent commercial, qu'elle entendait faire valoir ses droits quant aux indemnités de rupture et de préavis. En application des dispositions de l'article L134-12 du code de commerce, l'intimée n'a donc pas perdu son droit à réparation.

En l'espèce, le préjudice de la Sarl [E], qui était en relation d'affaires avec la Sas Sofresh depuis 8 ans est constitué de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Il a été récemment jugé qu'aux fins d'évaluer ce préjudice, il n'y avait pas lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la cessation du contrat.

Dès lors, c'est de manière inopérante que la Sas Sofresh produit un jugement du tribunal de commerce de Castres matérialisant la commission d'actes de concurrence déloyale à son préjudice par une société concurrente et le perte de la clientèle de nombreux magasins pour affirmer dans ses conclusions d'instance que les commissions de la Sarl [E] « allaient être revues à la baisse en raison de cette concurrence déloyale ».

Au vu des documents produits par l'intimée, et contrairement à ses affirmations, la cour constate que la moyenne des commissions mensuelles de la Sarl [E] sur les trois dernières années d'exécution du mandat s'établit à la somme de 3 313,55 euros et non 5 352 euros.

Le préjudice subi par l'agent commercial sera justement indemnisé par l'allocation de la somme de 79 525,20 euros, correspondant à deux années de commissions mensuelles moyennes (24x3 313,55), au titre de l'indemnité de rupture, que la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, sera condamnée à lui verser.

Selon les articles L134-11, 134-12 et L 134-13 du code de commerce, lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice au titre du préavis, s'il n'a pu l'exécuter alors qu'il n'est pas à l'initiative de la rupture ou que la rupture est justifiée par le comportement de son mandant.

En l'espèce, la relation ayant duré 8 ans, la durée du préavis pour la Sarl [E] était de 3 mois.

La Sarl [E] est à l'initiative de la rupture et bien qu'il soit reconnu que la rupture est intervenue en raison de circonstances imputables à sa mandante, l'intimée ne démontre pas en quoi ces circonstances l'ont empêchée de réaliser les 3 mois de préavis légalement prévus.

La Sas Ligne directe Production n'apporte pas d'éléments sur ce point, contestant toute possibilité d'indemnisation de son agent.

La cour constate que si la Sas Sofresh a menacé son agente de la priver de préavis dans son courrier recommandé du 2 juin 2020 en l'absence de transparence dans ses réponses, la Sarl [E] ayant résilié le contrat d'agent commercial 15 jours plus tard, a empêche sa mandante de mettre cette menace à exécution. La Sarl [E] n'explique pas en quoi elle ne pouvait réaliser le préavis prévu.

Dès lors, elle sera donc déboutée de sa demande au titre de l'indemnité dé préavis.

Le jugement de première instance est donc confirmé en ce qu'il a alloué une somme à la Sarl [E] au titre de l'indemnité de rupture mais réduit quant à son quantum, ramené à 79 525,20 euros et infirmé en ce qu'il a condamné la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, à verser à la Sarl [E] une somme au titre de l'indemnité de préavis.

Enfin, la Sarl [E] sollicite le paiement du solde résiduel des factures présentées à la Sas Sofresh et dont celle-ci refuse le paiement s'agissant de la commission additionnelle de 2%. Elle produit les pièces permettant de chiffrer ce solde dû à la somme de 4 201,92 euros TTC.

la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, maintient que la Sarl [E] n'a pas justifié comme elle le devait les prestations réalisées lui ouvrant droit à la perception de la commission additionnelle.

La cour ayant déjà reconnu que c'était de manière fautive que la Sas Sofresh a modifié unilatéralement les conditions de rémunération de la Sarl [E] et exigeait des justificatifs de prestations qui n'avaient pas été convenus entre les parties, c'est à tort que la mandante retient le solde des commissions dues à la Sarl [E] à compter du 20 janvier 2020 et correspondant à sa commission additionnelle de 2%.

Dès lors, la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, est condamnée à lui verser le solde desdites commissions additionnelles se montant à la somme de 4 201,92 euros TTC.

Le jugement de première instance est infirmé en ce qu'il a débouté la Sarl [E] de cette demande.

Sur les frais irrépétibles,

Confirmé intégralement, le jugement de première instance le sera également sur ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

La Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce justifient que la Sas Ligne Directe Production,venant aux droits de la Sas Sofresh, soit condamnée à verser à la Sarl [E] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, elle-même étant déboutée de sa demande formulée sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Constate qu'elle est bien saisie de prétentions aux termes du dispositif des dernières conclusions notifiées par l'appelante,

Au fond, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf quant au quantum de lindemnité de rupture, quant à la condamnation de la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, au titre de l'indemnité de préavis et en ce qu'il a débouté la Sarl [E] de sa demande en paiement par la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits et obligations de la Sas Sofresh, de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû du chef du contrat d'agent commercial,

Et, statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute la Sarl [E] de sa demande de condamnation de la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh à lui verser la somme de 9 940,65 euros au titre de l'indemnité de préavis,

Condamne la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, à verser à la Sarl [E] de la somme de 4 201,92 euros TTC au titre du solde de commissions restant dû,

Condamne la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, à verser à la Sarl [E] la somme de 79 525,20 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

Y ajoutant,

Condamne la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, aux dépens d'appel,

Condamne la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, à verser à la Sarl [E] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Sas Ligne Directe Production, venant aux droits de la Sas Sofresh, de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

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